jeudi, mars 20, 2003

Allez, changeons-nous les idées, c'est Newroz demain :

Le Newroz, qui est à la fois le Nouvel An et le premier jour du printemps est une des plus vieilles fêtes de l’humanité ; 3000 ans avant JC on le fêtait à Sumer, en Basse –Mésopotamie. Aujourd’hui encore, il est fêté le 21 mars par tous les peuples de culture iranienne, mais il a une importance toute spéciale chez les Kurdes. Car cette fête en raison de la légende qui s’y rattache est le symbole de leur libération et de leur lutte contre l’oppression.

En voici le canevas, la version minimale, car il y a de nombreuses variantes : un roi était affligé de deux serpents qui lui avaient poussé aux épaules. Pour nourrir ces serpents, il fallait leur donner chaque matin de la cervelle humaine. Deux jeunes gens étaient sacrifiés à cet effet. Mais les trois médecins chargés de cette préparation trichèrent en ne sacrifiant qu'un garçon sur deux et en mêlant la cervelle du malheureux à celle d'un mouton. Le rescapé s'enfuyait dans les montagnes ce qui fait que la montagne fut bientôt peuplée de fugitifs. Ces fugitifs donnèrent naissance au peuple kurde.

Un forgeron nommé Kawa avait eu dix-sept fils dont seize avaient déjà péri de la main des sacrificateurs. Quand on lui prit le dernier, il se révolta, et captura le roi, qu'il enchaîna sous le mont Demawend où Zohak périt dévoré par ses propres serpents. La libération se passa le jour du Newroz. Et tous les ans, les Kurdes se rendent dans les montagnes, allument un feu et dansent autour pour fêter leur libération. Ils font remonter historiquement cet événement à la chute de l’empire assyrien, en 612 av. JC, sous les coups des Mèdes, peuple iranien dont ils affirment descendre. Dans le calendrier kurde nous sommes donc en l’année 2615.

Des traces de cette fête sont visibles dans toute la culture kurde au cours des siècles. Ainsi sur les portes de la Grande Mosquée de Diyarbakir (actuellement en Turquie) on voit ce bas-relief représentant un lion attaquant un taureau. Cette image très ancienne symbolisait déjà, dans le calendrier zoroastrien, le jour du Newroz. Le lion est en fait le Soleil occultant à ce moment les Pléiades (Taurea) et annonçant l’équinoxe de printemps.




Grande Mosquée de Diyarbakir, 11° siècle.

En 1691, dans son œuvre célèbre « Mem et Zîn », le grand poète kurde Ahmedê Khanî décrit ainsi l’agitation qui suit les festivités du Newroz chez les Kurdes, en constatant que pas un Kurde ne reste alors dans les villes, que tous vont dans les campagnes et les collines pour danser en plein air. (cf. annexe).

La fête kurde du Newroz a souvent été interdite à l’époque contemporaine, en tant qu’expression de leurs aspirations nationales. En effet, ce n’est ni une fête arabe ni turque. Seuls les Iraniens la célèbrent. L’année 1992 fut ainsi très sanglante en Turquie, quand les soldats tirèrent sur la foule à Diyarbakir et dans d’autres villes et encore aujourd’hui ces célébrations sont souvent suspectes au gouvernement et se déroulent parfois dans un climat tendu. Au Kurdistan d’Irak, par contre, c’est un jour de fête aussi important qu’en Europe le 1er janvier ou le 25 décembre.



La célébration du Newroz et du Nouvel An (extraits de Mem et Zîn.)

« Au jour de la Fête du Newroz,
Ils célébraient ce temps joyeux.
Les gens allaient dans les prairies et les collines,
Ils faisaient des lieux déserts un jardin.
Surtout, les jeunes garçons et les jeunes filles,
C’est-à-dire les vrais joyaux,
Venaient tous dans leurs plus beaux vêtements et parures. »


Les gens des villes se rendent à la campagne pour le Newroz

« Quand la roue bleue de l’univers
Une fois de plus s’arrêtait sur le Newroz,
En accord avec une tradition bénie,
Tous les citadins, civils et soldats,
Quittaient les maisons, les citadelles et les villes.
Comme des brigands de grand chemin,
En rangs ils s’avançaient dans les champs.
Il y avait toutes sortes de gens, petits et grands,
Et tous partaient, personne en ville ne demeurait.
Certains allaient à pied dans les champs,
Certains chevauchaient par les piémonts.
La plupart venaient en foule,
D’autres avec leurs amis, et d’autres seuls.
Femmes et dames de qualité
Faisaient des champs une roseraie,
Et du paradis des houris leur demeure,
Visibles à tous, libres et sans soucis.
Les jeunes filles et les garçons,
Avec accroche-cœurs, grains de beauté, et tempes pures,
Les filles de même âge que les garçons, mais aux seins déjà ronds,
Les garçons encore imberbes, beaux adolescents,
Ceux qui avaient l’apparence de la beauté,
Ceux qui étaient l’essence de la beauté,
Tous se montraient entre eux ce qu’ils avaient,
Et s’examinaient des pieds à la tête.
Ils étaient les vendeurs au marché de l’amour.
Certains montraient la beauté, d’autres l’achetaient.
Les enfants, les jeunes garçons, les jeunes filles,
Les centenaires, les vieillards et les femmes,
Célébraient la nouvelle année, en accord avec la tradition,
Et de bonheur leurs voix s’élevaient jusqu’au ciel. »


Mem et Zîn, Ahmedê Khanî, Trad. Sandrine Alexie et Akif Hasan, éd. L’Harmattan.


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