vendredi, novembre 15, 2002

Qu'est-ce que l'AKP ?

Aujourd’hui, tout le monde débat des élections en Turquie et de la victoire récente du Parti de la Justice et du Développement (AKP). Le nouveau premier ministre de Turquie, Abdullah Gül, est connu pour être un des leaders de l’aile nationaliste à l’intérieur du parti. Dans sa jeunesse il a fait partie de deux organisations nationalistes. Dans le parti de la Vertu (FP), il a été l’une des figures principales des réformistes, de ceux qui veulent s’ouvrir à l’Ouest. Son accession au poste de premier ministre a été saluée tant par les US et l’Union Européenne que par des politiciens du pays. A l’étranger, il est connu pour être politiquement modéré, réformiste et pro-occidental.

Il y a deux réactions publiques à la venue au pouvoir de l’ AKP : D’un côté ceux qui présentent l’AKP comme un parti fondamentaliste et anti-laïque et s’inquiètent de la menace qu’il constituerait envers le système prétendument laïque et démocratique de l’Etat, d’autres se réjouissent de ce qu’un parti religieux musulman, composé de leurs frères, soit arrivé au pouvoir en Turquie où “99 %” de la population est musulmane.

Ceux qui s'inquiètent pour le système sont ceux qui ont voté pour le Parti Républicain du Peuple (CHP), ainsi que l’opinion publique européenne et nord-américaine, comme si l’AKP était un parti typiquement fondamentaliste qui allait changer le système ou tout au moins opérer des changements radicaux dans les structures de l’Etat. L’autre point de vue est soutenu par la plupart des pays islamiques tels que l’Iran et d’autres pays de la région, ainsi qu'une large partie des communautés musulmanes dans le monde. Selon ces dernières, l’AKP est un parti islamique fort qui va défendre les valeurs islamiques et les Musulmans en Turquie.

Malheureusement, aucune de ces opinions n'est proche de la réalité. Parce que, avant tout, contrairement à ce que certains cercles veulent croire, l’AKP n’est pas un vrai parti islamique ou fondamentaliste et il ne sera jamais une menace pour le système laïque et démocratique. Il a en lui des éléments religieux comme tous les autres partis; rappelons-nous que c’est le soi-disant social-démocrate parti du CHP qui a placé Yasar Nuri Ozturk, un professeur d’Islam bien connu, dans sa liste électorale, et même aujourd’hui, on peut lire dans la presse que le Président du CHP Baykal a jeûné (pour le Ramadan) durant tout son voyage en Pologne. Rappelons que l’éminent homme d’Etat Ecevit et son Parti Démocratique de Gauche (DSP), entretenaient de bonnes relations avec l’un des plus grands leaders islamiques de tarikat (ordre religieux), Fethullah Gulen, qui détient aussi un énorme pouvoir médiatique et a fondé nombre d’écoles conservatrices à travers le monde. Et que dire du Parti de la Vraie Voie de Ciller (DYP) ? Jusqu’à sa défaite électorale (qui fut historique), elle hurlait des slogans pro-islamiques, foulard sur la tête. Le parti de la Mère Patrie (ANAP),n'est pas mieux que les autres, Il n'y a qu'à voir leur candidat tête de liste à Antalya, n’est-il pas le dirigeant d’un ordre religieux [ tarikat ] ?

Dans un pays où la laïcité, au sens où l’entend l’Occident, n’existe pas, il ne peut y avoir de “partis laïques”. L’AKP n’est pas un parti plus pro-islamique que les autres, ou, en d’autres termes, les autres partis ne sont pas moins pro-islamique que l’AKP. Par conséquent, il ne sera jamais une menace contre le système. Dès le début, quand le RP se divisa et fut ensuite fermé et que Necmettin Erbakan fut interdit de vie politique, et jusqu’à ce que l’ AKP fut fondé, il y eut un fort contrôle des militaires sur ce parti. Depuis la formation de l’aile réformiste dans le parti de la Vertu (FP) et la fondation de l’AKP, durant tout la période électorale et jusqu’à maintenant ce soutien a continué. Et ce ne sont pas seulement les militaires mais aussi les U.S et l’Union Européenne qui ont exercé une forte influence sur l’AKP. Les US particulièrement semblent beaucoup s’intéresser à l’AKP et à son leader Erdogan. Comme nous le savons, Erdogan est allé plusieurs fois aux Etats-Unis et a discuté de son parti avec des officiels américains. Ces relations étroites ont été fortement critiquées par les Islamistes traditionalistes du Parti du Bonheur (SP), qui désignèrent même Erdogan comme “pro-Américain”. On a dit que la demande de fermeture déposée contre l’ AKP a été repoussée après les élections parce que l’Amérique le souhaitait. Et pour que cela soit bien clair dans les esprits, les U.S ont fait une déclaration avant les élections pour dire qu’ils étaient prêts à travailler avec l’AKP. Il y a donc un soutien évident des US à ce parti. En outre, après l’énorme victoire électorale de l’AKP, l’ambassadeur américain Pearson a rendu visite à son Quartier Général et a présenté les félicitations du président Bush, au moment même où l’on arguait que le gouvernement de l’AKP ne serait pas un gouvernement légitime puisque ce ne serait pas le président du parti mais un personnage secondaire qui deviendrait premier ministre. Cette visite fut un soutien significatif apporté au leadership d’Erdogan et à la reconnaissance de son parti. Si nous examinons les raisons du soutien de l’Amérique à ce parti, nous voyons que le pro-islamique AKP peut très bien servir ses intérêts. Parce que la Turquie est un allié très important des Etats-Unis et que son identité islamique les aida beaucoup en Bosnie, en Albanie et pour finir en Afghanistan, quand certains milieux l’accusaient d’agression sur le monde musulman. Par ailleurs, le terroriste Oussama Ben Laden d’al Qaida et ses dangereuses actions à travers le monde obligent l’Amérique à remplacer ou affaiblir ces réseaux islamistes. Les remplacer par une approche plus douce et plus modérée de l’Islam, qui serait représentée par l’AKP semble être une bonne alternative à leurs yeux.

Relayant les U.S, l’Union Européenne a déclaré aussi que le gouvernement de l’AKP n’aurait aucun effet négatif dans ses relations avec la Turquie. L’ambassadeur du Danemark, qui est aussi à la présidence de l’UE, a rendu visite à Erdogan et l’a assuré du soutien de l’Union. Par la suite, ce représentant du Conseil de l’Europe qui est aussi le Chef des Affaires Etrangères de l’UE a rendu visite à l’AKP et s’est entretenu avec Erdogan. Erdogan a fait lui aussi 3 visites à des pays de l’UE, l’Italie, la Grèce et l’Espagne où il fut accueilli comme un premier ministre et les gouvernements comme les médias ont accordé une grande attention à sa visite. Et jusqu'ici tous les messages d’Erdogan et de l’AKP ont été reçus comme modérés et positifs.

La Création de l’AKP

Afin de comprendre comment ce parti s'est créé, nous devons revenir sur la période du Parti du Bien-Etre (RP). Nous nous souvenons tous que le RP connut un grand succès à la fois dans les élections locales et nationales : la plupart des municipalités, dont Istanbul et Ankara, avaient été remportées par ce parti. Ce succès dépendit toujours de l’establishment militaire qui décida de mettre en place le RP et l’a soutenu jusqu’à nos jours. Dans leur optique, ce parti devait être mis au pouvoir et affaibli par eux durant cette période, car le laisser dans l’opposition l’aurait renforcé et davantage radicalisé. De fait, le RP fut affaibli et son prestige aux yeux de son électorat et de ses sympathisants fut anéanti ; ainsi un accord avec Israël fut signé par Necmettin Erbakan qui y était traditionnellement opposé. Après cette fameuse journée du 28 février, le RP fut fermé et Erbakan interdit d’activités politiques.

Après que le FP ait été créé et qu’au congrès de ce parti Abdullah Gül fut le candidat de l’aile réformiste contre le conservateur Recai Kutan, et en dépit du fait que Gül perdit les élections, les réformistes montrèrent leur puissance au sein du parti. Après un certain temps le FP fut aussi fermé par l’Etat. Durant cette période, les réformistes commencèrent à devenir plus populaires dans l’opinion publique. Les radios, les télévisions et les journaux entonnèrent tous de nouvelles louanges au sujet de l’AKP et d’Erdogan dès la création de l’AKP. En novembre 2002 l’AKP remporta aux élections une victoire historique et remporta 34.3 % des suffrages. Et pour la première fois depuis de longues années un parti va former seul son gouvernement.

La religion et l’Etat

La religion a toujours été un instrument essentiel pour les militaires et les dirigeants de la Turquie. Elle a toujours été utilisée contre le Mouvement de Libération Kurde et les mouvements de gauche. Il est réellement très intéressant de constater que la plupart des écoles de l’imam islamiste Hatip dispensant des cours coraniques furent ouvertes durant la période qui suivit le coup d’Etat de 1980. C’est également clair quand nous regardons le Hezbollah turc qui fut fondé et soutenu par l’Etat. Comme chacun sait, il fut entièrement sous le contrôle de l’Etat et n’avait rien en commun avec le véritable Hezbollah, le nom excepté. C’était une organisation anti-kurde qui causa la mort de milliers de patriotes kurdes et de militants des droits de l’homme. Cette organisation fut utilisée comme un instrument de mort pour effrayer la population, l'empêcher de se joindre au combat des Kurdes et de renforcer la religion et son emprise sur le peuple kurde. Les mêmes militaires qui avaient créé cette organisation lancèrent par la suite de de sérieuses opérations contre elle.

L’autre utilisation de la religion par l’Etat eut lieu comme suit: durant les périodes électorales, les gens furent toujours menacés afin qu’ils ne votent pas pour le parti pro-kurde du HADEP mais qu'ils votent pour le RP [ou les partis qui lui succédèrent, tels le FP et pour finir l’AKP]. De fait, en 1995, 1999 et aux élections de 2002, les partis religieux reçurent un bon nombre de votes dans les provinces kurdes et remportèrent plusieurs sièges au parlement, car le parti pro-kurde du HADEP faillit à franchir la barre des 10 % de votes. Ainsi, lors de ces dernières élections, près de 45 sièges sur un total de 52 remportés par le parti pro-kurde DEHAP [ HADEP] furent récupérés par l’AKP.

Sinon, comment expliquer l’existence du Département des Affaires Religieuses ( DIB) qui a un plus grand budget que le Ministère de la Santé et de l’Education ? Pouvez-vous imaginer, dans un état si "laïque”, dont la société est multiculturelle, avec plusieurs croyances telles que l’alévisme, le judaïsme, le yézidisme [une antique religion kurde], le christianisme et l’athéisme, que tout le monde soit recensé comme Turcs et musulmans, et que cette institution se fasse le représentant de la foi, avec des opinions islamiques rétrogrades. Si la Turquie est un véritable état démocratique et laïque, cette institution doit être abolie le plus vite possible. L’Etat doit maintenir la balance égale entre toutes les religions et toutes les identités ethniques dans le respect des croyances de ses citoyens. Comment se fait-il que dans un état laïque les citoyens ne sont pas sondés sur leur religion mais intégrés automatiquement comme musulmans ? Les Alévis, les Yézidis et d’autres peuples non-musulmans sont toujours bafoués dans leurs convictions. Au lieu d’enregistrer ces citoyens comme musulmans sur des documents officiels, chacun devrait être libre de mentionner et de vivre sa croyance. Les 99% de Musulmans énoncés publiquement n’ont pas de sens. Dans un pays où les citoyens sont contraints d’être Turcs et musulmans, il est évident que 99 % des gens seront Turcs et musulmans, et ainsi il n’y aura plus de Kurdes...

Ce sur quoi je veux attirer l’attention est que la religion et les courants religieux ont toujours été soutenus par le système "laïque" en Turquie, comme un instrument utilisé contre le mouvement de libération kurde et les mouvements de gauche. La religion a toujours été considérée comme un facteur très important pour contrer ces deux mouvements. Le système en Turquie a toujours accordé un rôle et une importance particuliers à la religion et aux courants religieux. Regardant la religion comme un outil incontournable, il l’a toujours soutenue et renforcée. Ce soutien a continué jusqu’à ce que le monstre créé par eux soit devenu très puissant et échappe à tout contrôle. La religion et les mouvements religieux qui avaient servi le système durant des années, se changèrent en une menace pour l’Etat. Pour cette raison, une sérieuse intervention fut nécessaire pour stopper et affaiblir ce monstre créé par le système lui-même. C’est pourquoi le RP fut d’abord porté au pouvoir avec un soutien financier et politique de l’Etat dans les administrations locales et nationales. Les ghettos des métropoles devinrent de puissants soutiens pour ce parti. Paradoxalement durant cette campagne électorale ce parti a toujours utilisé des slogans de gauche ainsi que ses valeurs, telle que l'égalité entre riches et pauvres, un ordre de justice pour la société, la fin de toutes sortes de discriminations, alors que la Gauche est morte et toute opposition de gauche complètement abolie en Turquie. Un autre facteur de taille est que le RP a utilisé avec un grand succès le concept de fraternité fondé sur l’Islam. Nous ne devons pas oublier que, comme cela s'est vu aux dernières élections, la mauvaise administration des partis précédents avait amené les gens à voter RP en réaction. Après les élections, le RP a formé un gouvernement de coalition avec le DYP. Mais ce gouvernement fut le début de la fin pour le traditionnel RP. Comme nous l’avons mentionné plus haut, ce parti fut très affaibli par les militaires au moyen de cet accord avec Israël et d’autres événements tels que la Nuit de Jérusalem organisée dans le district de Sincan ( Ankara) où des troupes furent envoyées pour la réprimer. Avec cette fameuse Décision du 28 février plusieurs écoles religieuses, fondations, organisations et tarikats [ordres religieux] furent fermés ; il fut aussi interdit d’entrer dans les administrations et les écoles avec le foulard, etc. Ce processus s’acheva avec la fermeture du RP et l’interdiction d’Erbakan de la vie politique.

Il ne faut pas penser que ce fut alors une sincère et véritable opération menée par l’Etat pour se débarrasser de la religion et des activités religieuses. Selon moi ce fut seulement pour arranger la situation et limiter son pouvoir dont j’ai dit qu’il commençait à être une véritable menace pour le système. L’Etat n’hésitera jamais à la réutiliser par la suite. Cependant lors de ces élections, la venue de l’AKP est la preuve la plus forte de cette idée. Un nouveau parti tel que l’AKP, avec de fortes composantes religieuses mais tout de même plus conciliant et plus modéré que le RP ou le SP, est un parfait outil pour un système qui connaît une faillite politique, une société pessimiste et démoralisée et une économie ruinée. Ce parti a un énorme soutien politique national et international, un leader charismatique tel qu’Erdogan, qui promet d’améliorer la situation économique et politique alors que tous les autres partis ont été rejetés hors de l’arène politique.

Pour autant que l’AKP continuera à servir l’establishment militaire il survivra et restera populaire. Mais il n’y a pas la plus petite chance que ce parti devienne plus fort et soit une grande menace pour eux, puisque la demande de fermeture du parti pourrait revenir à l’ordre du jour. Peu-être le parti sera-t-il divisé comme ce fut le cas à l’époque du FP et récemment pour le plus grand perdant, le DSP d’Ecevit.

La structure de l’AKP

Il est très dur de faire entrer l’AKP dans une catégorie spécifique, puisque ce parti est composé d’idées et de membres variés, et que par ailleurs il a reçu des votes d’électeurs de tous les partis : du parti de gauche DSP aux centre-droit DYP et ANAP, de l’extrême-droite et ultra-nationaliste MHP et du minuscule Parti de la Grande Unité (BBP) ainsi que de l’ancien parti conservateur du Bien-Etre. Il n’est donc pas possible de parler d’une identité spécifique pour ce parti. De plus, parmi les dirigeants du parti, des noms issus de l’ANAP, du DYP, du MHP, du RP, et d’autres anciens cadres nous parviennent. S’adressant aux journalistes, le président député du parti, Abdullah Gül , a défini son parti comme étant un parti de droite, conservateur et démocratique, ce qui semble être une juste définition de l’AKP. Nous devons aussi nous rappeler que l’AKP, comme cela a été clairement observé, pour éviter l’amère expérience du RP, semble très précautionneux, faisant depuis les élections, des déclarations très conciliantes et modérées. Ils semblent hésiter à crisper le climat ambiant et n’utilisent pas le foulard comme un instrument politique, ce qu’avait fait le RP, et sont très attentifs à leur image.

Le cas Tayyip Erdogan

Erdogan, le leader du parti, a joué un rôle essentiel dans la montée de l’AKP et sa victoire finale aux élections, car dans un pays où la corruption, les relations criminelles, la mauvaise gestion, le chômage, l’inflation et la pauvreté augmentent de jour en jour, le peuple attendait un parti nouveau et un leader à soutenir. Etant donné que tous les leaders et partis habituels étaient vus comme responsables de tous ces manquements par les électeurs, Tayyip Erdogan devint le leader le plus populaire. Son profil de victime modérée et sympathique eut un impact très affectif. De fait, démissionner n’a jamais été une tradition en Turquie jusqu’à ces dernières élections, et si les leaders perdants ont annoncé leur retrait de la vie politique c’était parce que leur défaite était vraiment trop importante. Nous savons que tous les leaders sont attachés à survivre politiquement bien qu’ils aient subi de lourdes défaites depuis des années. Pouvez-vous imaginer un pays où 4 générations, [mon grand-père, mon père, moi et mon fils] aient vu les mêmes politiciens ? Ce qui a eu pour conséquence le désir d’un nouveau dirigeant, pas encore usé, et le leadership d’Erdogan porta ce parti. Tous les sondages et les chroniqueurs politiques s’accordent sur le fait que le facteur essentiel de la victoire de l’AKP fut Tayyip Erdogan lui-même, et la décision d’interdiction prise par la Haute Commission des Elections a augmenté ce soutien, en en faisant une victime politique.

Les thèmes populaires et l’AKP

L’Union Européenne

Depuis le premier jour qui suivit les élections, l’AKP a semblée très intéressé par l’UE. Lors de son premier discours Erdogan a déclaré que sa première tâche serait de recevoir une date à la réunion de Copenhague concernant le statut de membre à part entière de la Turquie dans l’UE. Erdogan a ajouté qu’ils allaient former une commission spéciale au Parlement pour traiter des relations avec l’UE. Erdogan a dit aussi que le gouvernement de l’AKP exécuterait tous les verdicts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

L’Union Européenne semble aussi satisfaite du gouvernement de l’AKP. L’ambassadeur du Danemark qui est aussi le représentant du Conseil de l’Europe et le Chef des Affaires Etrangères de l’UE a rendu visite à Erdogan et a exprimé son soutien à l’AKP. Les visites d’Erdogan en Italie, en Grèce et en Espagne ont été un succès pour l’AKP, puisqu’il fut reçu comme un premier ministre et les messages des premiers ministres de ces trois pays furent trouvés satisfaisants par les observateurs.

Chypre

Comme vous le savez, Chypre est l’un des plus gros problèmes en Turquie. Cela a été utilisé politiquement depuis longtemps par des partis nationalistes spécialement par Ecevit et la voie vers la résolution de ce problème a toujours été fermée par les autorités de l’Etat. Dans certains cercles, Chypre est envisagée comme une question d’honneur national. L’ AKP s’est avancé pour promettre aux US et à l’Union Européenne une solution pour Chypre, et cela est considéré comme une des plus fortes raisons du soutien accordé à l’AKP. L’attitude de l’AKP et d’Erdogan semble corroborer cette idée, et si nous nous reportons quelques jours en arrière, rappelons-nous la proposition d’Erdogan d'un modèle belge pour Chypre, bien que cette proposition ait été critiquée vivement par Ecevit et son ancien ministre Sukru Gurel. En conséquence, nous pouvons dire qu’une solution pour Chypre semble plus proche que jamais.

L’attaque des US contre l’Iraq

L’AKP a là-dessus la même attitude que le précédent gouvernement. Bien qu’il ait déclaré être contre une attaque en Iraq, il a aussi affirmé que si l’ONU votait une résolution, il l’accepterait. En bref, en dépit des affirmations de certains cercles selon lesquels l’AKP est un parti pro-islamique, il ne s’opposera pas à une attaque américaine contre l’Iraq.

FMI

Le leader de l’AKP, Erdogan, a déclaré publiquement qu’ils poursuivraient les programmes du FMI entamés par le précédent gouvernement.

Les partis politiques et la loi électorale

Ce problème est aussi un des problèmes majeurs en Turquie. Le seuil des 10 % au niveau national qui a été instauré pour bloquer le HADEP a causé la chute de tous les partis aux élections. L’AKP a promis de remanier cette loi avec l’unique parti d’opposition, le CHP. De plus, Erdogan lui-même étant interdit en vertu de cette cette loi, il est certain que des réformes vont être entreprises pour lever cette interdiction et lui permettre de devenir premier ministre.

Les droits de l’homme et la torture

Tayyip Erdogan a fait des déclarations sur les droits de l’homme et la violence, surtout au sujet de la torture et l’arrêt de telles pratiques. Erdogan a aussi déclaré que le gouvernement de l’AKP se pliera aux critères de Copenhague.

La Question kurde et l’AKP

Comme nous le savons, aux dernières élections les Kurdes ont montré clairement leurs choix. Dans 13 provinces kurdes le parti de la démocratie du Peuple (DEHAP) a reçu la grande majorité des votes. Il a remporté un succès en y devenant le premier parti, faisant même plus que l’unique parti d’opposition, le CHP, mais en raison de la barre des 10 %, il échoua à envoyer ses représentants au Parlement. Il n’est donc pas possible de parler d’une présence réelle de l’AKP dans les régions kurdes. Erdogan et l’AKP doivent prendre ce point en considération et satisfaire les attentes du peuple kurde.

Ce que sont ces attentes : la reconnaissance constitutionnelle de l’identité des Kurdes et de leur culture aussi bien que le droit d’utiliser leur langue maternelle dans l’éducation et les médias. Certains d’entre vous me diront que ces droits ont déjà été donnés, alors pourquoi y revenir ? Mais si nous regardons les arrêtés de ces soi-disant réformes, nous voyons qu’il est impossible de les mettre en pratique, car plutôt que d’accorder une plus grande liberté à ses citoyens, elles essaient de trouver des moyens ingénieux de paraître concorder avec les mesures requises par l’Union Européenne. (v. Harut Sassounian’s “Will Turkey Succeed in Fooling Europe By Adopting a Series of Fake Reforms? October 3, 2002 California Courier Publisher) .

L’une des principales attentes du peuple kurde est que le gouvernement de l’AKP apporte une issue aux problèmes des réfugiés et les aide à retourner dans leurs villages ; comme chacun sait, des milliers de villages ont été vidés de force et des millions de Kurdes ont été déplacés.

Le Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP) qui est le seul représentant politique des Kurdes est aussi un problème important pour eux. Depuis la création de ce parti en 1994, il a été sujet à d’innombrables répressions, attaques, meurtres, arrestations. Comme cela reste présent dans les mémoires, 2 officiels du HADEP ont disparu à Sirnak en 2000 et plus personne n’a jamais entendu parler d’eux depuis. Les 6.23 % de votes HADEP aux dernières élections, et le contrôle de l’administration locale a prouvé qu’il est le seul représentant de ce peuple. Le HADEP veut la liberté d’exister et d’agir politiquement.

Si nous revenons aux solutions proposées par l’AKP sur ces questions, nous ne voyons malheureusement aucune déclaration ou proposition hormis la déclaration du président député de l’AKP, Yasar Yakis [maintenant ministre des Affaires Etrangères] sur le verdict de la CEDH au sujet de la situation de Leyla Zana and et des autres députés DEP. Ni Erdogan ni aucun officiel de l’AKP ont fait aucune déclaration sur le problème le plus vital du pays, la Question kurde. Ils doivent prendre en compte cette réalité et faire de courageuses avancées afin de résoudre cette question. Sinon son avenir ne sera pas très différent que ce que les autres partis ont connu lors de leur défaite historique.

En conclusion, l’AKP a le soutien des les militaires, des US et de l’Union Européenne depuis sa création, et même à l’époque du FP, lorsque quand la distinction entre réformistes et traditionalistes vit le jour.

Dans l’actuelle situation de faillite que connaît la Turquie, il est le mieux placé pour jouer un rôle positif, puisque plus aucune confiance n’est accordée aux autres partis et leurs dirigeants. Seul un parti nouvellement créé, jeune et non usé, dirigé par un président également jeune et charismatique qui a suscité une grande confiance et une popularité auprès de l'opinion publique, peut être plus efficace que les autres partis en Turquie.

La voie pour ce parti est réellement libre, puisqu’il a obtenu une large majorité au Parlement, ce qui ne s’était pas produit depuis des années, et qu’il va gouverner seul le pays, sans rencontrer les problèmes des coalitions. De plus, le soutien de la population en Turquie est très fort, tout comme à l’étranger.

Cependant, parmi les nouveaux députés de ce parti, il y a d’anciens députés, maires et académiciens qui furent exclus et mis en examen en raison de leurs agissements réactionnaires contre le système laïque. Par exemple, le nouveau ministre de l’Intérieur Abdulkadir Aksu [qui a renié son identité kurde] est connu pour être impliqué dans l’affaire de Susurluk et le ministre de la Justice Cemil Cicek est connu pour avoir qualifié le féminisme d’aberration. Le ministre d’Etat Besir Atalay [qui fut renvoyé de l’université en raison de ses activités réactionnaires à l’université de Kirikkale] est l’un des plus célèbres parmi ces personnes au sombre passé, comme l’ont écrit tous les journaux, et le président de la Turquie Ahmet Necdet Sezer est même intervenu lors de la constitution du cabinet pour empêcher la désignation d’Atalay à l’Education. Grâce à son intervention, Atalay fut nommé ministre d’Etat à la place du ministère de l’Education.

La présence de tels personnages au sombre passé peut briser les espérances de beaucoup de gens, mais si ce parti est sincère dans sa politique, tout semble concourir en sa faveur. Le pays connaît des problèmes extrêmement urgents tels que la Question Kurde, la liberté d’opinion et d’expression, l’appartenance à l’UE et la conformité aux critères de Copenhague, le chômage, la crise économique et politique, les lois électorales et le problème chypriote. Si Erdogan et le gouvernement AKP peuvent trouver des solutions à ces problèmes majeurs,et surtout à la Question kurde, qui est le problème le plus grand et le plus vital depuis la fondation de la République, qui a connu jusqu’à aujourd’hui 29 soulèvements et a causé la mort de milliers de gens et un dommage économique qui se chiffre en billions de dollars, il n’y aura dès lors aucune raison à son insuccès. Et il n’est même pas irréaliste d’envisager qu’Erdogan devienne un second Ozal et que l’AKP se renforce s’il apporte des solutions. Mais si l’AKP échoue à résoudre ces problèmes, son destin ne sera pas meilleur que celui des autres partis.

Mutlu CIVIROGLU
Ancien Coordinateur des Relations Internationales du HADEP

Recommandations du Conseil National de sécurité du 25 février 1997

1 - Le principe de la laïcité doit être sévèrement renforcé et les lois modifiées en ce sens, s’il est nécessaire.

2 - Les foyers privés, les fondations et les écoles affiliés aux ordres soufis (tarikats) doivent être placés sous le contrôle des autorités de l’Etat et éventuellement sous celui du ministre de l’Education Nationale (MEN), comme le requiert la Loi sur l’Education Unifiée (Tevhid-i Tedrisat Kanunu).

3 - En vue de rendre les esprits tendres de la jeunesse enclins à aimer la république, Atatürk, la patrie et la nation, ainsi que les porter vers l’idéal et le but d’élever la nation turque au niveau des civilisations modernes, et de les protéger contre des influences diverses :

a - Un système d’éducation ininterrompu de huit ans sera mis en place à travers le pays.

b - Une administration nécessaire et des ajustements légaux doivent être faits pour que les cours coraniques, que les enfants du primaire peuvent suivre avec le consentement parental, se déroulent exclusivement sous la responsabilité et le contrôle du MEN.

4 - Notre éducation nationale a été instituée avec un clergé éclairé loyal au régime républicain et aux principes d’Atatürk et les réformes doivent être conformes à l’essence de la loi sur l’Education Unifiée.

5 - Les infrastructures religieuses construites dans différentes parties du pays ne doivent pas servir à une exploitation politique relayée par certains cercles. Si de tels équipements sont nécessaires, le RAC doit évaluer ces besoins, et les infrastructures devront être construites en coordination avec les gouverneurs locaux et les autorités compétentes.

6 - Les activités des ordres religieux interdits par la loi no. 677, comme toutes les entités prohibées par cette loi doivent cesser

7 - Les groupes de média qui s’opposent au TAF et ses membres doivent être placés sous contrôle. Ces groupes essaient de dépeindre le TAF comme hostile à la religion en exploitant le problème des personnes dont les liens avec le TAF ont été abrogés par le Conseil Suprême Militaire (SMC, ou Yüksek Askeri Sura) en raison de leurs activités fondamentalistes

8 - Les personnes chassées du service militaire en raison d’activités fondamentalistes, de problèmes de disciplines ou de liens avec des organisations illégales ne doivent pas être employées par d’autres services publics ou autres institutions d'Etat.

9 - Les mesures prises dans le cadre des règlements existants pour prévenir l’infiltration dans le TAF par l’extrémisme religieux doivent être appliquées aussi dans les autres institutions et établissements publiques, particulièrement dans les universités et d’autres institutions pour l’éducation, à tous les niveaux de l’administration et dans les établissements judiciaires.

10 - Les efforts de l’Iran pour déstabiliser le régime turc doivent être étroitement surveillés. Une politique pour empêcher l’Iran de se mêler des affaires internes de la Turquie doit être mise en place

11 - Des moyens juridiques et administratifs doivent être utilisés pour empêcher les très dangereuses activités de l’extrémisme religieux qui cherche à créer une polarisation dans la société en attisant des différences sectaires.

12 - Des mesures légales et administratives contre les responsables de ces incidents qui contreviennent à la Constitution de la République turque, la Loi sur les partis politiques, le Codé pénal turc, et surtout la Loi sur les municipalités, doivent être prises rapidement, et de fermes dispositions doivent être mises en œuvre à tous les niveaux pour éviter que de tels incidents ne se répètent.

13 - Les pratiques qui violent la loi sur le vêtement et qui donnent de la Turquie une image anachronique doivent être empêchées

14 - L'octroi des licences pour les armes de court et moyen calibre, qui ont été émises pour des raisons diverses, doit être réorganisé dans le cadre des districts de police et de gendarmerie. Des restrictions doivent être introduites et les demandes pour des fusils à pompes doivent être examinées avec précaution.

15 - Le rassemblement clandestin d’animaux de sacrifices par des organismes non-étatiques et incontrôlés et des établissements à buts lucratifs doit être empêché, et aucun rassemblement d’animaux de sacrifice clandestin ne doit être toléré en dehors des autorités reconnues par la loi

16 - Des mesures légales contre les milices revêtues d’uniformes spéciaux et ceux qui en sont responsables doivent être prises rapidement, en tenant compte du fait que ces pratiques illégales ont atteint de dangereuses proportions, et que toutes les milices privées non prévus par la loi doivent être dissoutes

17 - Les initiatives visant à résoudre les problèmes du pays sur la base de l’“umma” [communauté des croyants] de préférence à la “nation” et qui encouragent les organisations terroristes séparatistes qui ont une approche identique [i.e., en tant que membre de l’umma] doivent être empêchées par des moyens légaux et administratifs

18 - La loi no. 5816, qui définit les crimes commis envers le grand sauveur Atatürk, incluant le manque de respect, doit être entièrement appliquée.

Vous pouvez obtenir de plus amples informations sur le site du Washington Kurdish Institute web page : www.kurd.org

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Concert de soutien à l'Institut kurde