vendredi, mars 27, 2015

Yachar Kemal, le Nobel et les loukoums

"Istamboul. Soirée chez Yachar Kemal, énorme paysan, braillard et affectueux qui parle sans arrêt, mais seulement en turc et en kurde. Il a connu la prison et a été torturé comme communiste. Son idée fixe, c'est le prix Nobel. Il a fait à cette fin un long séjour à Stockholm. Il a fait traduire à ses frais l'un de ses livres en suédois pour l'adresser aux membres de l'Académie royale. Mais en face de ces dix-huit exemplaires soigneusement empaquetés, il a eu le sentiment d'un manque. À coup sûr, il fallait ajouter quelque chose, mais quoi ? Après mûre réflexion, il a ajouté dix-huit paquets de rabat-loukoums turcs. Moi je lui aurais donné le prix Nobel pour ses loukoums !"
Michel Tournier, Journal extime. 

mardi, mars 24, 2015

Newroz de Paris




Nouvel An Kurde – samedi 28 mars 2015 – Newroz de Paris

L es associations kurdes de Syrie en France : Ronahî, Kahnî et Nûcan, en partenariat avec la Mairie du 11e, vous convient samedi 28 mars 2015 à fêter ensemble le Newroz, ou fête du « Nouveau Jour » à partir de 16h à la salle Olympe de Gouges. 



Venez nombreux pour ce moment de fête à la découverte de la culture kurde. A cette occasion, Nîzamettîn Ariç et ses musiciens vous proposeront un concert dans la plus pure tradition kurde. Petits et grands, entrez dans l’année 2627 du calendrier kurde avec la Mairie du 11e. 

Samedi 28 mars 2015, à partir de 16h Salle Olympe de Gouges – 15, Rue Merlin 75011 Paris

Prix d'entrée 10 €, gratuit pour les - 12 ans
Points de vente: Vente sur place le jour de la fête
 * Infos@newroz.paris
* Tel: 06 51 60 61 19 - 06 04 65 35 17
* Newroz de Paris.

A l'institut kurde de Paris Tel : 01 48 24 64 64 106, rue La Fayette - 75010 Paris - France


mercredi, mars 18, 2015

Kurdes, Turcs et Arabes : l'éternelle question de Kirkouk

Carte dressée en 1924 par la SDN


Dans la province de Kirkouk, la situation militaire et sécuritaire a été tendue et meurtrière depuis le début de l'année, tant en raison de l’hostilité croissante entre milices chiites et Peshmergas, que par les attaques, conventionnelles ou terroristes, de l’EI. Après l’effondrement de l’armée irakienne régulière à Mossoul, en juin dernier, le Premier Ministre d’alors, Nouri Maliki, avait armé et encouragé le recrutement de milices para-militaires confessionnelles, afin de pouvoir stopper l’avancée de Daesh et de reconquérir les territoires sunnites, ne faisant plus confiance à l’armée régulière pour cela. Le déploiement de ces milices à Kirkouk devait apporter un soutien militaire aux troupes irakiennes et aux Kurdes défendant la province contre l’EI, mais leur présence et leur armement lourd font craindre à ces derniers une menace sur Kirkouk et leurs propres troupes, si Bagdad avait la velléité de reprendre la province.

Dans la province de Kirkouk, le nombre des miliciens a atteint 8000 combattants en début d’année et Falh Fayaz, un conseiller auprès de la Sécurité nationale irakienne a, lors d’une visite à Kirkouk, annoncé une augmentation de ces effectifs, ainsi que la formation d’une garde nationale locale, mais sous commandement de la Défense irakienne, ce que les Kurdes refusent. Certaines milices chiites se rendraient coupables de véritables crimes de guerre qui n’auraient rien à envier aux exactions de l’EI, comme des massacres de civils sunnites dans des villages repris, ou des enlèvements arbitraires.

Le 2 janvier, des Peshmergas ont arrêté un groupe de neuf miliciens chiites au sud de Kirkouk, au check-point de Dubz, alors qu’ils convoyaient six « prisonniers », dont un Kurde. L’identité de ces captifs a été découverte par les services kurdes : il s’agit de personnes portées « disparues » depuis septembre. Une semaine après la visite à Kirkouk de Fahl Fayadh, le gouvernement irakien a annoncé la formation de trois brigades de miliciens chiites, commandées directement par le Premier Ministre Hayder Al Abadi, ce qui rappelle le temps du cabinet Maliki, quand le Premier Ministre était aussi à la tête de la Défense et de la Police.

Bagdad a pour objectif avoué de former en tout six brigades de gardes nationaux à Kirkouk, qui comprendraient toutes les composantes ethniques de la province : les Kurdes, les Arabes et les Turkmènes formeraient chacun 32 % des effectifs. Mais les Kurdes ont alors exigé que ces brigades opèrent sous le commandement exclusif des Peshmergas, tandis que des milices tribales arabes souhaitent relever du ministère irakien de la Défense.

À côté de ces tensions, les pertes les plus lourdes au sein des rangs kurdes sont à mettre au compte des attaques de l’EI. Dans la nuit du 9 au 10 janvier, un groupe Daesh a attaqué par surprise des positions kurdes dans la région de Gwer, à 40 km d’Erbil, tuant 26 Asayish ainsi que des Peshmergas. Les combattants de l’EI ont franchi le Zab à l’aide d’embarcations, en profitant des conditions météorologiques, notamment du brouillard. Ils ont attaqué les Kurdes pendant plus d’une heure, avant d’être repoussés. Le général de brigade Hejar Ismaïl a déclaré avoir compté près de 200 corps de combattants Daesh laissés sur le terrain. D’après l’agence Shafaq News, des blessés Daesh ont été emmenés par les leurs à l’hôpital de Mossoul, où des habitants ont été obligés de donner leur sang. En se retirant, l’EI aurait fait aussi 8 prisonniers qu’ils ont emmenés avec eux. D’après le commandement des Peshmergas, 500 Daesh ont pu participer à cette attaque surprise.

Enfin, le 30 janvier, une attaque suicide de l’EI a causé la mort de plusieurs Peshmergas, dont un haut commandant, le général de brigade Fatih Shwani. Une voiture piégée a d’abord explosé près du quartier général de la sécurité, au centre-ville, faisant 5 blessés. Puis des attaquants ont tenté de prendre position sur le toit d’une hôtel, avant d’être tués par les forces de sécurité. Les combats se sont poursuivis en plusieurs points des quartiers sud de Kirkouk, alors qu’un couvre-feu était imposé à la ville, jusqu’à l’élimination de tous les combattants Daesh.

Le gouvernement irakien a finalement adopté un projet de loi, le 3 février, qui ouvre la voie à la légalisation du statut des groupes armés chiites disparates et l'organisation des forces sunnites tribales sous l'égide d'une force de la Garde nationale. La loi suscite de vives oppositions de la part des Kurdes qui refusent catégoriquement l’entrée de ces milices, en principe destinées à chasser l’État islamique, dans les territoires contrôlés par les Peshmergas et leurs autres forces.

Aussi les députés kurdes au parlement d’Irak tentent-ils de faire passer, dans cette loi, la garantie que ces unités para-militaires n’ont en aucun cas vocation à entrer au Kurdistan d’Irak, et surtout dans les régions kurdes réclamées depuis longtemps par Erbil, comme Kirkouk ou Khanaqin, où les forces du GRK se sont déployées en juin 2014, après la fuite de l’armée irakienne. Ce projet de loi devait faire l’objet d’une première lecture au parlement de Bagdad le 10 février. Mais l’opposition qu’il rencontre a retardé ce premier vote.

Dans un entretien accordé au journal arabe basé à Londres Al-Hayat, le président du Kurdistan, Massoud Barzani a rejeté l’hypothèse d’un retour dans  les régions kurdes de l’armée irakienne ou de l’arrivée des milices chiites, appelées « Mobilisation populaire » : « Nous n’avons pas besoin de la Mobilisation populaire et nous ne permettrons à aucune force d’entrer à Kirkouk. » 

Cela dit, dans les faits, les nécessités du terrain militaire ont déjà amené des unités chiites à Kirkouk depuis l’attaque du 30 janvier, quand l’EI a tenté de pénétrer dans la ville et que des combattants de la Mobilisation populaire l’a repoussé aux côtés des Peshmergas.  Ce n’est pas la seule fois où Peshmergas et miliciens chiites ont coopéré dans des régions où ils étaient déployés ensemble, comme à Amerli, une ville chiite turkmène qui a subi un long siège de Daesh l’été dernier, ou Jalawla, zone mixte.

Certains leaders arabes tribaux de Kirkouk souhaiteraient, par contre, la formation d’une force arabe sunnite qui serait intégrée à cette Garde nationale, et agirait en coordination avec les Peshmergas.

Le 7 février, en visite à Kirkouk, Hadi-Al-Ameri, le commandant des brigades Badr, un groupe chiite ouvertement pro-iranien a, à l’issue d’une rencontre avec le gouverneur kurde Najmaddin Karim, souhaité une coopération plus étroite avec les Peshmergas :

« Kirkouk a une haute importance, et a des ressources en gaz et en pétrole, ainsi que des centrales électriques. Nous devons agir pour mettre fin à la menace posée par Daesh, au moyen d’une grande coopération avec les forces Peshmergas et le gouverneur, et cela requiert une action rapide. » (Al-Monitor).

Le gouverneur de Kirkouk, Najmaddin Karim, avait lui-même accueilli favorablement ces milices chiites et leur futur déploiement dans sa ville, ce qui a été vivement critiqué par d’autres Kurdes (plutôt pro-PDK) et formellement condamné par la présidence.

En prévention des menées chiites ou iraniennes en direction de Kirkouk, le président Barzani a ordonné que les Peshmergas empêchent les milices irakiennes Al-Hashid as-Shaabi (Forces volontaires irakiennes), environ 7000 combattants, d’entrer à Kirkouk, ce qui a déclenché la colère de Hadi Al-Amiri, qui se serait plaint auprès de Qassem Soleimani, le commandant iranien des forces Al-Qods, omniprésent sur le front irakien depuis juin 2014. (Source Rudaw). Cette milice a été mise en place par l’ayatollah Ali al-Sistani en 2014 pour protéger les lieux saints shiites des destructions de Daesh. Mais au fur et à mesure de sa reconquêtes des régions sunnites prises par Daesh, notamment dans la Diyala, elle est accusée de représailles aveugles contre des civils. Des officiers irakiens se plaignent par ailleurs de voir les forces para-militaires mieux équipées et armées, que leurs propres troupes. 

Pour clarifier les choses et peut-être aussi pour remettre Najmaddin Karim à sa place, Massoud Barzani s’est lui-même rendu à Kirkouk, sur la ligne de front de ses Peshmergas, le 18 février, et a tenu un discours des plus fermes concernant l’avenir de la cité et des régions kurdes « disputées », en affirmant notamment que « Kirkouk est au Kurdistan et ne tombera plus jamais aux mains de l’ennemi. » Comme jamais l’EI n’a conquis Kirkouk, il est aisé d’en déduire que cet « ennemi » non spécifié était bien antérieur aux groupes djihadistes dans l’esprit de Barzani, qui renchérit : « Kirkouk est aussi important pour l’ennemi qu’il l’est pour nous. Il est important pour eux en termes de moral et de politique –  s’ils parvenaient à prendre Kirkouk. Mais ils doivent savoir que soit nous mourrons tous, soit Kirkouk ne tombera jamais aux mains de l’ennemi. Nous garderons Kirkouk, même si nous devons retirer des forces dans d’autres régions. »

Après avoir loué le courage et le rôle des Peshmergas dans cette lutte, il s’est adressé ensuite directement à l’EI, qui venait tout juste de diffuser des images de Peshmergas capturés lors de l’attaque du 29 janvier, exhibés dans une parade sinistre,  au milieu d’une foule en joie, en tenue orange et dans des cages évoquant le sort du pilote jordanien brûlé vif dans la même cage et dans la même tenue. 

Massoud Barzani a averti les Daesh que si ces Peshmergas étaient tués, «ceux qui commettraient ce crime comme ceux qui l’applaudiraient le paieront cher » et visiblement ulcéré par le soutien populaire que cette humiliation a rencontré dans certaines localités arabes sunnites, le président kurde a critiqué leur inaction devant l’État islamique et cinglé leur ambiguité dans cette guerre :

« Nous ne voulons pas entrer en guerre avec le monde arabe, mais qui et où sont ces Arabes qui s’opposent à l’EI ? S’il en existe, nous les remercierons et les laisserons [nous] aider, mais avec des actions, pas des paroles. Mais nous ne pourrons fermer les yeux s’ils abritent l’EI qui continuerait de nous attaquer de leurs régions. Si vous êtes avec l’EI, parfait, mais si vous êtes contre, eh bien montrez-vous et envoyez votre peuple combattre l’EI comme font les Peshmergas. Jouez votre rôle ! »

Enfin, revenant sur la question des milices chiites désireuse de s’immiscer dans la défense de Kirkouk, Massoud Barzani a répondu qu’il était du ressort des Peshmergas seuls de décider s’ils avaient besoin d’aide et de choisir qui devait les aider.

« Notre principe est celui-ci : nous n’épargnons aucun effort pour combattre l’EI partout où nous le pouvons et nous remercions quiconque fait de même. Si nous avons besoin d’aide, nous devons être les seuls à en décider. Jusqu’à ce que nous prenions une telle décision, aucune autre force n’est admise à Kirkouk. »

Sur la question de savoir si cette interdiction concerne tout aussi bien la milice de Hadi al-Amri, que l’armée irakienne, Massoud Barzani a rejeté tout aussi catégoriquement l’idée de laisser revenir la 12ème division qui était déployée à Kirkouk avant sa fuite devant l’EI en juin 2014 :

« On parle de faire revenir la 12ème division à Kirkouk, mais cela n’arrivera pas. La 12ème division ne remettra jamais le pied à Kirkouk. Le passé ne doit pas se répéter. La réalité d’aujourd’hui est le fruit d’un sang précieux et nous ne tolérerons aucun changement à ces frontières. Chacun doit garder cela en tête. Les Peshmergas ont payé de leurs vies et de leur sang et par conséquent, personne ne doit envisager de venir ici pour prendre des décisions ou diriger. Je ne dis pas que nous nous imposons ici. Je répète que la population de Kirkouk est la seule qui doive décider de son avenir. La décision et la volonté de cette population doivent être respectées. »

Ce qui n’a pas empêché le président Barzani de revenir sur l’identité kurde de la ville et de son appartenance au Kurdistan :
« Certains disent que nous avons occupé Kirkouk. C’est faux. Les Peshmergas ont toujours été à Kirkouk. Kirkuk est une ville du Kurdistan et son identité kurde n’est pas un sujet de débat. Nous défendons Kirkouk, nous ne l’occupons pas. »
Kirkouk étant une ville et une province majoritairement UPK, et l'UPK ayant toujours eu de bonnes relations avec l'Iran, certains se demandent si la tentation d'une alliance de terrain avec les chiites ne tenaille pas l'UPK, histoire d'évincer le trop puissant PDK dans un fief qui n'est pas le sien. Mais l'UPK lui-même est de plus en plus divisé (le gouverneur Najmadin Karin a tenté de se présenter candidat à la présidence irakienne contre l'avis de son propre parti qui lui a préféré Fouad Massum) et si des groupes turkmènes kirkuki peuvent voir favorablement ce contre-poids à la présence des Peshmergas, les Arabes sunnites tentés d'intégrer leurs propres unités dans cette organisation para-militaire pourraient être considérablement refroidis par lee exactions des chiites dans les localités sunnites. Tikrit est actuellement l'objectif majeur des forces irakiennes, para-militaires comme régulières, sauf  que  les miliciens seraient 20 000 contre 3000 soldats irakiens), et si Tikrit est repris à l'EI, on peut craindre une répression aveugle déjà en cours contre les populations sunnites bien plus sanglante que celle ordonnée par Nouri Maliki contre cette même population, il y a un an. 

Pour Masrour Barzani, à la tête des services de Renseignements kurdes, le surarmement de ces milices, à la fois par les Américains, obstinés à ne livrer des armes qu'à Bagdad et jamais directement aux Kurdes, et par l'Iran, ce qui est un paradoxe, désavantage considérablement les Peshmergas qui ne sont, eux, pas payés par l'Irak et voient en plus leur solde gelée depuis un an. Mais si Washington, Bagdad et Téhéran y voient peut-être une façon de freiner le retour de Kirkouk au sein du Kurdistan, c'est aussi un excellent moyen de replonger l'Irak dans une guerre civile désastreuse entre chiites et sunnites et de valider définitivement la désintégration de l'Irak, après celle de la Syrie : exactement ce que ces trois capitales voudraient à tout prix empêcher. Mais cet 'à tout prix' peut les mener droit dans le mur.

La question de Kirkouk a toujours été le point de départ des guerres entre Erbil et Bagdad et la fin de toute trêve et négociation dans les guerres kurdes. Le fait que cette fois, l'adversaire arabe soit chiite n'y change rien. 

vendredi, mars 13, 2015

Samedi 14 mars : présentation-signature : "Us et coutumes des Kurdes" de Molla Mahmoud Bayazidi


Samedi 14 mars à 16 h 00, l'Institut kurde de Paris est heureux de vous convier à la présentation et la signature de

Us et coutumes des Kurdes

de Molla Mahmoud Bayazidi
traduit en français par Joyce BLAU et Sandrine ALEXIE

Entrée libre.


mercredi, mars 11, 2015

Pétrole : dialogue de sourds entre Bagdad et Erbil sur fond de crise financière

Réunion entre des membres du Parlement kurde et le Conseil pour le Pétrole et le gaz du GRK


Alors qu’un énième accord sur le pétrole avait été signé entre Bagdad et Erbil en décembre dernier, accord qui a effet au début de l’année, il semble aujourd’hui menacé tant pour des raisons de suspicions politiques que par la difficulté ou l’incapacité des deux parties à en respecter, financièrement et économiquement, les termes.

L’accord stipule en effet que le Kurdistan doit envoyer 300.000 barils par jour de Kirkouk et 250 000 du reste de la région kurde à la SOMO (State Organization for Marketing of Oil), la société qui est à la fois en charge de l'exportation, de la commercialisation et de la distribution du pétrole et des produits raffinés en Irak. En contrepartie, la Région du Kurdistan doit recevoir enfin ses 17% du budget irakien, ce qui, pour 2015, devrait être d’un montant de 103 milliards de dollars.

Mais le 1er février, une délégation du GRK s’est rendue à Bagdad avec l’intention de renégocier les termes de l’accord, indiquant que 550 000 barils par jour était un montant trop lourd pour Erbil, car les Kurdes doivent aussi céder leur pétrole à des sociétés auprès desquelles ils sont lourdement endettés.

Les contreparties demandées par les Kurdes – le versement de 17% du budget irakien, l’entretien et la solde des Peshmergas – sont par ailleurs loin d’être respectées concrètement, même si l’accord les prévoyait. De plus, certaines voix, au sein du GRK, soupçonnent Nouri Maliki, l’ancien Premier Ministre maintenant vice-président d’Irak, mais toujours irréductible ennemi des Kurdes, de mettre des obstacles au versement effectif des sommes dues par Bagdad aux Kurdes. Sur son site, le GRK affirme que Bagdad n’a, de toute façon, pas le fonds suffisants pour respecter sa part de l’accord :

« Il est apparu clairement, lors de la réunion, qu’en raison de la crise financière et du manque de liquidités, le gouvernement irakien ne peut donner au GRK la part du budget qui lui revient. »

Le 16 janvier, le Premier ministre Nêçurvan Barzani a déclaré à l’agence Reuters que l’accord de décembre pourrait être rompu si le gouvernement central ne reprenait pas les paiements dus sur son budget :

« Selon l’accord, si les deux parties ne parviennent pas à respecter les articles, l’accord prendra fin. Nous avons exporté le montant requis de pétrole, mais le problème est que Bagdad n’a pas d’argent à envoyer à la Région du Kurdistan. » 

Les deux parties souffrent d’une grave pénurie de ressources financières, en raison de la guerre qui a ralenti l'exploitation, des chutes du prix du baril et, pour le Kurdistan, du poids économique que font peser près d’un million de réfugiés, venus d’Irak ou de Syrie.

« Il est évidemment que nous avons signé un accord avec un pays en faillite », a ajouté Nêçirvan Barzani. « Nous avons respecté totalement l’accord, mais son application doit être remplie par les deux parties. »

Le Premier Ministre a révélé que Bagdad proposait maintenant d’envoyer aux Kurdes 300 millions de dollars, « ce qui est moins de la moitié de ce que nous avions convenu auparavant. »

Malgré l’incapacité de Bagdad à respecter ses engagements, le Premier Ministre kurde a cependant indiqué le 16 février que son gouvernement ne stopperait pas les envois de pétrole, revenant sur la menace de couper les exportations, qu’il avait émise le 29 janvier, avant que sa délégation ne se rende à Bagdad. Mais il a proposé que la vérification du volume global de ces exportations ne se fassent plus que tous les trois mois :

« Nous leur avons dit de vérifier le montant de pétrole que nous leur enverrons tous les trois mois. Si nos livraisons sont en dessous du montant prévu, ils pourront couper notre budget au début du quatrième mois. »

Nêçirvan Barzani a ensuite donné des précisions sur la crise financière que traverse l’Irak surtout en raison de la chute des prix du pétrole qui ont baissé de 60 % en sept mois: en 2014, le budget national a perdu 50 milliards de dollars, alors que 95% de ses ressources dépendent de ce secteur. Quant au Kurdistan, il est lui aussi touché par cette baisse et aurait besoin de 10 milliards de dollars pour surmonter sa crise financière.

Mais si le Premier Ministre a tenu d'abord un langage conciliant, d’autres voix, notamment parmi les députés et les ministres kurdes à Bagdad, ont souhaité ou menacé de rompre l’accord voire même de se retirer du gouvernement. Et les propos qu’a tenus, quelques jours plus tard, le 22 février, le Premier Ministre irakien sur les chaînes irakiennes, n’ont guère conforté le camp des modérés à la table des négociations.

Hayder Al-Abadi a en effet déclaré que le Gouvernement régional du Kurdistan devait « prendre la responsabilité » de payer ses propres fonctionnaires au lieu de recevoir l’argent du gouvernement central :

« Je ne suis pas contre l’envoi du traitement des fonctionnaires, mais il y a un problème que chacun doit savoir, et c’est qu’il y a des employés du GRK qui n’ont pas été engagés par le gouvernement irakien mais sont plutôt employés par la Région du Kurdistan. »

Cela n’a évidemment pas incité les Kurdes à continuer sur le ton de la compréhension et de la bonne volonté et cette fois, le président Massoud Barzani a à son tour envisagé, lors d’une conférence de presse, de cesser les envois de pétrole si la part kurde du budget ne parvenait pas enfin à Erbil.

Quant au Premier Ministre kurde, deux jours après la déclaration de son homologue irakien, il a de nouveau donné une conférence de presse, où il a répété que son gouvernement « ferait de son mieux » pour résoudre la question du budget, mais que sa patience n’était pas infinie.

« Nous souhaitons un accord avec Bagdad et nous voulons que le peuple du Kurdistan, les États-Unis et les autres pays sachent que nous avons fait de notre mieux envers Bagdad. Mais il faut aussi que ceci soit clair : nous ne pouvons tolérer plus longtemps cette situation […] Malheureusement, Bagdad agit comme une compagnie pétrolière envers une partie du pays plus que comme un État. » 

« Bagdad nous a dit que nous avons exporté plus de pétrole qu’il était prévu dans l’accord, ce qui est vrai, mais nous avons dit à Abdadi lors de notre première réunion, que nous avions reçu des avances de fonds pour les salaires de nos gens [les fonctionnaires] de la part de sociétés, en échange de notre pétrole. Nous leur avons dit que même si nous exportons un million de barils par jour, nous ne pouvons leur donner que 550 000 en raison de ce que nous devons aux sociétés pétrolières. » 

Ainsi, si l’on veut résumer le dialogue de sourds qui dure depuis plus d’un mois, Bagdad reproche aux Kurdes de céder leur leur pétrole à des sociétés étrangères afin que ces mêmes Kurdes paient leurs fonctionnaires privés d’un traitement que Bagdad leur refuse depuis un an, et pour cette raison continue de geler l’envoi du budget kurde ; ce qui oblige Erbil à s’endetter plus encore auprès des sociétés. 


mercredi, mars 04, 2015

Parution : "Us et coutumes des Kurdes" de Mahmoud Bayazidi





Parution le 4 mars, chez L'Asiathèque en co-édition avec Geuthner, de l'ouvrage Us et coutumes des Kurdes. 
Traduction et présentation par Joyce Blau et Sandrine Alexie du texte de Mahmoud Bayazidi sur l'organisation sociale, les valeurs et les traditions du peuple kurde.
Préface de Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris

Présentation de l'éditeur : 
"Les Kurdes occupent une région stratégique, depuis toujours à la croisée des empires et objet de convoitise. Héritiers d'une riche tradition culturelle, ils n'ont pas hésité à prendre les armes à maintes reprises pour défendre leur territoire, leur mode de vie et leurs valeurs. Aujourd'hui, ils apparaissent plus que jamais comme des acteurs incontournables de la stabilité régionale. 
Le présent ouvrage constitue un témoignage historique de premier ordre décrivant dans une langue simple l'organisation sociale et les traditions du peuple kurde : structure de la famille et des villages, rôle des femmes, code de conduite – notamment à la guerre –, déroulement des grandes fêtes et cérémonies, ou encore questions relatives à la religion, aux croyances et à la divination. Il présente les valeurs traditionnelles des Kurdes et permet de comprendre les fondements historiques de leur pugnacité si souvent admirée – ou crainte – par les peuples voisins. 
Traduit du kurde (kurmandjî) par Joyce Blau et Sandrine Alexie, ce texte du mollâ kurde Mahmoud Bayazidi (1797-1859) constitue le premier document profane en prose jamais écrit dans cette langue, ainsi que l'un des rares témoignages de l'intérieur sur le mode de vie des Kurdes, détaillant aussi bien les aspects jugés favorablement par l'auteur que ceux qu'il réprouve. 
Joyce Blau est professeur émérite de l'Institut national des Langues et Civilisations orientales à Paris, où elle a dirigé la chaire de kurde pendant trente ans. Membre de l'équipe de recherche de l'Institut kurde de Paris, elle est l'auteur de nombreux ouvrages et travaux sur la langue, la littérature et la civilisation des Kurdes. 
Sandrine Alexie est écrivain et traductrice. Auteur de romans sur le Kurdistan mythique, médiéval et contemporain, elle a également traduit Mem et Zîn d'Ahmed Khanî, chef d'œuvre de la litérature classique kurde."

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Table des matières :

Préface de Kendal Nezan  ou "Les Kurdes dans l'Histoire"

Introduction de Joyce Blau et Sandrine Alexie ou "Vie et œuvre de Mahmoud Bayazidi" :

Us et Coutumes des Kurdes, de Mahmoud Bayazidi

Bibliographie commentée par Joyce Blau et Sandrine Alexie.

Index thématique.

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Extrait : "Une fois, le fils d’une femme tomba gravement malade, il était aux portes de la mort. On raconte alors que la mère de ce garçon a dit : « Si Dieu guérit mon fils, voici mon vœu : moi-même, en bonne santé, je resterai dans la tombe sans manger pendant trois jours. Si je trépasse, qu’il en soit ainsi ! Mais si ce n’est pas le cas, après trois jours, que l’on me fasse sortir. » Cette femme a fait ce vœu, et par la volonté de Dieu, après quelques jours, son fils guérit et recouvra la santé. Alors, la mère de ce garçon — son nom était Rabo, et le nom de son fils, Kalho — dit : « Je vais accomplir mon vœu. » Elle alla demander son accord au mollâ qui refusa. Mais elle dit : « Je n’ai pas d’autre choix que de réaliser mon vœu. » Voyant qu’il n’y avait rien d’autre à faire, on partit creuser une tombe pour Rabo, une tombe comme on en creuse d’habitude pour les morts. Rabo, dans la plus grande contrition et demandant la protection de Dieu, annonça : « Trois jours durant, je reste dans la tombe. Au bout de trois jours, venez sur la tombe. Ouvrez. Si je suis morte, lavez-moi, apprêtez-moi et enterrez-moi. Sinon, sortez-moi de là, je rentrerai chez moi et j’aurai tenu ma promesse. » Et vraiment, on fit comme Rabo avait dit, on creusa la tombe, on y mit Rabo dans ses vêtements, sans pain ni eau, on l’étendit dans la tombe, on l’emplit de terre et on la referma. Elle est restée ainsi trois jours. Puis hommes et femmes allèrent ensemble sur la tombe de Rabo, l’ouvrirent et en sortirent Rabo qui était en bonne santé, vivante. Ils la ramenèrent chez elle. Elle vécut encore sept ans après son vœu, puis elle mourut."



mardi, mars 03, 2015

LE PKK appelé à déposer les armes tandis que les YPG se portent au secours de Süleyman Shah



Le 17 février, le Groupe de communautés du Kurdistan, (Koma Civakên Kurdistan , KCK), l'organisation politique du PKK, a demandé des avancées concrètes dans le processus de paix entre le PKK et la Turquie, processus que le mouvement estimait être dans une phase « très critique et dangereuse » et même « près de sa fin. »

Ce qui fait que dix jours plus tard, le leader du PKK, Abdullah Öcalan, appelait, de sa prison d’Imralı, sa guerilla à rendre les armes, dans ce qu’il a qualifié de « décision historique ».

L’appel a été lu en direct sur les télévisions par Sirri Sureyya Onder, député HDP au Parlement turc, aux côté du vice-premier ministre Yalçin Akdoğan. Dans cet appel, Sirri Önder annonce qu’Abdullah Öcalan demande au PKK de se réunir dans un congrès extraordinaire au printemps, afin de « prendre la décision historique et stratégique de déposer les armes. »

Mais cette annonce de « désarmement » est contestée par d'autres personnalités du HDP, dont le co-président Selahattin Demirtas, qui assure que le PKK est prêt à rendre les armes seulement si le processus entre enfin dans une phase de négociation active. 

Quant à Cemil Bayik, à la tête du KCK,  il insiste sur la nécessité d’un congrès mais qui réunirait tous les partis du Kurdistan (cette fameuse conférence générale des Kurdes annoncée depuis des années et qui a toujours été reportée, en raison de la mésentente des partis et surtout des tensions PDK-PKK). Cemil Bayik souhaite aussi publiquement la formation de forces kurdes unifiées (tout en s’opposant à l’indépendance du Kurdistan d’Irak, ce qui semble assez compliqué à envisager).

Quoi qu’il en soit, les 10 articles qu’Abdullah Öcalan considère comme essentiels à la résolution de la question kurde en Turquie (et à l’adieu aux armes du PKK) sont les suivants (via kurdishquestion.com
  1. Le contenu d’une politique démocratique doit être débattue.
  1. Les dimensions nationales et locales d’une résolution démocratique doivent être débattues.
  1. Des garanties légales et démocratiques d’une citoyenneté libre.
  1. Des directions? concernant les relations entre la politique démocratique, l’État et la société et l'institutionnalisation de ces dernières.
  1. les dimensions socio-économiques du processus de résolution
  1. une nouvelle structure sécuritaire à laquelle le processus mènera
  1. des garanties légales concernant les questions des femmes, de la culture et de l’écologie
  1. le développement des mécanisme d’égalité au regard de la définition et de la notion d’identité
  1. Définir la république démocratique, la patrie commune et le peuple selon les critères démocratiques
  1. une nouvelle constitution qui aidera à assimiler toutes ces étapes.


Rien de particulièrement concret dans ces « articles » (pour autant qu'ils soient compréhensibles, ce qui n'est pas toujours le cas), hormis le dernier, qui réclame une nouvelle constitution, mais afin d’implanter on ne sait trop quelles mesures qui découleraient de propositions qui n’en sont pas réellement. On dirait les gros titres d’un powerpoint indigent présenté par un piteux think tank. Le PKK se plaint constamment de l’absence de « pas concrets » de la part de la Turquie dans le processus, mais on ne peut pas dire qu’Öcalan les aide beaucoup à demander du « tangible ».

En tout cas, puisque cela ne dit rien, cela peut parler à chacun dans le sens qui l'arrange, et le gouvernement turc, du président Erdoğan au Premier Ministre Ahmet Davutoğlu, s’est empressé de saluer la déclaration, en ne parlant que du désarmement « préliminaire » à ces négociations. Sinon, pour la suite des événements, la présidence turque reste toute aussi vague, en parlant de « processus démocratique », d’ « unité nationale » et de « projet de fraternité ». La seule chose qui intéresse Erdogan, en fait, est que le désarmement du PKK ait lieu avant les législatives de juin. Le président turc a aussi critiqué les propos de Sebahattin Demirtas sur sa propre interprétation des dix articles et les prises de position contradictoires des différentes voix au sein du HDP (comme au sein du PKK).

Les relations  de la Turquie avec le PYD syrien semblent, par ricochet, s’orienter aussi vers une certaine détente,  puisque les troupes turques sont entrées en Syrie quelques jours avant l’annonce d'Öcalan, dans le canton de Kobanî, pour relever les soldats qui gardent le tombeau de Süleyman Shah, l’ancêtre de la dynastie ottomane, Le mausolée est dans une enclave appartenant toujours à la Turquie, en vertu du traité d’Ankara signé avec la France en 1921, quand elle avait mandat sur la Syrie,  traité qui qui fixe la frontière syro-turque dans ses grandes lignes. L’article 9 prévoit que

« Le tombeau de Suleiman Chah, le grand-père du Sultan Osman, fondateur de la dynastie ottomane (tombeau connu sous le nom de Turc Mézari), situé à Djaber-Kalessi restera, avec ses dépendances, la propriété de la Turquie, qui pourra y maintenir des gardiens et y hisser le drapeau turc. »


Il faut noter que les historiens de l'islam considèrent comme plus que douteuse (v. Encyclopédie islamique, Djabbar Kalaat,), la présence des restes de Süleyman Shah dans le mausolée, où l’on a voulu y mettre parfois le fondateur de la dynastie des Seldjoukides de Roum, Süleyman ibn Kutulmush, mais qui n’abrite probablement ni l’un ni l’autre. Les données biographiques de Süleyman et de son fils Ertugrul, lui-même père d’Osman, le fondateur du sultanat ottoman, sont largement légendaires.

Le mausolée  se trouve au bord de l’Euphrate, où Suleyman Shah se serait noyé, à 35 km de la ville de Kobanî, qu’ils  ont dû pour cela traverser. Il s’agissait pour la Turquie d’évacuer 40 hommes, dont 20 appartenant à une troupe d’élite, qui n’avaient pu être relevés depuis 11 mois.

Les YPG se sont bien sûr empressés de diffuser la nouvelle de l’opération, assurant qu’ils avaient assisté dans leur périple les véhicules blindés et les soldats venant soulager enfin de leur longue garde les sentinelles. Le déroulé de ce sauvetage et la coopération YPG-Turquie auraient été plannifiés et discutés avec le commandement militaire de Kobanî. Le convoi a traversé la ville le 21 février à 21 h et a fait route en suivant un itinéraire préparé par les YPG.

Naturellement, la présidence turque s’est empressée de nier toute participation des YPG et le porte-parole de Recep Tayyip Erdoğan, Ibrahim Kalin, a répété les propos d’Ahmet Davutoğlu, lequel assure que tout s'est passé en accord avec le gouvernement syrien, après une « note diplomatique » émise par la Turquie, et que la Coalition en était informée. Par contre, aucun contact, coordination et coopération avec les YPG n'ont eu eu lieu, au contraire de l'Armée syrienne de libération, mise au courant par Ankara.

Mais à 21 h, en temps de guerre, il y avait évidemment assez de témoins pour voir passer un convoi militaire turc dans Kobanî et pour le rapporter aux agences de presse turques. À cela, Kalin a répliqué que, vue la situation actuelle de la Syrie, il était difficile de déterminer à qui le territoire, ça et là appartenait. Les soldats ont dû se crever les yeux pour ne pas voir les drapeaux du PYD et les portraits d’Öcalan qui doivent fleurir dans la ville et dans toutes les portions du « canton » que les combattants kurdes ont reprises à l'État islamique. Ou bien, si ce ne sont définitivement pas les YPG qui ont escorté les Turcs, il faut croire que c’est le Daesh qui leur a fait gracieusement une haie d’honneur, jusqu'à un tombeau qu'il aurait décidé d'épargner, au contraire de celui de Jonas à Ninive et de tous ceux de Mossoul.


Tombe de Süleyman Shah, 1921.




Concert de soutien à l'Institut kurde