mardi, novembre 25, 2014

mardi, novembre 18, 2014

La vie quotidienne à Mossoul au temps du Calife Ibrahim . t. II. (six mois de bonheur)



Les enlèvements et exécutions de journalistes occidentaux, kurdes ou arabes ont imposé un black-out de l’information concernant ce qui se passe dans les territoires conquis par l'État islamique, alors que ce dernier entend contrôler très étroitement les nouvelles qui pourraient filtrer des media locaux. 

Ainsi le 7 octobre, une charte de 11 « règles »  à l’usage des journalistes syriens restés dans la province de Deir ez Zor, qui définit les « droits et devoirs » du bon reporter tel que le conçoit l’État islamique, a été révélée, via le site « Syria Deeply » transmise par un journaliste de Deir ez Zor, après une réunion qui a eu lieu entre des journalistes indépendants et le staff de l'EI pour les media.  Cette « réunion » fut en fait l’annonce de « 11 règles non négociables » qui seront imposées à tout journaliste désirant continuer d’exercer son media dans le gouvernorat de Deir ez Zour : 
  1. Les correspondants doivent prêter un serment d’allégeance au Calife Al-Baghdadi… ils sont sujets de l’État islamique et, en tant que sujets, sont tenus de jurer loyauté à leur imam.
  1. Leur travail sera sous le contrôle exclusif du Bureau des media [de l’EI].
  1. Les journalistes peuvent travailler directement avec les agences internationales (telles que Reuters, l’AFP et l’AP) mais ils doivent éviter toutes les chaînes de télévisions satellites internationales et locales. Il leur est interdit de fournir une quelconque exclusivité et avoir un contact (en audio ou en image) avec elles, de quelque façon que ce soit.
  1. Il est interdit aux journalistes de travailler d’une quelconque façon avec les chaînes de TV figurant sur la liste noire des chaînes travaillant contre l’État islamique (comme Al-Arabiya, Al-Jazeera, Orient). Les contrevenants seront tenus pour responsables.
  1. Les journalistes ne peuvent couvrir des événements dans le gouvernorat, que ce soit par écrit ou en image sans en référer au Bureau des media [de l’EI]. Toutes les publications et les photos doivent porter les noms des journalistes et des photographes.
  1. 6. Les journalistes ne peuvent publier de reportage (imprimé ou diffusé) sans en référer d’abord au Bureau des media [de l’EI].
  1. Les journalistes peuvent avoir leur propre compte sur les réseaux sociaux et blogs et y publier leurs propres informations et photos. Cependant, le Bureau des media de l’EI doit avoir les noms et les adresses de ces comptes et de ces pages.
  1. Les journalistes doivent respecter les règlements quand ils prennent des photos à l’intérieur du territoire [de l’EI] et éviter de filmer des lieux ou des événements ayant trait à la sécurité quand ces photos sont interdites.
  1. Les bureaux des media de l’EI suivront le travail des journalistes locaux à l’intérieur des territoires [de l’EI] et dans les media de l’État. Toute violation des règles entraînera la suspension du journaliste de ses fonctions et il sera tenu responsable.
  1. Les règles ne sont pas définitives et sont sujettes à changer avec le temps, au gré des circonstances et du degré de coopération entre les journalistes et de leur engagement envers leurs frères des bureaux des media.
  1. Les journalistes recevront une licence pour exercer leur métier après qu’ils aient soumis une demande de licence auprès du Bureau des media.


D’après ce journaliste se faisant appeler « Ameer », à la fin de ce meeting, un certain nombre de journalistes ont accepté le règlement et ont signé une circulaire précisant les termes de cet accord. Ceux qui ne l’ont pas fait ont dû fuir le pays, mais un autre activiste cladestin s’exprimant sur facebook, Maher, a précisé que quitter le gouvernorat était difficile, l’EI continuant d’envoyer des « messages » oscillant entre intimidation et persuasion afin qu’ils reviennent. Certains ont aussi reçu des menaces de crucifixion ou d’arrestation de membres de leur famille :

« Le harcèlement des activistes vise à les empêcher d’informer sur les règles que l’EI essaie d’imposer dans ses territoires » […] Parce que les activistes ont fait état de ses pratiques, ils sont devenus rapidement l’ennemi nº1 de l’EI, qui a essayé de les faire taire à tout prix, de la même façon qu’Assad avait fait au début de la révolution. Il a eu pour but de les faire taire parce qu’ils exposaient, comme pour Assad, les crimes commis contre le peuple syrien […] Le régime [syrien] a arrêté, emprisonné et torturé beaucoup de gens dans ses prisons, beaucoup en sont morts. Il était courant pour un activiste d’être emprisonné une fois ou deux, et puis relâché pour quelques mois . Mais dans le cas de l’EI, les activistes sont considérés comme infidèles et sont condamnés à mort, à la crucifixion ou autre, simplement parce qu’ils s’opposent à la politique de l’EI. Les charges [contre moi] étaient prêtes de même que la sentence. Pire encore, l’EI a menacé d’arrêter des membres de la famille pour m’empêcher d’exposer leurs pratiques sur Internet. »


Les media traditionnels étant sous le strict contrôle de l’EI et aucun journaliste indépendant ne pouvant se rendre sur place, restent les media clandestins, les chroniqueurs des réseaux sociaux et anonymes, s'exprimant sur les blogs, les comptes facebook ou twitter, via les mobiles et les tablettes, que l’EI ne peut encore strictement bloquer ou contrôler. 

De Mossoul, un anonyme, Mosul Eye, publie régulièrement, depuis juin 2014, ce qu’il peut observer de la ville occupée par l’EI, soit sur un blog, soit sur facebook, soit sur twitter, parfois interviewé par des media extérieurs, comme CBS News. Son activité rappelle ainsi celle du fameux blog ‘Where is Raed ?’ tenu par un jeune Baghdadi, Salam Pax, de 2002 à 2009, et qui, peu avant la chute de Saddam, en 2003, qui avait concentré l’attention du monde entier, à tel point que blogspot avait de lui-même ouvert un blog miroir  le premier ne pouvant supporter le nombre de connexion par jour qu'il recevait. Mosul Eye fait de même, le plus souvent sur Facebook en faisant état que de ce qu’il peut observer de ses propres yeux depuis juin 2014, confirmant ou démentant les rumeurs qui courent sur les mesures et les lois imposées par l’EI dans Mossoul :


Le 22 octobre, premier jour de la rentrée scolaire, a vu l'enseignement universitaire épuré de fond en comble, avec :

– La fermeture des facultés de droit, de sciences politiques, des Beaux-Arts, d’archéologie, d’Éducation physique.

– Dans les autres facultés, fermeture des départements de philosophie, de tourisme et d’hôtellerie (allez comprendre…)

– Dans les programmes universitaires, abrogation des enseignements portant sur : la démocratie, l’éducation culturelle, les droits de l’homme et le droit en général, le roman et le théâtre des départements d’anglais, de français, ainsi que les cours de traducteur et d’interprète dans ces langues.

– Toutes les questions portant sur l’éducation, le patriotisme, l’ethnie sont à éviter ainsi que la « falsification » d’événements historiques ou des divisions géographiques non conformes à la Charia.

– Ségrégation entre étudiants masculins et féminins.

– Remplacer toute référence à la République [irakienne] par «  État islamique ».

– Le ministère de l’Enseignement supérieur devient « Chambre de l’Éducation ».

Comment EI se finance ?


En plus des champs de pétrole saisis et de la vente clandestine du brut et de ses dérivés, ainsi que du gaz (ils possèdent aussi une fabrique de ciment à Mossoul), l"EI loue à des particuliers les bâtiments gouvernementaux et prélèvent des taxes sur les véhicules entrant et sortant de la ville. 

Les prélèvements financiers de l"EI ont commencé à Mossoul et Ninive bien avant la chute de la ville : l'EI demandait à chaque commerçant, depuis 2013, de verser 10%  de son capital et 10% de ses profits mensuels. Din de 2013, l’EI avait même imposé au bureau des taxes de Ninive que les contribuables le paient directement.Le gouverneur de Mossoul Al Nudjayfi n’avait mis fin à ce détournement qu’en versant lui-mêmeune bonne somme aux Daesh… 

Des taxes arbitraires sont aussi imposées à des citoyens par les milices, sous peine de meurtre, et donc sous forme de racket ou rançon à verser. Ces extorsions servent à entretenir les forces armées, de police ou de sécurité sans que l’EI ait lui-même à les payer, ce qui rappelle le fonctionnement de l’État baathiste, que ce soit en Syrie ou anciennement en  Irak. Des fausses accusations, de toutes sortes,  sont aussi forgées par la police afin de faire payer davantage les citoyens ou leurs familles, par exemple pour faire libérer un proche.

Les commerçants qui avaient des partenariats en affaires avec des yézidis et des chrétiens (de toute façon morts ou en fuite) doivent payer le revenu des actions et des parts détenus par leurs anciens associés, sous peine de mort tués. Par ailleurs, trois mois avant la prise de Mossoul, les Daesh avaient déjà commencé de compter et recenser les habitations louées par des chrétiens aux musulmans et les locataires doivent maintenant payer leur loyer à l'EI devenu leur propriétaire, puisque tous les biens des non-musulmans sont passés aux mains du Daesh. Les locataires ne payant pas leur louer sont expulsés (charité islamique oblige). 

Les logements laissés vacants sont saisis aussi par l'EI, ou bien les occupants encore présents chez eux doivent montrer un document ou un contrat prouvant leur statut de propriétaire ou de locataire. Si ce contrat ou ce document mentionne un chrétien, le logement devient propriété de l’EI et cette mention est inscrite sur la porte d’entrée. :Il y a ainsi toute une refonte d la décoration des portes d'entrée au seuil des habitations :

– les logements vides des sunnites sont marqués d’un  ت/Tahqeeq pour enquête, quand l'EI cherche à connaître les raisons du départ de ses habitants ;

– ceux des chrétiens sont signalés d’un ن (nazaréen), c'est ce qui a été le plus repris par les media ;

–  ر’’ désigne les chiites (rafidtha) ; 

– ‘م’ ou ‘Matloub’ (recherché) signale les fonctionnaires, les professeurs, les médecins ;

–  ‘ج’ ou Djar (comptage) désigne les biens et avoirs de tout Mossoul, sans distinction.

En septembre, entre 5 et 2 millions de dinars ont été collectés auprès de tous les marchands et hommes d'affaires en tant que « zakat »( l’aumône légale islamique normalement dévolue à l’entretien des indigents), sous peine d’emprisonnement ou de saisie.

Les soutiens locaux :

Interviewé par Rima Marrouch (CBS News), Mosul Eye anonyme indique qu’au sentiment de libération ressenti par la population à la chute de Mossoul, en raison de la levée des check-point et de la fin des attentats, a succédé une colère d'abord déclenchée par la destruction des mosquées et mausolées des imams et des prophètes, saccage qui a retourné un certain nombre de supporters locaux de l'EI), même la destruction des églises et le départ des chrétiens ont choqué, comme la destruction de tout le patrimoine historique et religieux de Mossoul ; l’obligation du niqab pour les femmes ne plait pas non plus à tout le monde. De plus, les collaborateurs les plus actifs et les plus influents recrutés par l'EI sont des criminels notoirement connus des Mossoulis. Mais cette colère est accompagnée d'une peur de l'EI, même si des membres des milices ont été assassinés par des groupes de jeunes hommes déguisés en femmes, ce qui a amené les Daesh à assouplir lla règle du port du niqab. 

La situation économique à Mossoul est devenue mauvaise, avec la flambée des prix, notamment des légumes ou du gaz : une bouteille de gaz coûte 45 000 dinars (42$) et des familles ont recours à des méthiodes alternatives pour cuisiner. L’élecricité est souvent totalement coupée et la population a recours à des générateurs privés. L’eau courante n’est là que deux heures par jour. Les produits dérivés du pétrole, qui avaient d'abord baissé ne cessent d’augmenter. Le chomage explose, les hôpitaux et les cliniques manquent gravement de médicaments et de matériel de soin, alors que les cliniques de l'EI sont fournies abondamment. Beaucoup de réfugiés venant de Baidji, Zummar et Anbar vivent dans des conditions encore plus difficiles, dans des tentes, alors que l’hiver arrive. Comme au Kurdistan, less habitants de Mossoul les aident d'eux mêmes, en dépit de leur propre difficultés financières.

Le recrutement de l"EI :

Pour recruter ses milices, l'EI  a fait beaucoup appel à des volontaires locaux, qu’il entraîne dans ses centres, ou bien a fait venir des volontaires de Tikrit ou d’Anbar. La majorité d’entre eux ne semble pas avoir plus de 18 ans. Des centaines d'enfants ont apparemment aussi été recrutés et entraînés, destinés à des missions suicides, des assassinats dans les environs de Mossoul, ou à infiltrer les forces kurdes et irakiennes. L’EI « adopte les mêmes méthodes que Saddam », en impliquant des employés civils, comme les conducteurs de taxi, les vendeurs locaux et des boutiquiers, des citoyens ordinaires, pour collecter des informations au sujet de toute contestation.

L’EI, jusqu’en août, exigeait que ces volontaires soit recommandés par deux personnes pour être admis : l’une devait être un membre de l'EI, et l’autre un notable du quartier où le postulant vivait. Ensuite, le recrutement a été ouvert à tous ceux qui le souhaitent. Dans les centres de recrutement, les membres reçoivent un salaire mensuel, améliorent leur niveau de vie, et les célibataires sont gratifiés d’une épouse.  

À côté des combattants, il y a aussi une « police islamique » qui a été mise en place, qui est là pour gérer les conflits locaux et recevoir les plaintes des habitants, ce qui, selon Mosul Eye, permet à l’EI de s’implanter dans les couches sociales de la ville et leur facilite sa prise de contrôle.  Les membres de l'EI ont le droit de retourner voir leur famille 3 jours par semaine, et retournent ensuite au centre où ils sont affectés, afin d’effectuer leur service. Des règles strictes sont instaurées pour éviter tout contact avec le reste de la population, sauf en cas d'extrême nécessité. Ils ne peuvent prendre leur repas que via le Département de la nourriture de l'EI, repas préparés par des épouses ou des parentes de membres. Certains djihadistes ne sont jamais autorisés à se montrer sans avoir le visage masqué : ils forment une unité spéciale. affectée à la protection des hauts responsables. Il leur est aussi interdit d’avoir sur eux un appareil électronique de porter la barbe et l’uniforme officiel de l'EI.


Détail intéressant : selon Mosul Eye, les changements du tissu social de la ville d'abord l'œuvre de Saddam et qui se sont aggravés  après 2003, expliquent le fait que la ville n’a pas résisté à l'EI en juin dernier, ainsi que des conflits ethniques, plus qu'un antagonisme chiite-sunnite, même si la haine de l'armée irakienne n'a pas amélioré les choses. Voici son analyse :

« Le tissu social de Mossoul consiste principalement en congrégations tribales qui ont accru considérablement leur puissance après l’opération « Iraqi Freedom » en 2003. L’influence tribale dans la ville était déjà présente sous le régime du Baath, avant la guerre, quand la stratégie de Saddam a consisté à « ruraliser » les zones urbaines et à « militariser » les communautés tribales. Les forces américaines ont tenté de restaurer l’équilibre en choisissant [comme maire de la ville ] Ghanim Al-Basso, le frère de Salim Al-Basso, un pilote irakien exécuté par Saddam pour trahison. Al Basso représentait la communauté urbaine, civique de Mossoul, qui n’a aucun lien avec les tribus. Il fut cependant incapable de mettre en place des changements drastiques, et des groupes armés, plus ou moins importants, ont refait surface. Les congrégations tribales ont servi de foyers d'incubation de ces mouvements agissant sous la couverture du Djihadisme-Salafisme, mouvements qui avaient été préparés pour passer à l’action avant le 9 avril 2003 [date de la chute de Saddam]. Dans ces mouvements armés, la majeure partie des combattants et des commandants étaient des ruraux, qui venaient des villages aovisinants, et ont dominé la classe urbaine de Mossoul, un scénario qui s’est répété quand la ville est tombée aux mains de l’EI.

Les « ruraux » ont pu garder la mainmise sur tous les éléments névralgiques de la ville, les forces armées, les services sociaux, administratifs et le système politique, tandis que ses milieux éduqués, urbains, se montraient  incapables de faire face à des adversaires violents,  qui tuaient facilement tout opposant. Au contraire, en dix ans une génération urbaine nouvelle a émergé, surnommée par dérision  les « poulets »: des jeunes gens fuyant tout conflit ou engagement politique. 

« Le leaderhsip des tribus est ainsi devenu la norme dans la ville, un schéma instauré et appliqué par les tribus elles-mêmes. Mossoul a été presque complètement « ruralisée ».

Selon lui, les principaux acteurs tribaux sont les Tell Afari (résidents de la région de Tell Afar) qui ont migré à Mossoul et sont devenus les piliers des opérations de l'EI. 

Tell Afar est un district rural dans la plaine de Ninive, à 70 km de Mossoul, peuplé majoritairement de Turkmènes, sunnites et chiites, en plus d’habitants arabes et kurdes. Il est composé de 3 sous-districts : Rabi’a, Zummar et Al-Iyadthiya, contrôlés par une tribu turkmène dont l'organisation est similaire à celle des tribus rabes de la région. Des conflits avaient déjà éclaté entre ses habitants sunnites et chiites, se mêlant à des querelles ethniques : les Afaris et les Kurdes se sont longtemps affrontés et cela a parfois abouti à une coalition avec les Arabes contre ces derniers. À Rabi'a (actuellement une des lignes de front des plus importantes opposant l'EI et les peshmergas) les luttes contre les Kurdes portaient sur la possession des terres agricoles.

Les Afaris sont considérés depuis toujours avec dédain par les authentiques Mossouli, qui dénigrent leur stupidité et les voient comme une classe inférieure, bonne aux métiers pratiqués au bas de l'échelle sociale. Sous le régime baathiste, les Afaris n’étaient pas représentés au sein du gouvernement, et Saddam les méprisait ouvertement. Ils étaient principalement agriculteurs ou travaillaient dans le bâtiment (ce qui en fait des combattants robustes).  Ces antagonismes portant sur des stéréotypes de classe ou d’ethnie ont alimenté une sérieuse haine entre Tell Afar et Mossoul. L’effondrement de l’Irak baathiste en 2003 et puis la conquête de Mossoul par l'EI ont permis aux Afaris, nouvellement émigrés, de prendre leur revanche  : dès avant la chute de la ville, le terrorisme à Mossoul, était lié, dans l’opinon publique aux Afaris, ainsi que les assassinats et les enlèvements. Avec l’EI, les pillages et les meurtres ont pu se pratiquer au grand jour.

La dernière chronique a un ton plus optimiste en constatant que lors de la dernière parade des milices,  ce qui devait être une grande démonstration militaire, s'est réduit à un défilé miteux, indiquant que les frappes aérienne et la contre-offensive contre l"EI semblent porter leur fruit :

« Les rumeurs sur l'EI organisant une grande parade militaire sont complètement fausses. Le groupe n'a plus la capacité d'un spectacle militaire à grande échelle, suite à une série de frappes aériennes réussies et des opérations locales contre les membres de l"EI. La soi-disante parade comprenait des véhicules civils et des adolescents portant des Kalachnikov. Un total de 12 voitures KIA et un pic-up figuraient dans la parade. Seul un drapeau de l"EI était visible. 

Quant aux participants, ils consistaient en des jeunes garçons et des adolescents portant des vêtements sales et déchirés. Ce spectacle était une tentative pathétique de l'EI de rétablir le prestige qu'ils avaient imposé à Mossoul depuis le 10 juin, mais cette attentive a échoué. L'EI ne peut plus longtemps maquiller la réalité à l'aide de nouvelles organisations terroristes pan-régionales rendant hommage au Calife. L'EI s'effondre progressivement. 

Après cette timide parade, un convoi de véhicules de police est passé pour distribuer dans la ville des tracts avec pour titre : Nouvelles prometteuses pour les supporters (des provinces régionales de l"État islamiques) proclament l'hommage au Calife.  

Les récentes frappes et la vague d'attaques locales ont cassé l'image du monstre invincible de l'EI, je ne pourrais être plus heureux que je ne suis aujourd'hui, même si je réalise que la route devant est longue et tortueuse. L'EI approche de sa fin. La vie vaincra, et nous sommes la vie. J'aimerais que vous puissiez voir ce que je vois, savoir ce que je sais, des calamités tombant sur les membres de l'EI. J'aimerais que vous puissiez ressentir l'optimisme et le bonheur que je ressens. » Mosul Eye.



mardi, novembre 11, 2014

La Turquie, grande perdante de la bataille de Kobanî



À la mi-octobre, les USA ont multiplié les frappes aériennes autour de Kobanî (plus de 30 en une semaine), en coopération avec les YPG, ces derniers indiquant aux pilotes la localisation des combattants de l’État islamique, comme le confirmait à Reuters leur porte-parole, Polat Can, qui indiquait que l’efficacité nouvelle de ces frappes, en raison des renseignements fournis par les Kurdes, se traduisait sur le terrain par un recul des djihadistes, mais que ce retrait n’était que temporaire, l'ennemi revenant toujours à l’assaut.

Ces contacts entre Washington et le PYD ont été confirmés par le Département d’État, qui a fait part d’une rencontre s’étant déroulée à Paris, le 12 octobre, entre Salih Muslim, le président du PYD, et Daniel Rubinstein, représentant le Département d’État pour la Syrie. Un porte-parole du PYD a révélé que des entretiens secrets avec les États-Unis avaient lieu depuis 2 ans, et que la seule raison pour garder le silence là-dessus avait été, pour les Américains, de ménager la Turquie (mais ces derniers temps, les USA ont de moins en moins envie de ménager la Turquie). L’essentiel des discussions portait sur l’armement des YPG et sur une coordination de leurs opérations militaires avec l’Armée Syrienne de Libération, comme cela s’est décidé à Afrin-Alep depuis août, ainsi que dans la zone sud de Hassaké. Il n’a pas été fait mention de la coopération militaire des mêmes YPG avec l’armée du régime  baathiste, au nord de Hassaké.

Quant à la France, elle s’est dite prête à fournir des armes aux combattants kurdes de Syrie, selon le porte-parole du gouvernement, Stéphane le Foll, de la même façon qu’elle arme les troupes de l’ASL. Reste à savoir par quelle voie et quel moyen.

Mais l’annonce qui a eu, le 20 octobre, le plus de répercussions dans l’opinion publique kurde, et a eu certainement un goût très acide pour Ankara, a été l’arrivée d’un renfort d’environ 150 peshmergas du Kurdistan d’Irak, avec des armes lourdes, le tout passant la la Turquie, les peshmergas atterrissant à Urfa, tandis qu’un convoi de matériel de campagne franchissait le poste d’Ibrahim-Khalil entre Zakho et Silopi, et faisait route en longeant la frontière syrienne. Massoud Barzani avait demandé au Parlement d’Erbil d’approuver cet envoi de renforts, ce qui fut fait le 22 octobre. Selon Fuad Hussein, il s’agit surtout de palier le manque d’armes des YPG, les peshmergas étant là pour entrainer et former les combattants du PYD au maniement de ces armes, plus que pour affronter directement l'EI.

Mevlut Çavusoğlu, le nouveau ministre des Affaires étrangères turc, a assuré que son pays allait aider les peshmergas à traverser les deux frontières jusqu’à Kobanî, ville que la Turquie ne souhaitait aucunement voir tomber, a-t-il assuré à la presse, et que la coopération avec la Coalition était « entière », tous voulant voir la région débarrassée de cette « menace » (EI). 

Mais Ankara a émis une autre suggestion (une fois écartée celle de la zone tampon dans laquelle se déploieraient ses troupes) : faire tenir Kobanî par l’ASL et non par les YPG, comme l’a expliqué le Premier Ministre Ahmet Davutoğlu, sur les ondes de la BBC, demandant que les USA arment et entraînent les combattants arabes syriens au lieu des Kurdes, de sorte que, lorsque l’EI se serait retiré du canton,  la région serait contrôlée par l’ASL et non par les « terroristes du PKK ».

Les USA, en effet, ne voulant pas plus envoyer de troupes au sol en Syrie qu’en Irak, pour combattre l’EI, sont bien obligés de composer avec les YPG, même si leur ambivalence à l’égard de Bachar al Assad et de l’Iran les rend moins « fiables », aux yeux de Washington, que les Kurdes d’Irak. Mais si les Américains ont été longtemps réticents à armer les Kurdes YPG, en raison de leur opposition à la Coalition nationale syrienne et de leur alliance politique avec le régime, ils sont encore moins chauds pour livrer des armes à une force militaire qui a pris l’aspect d’une nébuleuse aux affiliations incertaines, de plus en plus noyautée par des groupes djihadistes, même si, selon les autorités turques, près de 150-200 combattants de l’ASL auraient rejoint les YPG à Kobanî : autant que ces derniers leur laissent donc le terrain pour de bon, semble dire Ankara. Ce renfort a été confirmé par un commandant syrien parlant à CNN, ainsi que par le PYD (avec des variations sur le nombre d'hommes). L'agence Firat news, organe de presse du PKK, a même indiqué que des combattants de l’ASL étaient venus par la frontière turque, dans huit véhicules, pour gagner Kobanî sans encombre. On voit que les soldats turcs sont tellement occupés à flinguer les Kurdes qui s’approchent trop près de cette frontière, que les djihadistes de tous bords ont toute facilité, eux,  pour entrer et sortir.

Les parachutages de munitions et de matériel médical sur Kobanî par les Américains ont commencé avant même l’annonce de l’arrivée du convoi en provenance du Gouvernement Régional du Kurdistan (avec lui aussi, en plus d’armes lourdes, des équipements militaires et du matériel médical). John Kerry qui, au Caire, avait répondu que Kobanî n’était pas un de leurs objectifs  prioritaires ou stratégiques, déclarait finalement, en Indonésie, qu’il serait « irresponsable » et « moralement très difficile » de ne pas venir en aide aux YPG, qui combattent « vaillamment » l’EI, même s’il « comprenait » l’inquiétude de la Turquie à voir armer la branche syrienne du PKK. Cette volte-face américaine, précédant la volte-face turque, vient peut-être du fait que la sur-médiatisation de la bataille de Kobanî ferait de la chute de la ville une victoire morale et politique retentissante de l'État islamique, tout en entachant la stratégie américaine, au sein de la Coalition, de passivité et d'inefficacité face aux avancées des djihadistes.

Quand le convoi de peshmergas a franchi la frontière turque, il a été escorté par une foule en liesse, de Duhok à Zakho, et puis tout le long de la route, de Silopi à Suruç. La police turque a tiré plusieurs fois en l’air et a tenté de disperser les attroupements avec des gaz lacrymogènes. C’est que le périple des camions arborant les drapeaux du Kurdistan, faisant fleurir sur leur passage d'autres drapeaux kurdes et les drapeaux du PKK ou du Rojava, n’a certainement pas dû plaire aux Turcs, dont l’armée est évidemment loin de soulever le même enthousiasme quand elle se déploie au Kurdistan. Les autres peshmergas, au nombre de 85, ont eux, atterri à l’aéroport d’Urfa, où ils ont dû attendre de longues heures, dans des conditions de quasi-détention, dont ils se sont plaints, parlant d’une attitude hostile de la part des autorités turques, décidément de fort mauvaise humeur. 

L’arrivée de ces peshmergas et de leurs armes, ainsi que les frappes aériennes, ont-elles changé la donne ? Les assauts d’EI ont été ralentis, certains villages environnants ont été repris (selon les YPG), mais l'EI est toujours dans la ville-est, tandis que l’ouest est tenu par les Kurdes. D’après Rami Abdulrahman, de l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme, la situation a finalement très peu évolué, et l’on en est toujours aux combats de rue. L'EI a réussi à bien s’implanter dans des quartiers de Kobanî, et les Kurdes seraient toujours insuffisamment armés. Le canton perdu n’est donc pas près de renaître de ses cendres, et celui d’Afrin semble dans une situation assez inquiétante, encerclé, cette fois, par Jabhat al-Nusra. Même si ce groupe djihadiste n’a pas la puissance de feu d’EI, la même situation d'enclavement (au nord la Turquie, autour, des forces arabes hostiles, quelles qu'elles soient), confirme la fragilité, voire la non-viabilité du « Rojava », fait de deux poches kurdes dont il ne reste plus qu’une moitié de ville, l’autre voué à subir les attaques, soit d’EI soit celles de ses rivaux djihadistes (voire du régime syrien lui-même, si le PYD était acculé à choisir franchement le camp de la Coalition). 

Dans le même temps, les « négociations » ont repris entre le PYD et le Conseil national kurde, toujours sous patronage du Gouvernement régional du Kurdistan, dans la ville de Duhok, cette fois. Salih Muslim, le 15 octobre, a reconnu que les nécessités nouvelles du terrain obligeaient les « Kurdes à s’unir » et qu’il en avait discuté en privé avec Massoud Barzani. Le 18 octobre, Ibrahim Biro, dans une interview accordée à Rudaw, a parlé d’une « page nouvelle » à tourner pour parvenir à un accord sur l’administration conjointe de ce qu’il reste de « cantons kurdes » en Syrie, en fait une tentative de réactiver ou de mettre en pratique les accords d’Erbil 2012 : gestion communes des partis kurdes de Syrie et des forces armées unifiées. 

Le problème est que, jusqu’ici, le PYD demandait (demande ?) l’unification de ces forces armées sous son commandement à lui, alors que le CNK réclame une coalition des YPG et des peshmergas syriens entrainés au GRK. Les accords d’Erbil n’ayant été jamais acceptés sur le terrain par le PYD, tant qu’il pouvait tenir les cantons à lui tout seul, le CNK espère à présent que le besoin urgent d’aide extérieure et sa faiblesse militaire fassent changer d’avis son rival et le poussent à accepter le partage du pouvoir. Après tout, comme le fait remarquer (naïvement ?) Ibrahim Biro, si le PYD a réussi à conclure un accord avec l’ASL, son ancien adversaire sur le terrain, pourquoi les Kurdes du CNK et les YPG n’arriveraient-ils pas à s’entendre ? Sauf que l’ASL n’a pas vraiment droit de cité dans les régions kurdes, alors que les peshmergas syriens auraient vocation à rester dans ce qu'il reste des cantons, voire à défendre les Kurdes refusant la conscription obligatoire que tente d’implanter le PYD, ou bien à protéger les bureaux des partis du CNK et ses militants, souvent harcelés, attaqués et emprisonnés par les Asayish PYD. Il s’agirait donc de bien plus qu’une alliance de circonstance sur le champ de bataille, comme avec l’ASL et il n’est pas du tout certain que le PYD ait renoncé définitivement à « dissoudre », tôt ou tard, le CNK dans ses propres structure. Quoi qu’il en soit, un accord a bel et bien été signé le 22 octobre à Duhok, en présence de Massoud Barzani : un conseil composé de 30 membres doit administrer les cantons du Rojava, 12 d’entre eux appartenant au PYD, 12 autres au CNK, le reste étant donné aux minorités. Mais hormis Cizîr, le seul des cantons à avoir une frontière commune avec le GRK, où et quand l’accord de Duhok pourrait-il s’appliquer en ce moment ?

Sur le plan militaire, qu'apporte la défense acharnée de Kobanî ? Pas grand chose, d'un point de vue purement stratégique, car tous les villages alentour étant tombés, avant la ville même, aux mains de l"EI, le bourg ne défend plus que lui-même et les milliers de YPG qui y sont encagés, avec pour seule issue, au cas où la ville serait submergée par l'ennemi, la frontière turque, ce qui équivaudrait à une reddition. La question est de savoir si cela valait la peine de vouloir tenir cette place jusqu'au bout, et de perdre autant de combattants (contrairement à l'EI, les YPG tués ou blessés ne sont pas remplacés si aisément), au lieu que de s'être repliés, dès les premières menaces d'encerclement par EI, une fois les civils évacués, sur les deux autres cantons, notamment celui d'Efrîn, qui pourrait être à présent menacé par Jabhat al Nusra. Mais tout cela ne pouvait être fait qu'avant 2013…

Mais cette bataille désespérée, qui s'apparente plus à un Massada qu'à un Fort Alamo bis, a propulsé Kobanî au premier plan des media, avec une pléthore de reportages, dont bon nombre très people, axés sur l'élément féminin des YPG et les prénoms et visages supposés des commandantes : Le siège de Kobanî a éclipsé celui de Sindjar où, pourtant, des milliers de Yézidis sont encore plus menacés, n'ayant pu ou pas voulu fuir vers Duhok ou la Syrie. Les gains diplomatiques s'en sont traduits par une assistance ouverte des USA et celle des Kurdes du GRK, eux qui font, dès le début, figure de good guys face à l'EI, au sein de la Coalition. L'opinion publique kurde, en général, s'est montrée enchantée de ce début visible de réunification-réconciliation des Kurdistan. 

La popularité des peshmergas et du GRK en a été aussi rehaussée : ne pas intervenir du tout à Kobanî les aurait fait passer pour des ingrats, après l'intervention des YPG à Sindjar et Makhmour, et Massoud Barzani, grâce à l'agacement américain envers le jeu trouble d'Ankara, ayant réussi à obtenir de (à arracher à) la Turquie un droit de passage pour ses troupes, évince quelque peu le grand voisin du Nord dans son rôle de "primus inter pares" des affaires kurdes, rôle qu'essaient d'endosser depuis des années le tandem Erdoğan-Davutoğlu. Quelle qu'en soit l'issue, la bataille de Kobanî est, avant tout, un sérieux revers turc.

samedi, novembre 08, 2014

Concert : Musique mystique du Kurdistan iranien




Ali Akbar Moradi est le maître incontesté du tanbûr, ce luth sacré kurde, dont le poète Rumi disait que « sa plainte rompt les chaînes de la vie matérielle dont nos mains sont liées ». Il donnera un concert le vendredi 21 novembre à la Maison des Cultures du Monde (Paris 6), accompagné du percussionniste Habib Meftah Boushehri. 

Billetterie et plan

Concert de soutien à l'Institut kurde