samedi, septembre 27, 2014

Des oliviers d'Afrin au savon d'Alep : l'or des montagnes kurdes


Samedi 27 septembre à 16 h 30, à l'Institut kurde de Paris :


Des oliviers d'Afrin au savon d'Alep 

L'or des montagnes kurdes




Au nord-ouest d’Alep, les montagnes kurdes sont couvertes d’oliveraies dont l’huile se retrouve sur toutes les tables syriennes et qui est aussi la base essentielle du savon d’Alep. En dépit de la guerre, les Kurdes tentent de préserver cette production et ce savoir-faire séculaire. 

 En partenariat avec RONAHÎ, Association des Kurdes de Syrie à Paris.

vendredi, septembre 26, 2014

Passeport pour les langues : initiation à la langue et à la poésie kurdes





Vendredi 26 septembre :  Journée européenne des langues

Dans le cadre de la Semaine des cultures étrangères XIIIème édition Saveurs Couleurs



  •  Initiation à la langue kurde par Joyce Blau 
  •  La poésie kurde : Saveurs et couleurs du langage amoureux, par Sandrine Alexie.

vendredi, septembre 19, 2014

Août 14 : La Grande Guerre des Kurdes. III. Le Rojava.





Sur le front du ‘Rojava’, le combat contre l’État islamique mené par les YPG s’est fait, dans la ville de Hassaké, en coopération avec l’armée syrienne, et pour la récente offensive sur Tell Hamis, avec l’Armée syrienne de Libération, une illustration du grand écart des alliances auquel doit se livrer le PYD sur le terrain. La ville de Hassaké est, pour le moment, divisée en bases militaires prises par EI, d’autres contrôlées par le régime syrien, et les quartiers kurdes tenus par le PYD.

En plus des milices djihadistes de l’EI, les YPG ont parfois, comme les Peshmergas du Kurdistan d’Irak, à lutter contre des tribus arabes sunnites (ou la population locale) tout en s’appuyant sur la collaboration d’autres Arabes, notamment en incorporant à leurs forces des milices sunnites, qui rejoignent, avec les milices chrétiennes et yézidies les forces non-kurdes assistant les YPG ou les Asayish.

Les « cantons » tenus par le PYD sont des poches gênantes sur l’étendue des territoires du nouvel État islamique, surtout ceux de Kobanî et de Cizirê, d’autant que les puits de pétrole du nord de Hassaké sont aux mains des Kurdes. C’est une guerre de positions assez statique, qui se traduit par la prise ou la perte de villages, et les tentatives, de part et d’autre, de rallier les villages arabes qui coupent le peuplement kurde de ce « Kurdistan de l’ouest » qui n’a jamais existé comme portion continue.

Tell Hamis, au nord-est de Hassaké, est une place-forte de l’État islamique, que les YPG tentent de prendre depuis le début de l’année, l’EI tentant d’isoler Qamishlo et de rompre des communications entre les deux villes, ainsi qu’entre Hassaké et Kobanî, avec, en plus des attaques armées, des enlèvements, des attentats suicides et des routes piégées.

Tell Hamis a été le lieu d’une défaite sévère des YPG en janvier dernier. Le 13 septembre, l’ASL et les YPG ont lancé une attaque conjointe, ce qui, au passage, annonce le retour de l'ASL dans une région où ils avaient été totalement absents avec la montée de l’EI. Une polémique sur une trentaine de victimes civiles a éclaté entre des media arabes et les PYD, sur la cause de ces victimes, le PYD accusant les islamistes de se servir de la population comme boucliers humains. 

La montée en puissance d’EI à Raqqa et Hassaké a donc mené les YPG et l’ASL à une trêve de plus et une alliance contre l’ennemi commun, pour ne pas non plus laisser tomber des places d'Alep aux mains des armées du calife. Un accord a été conclu le 22 août (source ANHA) à l’issue d’une réunion entre Abdo Ibrahim, le président du Conseil de défense du « canton d’Afrin » et des commandants YPG, et le général de l’Armée syrienne libre d’Alep, Abdul Jabbar Agidi et d’autres commandants de l’ASL. L’accord porte sur une défense commune d’Alep et de ses environs. Abdo Ibrahim, dans son communiqué à ANHA, a indiqué que la contre-partie demandée par le PYD pour cette défense commune était que l’ASL devait accepter la « particularité des régions kurdes » et du « Rojava ». Cet accord sera étendu à la région « Euphrate » en septembre, entre les YPG, l’ASL et d’autres forces de « l’opposition » qui aboutit à un commandement de forces conjointes, unies contre EI.





L’offensive sur Sinjar, qui se trouve sur le chemin entre Raqqa et Mossoul, mais est aussi la directe voisine de Hassaké, a immédiatement incité les YPG à franchir la frontière à Yaroubia pour défendre Rabia (comme en juin) tandis qu’une déclaration officielle des YPG annonçait une coopération « au plus haut niveau » avec les peshmergas dont 700 s’étaient retirés du côté syrien après la chute de Shingal, certains pour être soignés à l’hôpital de Dêrik (Malikiyah). Les YPG ont aussi ouvert des routes pour permettre aux Yézidis coincés dans la montagne de passer du côté est et 20 000 seraient passés en Syrie. Les media pro-PKK parlent même de 100 000 réfugiés, et ont annoncé la création d’un nouveau camp de réfugiés, Rubarî, à Afrin pour accueillir 30 000 yézidis (en plus de celui de Hassaké) qui vient s’ajouter au camp Newroz dans ce même canton.




En tout cas, des forces militaires yézidies, sur le modèle des Sutoro (les combattants chrétiens du PYD) ont commencé d’être entraînées par les YPG pour la reconquête de Shingal. Les combattants seraient quelques centaines, selon Reuters, majoritairement issus du côté irakien mais il peut aussi y avoir des yézidis syriens. En tout cas, il est fort possible que Shingal, dans sa partie orientale, fasse désormais partie du « front du Rojava », même si le PYD nie toute vélléité d’en faire un 4ème « canton ».

Les YPG ont aussi affirmé avoir combattu à Zummar et Kaské, dans la province de Ninive, ces deux localités ayant été les premières à avoir subi l’assaut d’EI, avant la prise du barrage de Mossoul.

Mais le 19 août, la localité de Djazaa, près de Yaroubia est attaquée et peut-être prise par EI, selon le Monitor, qui tente ainsi de couper l’accès des YPG à Shingal et traverser la frontière librement en contrôlant Yaroubia. Mais les combats autour de Djazaa continuent tout le mois d’août et les YPG ne font pas état de la prise de la localité, parlant de combats acharnés, de lourdes pertes du côté d’EI, jusqu’à la fin août, où ils annoncent avoir repoussé tous les combattants EI de Djazaa, mais les opérations militaires se poursuivent encore.

À Kobanî (‘Ayn al Arab) ce fut une succession de collines et de villages pris et repris. Les YPG annoncèrent régulièrement, tout l’été, de « lourdes pertes » dans les rangs d’EI (en général 100 tués EI pour une dizaine d’YPG, dont certains sont de Turquie). Mais EI a attaqué des villages à l’est autour du 19 août, avec des armes lourdes et des tirs mortiers.



Ces derniers jours, c'est Kobanî qui essuie la plus rude attaque de l"EI, peut-être en riposte à l’attaque de Tell Hamis, ou tout simplement parce que, comme Shingal pour le PDK, Kobanî est le bastion PYD le plus isolé, encerclé sur trois côtés par l’EI, et adossé à la frontière qui semble des plus perméables pour les combattants islamistes (à vrai dire aussi pour les combattants kurdes de Turquie).

L’avancée de l’État islamique et la prise de peut-être 21 ou 16 villages (prise d'abord niée par Salih Muslim) voire de 60 (AFP) a déclenché, comme au Kurdistan d’Irak, une vague de réfugiés se heurtant hier à une frontière turque close, ouverte depuis ce matin. Même si les YPH étaient loin d’être sous-armés par le régime syrien, les armes américaines de l’EI (chars, missile, artillerie) et la vague de combattants qui a reflué d’Irak devant les frappes aériennes mettent la résistance des YPG à dure épreuve et peu à peu, les Kurdes reculent devant une puissance de feu supérieure, et sont peut-être à court de munitions.

Jusqu’ici, les appels du PKK se sont bornés aux Kurdes de Turquie, appelant à une mobilisation générale, comme en juillet dernier. Les media pro-PKK et leurs supporters réclament aussi des frappes aériennes, comme en Irak, voire un armement plus performant fourni aux YPG. Mais là-dessus, on voit mal les USA ou l’UE armer un groupe  affilié au PKK, et surtout allié sur le terrain au régime syrien, ce qui en fait aussi un allié iranien. Le président Massoud Barzani vient juste d'appeler à une réaction internationale pour protéger Kobanî, pensant plus vraisemblablement à des frappes aériennes qu’à un armement des YPG ou une intervention au sol. Il n'a pas fait mention précisément d'envoi de troupes kurdes vers la Syrie, parlant simplement de la nécessité de toutes les parties du Kurdistan à s'unir contre EI. Si les peshmergas devaient franchir la frontière, il faudrait l’assentiment du PYD (ce qu'il refuse depuis 2011) et celui de la Syrie, au moins en principe, en plus de se frayer un chemin au travers des positions tenues par le Baath ou l’Armée syrienne de libération qui, elle, est en train d'intervenir, ce qui confirme l'alliance sur le terrain des anciens ennemis.

Les relations entre le PYD (et donc le PKK) et le GRK vont-elles évoluer ainsi, à la faveur des attaques de l’EI ? 

Si la visite de Massoud Barzani aux commandants du PKK défendant Makhmur a marqué un début de réchauffement, la défiance respective entre le PDK et le PKK ne s’est pas atténuée et, concernant l’action des YPG à Shingal, leur présence dans la montagne, elles ont été à l’origine de réactions et de campagnes médiatiques aussi acrimonieuses de part et d’autre. Tout d’abord, la peu glorieuse fuite  de responsables PDK à Shingal fut une aubaine politique pour les pro-PYD, qui ne se privèrent pas d’opposer la glorieuse résistance des « cantons » devant EI depuis des mois et la valeur militaire des YPG, frugaux révolutionnaires devant les Peshmergas, peu entraînés et amollis par la prospérité ou l’esprit de consommation du GRK, leurs villas et leur Monica (Land Cruiser). On aurait cru entendre Ibn Khaldoun sur la décadence des États prospères… Du côté des pro-PDK, on se méfie des menées du PYD à Shingal, accusé de vouloir y proclamer un 4ème canton, qui serait dirigé par les nouvelles forces yézidies qu’il entraîne pour défendre la région. Une visée qui pourrait avoir l’assentiment des Yézidis rendus amers par la défection d’Erbil à leur égard, défection que le PKK ne s’est pas privé de démontrer avec insistance auprès des rescapés. Le journal Basnews a même parlé d’ « entrave » opposée aux Peshmergas et aux frappes US par les YPG pour libérer totalement Shingal. 

Après tout, Shingal est plus frontalier du canton de Cizirî que d’Erbil, dont il est séparé par Mossoul. Mais s’il est possible qu’une base PKK s’installe à Shingal comme à Qandil, il est plus douteux que cela soit officiellement entériné comme un canton PYD. Par ailleurs comme la nouvelle a été confirmée par Osman Öcalan, on peut être à peu près sûre qu’elle est fausse. Il n’est pas non plus avéré qu’une fois le danger d’EI passé, les yézidis de Shingal soient tous enclins à vivre dans un PKKistan (pour autant que les cantons du PYD soient politiquement viables à long terme). Par ailleurs, la situation sérieusement compromise de Kobanî peut provoquer un repli de ce qu’il reste d’YPG à Shingal pour accourir au secours du canton.

En ce qui concerne le « soutien » du PKK au GRK il est à relativiser et à décrypter au regard de la politique iranienne. L’Iran (et les chiites en général) étant lui-même une des cibles majeures de l’EI, il n’avait aucun intérêt à ce que le Kurdistan d’Irak tombe, amenant les djihadistes sur sa frontière et fragilisant encore plus l’Irak. Aussi les interventions armées du PKK, à Makhmur et en quelques points de Ninive, ne contrariaient pas sa politique (par contre, la participation de peshmergas du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, surgis des camps de Koya a immédiatement été tuée dans l’œuf par les protestations de Téhéran ; si ces peshmergas ont continué à se battre, ce ne fut pas sous leur bannière politique).

Mais cela n’a pas fait changer d’avis les Iraniens sur les volontés d’indépendance d’Erbil et sa position de plus en plus affermie dans le camp occidental. 

Il faut se souvenir qu’en juillet dernier, Cemil Bayik avait accusé ouvertement le GRK d’avoir été complice d’EI dans la prise de Mossoul, et avait qualifié l’annonce du référendum sur l’indépendance de complot américano-sioniste, propos entièrement décalqués sur ceux du ministère des Affaires étrangères iranien. Le même Cemil Bayik, qui représente l’aile « iranienne » du PKK, a récidivé début septembre, répondant au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Critiquant l’aide occidentale apportée à une seule partie du Kurdistan, il accuse Erbil d’avoir sciemment laissé tomber les yézidis, dans le but de les faire massacrer par EI et ainsi forcer l’Occident à intervenir (à dire vrai, pour forcer l’Occident à intervenir, le plan de laisser massacrer Qaraqosh, ville chrétienne, eût été 500% plus sûr). Cemil Bayik accuse de même les peshmergas de s’être retirés sans combat de Kirkouk et Makhmour (ce qui n’est pas très aimable pour ses alliés de l’UPK ou Gorran).

Et de conclure que la seule façon de vaincre l'EI est d’armer les YPG et non les peshmergas, sans quoi ces armes se retrouveront aux mains de l’EI (suivant le scénario de l’armée irakienne à Mossoul en juin dernier).

Ces propos ont suscité un certain tollé parmi les Kurdes (hormis les pro-Cemil Bayik) et Murat Karayilan, qui occupait auparavant la direction du KCK, et fut ensuite évincé par Cemil Bayik, peu de temps après l’annonce du « processus de paix » lancé par Öcalan, en mars 2013, les a critiqués en sommant Bayik de « s’excuser auprès des Peshmergas et du peuple de la Région du Kurdistan (GRK) ». Ce qui a fait s’interroger la presse sur des dissensions (rien de nouveau, d'ailleurs) à l’intérieur du commandement intérimaire du PKK, Cemil Bayik représentant l’aile dure anti-GRK et Karayilan pouvant pencher pour une ligne modérée, encline à se réconcilier avec Erbil et, peut-être, adoucir la position intransigeante dictée au PYD concernant leur hégémonie au Rojava, et les persécutions politiques dont se plaignent les partis kurdes syriens du CNK. Il y a aussi, tout bonnement, une ligne s’attachant à rester dans le camp iranien et une autre qui colle davantage, après tout, à la ligne d’Imrali, même si le choix d’une réconciliation avec la Turquie est maintenant compliqué par la position ambiguë de cette dernière envers l’État islamique, auquel elle a l’air de s'opposer autant que le PYD s’oppose au Baath…

Les frappes d’une coalition internationale menée par les USA, contre les bases de l'EI en Syrie, s’annoncent proches. Si cela soulagera les YPG en desserrant l’étau, cela ne contribuera sans doute pas à les rapprocher de l’ASL (une fois le danger commun écarté, les alliances de circonstances peuvent tomber) ni les éloigner du régime syrien, dont ils dépendent trop à Qamishlo et Hassaké. Or l’appartenance au Conseil national syrien est une condition sine qua non pour faire partie des représentants reconnus comme légitime par l’Occident des Syriens de l’opposition (ce qui fait que des membres du Conseil national kurde, même méfiants en grande partie envers les Syriens arabes, y sont représentés).

D’un autre côté, la valeur militaire des YPG et le fait que ce soit, à l’est de la Syrie, le seul groupe armé capable de repousser EI, peut être pris en considération, nonobstant l’hostilité de la Turquie, de plus en plus déconsidérée dans sa politique syrienne et au Kurdistan d'Irak. Mais tant que la politique du PYD est de refuser tout partage du pouvoir au « Kurdistan de Syrie » et surtout de rester allié au Baath, son « dossier » restera probablement dans le rouge d’une coalition occidentale. D'un autre côté, si Kobanî tombe, la Coalition internationale risque d'être dans un embarras qui peut se traduire par : quel est le pire ennemi à laisser vivre ?


Turquie, héritage kémaliste


Vendredi 25 septembre à 20h45, sur la chaîne Toute l'Histoire : Turquie, l'héritage kémaliste, d'Anne-Fleur Delaistres (France, 2014).

Rediffusion dimanche 28 septembre à 18h38
Que reste-il de la révolution kémaliste, 90 ans après la naissance de la République de Turquie ? Lorsque qu'il instaure la République en 1923, Mustafa Kemal entreprend une véritable révolution nationale faisant du pays un Etat laïc, moderne et occidentalisé. Au prix de méthodes radicales et autoritaires, ce stratège militaire et fin tacticien politique finit par imposer sa vision : laïcité, droit des femmes, nationalisme. Comment, en 2014, le pays fonctionne-il grâce à son héritage? Comment le kémalisme a-t-il résisté à l'épreuve du temps et aux différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis la mort d'Atatürk en 1938 ?

lundi, septembre 15, 2014

SOUTIEN AUX CHRÉTIENS ET YÉZIDIS DÉPLACÉS



Les chrétiens, les yézidis et les autres minorités religieuses menacées dans leur existence par les jihadistes de l’Etat Islamique sont accueillis au Kurdistan. 
L’aide humanitaire internationale fournie par les agences de l’ONU et par les ONG est malheureusement encore loin d’être à la hauteur de l’ampleur des besoins urgents de plus de 1.400.000 de déplacés et réfugiés qu’absorbent actuellement le Kurdistan irakien.
 
Chacun, chacune peut apporter à cet effort de solidarité sa propre contribution en fonction de sa sensibilité.
 
L’Institut kurde propose de collecter des contributions destinées à la scolarisation des enfants.
 
En raison des distances et des coûts élevés de transport seuls les dons d’argent sont acceptés.
 
Les sommes ainsi recueillies seront intégralement utilisées pour l’achat sur place de fournitures scolaires et soutien aux écoles organisées dans les camps de réfugiés.
 
L’institut kurde étant une fondation reconnue d’utilité publique vos dons seront déductibles de vos impôts (à hauteur de 60%) sur la présentation des reçus fiscaux qui vous seront envoyés.
 
Vous pouvez adresser vos dons par chèque ou directement sur internet : 
 
http://don.institutkurde.org

vendredi, septembre 12, 2014

Août 14 : La Grande Guerre des Kurdes II. L'État islamique

Territoires tenus par EI le 4/9/14
source wikipedia



L’État islamique continue sa guerre de terrain pour unifier et sécuriser ses territoires de Raqqa à Mossoul, ce qui l’amène à tenter une offensive de conquête dans les provinces voisines de Hassaké et de Ninive, luttant à la fois contre l’armée kurde des Peshmergas et les YPG du PYD-PKK. Si l’EI réussissait à faire tomber Serê Kaniyê et Qamishlo, la carte de cet État, sur sa frontière nord, ressemblerait fort à ce Rojava rêvé du PYD et d'autres Kurdes syriens, qui couvrirait l’ensemble des territoires kurdes comme arabes, bordant la Turquie : 




Pour le moment, il ne s’agit que d’une guerre de harcèlement dans les localités avoisinantes, contre les Kurdes, en tentant, à Hassaké comme à Ninive, de rallier des tribus arabes sunnites hostiles à un pouvoir kurde. Les places emportées par l’EI, comme Tell Hamis et Al-Shadadi n’ont pu être reprises par les YPG, mais ses tentatives d’attaquer et d’isoler Qamishlo et Hassaké, ou d’assiéger Serê Kaniyê n’ont pas abouti non plus à des avancées susceptibles de faire tomber les deux cantons de Cizîrê et Kobanî, même si la poussée d’EI doit logiquement le mener au nord de Hassaké et ses puits de pétrole.

Les attaques militaires sont accompagnées d’attentats suicides et d’enlèvements dans ces zones. Pour le moment, les positions tenues par les YPG et EI restent, finalement, assez stables, les assauts des milices djihadistes s’étant surtout lancées sur Shingal-Sindjar et Mossoul (avec la prise temporaire du barrage et de puits de pétrole). Il faut voir la prise de Shingal comme la continuité de ce « nettoyage » de Hassaké-Ninive, la région kurde se trouvant isolée en plein territoire de l’EI depuis juin, avec pour seul couloir « kurde » le poste-frontière séparent les villes de Rabia-Yaroubiah, relativement loin de la ville de Shingal (et entre, les montagnes). 




Il semble que ce soit à la fois des milices venues de Mossoul (celles qui ont pris la ville en juin) et d’autres du sud de Hassaké qui se soient simultanément lancées à l’assaut de Shingal, pris en tenailles. Après avoir saisi Shingal, ce fut logiquement Rabia-Yaroubiah, le seul poste frontière syro-irakien (avec Pesh Khabour) tenu par les Kurdes, YPG et Peshmergas, et qui a servi de couloir de repli pour les Peshmergas et d’évacuation des Yézidis ayant réussi à fuir par l’ouest vers la Syrie. Mais entre le 3 et le 4 août, sous les attaques conjointes des YPG et des Peshmergas, EI a dû renoncer à prendre ce poste, même si la guerre de position continue dans ses environs.

L’autre front syrien de l’EI a été Raqqa et trois bases tenues par le régime sont tombées entre juillet et août, dont celle de Tabaqa, dont l’aéroport militaire, la dernière place-forte du régime dans la province, le 24 août. Autour de 250 soldats syriens capturés ont été emmenés dans le désert pour y être exécutés en masse. La férocité de cette répression peut s’expliquer à la fois par les pertes qu’a subies lui-même EI, car la bataille fut longue et rude, et par le fait que combattant pour le régime alaouite, ces soldats sont considérés comme infidèles ou hérétiques, quelle que soit leur confession.

Par ailleurs, il a pu être établi dans l'identification de corps de miliciens que certains avaient été recrutés de force par EI au sein de la population locale, sommée de donner un fils au combat ou une fille aux combattants. Des raids de représailles avec enlèvements d’hommes ont eu lieu dans la province de Kirkouk, dans des villages occupés par EI, même contre des populations sunnites.

Sur l’autre front d’EI, le sud, entre Kirkouk et l’Irak sunnite, EI tente de même d’unifier et de sécuriser ses territoires afin de former une bande continue entre Diyala-Anbar et Mossoul et le plus grand massacre de soldats (800) a été perpétré en juin, en Irak, et vient d’être révélé, notamment par Human Rights Watch, avec le récit d’un des 20 survivants. 1500 soldats fraîchement recrutées et envoyé au camp d’entraînement Speicher, à Tikrit, auraient été trahis par leur haut commandement (ce que les officiers concernés nient) qui leur aurait assuré qu’un accord avait été conclu avec EI leur assurant une retraite sauve, s’ils quittaient la base sans armes. Ils ont été en fait livrés par des tribus sunnites hostiles à ces troupes majoritairement chiites. EI affirme, sur ses sites, en avoir exécuté 1700, et HRW peut confirmer la mort d’environ 700 soldats, en estimant que ce chiffre sera revu à la hausse.

Le traitement des minorités tombées aux mains des combattants d’Al-Baghdadi continue à se conformer à une interprétation tout à fait littérale du Coran en ses sourates guerrières (surtout issues de la période médinoise, par exemple celle qui frappa de mort ou d’esclavage les juifs Banu Qurayza). En principe, les chrétiens refusant de se convertir ou de partir doivent se conformer à un statut inférieur et payer tribut, les religions non reconnues comme « révélées » ou les dissidences musulmanes « hérétiques (surtout les chiites) doivent se soumettre à l’islam ou mourir. Mais toute population, protégée ou non par la dhimmiya, qui a combattu les armées musulmanes tombe d’emblée dans le statut de « captifs », c’est-à-dire d’esclaves de guerre, comptés comme butin. Les combattants sont exécutés, les femmes emmenées comme concubines ou esclaves promises à la vente, les enfants, étant de même propriétés des vainqueurs, peuvent être séparés de leurs mères , vendus à part, et bien sûr élevés dans l’islam. Les biens des captifs de droit reviennent aux djihadistes. Il est à noter que la conversion à l’islam des esclaves n’implique pas nécessairement leur affranchissement.

Les yézidis sont le groupe le plus frappé par cette répression « politico-religieuses » dont tous les aspects sont énumérés dans la définition du génocide, telle que l’énonce l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948), à savoir :

a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.  »


C’est ainsi que le 15 août, les djihadistes ont tué au moins 80 hommes du village yézidis de Koço, près de Shingal, (d’autres chiffres feraient état de plus de 300) dans un raid meurtrier qui semble avoir pour but la prise d’esclaves femmes (plusieurs centaines) et d'enfants, emmenés à Tell Afar, ainsi que le pillage. Un survivant de ces massacres, sauvé, caché et nourri par un voisin musulman a pu s'évader vers le Kurdistan et son témoignage a été recueilli par Amnesty International, qui a estimé que les minorités du nord de l’Irak subissait un « nettoyage ethnique ». D’autres tueries sont probablement restées pour le moment ignorées, comme peut le laisser penser la découverte, le 10 septembre, d’une fosse commune contenant les corps de 35 yézidis, parmi eux des femmes et des enfants, à Zummar.

Un rapport du Haut Conseil des affaires féminines de la Région du Kurdistan a, le 30 août, indiqué un chiffre de 700 femmes yézidies tombées dans l’esclavage, ou forcées d’épouser légalement des musulmans. Certaines ont pu téléphoner à leur famille, avec des téléphones portables fournis par les djihadistes eux-mêmes. De leurs récits, il ressort que le sort de la majorité, séquestrée, violée et maltraitée, relève plus de celui des « femmes de réconfort » enlevées par l’armée japonaise durant la dernière guerre, que des captives-concubines ou épouses mentionnées dans le Coran. Le mariage légal avec un musulman implique de toute façon leur conversion « volontaire ».

Toutes ne sont pas reléguées à Mossoul, une partie d’entre elles a été envoyée à Raqqa, Alep ou Hassaké. De très rares victimes ont pu s’échapper et regagner le Kurdistan, certaines ont eu la chance, lors de leur vente, d’être « achetées » par des Arabes pour les sauver et les rendre à leurs familles. Tous les enfants nés en captivité ont été enlevés à leurs mères. On estime que le prix d’une femme yézidie tourne autour de 1000 $, et varie bien sûr selon son âge, sa beauté et sa virginité, les vierges étant souvent réservées pour défloration par les commandants et données ensuite aux miliciens de base.

D’autres fois, les hommes yézidis ont été épargnés mais obligés d’apostasier publiquement leur religion et la cérémonie de « conversion » a été filmée et diffusée sur les réseaux sociaux de l’EI, afin d’inciter l’ensemble des yézidis (surtout ceux restés bloqués dans la montagne de Shingal) et des autres « infidèles » d’embrasser l’islam.

Les yézidis ne sont pas la seule minorité religieuse kurde promise à la mort. Les Kakay (ou yarsans) sont tout polythéistes, apostats ou hérétiques aux yeux des djihadistes, mais jusqu’ici, ils ont pu échapper aux massacres de masse subis par les yézidis. Par contre, des lieux saints leur appartenant ont été détruits dans le district de Hamdania (province de Ninive), comme cela a été le cas pour tous les monuments jugés non conformes à la sharia, qu’ils soient ou non musulmans.

L’autre front de l’EI, la Diyala, a été marqué par la résistance farouche des 12 000 chiites turkmènes de la ville d’Amerli, au sud de Khuz Turmatu, encerclée et assiégée par EI depuis juin dernier et à court d’eau et de vivre, sans électricité, n’ayant pour forces de défense que des milices locales, recrutées parmi la population. Finalement, l’aviation américaine a été autorisée, le 27 août, par Barack Obama à frapper les assiégeants, en même temps qu’elle larguait des secours et des vivres aux habitants. Des hélicoptères irakiens ont aussi largué des vivres et des munitions en bravant les tirs de l’EI, dans des missions qualifiées de « suicides » par le colonel irakien Mustafa Al-Bayati.

Mais l’aide humanitaire ne pouvait protéger les Turkmènes du massacre qui les menaçait si la ville tombait et Nickolay Mladenov, le représentant des Nations Unies pour l’Irak a appelé à une intervention d’urgence pour sauver la ville, sous peine de lui voir connaître le même sort que Shingal. 

Finalement, le 31 août, à la faveur du soutien des bombardements américains, les armées kurdes et irakiennes ont pu briser le siège au nord de la ville, l’avance étant rendue difficile par les mines posées sur les routes par EI.

La résistance héroïque des Turkmènes d’Amerli indique un des effets contraires de la stratégie de terreur adoptée par l’État islamique : si dans un premier temps, les populations, terrorisées par la férocité des djihadistes, peuvent céder à la panique, fuir ou se soumettre sans combat, le sort implacable promis aux « infidèles » et largement médiatisé dans les réseaux sociaux, peut pousser les populations visées à une résistance désespérée afin d’échapper à un sort conçu comme pire que la mort.

En représailles aux bombardements américains et à la contre-offensive des Peshmergas récemment armés par les États-Unis et l’Union européenne, EI, qui a dû se replier des lieux occupés début août, a décapité devant caméra deux journalistes et un Peshmergas, en tenue orange (rappel des détenus d’Abu Ghraib ou de Guantanamo) menaçant de tuer d’autres otages occidentaux ou kurdes.

Parmi les pertes subies par l’État islamique, figure un commandant militaire connu sous le nom d’Abu Omar Al Shishani, qui était en fait un Tchétchène, né en Géorgie, Tarkhan Batirhvili, tué lors de la reprise du barrage de Mossoul. Il était considéré comme un élément assez extrémiste en Syrie, selon Graphic News. Ayant d’abord combattu la Russie dans l’armée géorgienne entre 2006 et 2010, il doit quitter l’armée atteint de tuberculose. Emprisonné pour détention illégale d’armes, il est relâché en 2012 pour raison de santé. Il part alors en Syrie combattre Assad et se rallie en 2013 à Abu Bakr al-Baghdadi. Il s’illustre surtout à Deir ez Zour contre d’autres groupes rebelles. Les Kurdes affirment avoir tué d'autres commandants militaires d’importance dans les rangs d’EI.

Quant à Abu Bakr al-Baghdadi, il aurait déjà fui Mossoul, via un convoi de 30 Hummer, pour regagner son fief plus sûr du nord-syrien, selon un responsable kurde, le porte-parole du PDK, Saeed Mammo, interrogé par Asharq al Awsat, par crainte des frappes américaines. 

Les attaques d'EI sont motivées à la fois par la volonté politique d'installer sa juridiction sur un territoire cohérent et homogène, avec des voies de communication sûres, ainsi que celle de mettre la main (en tout cas de le tenter) sur les puits de pétrole ou par exemple le barrage de Mossoul qui lui permettraient de contrôler les besoins énergétiques de ses territoires (et de ceux de l'ennemi). Quant aux attaques ciblant particulièrement les minorités, elles obéissent aussi à un autre impératif économique et politique : rallier des combattants par la promesse d'un butin humain et matériel, mais aussi entretenir ses troupes en leur réservant la part qui leur est dévolue par le Coran lors des conquêtes sur le Dar al Harb (territoire de la guerre), soit les 4/5e, ce qui dispense le calife de verser une solde.  L'État islamique ne peut donc être économiquement viable sans ses dhimmis soumis à la taxation et sans Dar al Harb ou 'territoire de la guerre'. C'est ce qui occasionna, entre autres problèmes internes, la chute des Omeyyades : si l'État islamique prenait modèle sur les premiers temps de l'organisation politique de l'Islam, il aurait paradoxalement besoin de l'existence des chrétiens (soumis à l'impôt des non-musulmans) car il n'était pas d'usage, alors, de taxer les musulmans en dehors de l'aumône légale. Les chrétiens ayant fui, les yézidis n'étant pas éligibles à la dhimmia, restent, si les puits de pétrole lui sont repris ou sont insuffisants, les ressources de l'Anfal, le butin en esclaves et en bien confisqués sur l'ennemi impie, dont il a tout autant besoin de perpétrer l'existence, pour s'assurer cette provende en esclaves et en pillages. 

Ce qui fait que cet État s'apparente assez à la structure politique et religieuse des ghazi, ces 'combattants de la foi', s'illustrant par des raids tenant autant de l'expédition militaire que du brigandage, aux frontières du Dar al Islam : ainsi  les mercenaires employés par les Samanides dans le Khorassan encore non converti, ou bien par Mahmoud de Ghazna en Inde, ou plus proche géographiquement, les troupes utilisées par les Seldjoukides pour harceler les marches byzantines. Il s'agissait à la fois d'actes de pirateries qui permettait aussi aux souverains de se débarrasser d'éléments guerriers séditieux, en les attirant sur des terres ennemies, comme d'actes de 'Djihad' visant à accroître le territoire des croyants. Pour assurer sa survie interne, le Dawlat al Islam a besoin du Dar al Harb, car c'est de la guerre qu'il tire sa justification et son existence.

Prochainement : III. Le Rojava.

Renaissance du Califat ?

Samedi 13 septembre à 10 h 00 sur France Culture : Renaissance du Califat ? avec Gabriel Martinez-Gros, professeur d'histoire médiéval du monde musulman à Paris-X ; Concordance des temps, J-N. Jeanneney.

mercredi, septembre 10, 2014

SÎMAV, "EAU ARGENTÉE"

Lundi 15 septembre sur ARTE à 23 h 45 : SIMAV, Eau argentée – Syrie, autoportrait, de Wissam Sîmav Bedirxan et Ossama Mohammed.



"De son exil parisien, il suit la révolution et la terrible répression qui ensanglante la Syrie. Il en fait un film Eau Argentée, Syrie autoportrait qui est constitué d’une multitude d’images prises avec des téléphones portables, postées sur youtube ou ailleurs. « En Syrie, les youtubeurs filment et meurent tous les jours. Tandis que d’autres tuent et filment. A Paris, je ne peux que filmer le ciel et monter ces images youtube, guidé par cet amour indéfectible de la Syrie. De cette tension entre ma distance, mon pays et la révolution est née une rencontre » déclare le cinéaste. 
Cette rencontre est de Ossama Mohammed et de Wiam Simav Bedirxan, une jeune femme d’origine kurde qui a filmé la ville de Homs sous les bombes. Le film est l’histoire de ce dialogue par images interposées, mais aussi de bien d’autres choses : un monologue poignant sur l’exil, une réflexion sur le cinéma et le pouvoir de l’image. Le film recueille aussi bien des images des opposants et de témoignages des atrocités commises par le régime de Bachar el-Assad contre son peuple, que des images filmées par les tortionnaires eux-mêmes des supplices infligés à leurs prisonniers. Les images des victimes et les images des tueurs, avec des scènes insoutenables de cadavres de civils et d’enfants, d’humiliations et de tortures. 
Au-delà du documentaire et même du film essai, une œuvre de cinéma importante capable à partir d’une tragédie majeure de notre époque (150 000 morts et 6,5 millions de personnes déplacées depuis mars 2011) d’élaborer une mosaïque d’images et de sons qui explore avant tout la puissance du cinéma, comme force de résistance et d’oppression, par un cinéaste poète qui questionne la notion même de l’acte de filmer et d’associer une image avec une autre, une image et un son, sans oublier la notion d’auteur – le film est celui de tout le peuple syrien, d’un homme et d’une femme qui ne se sont jamais rencontrés."

jeudi, septembre 04, 2014

Août 14 : La grande Guerre des Kurdes I. Le Kurdistan d'Irak

Le 1er août, en visite à Khanaqin, le président Massoud Barzani annonçait aux peshmergas l’arrivée imminente d’armes plus performantes que celles dont ils étaient actuellement équipés, afin d’être en mesure de lutter contre l’État islamique, lui-même en possession d'un armement sophistiqué de provenance américaine, laissé par l’armée irakienne dans sa fuite de Mossoul. 





Dès le lendemain, 2 août, des combats éclataient entre l'État islamique et les Peshmergas autour des villes de Zummar (à l'ouest du barrage de Mossoul, au nord de Tell Afar), jusqu’à ce que ces derniers se retirent, que ce soit parce qu’ils étaient à court de munitions ou pour laisser l’aviation irakienne bombarder les positions ennemies. Dans le même temps, un convoyage de renforts militaires kurdes faisait route vers la zone des combats. Les habitants avaient déjà commencé de fuir vers des régions sécurisées. 

Les attaques d’EI au début d’août, avaient, semble-t-il, deux objectifs :

D'abord la possession des puits de pétrole et de l’oléoduc de Mossoul. C’est ainsi que les champs d’Ain Zala et de Batma al Murtafa ont été conquis, et que le contrôle total de l’oléoduc reliant le nord de l’Irak à la Turquie tombait aussi dans leurs mains.

Le second objectif était le barrage de Mossoul, tenu par les Peshmergas, auxquels EI donna un ultimatum de 2 h pour l’évacuer, dans le même temps où ses assauts commençaient. La perte du barrage de Mossoul soulevait,  dans tout l’Irak, la crainte d’une noyade massive jusqu'à Bagdad, au cas où l'EI déciderait, dans un geste suicidaire, certes, de lâcher les eaux, ou bien s’ils s’avéraient incapables d’en assurer la maintenance.

Mais EI lança une autre attaque surprise à Şingal (Sindjar en arabe), région historique et sacrée des yézidis kurdes, mais située très à l’ouest de Mossoul, dans une zone sans frontière commune avec le Kurdistan, non loin de la Syrie, et facilement encerclé par l'EI au fur et à mesure qu’il prenait le contrôle de la province de Ninive-Mossoul. 





Le 3 août, des unités djihadistes foncèrent soudain en direction de la ville de Şingal, surprenant les Peshmergas sur place, dont certains officiers et responsables s’enfuirent sans résistance, d’après les témoins oculaires. En quelques heures, le drapeau d’EI flottait sur le bâtiment anciennement occupé par les militaires kurdes. Immédiatement, des milliers de Yézidis et de Shabaks partirent, soit vers la province de Duhok, soit dans la direction des montagnes de Şingal, où ils se retrouvèrent très vite piégés, sans eau, ni vivres ni secours, et totalement assiégés par EI, alors que les djihadistes s’occupaient  à détruire les lieux et bâtiments sacrés des yézidis, comme ils avaient fait aux monuments musulmans et chrétiens de Mossoul. 

Les forces kurdes restés sur places (Peshmergas et Zeravani) se retrouvèrent eux aussi encerclées sur 3 côtés dans la région, alors que les forces YPG passaient la frontière syrienne pour participer au combat, du côté est.

Le 4 août, il était certain que Zummar et Şingal avaient été conquis par l'EI, tandis qu’au sujet du barrage de Mossoul, des rapports contradictoires faisaient tour à tour état de son contrôle par les Peshmergas, et de sa prise par EI, jusqu’à ce que, le 8 août, le chef du cabinet présidentiel du Kurdistan, Fouad Hussein, annonce la prise effective du barrage.





Dès le 5 août, de source officielle kurde, des renforts de Peshmergas étaient revenus dans la ville de Şingal  et un correspondant de Rudaw indiquait qu’environ 10 000 hommes encerclaient la ville, et en avaient atteint le centre, en essayant d’en repousser les djihadistes. D’autres unités faisaient aussi route vers les monts pour essayer de briser le siège subi par les yézidis.

Le 8 août, à l'est de Şingal, les YPG du PKK syrien, passant la frontière, parvenaient à établir un corridor de sécurité et assuraient l’évacuation vers la Syrie de milliers de yézidis coincés dans les montagnes, alors que les largages humanitaires, américains, anglais ou irakiens, de vivres et d’eau, s'avéraient insuffisants en raison du terrain, du nombre des assiégés et de leur dispersion dans une vaste zone montagneuse. Les tirs d’EI contre les hélicoptères et les avions irakiens rendaient aussi difficile l’accès aux réfugiés et empêchaient les avions de descendre trop bas pour larguer les kit de survie, ce qui entraînait la destruction importante de beaucoup d’entre eux quand ils touchaient le sol. Les premières évacuations des réfugiés par hélicoptères eurent aussi lieu autour du 11 août mais furent rendus difficiles en raison du très grand nombre de personnes dans la montagnes et des tirs d’EI, contre les hélicoptères.




Des violents accrochages avaient aussi lieu pour défendre la frontière de Rabia dans des actions conjointes avec les YPG (qui tiennent le côté syrien de Yaroubia), comme aux premiers jours de juin. 





Le 6 août, de Qandil, le commandant militaire du PKK, Murat Karayilan, appelait, dans le journal turc Radikal, « tous les groupes armés kurdes » à s’unir contre EI et souhaitait un « commandement conjoint », tandis que le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran préparait aussi ses unités de combat pour venir assister les Peshmergas.

Dans un discours où il s’adressait à toute la nation kurde, le président Massoud Barzani avait déjà annoncé une tactique offensive et non plus défensive, si bien que les Peshmergas se sont mis à attaquer plusieurs positions d’EI, que ce soit à Mossoul, dans la région de Kirkouk ou de Khanaqin. Mais l’importance de la ligne de front (plus de 1000 km) et les manques en armes et en munition des Kurdes eurent pour conséquence, dans un premier temps, le recul des Peshmergas de leurs positions initiales.

Les habitants des localités avoisinant Mossoul, (dont beaucoup de chrétiens) avaient commencé de fuir eux aussi vers les régions plus au nord, comme Sheikhan, tant en raison des bombardements de l’armée irakienne que par crainte des avancées de l’EI, notamment dans la région d'al Hamdaniya et Tell Kayf, où les Peshmergas et l’EI s’affrontaient durement sur le terrain, , alors qu’EI s’emparait peu à peu de ces régions habitées par les chrétiens, yézidis et shabaks, ce qui entraîna une autre vague massive de réfugiés vers les régions d’Erbil et de Duhok. 





Le 7 août, les Peshmergas de la grosse ville chrétienne de Qaraqosh (Baghdida) (environ 50 000 habitants), probablement en danger d’être encerclés et de voir se répéter la catastrophe de Sinjar, reçurent subitement l’ordre de se retirer de la ville. Cette fois, ils ont pu avertir – même si très soudainement – les habitants, qui durent quitter les lieux en pleine nuit et marcher des heures jusqu’à Erbil, s’entassant dans la bourgade chrétienne d’Ankawa. Tell Kayf, Bartella, Al Qosh ont été de même évacués et, finalement, des dizaines de milliers de chrétiens viennent s’ajouter aux réfugiés yézidis et shabaks, entre les provinces d’Erbil et de Duhok.




Plus au sud, le 6, des attaques d’EI avaient commencé de menacer Makhmour, dans la région d’Erbil, et des accrochages lourds eurent lieu avec les Peshmergas, ainsi qu'avec les unités du PKK venues en renforts (Makhmour abrite un camp de réfugiés kurdes de Turquie, plus ou moins encadré par le PKK). Les femmes et les enfants furent évacués du camp et les PKK s’y déployèrent.   




Le 8 août, Makhmour n’étant qu’à 40 km d’Erbil, les USA prenant prétexte de la menace encourue par leurs ressortissants vivant dans la capitale kurde, commencèrent à frapper EI dans cette zone, ainsi qu’à Şingal où la population était menacée de génocide. 




Tuz Kurmatu, une des positions les plus au sud de Kirkouk, tenue par les Peshmergas, a essuyé aussi des attaques. Le 11 août, à Jalawla, près de Khanaqin, les avances d’EI provoquèrent là aussi la fuite des habitants, alors que le drapeau d’EI flottait déjà sur plusieurs quartiers. 





Gwer (al-Quwayr en arabe), à 30 km d’Erbil a été le siège de combats violents, comme à Khanaqin. Des renforts de Peshmergas sont arrivés de Suleimanieh, mais le 14, des mouvements importants de troupes d’EI en direction de Gwer, notamment en traversant le Petit Zab, amena l’armée irakienne à accroître le débit du cours d’eau à partir du barrage de Dokan pour gêner leur progression (le débit passe de 70 m cubes à 300 m3 par seconde).




À la mi août, les frappes américaines permettant aux troupes kurdes de reprendre du terrain, des régions près de Mossoul et Tell Kayf sont reprises, ce qui permet d’entreprendre la reconquête totale du barrage, ainsi que des champs de pétrole (auxquels les djihadistes ont mis le feu avant de les évacuer).

Dès le 18, les Peshmergas annonçaient que le barrage avait été « nettoyé » des combattants d’EI mais que ces derniers avaient piégé les bâtiments à l’explosif, ce qui ralentissait leur avance. Mais le 19, le président américain Barack Obama pouvait assurer que le barrage était à nouveau sous le contrôle des Peshmergas et de l’armée irakienne. Une opération conjointe entre forces irakiennes et kurdes entreprenait alors de reprendre Zummar, tombée le 2 août, alors que les frappes américaines se poursuivaient dans la région de Mossoul et non loin d’Erbil. Le 20, les Kurdes avaient avancé jusqu’à Rabia, près de la frontière syrienne, où les affrontements avec EI ont incité des villageois à passer la frontière pour se réfugier dans les zones tenues par le PYD, à Hassaké.

Aux premiers jours de septembre, les combats des Peshmergas en territoires kurdes ou frontaliers du Kurdistan se concentraient à la fois sur la reprise de la région de Tell Kayf, au nord de Mossoul, et de Tuz Khurmatu, au sud de Kirkouk. Les zones dont le contrôle est encore disputé entre Kurdes et L’EI sont, sur la frontière occidentale, Yaroubiah-Rabia (à la fois défendue par les YPG et les Peshmergas) ainsi que que Jalawla (un point stratégique car ouvrant la route vers Bagdad) et la région de Khanaqin, où l’armée irakienne et les Kurdes affrontent l’EI.

La retraite désastreuse de Şingal et les conséquences dramatiques qu’ont eu à subir les yézidis ont été un choc humiliant pour les Kurdes d’Irak (le PKK et le PYD ne se sont pas privés d’opposer ironiquement leurs prouesses militaires et leur action salutaire à Şingal aux revers des Peshmergas). Les responsables administratifs, policiers et militaires en charge de Şingal, coupables de fuite devant l’ennemi, ont été relevés de leurs fonctions par un Massoud Barzani furieux, et font l’objet d’une enquête. Il est à noter que tous les Peshmergas n'ont pas déserté Şingal, que d’autres commandants ont tenu sur place, mais ont dû tout de même attendre que des renforts et des munitions leur parviennent, comme Ismail Mullah Ahmad ou Qasim Şeşo. Même si très vite, les unités de Peshmergas venues en renforts, ont repris et dégagé une grande partie de Şingal, il était trop tard pour les centaines de milliers de yézidis coincés dans les montagnes ou dans les localités investies par EI. L’évacuation de Qaraqosh, au contraire, même tardive et précipitée, a empêché une tragédie équivalente à celle de Şingal de se reproduire. 

Car paradoxalement, ce conflit, qui voit les Kurdes se battre pour la première fois comme une armée  régulière, les oppose, aussi pour la première fois, à des combattants qui ne sont ni l’armée turque, ni l’armée irakienne, ni l’armée iranienne, mais des forces rebelles, non-étatiques, affranchies de toutes règles internationales modernes. Chaque localité perdue ou temporairement laissée à l'ennemi voit sa population soumise au sort prévu par le Coran dans son application la plus archaïque : les hommes capturés se soumettent à l'islam ou sont tués, les femmes, les enfants et les non-combattants sont butin de guerre et de ce butin, seulement un-cinquième revient au calife (c'est la part de Dieu, des pauvres, de l'État), le reste est distribué entre les armées du djihad qui, actuellement, se répartissent les femmes et les enfants yézidis à Mossoul ou à Raqqa. Pas besoin, pour cela, d'une fatwa (qui est un avis juridique énoncé uniquement quand le droit islamique n'est pas clair) ; là, tout est dans la sourate VIII. Anfal (le Butin), dont s'est déjà servi Saddam (il est vrai que lui  a pu avoir besoin d'une fatwa pour décider si oui ou non les Kurdes sunnites étaient  à traiter en infidèles, mais dans le cas des yézidis, aucune doute possible).


Défendre le Kurdistan (très agrandi depuis juin dernier) oblige ses armées à une guerre de position, ce qui nécessite de prévoir, en cas de recul sur le terrain, une évacuation par précaution des populations, devant un ennemi qui n’a aucunement l'intention de respecter les vies des civils puisque les djihadistes se livrent à une guerre d’extermination. D’un autre côté, la tactique d’ « offensive » contre l'EI et la reconquête de Mossoul, initiée par Barzanî, lance les troupes kurdes dans une guerre de mouvements, étirée entre Ninive et la Diyala, ce qui nécessite plus encore un commandement extrêmement unifié et une stratégie de surveillance globale des déplacements de l’ennemi pour éviter le danger de se faire encercler comme à Şingal ou Qaraqosh.

Aussi, la refonte ou la « réforme » des forces Peshmergas a été annoncée par Massoud Barzani après que les premiers déboires de l’armée kurde ont fait apparaître ses points faibles. Un rapport de la commission parlementaire kurde chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements du ministère des Peshmergas pointe particulièrement le caractère partisan et décentralisé des unités armées, leur mésentente ou leur manque de coordination internes, source de problèmes logistiques et tactiques.

D'après ce rapport, les carences en munitions, en approvisionnement et en équipement, dont se plaignent les combattants, ne sont pas les seuls facteurs minant la capacité de résistance ou d’offensive des Peshmergas et des autres unités kurdes. Bahar Abdurrahman, une des députés ayant participé à la commission d’enquête, a livré au journal Rudaw les grandes lignes majeures du rapport. Un des faiblesses cruciales est que le ministère des Peshmergas n’a pas toujours une autorité entière sur la totalité des troupes, et que, même au sein de ce ministère, différentes « sources de décision » sont un obstacle à une efficacité et une réactivité des ordres transmis sur le terrain. La commission recommande ainsi l’instauration d'un « haut-conseil de commandement sous la supervision du Président et du ministre des Peshmergas ». À côté de cela, le caractère politisé des unités combattantes, toutes issues de partis politiques se disputant le pouvoir dans des chèfferies locales, est dénoncé depuis des années, même dans la société civile kurde. Massoud Barzani a ordonné ce mois dernier, que serait prohibée toute exhibition de drapeaux et d’insignes de partis politiques par les troupes, qui devraient toutes n’arborer que le drapeau du Kurdistan. Il est difficile de savoir si ces mesures peuvent être respectées dans l’immédiat, et si elles suffiront à empêcher les Peshmergas et les autres de camoufler  leurs appartenances politiques.

Cette situation très nouvelle d'une stratégie offensive, voire de conquête (les mouvements des Peshmergas, Zeravani etc, les amènent à opérer à Mossoul ou à Djalawla, dans des zones soient mixtes, soit arabes, dont les populations soutiennent parfois EI) apparaît aussi comme la première guerre nationale kurde, puisque c'est la première fois, dans son histoire, que toutes les forces armées de tout le Kurdistan se sont retrouvées à combattre le même ennemi. C'est aussi sa première guerre classique menée par un gouvernement kurde qui agit, sur la scène internationale, presque comme un État souverain et qui reçoit une aide militaire officielle pour une guerre jugée « légitime », puisque son issue engage bien plus que le destin des Kurdes, mais tout l'avenir du Moyen-Orient.

Car la gravité de la crise irakienne et les dangers encourus par les populations civiles, ainsi que par la région kurde, jusqu’ici la seule zone stable d’Irak et terre d’acueil de centaines de milliers de réfugiés,  a obligé la communauté internationale à se mobiliser et à fournir aux Kurdes une assistance non seulement humanitaire, mais aussi militaire, les Kurdes réclamant instamment, non pas l’envoi de troupes occidentales, mais celui d’un armement aussi sophistiqué que les armes américaines dont s’est emparé l‘EI après la chute de Mossoul (le manque d’armes appropriées et de munitions est un problème qui revient constamment lorsque les correspondants de presse interrogent les Peshmergas, sur le front ou dans les hôpitaux où ils sont soignés).

La difficulté ou le « tabou » de la livraison d’armes au Kurdistan tenait au fait que ce dernier n’étant pas un État indépendant, il fallait, en principe, en passer par Bagdad, mais les récents déboires de l’armée irakienne avaient fait que les demandes de réarmement adressées aux États-Unis par Nouri Maliki pour sa propre armée s’étaient heurtées à un refus. De plus, le Premier Ministre honni par les Kurdes étant toujours en place au pire moment de la crise, les relations entre Bagdad et Erbil pouvaient faire craindre que cette aide – humanitaire et militaire – ne parvienne pas aux forces kurdes, alors que le même Nouri Maliki n’avait pas hésité à geler le traitement des fonctionnaires, comme la solde des Peshmergas, en représailles contre la politique d’indépendance énergétique du Kurdistan.

Si Barack Obama se montre, depuis le début de la crise, hésitant et, de son propre aveu « sans stratégie » contre EI, la France est apparue comme un des pays les plus réactifs et les plus déterminés à secourir le Kurdistan, entraînant toute l’Union européenne derrière elle. Le 7 août, elle appelait une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU afin de déclencher une mobilisation internationale contre le danger terroriste d’EI. Le 8 août, le président François Hollande déclarait que son pays était prêt à « soutenir les forces engagées contre EI », sans d’abord préciser la nature de ce soutien. Il indiquait aussi avoir téléphoné personnellement à Massoud Barzani pour lui faire part de sa volonté de « coopérer » avec les Kurdes dans cette guerre.

Le 10 août, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, se rendait personnellement à Bagdad où il a tenu une conférence de presse avec Hussein Sharistani, en appelant de ses vœux un gouvernement irakien de réconciliation et incluant tous les éléments de l’Irak. Le même jour, il s’est envolé pour Erbil, apportant 18 tonnes d’aide humanitaires accompagnées d’équipes de la Croix-Rouge. S’exprimant sur France 2 en direct de l’aéroport d’Erbil, il a qualifié de « génocide » les actions d’EI contre les populations chrétiennes et yézidies, et a réclamé une mobilisation immédiate de l’Union européenne, tant sur le plan humanitaire que militaire. Dans une lettre à Catherine Ashton, haut-représentant de l’UE pour les affaires étrangères, il expose les besoins cruciaux de la Région kurde :

« Je rentre d’Erbil, où j’ai pu vérifier de visu le caractère totalement dramatique de la situation dans le nord de l’Irak. Face aux avancées de l’Etat islamique, les populations civiles menacées doivent fuir chaque jour plus nombreuses et les autorités locales affronter une situation humanitaire tragique, dont l’ampleur dépasse leurs moyens de réponse. 
Devant le drame qui se joue à ses portes, l’Europe ne peut rester inactive. C’est un impératif moral de solidarité avec les communautés persécutées. C’est aussi ce qu’exigent l’intérêt stratégique européen et la défense des libertés. 
Le Président Massoud Barzani du Gouvernement régional du Kurdistan m’a demandé la mise en place en extrême urgence d’un pont aérien d’aide humanitaire de l’Europe vers le Nord de l’Irak, ainsi que le déploiement de moyens de construction provisoire, pour aider les autorités locales à répondre aux besoins des centaines de milliers de déplacés qui fuient la barbarie de l’Etat Islamique. 
Il a aussi insisté sur la nécessité impérieuse de disposer d’armements et de munitions lui permettant d’affronter et de battre le groupe terroriste de l’Etat islamique. 
Il est indispensable que l’Union Européenne se mobilise dès aujourd’hui pour répondre à cet appel à l’aide. Je vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir d’urgence mobiliser les Etats membres ainsi que les institutions européennes pour y répondre. Une réunion spéciale du Conseil des Ministres des affaires étrangères m’apparaît souhaitable. 
La France, dont j’ai supervisé hier la première livraison d’aide humanitaire, sera au rendez-vous. »

La ministre italienne des Affaires étrangères, Federica Mogherini, que Massoud Barzani avait rencontrée en mai dernier, lors de son tour européen, a appelé de même une réunion spéciale de ce conseil des ministres pour discuter des crises de Gaza, de l’Irak et de Lybie, « qui concernent directement l’Europe » et a souhaité aussi la livraison d’armes au Kurdistan. Dès le 13 août, sans attendre la réunion des ministres européens, la France annonçait un nouvel envoi d’aide humanitaire (20 tonnes) ainsi que sa décision d’armer les Kurdes contre l’EI. Les Britanniques se disaient aussi prêts à envoyer du matériel militaire à Erbil, et finalement, le 25 août, l’Allemagne, un des pays les plus opposés, avec la Suède, à la livraison d’armes à des pays en guerre, a annoncé qu’elle allait, elle aussi, envoyer du matériel militaire au Kurdistan. La chancelière Angela Merkel a justifié cette décision très inhabituelle de la part d’un gouvernement allemand, en invoquant le « génocide » en cours en Irak et une menace « directe » contre l’Europe. Hormis les États-Unis et huit pays d’Europe (l’Albanie, l’Allemagne, le Canada, la Croatie, le Danemark, la France, l’Italie et le Royaume-Uni), l’Iran, directement visé par la politique très anti-chiite de l’EI, a également fourni des armes aux Kurdes, tout en niant l’existence de forces iraniennes opérant à Bagdad et dans d’autres régions irakiennes. L’Australie, elle, fournit une aide au transport des armes et du matériel humanitaire organisé par les États-Unis.

En représailles contre « l’alliance américano-kurde », l'État islamique a commencé un chantage à l'exécution d'otages qui peut concerner tous les États ayant décidé de soutenir les Kurdes, les Irakiens et les Syriens. Un Peshmergas et deux journalistes américains (capturés en Syrie) ont été décapités devant une caméra, après avoir lu des messages de menace adressés à leurs gouvernements respectifs. Un otage britannique anonyme a été annoncé comme le prochain sur la liste. La tactique d’exécution d’otages occidentaux peut ainsi aboutir à une coalition militaire internationale contre l’organisation djihadiste, les États les plus réticents à « retourner sur le champ de bataille irakien », ainsi qu’en Syrie, se trouvant, malgré eux, entraînés dans une action militaire directe dont les Kurdes, longtemps les éternels perdants du Moyen-Orient, seraient l'avant-garde et l'infanterie.
Prochainement : II. L'État islamique.

Concert de soutien à l'Institut kurde