mercredi, juillet 30, 2014

Au Kurdistan de Syrie le PYD veut promulguer un service militaire obligatoire

Salih Muslim , président du PYD, Parlement européen,
décembre 2012 Jan Bojer Vindheim

Les succès de l’État islamique en Irak ne l’ont pas détourné du front syrien et les attaques continuent avec une grande intensité sur Deir ez Zour, où EI tente d’asseoir son pouvoir de façon aussi complète que dans les régions de Ninive et Takrit. Il y affronte, cette fois, les autres mouvements djihadistes, avec une tactique qui alterne attaques, attaques-suicides et incitations à la défection et au ralliement sous sa bannière, affichant un discours pro-sunnite rassurant, promettant le pardon aux combattants qui déposeraient les armes et feraient leur allégeance au « calife ». 
Si le nombre des effectifs d’EI est limité, leur cohésion est un avantage par rapport à la désorganisation et à la confusion qui règnent parfois parmi les milices armées de l’ASL et des Djihadistes. Le prestige que lui confèrent ses succès foudroyants en Irak n’est pas non plus étranger au recul de Jabhat al Nusra sur le terrain militaire et en terme de popularité, au palmarès mondial du Djihad.
Malgré les résistances locales, il semble que l’EI parvienne à se consolider entre Raqqa et Deir ez Zour, ce qui, en plus des champs pétroliers syriens (adjoints à ceux de Mossoul) lui permet de contrôler son nouvel État sans interruption jusqu’à Anbar (province sunnite d’Irak).
Dans cette optique, il ne faudrait donc pas prendre le front kurde du « Rojava » comme un des objectifs principaux d’EI. Kobanî, qui a subi des assauts continuels tout le mois de juillet, a une importance secondaire par rapport à la Syrie centrale, mais la prise de cette « poche kurde » qui coupe ses propres territoires entre Ras al ‘Ayn et la Djezireh lui permettrait de conjoindre sa frontière nord (turque), ce qui lui permettrait de pousser plus avant vers les positions de l’ASL autour d’Alep. Mais au contraire du front « arabe syrien » de Deir ez Zour et Raqqa, EI ne peut espérer l’emporter par des défections de la part des YPG qui se rallieraient subitement au Djihad.
Dès le 5 juillet, le gouvernement du « canton de Kobanî » a appelé à une mobilisation générale, les villages du canton étant soumis à des bombardements assez soutenus. Ainsi, durant les trois premiers jours de juillet, le village de Zor Mexar (à 35 km de Kobanî) a subi pas loin de 3000 tirs de mortiers. Les communiqués des YPG publient régulièrement des chiffres mentionnant de « lourdes pertes » dans les rangs d’EI (même si les communiqués militaires sont toujours à lire avec une certaine précaution. C’est ainsi que sur le front du GRK, si le nombre de Peshmergas tués doit être assez fiable, celui des combattants d’EI est toujours compté au moins au double). Ce qui semble ressortir des communiqués, c’est que des villages ne cessent d’être pris, perdus, reconquis, de part et d’autre.
Plus récemment, une offensive d'EI a lieu contre Hassake, de source YPG, et la présence de l'armée syrienne dans la ville est peu claire. On parle aussi d'une coordination entre l'armée syrienne et les YPG contre EI, mais aussi d'un retrait total des troupes syriennes de Hassake, qui rappellerait celui de 2012. Pour quelle raison l'armée syrienne laisserait Hassake aux YPG ? Peut-être pour se concentrer sur la future offensive d'Alep, que l'on croit proche. 
La « mobilisation générale » appelant la jeunesse kurde à se joindre aux YPG a coïncidé avec l’annonce, par le PYD, de la démobilisation de ses combattants mineurs, après engagement pris auprès de l’Appel de Genève, qui lutte, entre autre, contre l’utilisation « d’enfants-soldats », celle des mines anti-personnelles et les violences sexuelles. Le PYD et les YPG se sont donc solennellement engagés à prohiber tout cela (à vrai dire, seul le premier point les concernait vraiment) et a annoncé le retrait de ses troupes de combat des garçons et filles âgées de moins de 18 ans (l’âge des combattants mineurs des YPG doit aller au minimum de 14-15 ans à 16-17, il ne s’agit « d’enfants » qu’au sens de mineurs). Les jeunes gens démobilisés seraient envoyés dans des « écoles », qui doivent être en fait les académies militaires et politiques du PYD où ils vont suivre une éducation militaire et idéologique.
Est-ce que cet engagement va être réellement tenu ? Et le peut-il ?  Elisabeth Decrey, à la tête de l’ONG Appel de Genève parle de 149 YPG concernés par cette mesure, mais il est difficile d’estimer le nombre réel des mineurs combattants dans les rangs des YPG. Tous les reportages et les photos des forces du PYD montrent volontiers des adolescents des deux sexes, mais avant la signature de cet appel, cela faisait partie de la tactique politique du PYD s'appuyant sur le soutien de la « jeunesse kurde » (et encore plus ses éléments féminins) face aux barbus djihadistes et aux Kurdes réactionnaires (CNK), et une sur-représentation médiatique n’est pas une statistique sûre.
Quoiqu’il en soit, coïncidence ou conséquence, après la démobilisation des mineurs, le PYD a annoncé son intention de soumettre le « canton de Djezireh » (Hassake) à un service militaire obligatoire, quelles que soient leurs sympathies ou leurs antipathies politiques pour ce parti.
Selon le projet de loi sur la conscription, toutes les familles vivant dans les zones relevant de « l’auto-administration démocratique » doivent fournir au moins un de ses membres de sexe masculin, âgé de 18 à 30 ans à ce service d’auto-défense de six mois (en continu ou de façon interrompue au long d’une année), au terme duquel les enrôlés pourront « décider » s’ils sont partant pour combattre en première ligne. 
Les hommes invalides, les malades en seront dispensés, ainsi que les familles dont un des membres a déjà rejoint les rangs des YPG (forces armées), des Asayish (sécurité), du Mouvement de libération du Kurdistan, les Unités de protection populaire, ou les Unités de protection des femmes (YPJ). 
En cas de refus, la loi prévoit des sanctions ( à déterminer).
Le Conseil national kurde (rassemblant tous les partis kurdes syriens hostiles au PKK) a immédiatement protesté et refusé cette conscription forcée, en même temps qu’il a rappelé la teneur des accords d’Erbil signés en juillet 2012, renégociés en décembre 2012, qui prévoient que ce même Conseil national kurde et le Parlement du Kurdistan occidental (émanation du PYD) doivent unifier leurs forces administratives et armées pour une défense et une gestion communes des régions kurdes en Syrie.  
S’exprimant à Aras News, Mustafa Misto, un des membres du CNK, s’il ne conteste pas en lui-même le principe du « devoir de défense nationale » rappelle que l’autorité du PYD est « illégitime » et que par conséquent, sont tout aussi illégitimes les lois qu’il promulgue : « Le PYD a reçu son pouvoir au nord-est de la Syrie des mains du régime syrien et use les armes pour s’imposer, en traitant avec les autres partis kurdes de façon totalitaire … Le PYD refuse d’inclure les autres dans la vie politique pour garder l’entier bénéfice de la situation actuelle. »
Selon Mustafa Misto, ce recrutement ne vise qu’à servir « l’agenda du PYD et n’a rien à voir avec le problème kurde en Syrie. »
Jusqu’ici, les mouvements de combattants kurdes ont toujours été alimentés par le volontariat, car ils étaient l’expression d’un engagement politique, et ce, dans toutes les parties du Kurdistan. Même le Kurdistan d’Irak, de plus en plus proche du statut d’un État conventionnel, n’a pas recours au service militaire obligatoire et ses Peshmergas sont une armée de métier (les avantages matériels et le prestige dont ils jouissent dans la société kurde sont attractifs en eux-même, malgré les dangers). Comment un tel recrutement sera perçu par la population des cantons du Rojava ? Un reportage de Vladimir Van Wilgenbourg pour Middle East Eye montre des réactions assez mitigées. Certains refusent d’être incorporés dans ce qu’ils considèrent être une milice politique : 
« Je ne rejoindrai aucune des forces qui existent actuellement, ni les YPG, ni l’ASL, ni Daash (EI), ni Assad, ni Jabhat al Nusra. Je ne rejoindrai pas les YPG parce qu’ils ne vous laissent pas vous battre librement, vous devez vous battre au nom des YPG ou d’Abdullah Öcalan » (Alan Qamishlo, 26 ans, employé dans une boulangerie de Qamishlo).
Rodi Hesen, journaliste pour Wishe, estime plus juste que tous participent à la protection et à la défense du pays au lieu que cela incombe à une seule fraction, mais il craint que cela n’apporte des arguments au CNK dans sa critique du PYD. Un autre effet « pervers » serait qu’une telle loi permettrait à beaucoup de jeunes Kurdes syriens de demander l’asile en Europe pour fuir ce  recrutement forcé (de même que beaucoup refusent d’être appelés sous les drapeaux syriens).
Le PYD fait peu de cas, de toute façon, des critiques du CNK, mais un tel dispositif serait-il vraiment applicable et efficace en terme de défense, ou bien les YPG et Asayish vont devoir consacrer une partie de leur énergie à surveiller et discipliner des miliciens peu acquis à Öcalan, mais qu’ils auront armés ? Et qu’en serait-il de leur valeur militaire, par exemple devant des attaques chimiques dont le PYD accuse EI, avec compte-rendus médicaux à l’appui ?
Par contre, il y aurait un avantage politique à prélever au sein de chaque foyer un combattant, celui de s’assurer de la docilité de la famille, voire de son adhésion au PYD, du fait des dangers encourus par le recruté. Dans le même temps, c’est aussi un risque de susciter ou d’accroître un mécontentement  parmi des Kurdes syriens peu enclins à vouloir se battre au nom du PYD et les effectifs des Asayish et des policiers risquent d’être occupés à faire appliquer de gré ou de force cette conscription (traquer les déserteurs, par exemple) pour un gain d’effectifs qui n’en vaudra peut-être pas la peine.
Quoi qu’il en soit, ce service obligatoire n’est pas encore en place, et l’appel du PKK aux jeunesses du Kurdistan de Turquie à rallier les YPG pour défendre Kobanî semble avoir plus de succès, Apparemment, la frontière turco-syrienne, très perméable pour les recrues d’EI et autres djihadistes, comme ne cesse de le faire remarquer le co-président du PYD, l’est tout autant pour les Kurdes venant gonfler les rangs des YPG. 

Alors que la relance du processus de paix entre la Turquie et le PKK a été annoncée au début de l’été, et que le retrait de la guerilla doit être relancé, verra-t-on un redéploiement de certains effectifs du PKK dans les cantons du Rojava ? Certainement pas en masse, mais quelques renforts venus du nord seront sûrement plus fiables que des enrôlés de force qui risqueraient d'être de plus en plus hostiles au PYD. Par contre, cela présentera, là aussi, deux inconvénients : faire peser sur des régions, déjà en proie à la pénurie, l’hébergement, la nourriture et l’entretien de troupes venues d’ailleurs et peut-être accroître un sentiment de malaise, déjà exprimé dans le rapport ‘Flight of Icarus’ (Crisis Group), celui de se voir commandé, de chez soi, par des militants venus d’ailleurs, pour imposer leur agenda politique :
« J’étais dans les YPG avant la révolution, mais je suis parti. Depuis l’année dernière, au moins 400 nouveaux personnels militaire du PKK sont venus de Turquie et d’Iran. Ils ne sont pas syriens, et ils veulent tout contrôler. Ils n’en ont rien à faire, des Syriens. Ils s’arrangent avec le régime et Maliki. C’est pourquoi je suis parti. »
Car le sentiment d’unité nationale des Kurdes est aussi profond que leur particularisme régional et politique . et l’histoire des Kurdes de Syrie les a peu peu préparés au « mono-partisme » des Kurdes de Turquie. Massoud Barzani s’est aperçu, lui aussi, depuis 2012, que rassembler les Kurdes « occidentaux » sous une même enseigne n’a rien d’une sinécure.

2 commentaires:

  1. Anonyme11:28 AM

    Bravo ! Bravo ! Vous êtes très sélectives. Continuer de fermer les yeux sur le fait que certains de mes chères compatriotes kurdes n'ont pas d'autre ambition que de profiter du pétrole kurde. Il y a cas voire comment il ont laisser les Yizidis à Sangal et tout cas pour obtenir des armes sophistiquées de la part des américains et vous vous voudriez que l'on soit d'accord avec une telle logique. Je sais dans vos systèmes c'est tellement normal d'utiliser et d'exploiter son propre peuple. L'important c'est les petits profits personnels. Certain sont à un tel point spécialisé en la matière qu'ils peuvent sans le moindre remord se permettre de conseiller les autres peuples en la matière. J'ai pas compris la différence entre cette logique et la logique des djhadistes. Ah oui ! la différence c'est que ces derniers sont plus subtil et plus expérimenté. Bravos pour votre geste de pseudo-humanisme. Relisez votre propre article cela fais des mois que le PKK a lancer un appel au sujet de Sangal et voilà le résultat grâce à des gens comme vous aussi. Merci pour votre leçon. Vous avez la conscience tranquille maintenant! Non !...

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  2. Anonyme11:41 AM

    Contrairement à ce que vous pensez même si l'on critique beaucoup les américains (au font c'est nous même que nous critiquons) cela ne veut pas dire qu'on les perçoit tellement mal que l'on pourrez penser qu'ils considéreraient normal que l'on sacrifie les yézidis pour des histoires d'indépendances qui servent nos petits intérêts. Je croix que les américains ont des préoccupations beaucoup plus vaste que vos petits intérêts. Dommage pour vous !

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