jeudi, juillet 31, 2014

La vie quotidienne au temps du calife Ibrahim




Le 4 juillet, premier Vendredi du mois de Ramadan, le calife auto-proclamé de Mossoul, Ibrahim Abu Bakr Al-Baghdadi, a fait sa première apparition publique, dirigeant la prière du Vendredi dans la mosquée Al-Nuriyya de Mossoul, et y prononçant son premier prêche, dans lequel, dans la pure tradition de l’islam politique du temps des califes, il expose aussi son programme politique, en s’adressant à l’ensemble de « l’Oumma », c’est-à-dire de la communauté musulmane dont il requiert l’allégeance.

Après un préambule portant sur le caractère religieux du Ramadan et de ses pratiques pieuses, le « calife »  rappelle que ce mois fut aussi celui pendant lequel « le Prophète lança ses armées pour combattre les ennemis d’Allah. Le mois durant lequel il a mené le Djihad contre les polythéistes ! » et citant des versets coraniques appelant au Djihad, disant, entre autres, « Allah aime que nous tuions ses ennemis et menions le Djihad en son nom » ; « Il vous est enjoint de combattre ce qui vous est haïssable » ; « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitnah (sédition) et que la religion de tous soit pour Allah » ; ainsi que des versets recommandant l’application de la shari’a et les châtiments (hudud) en cas de manquements à cette loi.

Allusion à ses succès militaires, signe, selon lui, qu’Allah « a donné victoires et conquêtes » à ses mudjaïdin, « fermes devant les ennemis d’Allah », qu’il a rendu « puissants dans le pays jusqu’à la proclamation du Califat et le choix d’un imam ». La lutte contre les « ennemis d’Allah » est qualifié de « waadjib », le plus haut degré d’obligation concernant les devoirs religieux des croyants, et « concerne toute la terre ».

 Ramenant ensuite ses propos à un niveau plus personnel, Al-Baghdadi se présente comme un élu d’Allah, sur le registre de la modestie : « J’ai été éprouvé par Allah dans mon élection en tant que calife. C’est un lourd fardeau. Je ne suis pas meilleur que vous. Conseillez-moi quand j’erre et suivez-moi si je réussis. Et assistez-moi contre l’idolatrie (tawagheet).

S’ensuit une série de citations coraniques promettant la victoire à ses adorateurs et revenant sur l’exaltation du Djihad.

Le sermon a été filmé par les fidèles du « calife » et diffusé très rapidement sur les réseaux Internet, d’abord sur les réseaux pro-EI et puis est devenu viral, tant dans les sites de presse que dans les réseaux des particuliers. Les réactions ont été évidemment radicalement différentes selon qu’elles émanaient des partisans du Djihad ou du reste de la toile, les premiers louant la maîtrise de la langue arabe et la « belle voix » d’Al-Baghdadi quand il psalmodiait, les autres se moquant plutôt de certains détails, comme la montre de prix que le « calife » avait gardée à son poignet et qui lui a valu tout le mois le surnom de « calife bling bling » ou « calife rolex ».

Sur le plan pratique, si les populations sunnites arabes se sont senties un temps soulagées du départ de l’armée irakienne, à qui ils reprochaient de se comporter en troupes d’occupation, les minorités religieuses ont senti immédiatement les effets du programme religieux de l’État islamique. 

Contrairement à ce qui a été présenté très souvent dans la presse internationale, les chrétiens n’ont pas été la première cible des djihadistes, les groupes religieux non comptés parmi les « gens du Livre », c’est-à-dire les yézidis et les shabaks, stigmatisés comme polythéistes et apostats, ont été plus tôt et plus radicalement visés par l’épuration du Djihad, et ne se voient offerts d’autres choix que la conversion ou la mort. Les shiites (dont beaucoup de Turkmènes dans les régions conquises par l’EI sont chiites) sont enfin vus comme l’ennemi majeur, source de ‘fitna’ (sédition) ou hérétiques, et ont aussi fait face, dès le mois de juin, à des menaces, enlèvements, tortures et assassinats. C’est ainsi que 83 Shabaks ont été enlevés et 7 d’entre eux ont été retrouvés assassinés (source Human Rights Watch).

Quant aux chrétiens, leur répit relatif n’a été que de courte durée et le 19 juillet, l’État islamique  a commencé d’appliquer la loi de la shari’a sur les dhimmi (juifs et chrétiens) devant faire soumission à l’Islam soit en payant une capitation (la djiziya), estimée en ces temps difficiles à 200 à 250 $ par mois, soit en se convertissant, soit en quittant le ‘dar al Islam’ (territoire musulman où ne s’appliquent pas les lois de la guerre).

Geste d’intimidation plus sinistre encore, les maisons des chrétiens de Mossoul ont vu leurs portes marquées de la lettre Nûn en arabe, le ’N’ désignant les ‘Nasrani’ soit ‘Nazaréens’ en arabe, qui est un terme d’opprobre utilisé par les juifs pour désigner les premières communautés judéo-chrétiennes et qui est ensuite passé dans la langue arabe. 

Les effets de ces premières mesures ont été extrêmement rapides, en l’espace de deux jours, entre le 14 et le 21 juillet, des milliers de chrétiens ont fui sur les routes en direction du Kurdistan, venant grossir le flot des autres réfugiés. Actuellement, il ne resterait qu’une vingtaine de chrétiens à Mossoul, certains ayant accepté de payer l’impôt d’infamie, d’autres s’étant peut-être convertis sous la menace. Mais à leur passage, les fugitifs se sont vus dépouillés de tout ce qu’ils avaient pu emporter par les milices djihadistes, clamant que ces biens « revenaient à l’Islam » et c’est à pied, sous un soleil torride, que des milliers de familles, exténuées, ont gagné le Kurdistan.

Les shabaks, les Turkmènes shiites de la ville, ont aussi vu leurs demeures marquées d’un signe distinctif et leur sort est encore plus menacé. Des centaines d’entre eux ont fui, après des exécutions sommaires précédées d’enlèvement dans plusieurs villages. Les yézidis sont de même sommés de se convertir à l’islam (pas d'impôts pour les apostats ou les polythéistes).

L’État islamique a aussi été très actif ce mois-ci dans son programme de destruction des monuments « offensants » pour l’Islam. Non seulement les monastères, les bâtiments patriarcaux des chrétiens ont été saisis, les tombes et les statues vandalisées, mais c’est aussi aux lieux vénérés par les musulmans que les djihadistes s’en sont pris : appliquant la stricte interprétation de la shari’a qui prohibe les tombes des soufis ou des prophètes et leur culte, l’État islamique a ainsi détruit à l’explosif les tombeaux les plus symboliques des trois monothéismes de la Mésopotamie : ceux de Jonas et de Seth, en plus de mausolées de sheikhs soufis. En ce qui concerne les shiites, même leurs mosquées ont été détruites avec leurs mausolées. 

Toutes les femmes, quelle que soit leurs confession, sont tenues de sortir entièrement voilées et les vêtements jugés « illicites », que ce soit pour les hommes ou les femmes, comme les jeans ou les tenues trop occidentales, sont également interdits. Les vendeurs de narguileh et de cigarettes sont peu à peu priés de fermer boutique et il s’instaure peu à peu, dans l’État islamique, une société qui est assez proche de ce qu’avaient mis en place les Talibans en Afghanistan.

Sur le terrain militaire, EI affronte principalement l’armée irakienne à Tikrit et à Djalawla, ainsi que les Peshmergas kurdes dans cette zone. Des combats sporadiques ont aussi lieu dans la province de Ninive, entre les Peshmergas et les Djihadistes.


mercredi, juillet 30, 2014

Au Kurdistan de Syrie le PYD veut promulguer un service militaire obligatoire

Salih Muslim , président du PYD, Parlement européen,
décembre 2012 Jan Bojer Vindheim

Les succès de l’État islamique en Irak ne l’ont pas détourné du front syrien et les attaques continuent avec une grande intensité sur Deir ez Zour, où EI tente d’asseoir son pouvoir de façon aussi complète que dans les régions de Ninive et Takrit. Il y affronte, cette fois, les autres mouvements djihadistes, avec une tactique qui alterne attaques, attaques-suicides et incitations à la défection et au ralliement sous sa bannière, affichant un discours pro-sunnite rassurant, promettant le pardon aux combattants qui déposeraient les armes et feraient leur allégeance au « calife ». 
Si le nombre des effectifs d’EI est limité, leur cohésion est un avantage par rapport à la désorganisation et à la confusion qui règnent parfois parmi les milices armées de l’ASL et des Djihadistes. Le prestige que lui confèrent ses succès foudroyants en Irak n’est pas non plus étranger au recul de Jabhat al Nusra sur le terrain militaire et en terme de popularité, au palmarès mondial du Djihad.
Malgré les résistances locales, il semble que l’EI parvienne à se consolider entre Raqqa et Deir ez Zour, ce qui, en plus des champs pétroliers syriens (adjoints à ceux de Mossoul) lui permet de contrôler son nouvel État sans interruption jusqu’à Anbar (province sunnite d’Irak).
Dans cette optique, il ne faudrait donc pas prendre le front kurde du « Rojava » comme un des objectifs principaux d’EI. Kobanî, qui a subi des assauts continuels tout le mois de juillet, a une importance secondaire par rapport à la Syrie centrale, mais la prise de cette « poche kurde » qui coupe ses propres territoires entre Ras al ‘Ayn et la Djezireh lui permettrait de conjoindre sa frontière nord (turque), ce qui lui permettrait de pousser plus avant vers les positions de l’ASL autour d’Alep. Mais au contraire du front « arabe syrien » de Deir ez Zour et Raqqa, EI ne peut espérer l’emporter par des défections de la part des YPG qui se rallieraient subitement au Djihad.
Dès le 5 juillet, le gouvernement du « canton de Kobanî » a appelé à une mobilisation générale, les villages du canton étant soumis à des bombardements assez soutenus. Ainsi, durant les trois premiers jours de juillet, le village de Zor Mexar (à 35 km de Kobanî) a subi pas loin de 3000 tirs de mortiers. Les communiqués des YPG publient régulièrement des chiffres mentionnant de « lourdes pertes » dans les rangs d’EI (même si les communiqués militaires sont toujours à lire avec une certaine précaution. C’est ainsi que sur le front du GRK, si le nombre de Peshmergas tués doit être assez fiable, celui des combattants d’EI est toujours compté au moins au double). Ce qui semble ressortir des communiqués, c’est que des villages ne cessent d’être pris, perdus, reconquis, de part et d’autre.
Plus récemment, une offensive d'EI a lieu contre Hassake, de source YPG, et la présence de l'armée syrienne dans la ville est peu claire. On parle aussi d'une coordination entre l'armée syrienne et les YPG contre EI, mais aussi d'un retrait total des troupes syriennes de Hassake, qui rappellerait celui de 2012. Pour quelle raison l'armée syrienne laisserait Hassake aux YPG ? Peut-être pour se concentrer sur la future offensive d'Alep, que l'on croit proche. 
La « mobilisation générale » appelant la jeunesse kurde à se joindre aux YPG a coïncidé avec l’annonce, par le PYD, de la démobilisation de ses combattants mineurs, après engagement pris auprès de l’Appel de Genève, qui lutte, entre autre, contre l’utilisation « d’enfants-soldats », celle des mines anti-personnelles et les violences sexuelles. Le PYD et les YPG se sont donc solennellement engagés à prohiber tout cela (à vrai dire, seul le premier point les concernait vraiment) et a annoncé le retrait de ses troupes de combat des garçons et filles âgées de moins de 18 ans (l’âge des combattants mineurs des YPG doit aller au minimum de 14-15 ans à 16-17, il ne s’agit « d’enfants » qu’au sens de mineurs). Les jeunes gens démobilisés seraient envoyés dans des « écoles », qui doivent être en fait les académies militaires et politiques du PYD où ils vont suivre une éducation militaire et idéologique.
Est-ce que cet engagement va être réellement tenu ? Et le peut-il ?  Elisabeth Decrey, à la tête de l’ONG Appel de Genève parle de 149 YPG concernés par cette mesure, mais il est difficile d’estimer le nombre réel des mineurs combattants dans les rangs des YPG. Tous les reportages et les photos des forces du PYD montrent volontiers des adolescents des deux sexes, mais avant la signature de cet appel, cela faisait partie de la tactique politique du PYD s'appuyant sur le soutien de la « jeunesse kurde » (et encore plus ses éléments féminins) face aux barbus djihadistes et aux Kurdes réactionnaires (CNK), et une sur-représentation médiatique n’est pas une statistique sûre.
Quoiqu’il en soit, coïncidence ou conséquence, après la démobilisation des mineurs, le PYD a annoncé son intention de soumettre le « canton de Djezireh » (Hassake) à un service militaire obligatoire, quelles que soient leurs sympathies ou leurs antipathies politiques pour ce parti.
Selon le projet de loi sur la conscription, toutes les familles vivant dans les zones relevant de « l’auto-administration démocratique » doivent fournir au moins un de ses membres de sexe masculin, âgé de 18 à 30 ans à ce service d’auto-défense de six mois (en continu ou de façon interrompue au long d’une année), au terme duquel les enrôlés pourront « décider » s’ils sont partant pour combattre en première ligne. 
Les hommes invalides, les malades en seront dispensés, ainsi que les familles dont un des membres a déjà rejoint les rangs des YPG (forces armées), des Asayish (sécurité), du Mouvement de libération du Kurdistan, les Unités de protection populaire, ou les Unités de protection des femmes (YPJ). 
En cas de refus, la loi prévoit des sanctions ( à déterminer).
Le Conseil national kurde (rassemblant tous les partis kurdes syriens hostiles au PKK) a immédiatement protesté et refusé cette conscription forcée, en même temps qu’il a rappelé la teneur des accords d’Erbil signés en juillet 2012, renégociés en décembre 2012, qui prévoient que ce même Conseil national kurde et le Parlement du Kurdistan occidental (émanation du PYD) doivent unifier leurs forces administratives et armées pour une défense et une gestion communes des régions kurdes en Syrie.  
S’exprimant à Aras News, Mustafa Misto, un des membres du CNK, s’il ne conteste pas en lui-même le principe du « devoir de défense nationale » rappelle que l’autorité du PYD est « illégitime » et que par conséquent, sont tout aussi illégitimes les lois qu’il promulgue : « Le PYD a reçu son pouvoir au nord-est de la Syrie des mains du régime syrien et use les armes pour s’imposer, en traitant avec les autres partis kurdes de façon totalitaire … Le PYD refuse d’inclure les autres dans la vie politique pour garder l’entier bénéfice de la situation actuelle. »
Selon Mustafa Misto, ce recrutement ne vise qu’à servir « l’agenda du PYD et n’a rien à voir avec le problème kurde en Syrie. »
Jusqu’ici, les mouvements de combattants kurdes ont toujours été alimentés par le volontariat, car ils étaient l’expression d’un engagement politique, et ce, dans toutes les parties du Kurdistan. Même le Kurdistan d’Irak, de plus en plus proche du statut d’un État conventionnel, n’a pas recours au service militaire obligatoire et ses Peshmergas sont une armée de métier (les avantages matériels et le prestige dont ils jouissent dans la société kurde sont attractifs en eux-même, malgré les dangers). Comment un tel recrutement sera perçu par la population des cantons du Rojava ? Un reportage de Vladimir Van Wilgenbourg pour Middle East Eye montre des réactions assez mitigées. Certains refusent d’être incorporés dans ce qu’ils considèrent être une milice politique : 
« Je ne rejoindrai aucune des forces qui existent actuellement, ni les YPG, ni l’ASL, ni Daash (EI), ni Assad, ni Jabhat al Nusra. Je ne rejoindrai pas les YPG parce qu’ils ne vous laissent pas vous battre librement, vous devez vous battre au nom des YPG ou d’Abdullah Öcalan » (Alan Qamishlo, 26 ans, employé dans une boulangerie de Qamishlo).
Rodi Hesen, journaliste pour Wishe, estime plus juste que tous participent à la protection et à la défense du pays au lieu que cela incombe à une seule fraction, mais il craint que cela n’apporte des arguments au CNK dans sa critique du PYD. Un autre effet « pervers » serait qu’une telle loi permettrait à beaucoup de jeunes Kurdes syriens de demander l’asile en Europe pour fuir ce  recrutement forcé (de même que beaucoup refusent d’être appelés sous les drapeaux syriens).
Le PYD fait peu de cas, de toute façon, des critiques du CNK, mais un tel dispositif serait-il vraiment applicable et efficace en terme de défense, ou bien les YPG et Asayish vont devoir consacrer une partie de leur énergie à surveiller et discipliner des miliciens peu acquis à Öcalan, mais qu’ils auront armés ? Et qu’en serait-il de leur valeur militaire, par exemple devant des attaques chimiques dont le PYD accuse EI, avec compte-rendus médicaux à l’appui ?
Par contre, il y aurait un avantage politique à prélever au sein de chaque foyer un combattant, celui de s’assurer de la docilité de la famille, voire de son adhésion au PYD, du fait des dangers encourus par le recruté. Dans le même temps, c’est aussi un risque de susciter ou d’accroître un mécontentement  parmi des Kurdes syriens peu enclins à vouloir se battre au nom du PYD et les effectifs des Asayish et des policiers risquent d’être occupés à faire appliquer de gré ou de force cette conscription (traquer les déserteurs, par exemple) pour un gain d’effectifs qui n’en vaudra peut-être pas la peine.
Quoi qu’il en soit, ce service obligatoire n’est pas encore en place, et l’appel du PKK aux jeunesses du Kurdistan de Turquie à rallier les YPG pour défendre Kobanî semble avoir plus de succès, Apparemment, la frontière turco-syrienne, très perméable pour les recrues d’EI et autres djihadistes, comme ne cesse de le faire remarquer le co-président du PYD, l’est tout autant pour les Kurdes venant gonfler les rangs des YPG. 

Alors que la relance du processus de paix entre la Turquie et le PKK a été annoncée au début de l’été, et que le retrait de la guerilla doit être relancé, verra-t-on un redéploiement de certains effectifs du PKK dans les cantons du Rojava ? Certainement pas en masse, mais quelques renforts venus du nord seront sûrement plus fiables que des enrôlés de force qui risqueraient d'être de plus en plus hostiles au PYD. Par contre, cela présentera, là aussi, deux inconvénients : faire peser sur des régions, déjà en proie à la pénurie, l’hébergement, la nourriture et l’entretien de troupes venues d’ailleurs et peut-être accroître un sentiment de malaise, déjà exprimé dans le rapport ‘Flight of Icarus’ (Crisis Group), celui de se voir commandé, de chez soi, par des militants venus d’ailleurs, pour imposer leur agenda politique :
« J’étais dans les YPG avant la révolution, mais je suis parti. Depuis l’année dernière, au moins 400 nouveaux personnels militaire du PKK sont venus de Turquie et d’Iran. Ils ne sont pas syriens, et ils veulent tout contrôler. Ils n’en ont rien à faire, des Syriens. Ils s’arrangent avec le régime et Maliki. C’est pourquoi je suis parti. »
Car le sentiment d’unité nationale des Kurdes est aussi profond que leur particularisme régional et politique . et l’histoire des Kurdes de Syrie les a peu peu préparés au « mono-partisme » des Kurdes de Turquie. Massoud Barzani s’est aperçu, lui aussi, depuis 2012, que rassembler les Kurdes « occidentaux » sous une même enseigne n’a rien d’une sinécure.

mardi, juillet 29, 2014

Envers et contre tout, Nouri Maliki s'accroche au pouvoir

U.S. Air Force photo/Staff Sgt. Jessica J. Wilkes 


Alors que l’Irak se trouve amputé de facto de ses territoires sunnites, conquis par l’État islamique, Bagdad peine à former un nouveau gouvernement issu des dernières élections législatives, au terme desquelles devait être élu par les nouveaux parlementaires le président irakien, qui doit lui-même nommer son Premier Ministre. Mais la première étape était d’élire un président du Parlement, dans une assemblée nationale qui a peiné à atteindre son quorum et à procéder à cette première élection. L’ancien président du Parlement, Osama Al-Nudjaïfi, a retiré assez vite sa candidature.

Le 12 juin, deux jours après la chute de Mossoul, seuls 128 députés sur 328 avaient pu gagner le Parlement dont la session n’avait donc pu avoir lieu. 

Le 1er juillet, dans une nouvelle tentative, la session a de même tourné court, après que des députés kurdes et des membres du groupe État de droit (liste de Nouri Maliki) se soient violemment querellés, ce qui a occasionné le départ des Kurdes, suivis par certains députés sunnites : une fois encore, le quorum a fait défaut.

Le 13 juillet, les éléments naturels s’en sont mêlés car, en raison d’une tempête de poussière, 25 députés kurdes qui devaient, d’Erbil, prendre un vol pour Bagdad ont vu leur déplacement annulé, le trafic aérien étant provisoirement suspendu en raison d’une tempête de poussière. Même si le quorum pouvait être atteint sans eux, leur absence le rendait plus incertain et à la merci d’un éclat entre élus sunnites et chiites. 

La séance a donc été reportée au 15 juillet. Le 5 juillet, cependant, le bloc sunnite avait annoncé s’être mis d’accord sur un candidat à la présidence du Parlement, Salim Al Jubouri, issu du Parti islamiste irakien, qui a été élu au sein de la liste ‘La Diyala est notre identité’, laquelle a rejoint une large coalition sunnite, dont celle de son prédécesseur à la tête du parlement irakien, Osama Al-Nudjayfi, le frère du gouverneur de Mossoul. Il est vu comme un « islamiste modéré » et a remporté 194 voix sur 272. Les deux vice-présidents du Parlement sont le chiite Haydar al-Abadi (État de droit) et le kurde Aram Al-Sheikh Mohammed (Goran).

La deuxième étape consistait alors à élire le nouveau président de l’Irak, une fonction que les Kurdes – et surtout ceux de l’UPK – considèrent comme leur revenant de droit. Aussi, les tractations politiques sur le choix du candidat kurde, qui avaient lieu en interne entre Erbil et Sulaïmanieh, ont été suivis attentivement par l’ensemble des Irakiens.

Plusieurs noms n’ont cessé d’être cités dans la presse kurde et arabe, tout au long du mois de juillet. Un des favoris était Barham Salih, ancien Premier Ministre du GRK et qui a aussi exercé les fonctions de Vice-Premier Ministre irakien de 2004 à 2005 mais sa mésentente avec le « clan Talabani » lui a apparemment fermé la porte de Bagdad.  L’UPK avait proposé aussi Fuad Massoum, un vétéran du Parti, proche de Jalal Talabani, et cette double candidature s’en est même vu adjoindre une troisième, le gouverneur de Kirkouk, Nadjm al Din Karim, élu de l’UPK pour sa province, ayant décidé se se porter candidat à la présidentielle, contre l’assentiment de son propre parti. Finalement, il s’est désisté et les députés du bloc parlementaire kurde à Bagdad n’ont eu à choisir qu’entre Fouad Massoum et Barham Salih. C’est le premier qui a obtenu la majorité des voix (30 contre 23 pour Barham Salih) alors que les députés ont voté à huit-clos dans un hôtel de Bagdad.

Le 24 juillet, Fouad Massoum a donc été élu président de l’Irak par le Parlement de Bagdad avec 175 voix sur 225 des députés présents.

Âgé de 76 ans, c’est un des fondateurs de l’Union patriotique du Kurdistan. Ayant fait ses études secondaires dans une école religieuse kurde, en 1958, il part étudier à Al-Azhar, la prestigieuse université islamique du Caire. Il obtient un doctorat en sciences islamiques, mais adhère assez tôt au parti communiste irakien, avant de rejoindre, en 1964, le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Mustafa Barzani. 

De retour en Irak, il enseigne un temps à l’université de Basra, puis gagne la résistance kurde lors de la révolution de 1967, où il prend part aux actions militaires. De 1973 à 1975, il représente son parti dans la capitale égyptienne., avant de suivre Jalal Talabani et de lancer le nouveau parti de l’Union patriotique du Kurdistan. 

En 1992, il est choisi pour être le Premier Ministre du Kurdistan, avant sa partition temporaire entre gouvernement PDK et UPK. Mais ses liens de longue date avec le PDK lui permettent de jouer un rôle de modération lors de la guerre civile qui oppose les deux partis dans les années 1990.

Fuad Massoum est considéré comme un homme politique modéré par les sunnites comme par les chiites. Mais la tâche qui lui incombe, celle de désigner son Premier Ministre, est chose ardue en raison de la vive opposition que rencontre Nouri Maliki dans sa volonté de rester Premier Ministre, malgré le rejet catégorique des Kurdes, des sunnites arabes, d’un nombre conséquent de politiciens et de religieux chiite, et la désaffection de ses principaux soutiens internationaux.

Nouri Maliki n’a effectivement cessé d’affirmer sa détermination à assumer un troisième mandat, même après le désastre militaire devant EI et le 5 juillet, dix jours avant l’élection d’un nouveau président du Parlement, il assurait, dans un communiqué lu sur la chaîne nationale irakienne, que « jamais il ne renoncerait au poste de Premier Ministre »,  s’appuyant sur la victoire électorale de sa liste : c’est en effet le candidat en tête de la liste qui a remporté le plus de voix qui est désigné, en principe, à ce poste, même si ce n’est une obligation constitutionnelle. 

Nouri Maliki a rejeté toutes les accusations d’incompétence et toute responsabilité dans la désagrégation de l’Irak, les qualifiant de « campagne prenant pour cible l’État de droit », émanant de menées internes et externes. 

Le Premier Ministre irakien n’a cessé, par ailleurs de renforcer la mainmise étroite sur l’État irakien, dont celle qu’il exerce déjà sur les forces de sécurité et de défense puisqu’il en occupe, depuis 2010, le commandement. Alors que, hormis ses partisans, tous le tiennent responsable de la défaite devant EI, il a accusé les généraux irakiens de trahison et en a limogé un certain nombre. Le 6 juillet, il a ainsi mis à la retraite anticipée le commandant suprême de l’armée de terre, Ali Ghedan, et le chef de l’état-major, Farouq Aeradji,  le poste de ce dernier étant attribué au propre fils du ministre. 

De même, alors que les États-Unis et les Nations Unies ne cessent d’exhorter les Bagdad et Erbil de parvenir à s’entendre pour former un gouvernement pluraliste et unifié, Nouri Maliki a accusé la Région kurde d’être « le quartier général d’ÉI, du Baath et d’Al-Qaïda » et d’y abriter toutes les organisations à l’origine des opérations terroristes.

Le président Massoud Barzani a répliqué, dans un communiqué, en qualifiant le Premier Ministre d’ « hystérique », tandis que les ministres kurdes du cabinet irakien en boycottaient les réunions en signe de protestation. Le ministre des Affaires étrangères irakiennes, le kurde Hoshyar Zebari a ainsi expliqué à Reuters que les députés du bloc kurde continuaient de siéger au Parlement mais que les responsables kurdes de son ministère, du Commerce, des Migration et de la Santé cessaient leurs activités.

En réponse, Nouri Maliki a placé Hussein Al Sharistani aux Affaires étrangères pour remplacer Hoshyar Zebari. Hussein Al Sharistani étant l’adversaire le plus constant et le plus virulent des Kurdes sur la question des ressources naturelles, ce n’est évidemment pas une nomination propre à préparer un terrain d’apaisement pour un gouvernement uni, comme le souhaite Washington.

Pour le moment, il semble qu’aucun allié ni aucune instance internationale ne puisse faire fléchir Nouri Maliki qui, aussi isolé et critiqué qu’il soit, tient en concentrant de plus en plus de pouvoirs au sein de l’État. Pourra-t-il toujours compter sur le soutien iranien, alors qu’il semble que Téhéran tente aussi de décider le Premier Ministre à renoncer à sa candidature ? 

Des confidences émanant de deux personnalités politiques irakiennes haut placées ont en effet confié à l’AP, sous couvert d’anonymat, que Téhéran avait essayé de persuader le Premier Ministre irakien de se retirer, ce que celui-ci avait rejeté. Selon eux, le général Ghassan Soleimani, à la tête des forces Al-Qods (Jérusalem) des Gardiens de la Révolution, qui organise les milices chiites de défense au sein de ce qu’il reste de l’armée et les milices para-militaire, a eu récemment un entretien avec Nouri Maliki et aurait tenté, en vain, de l’inciter à se retirer. Il a reçu, en retour, les mêmes arguments répétés mécaniquement depuis mai, à savoir qu’en raison du score de son bloc parlementaire, ses fonctions lui revenaient de « plein droit ».

lundi, juillet 28, 2014

Séparé de l'Irak, le Kurdistan s'organise

Massoud Barzani et Ban Ki Moon, le 24 juillet
Séparé depuis presque un mois de l'Irak dont il se trouve coupé par l'État islamique, le Kurdistan tente d'assurer son émancipation économique, de contenir les assauts d'EI à Ninive et Kirkouk et de s'organiser politiquement en vue de sa future indépendance. 

Le 3 juillet, le président Massoud Barzani a demandé au parlement kurde de préparer un projet de loi et de former une commission électorale indépendante en vue d’un référendum par lequel la population du Kurdistan d’Irak se prononcerait sur sa volonté d’indépendance. Massoud Barzani a aussi demandé aux parlementaires de choisir une date pour le scrutin.

Auparavant, le président kurde a exposé devant les députés le résumé des événements qui se sont bousculés après la prise de Mossoul par l’EI : il ainsi relaté les différents échanges qu'il avait eu avec Bagdad auparavant, répétant ce qu’il avait dit à la presse étrangère, à savoir que le GRK avait averti Nouri Maliki, quelques mois avant la chute de Mossoul, des dangers que faisaient courir à l’Irak les menées de l´État islamique et que le Premier Ministre irakien lui avait assuré contrôler la situation, en lui conseillant de « s’occuper plutôt des affaires du Kurdistan ». Il est aussi revenu sur tous les griefs que son gouvernement a envers Bagdad, notamment le gel du budget des salaires des fonctionnaires kurdes.

Au sujet d’une possible indépendance, Massoud Barzani a assuré qu’elle bénéficiait d’un certain soutien international et que « ceux qui ne nous soutiennent pas ne s’opposent pas à nous ». Il a également réaffirmé que les régions citées dans l’article 140 de la constitution irakienne, et notamment Kirkouk, régions maintenant défendues par les seuls Peshmergas après la fuite de l’armée irakienne, resteraient dans la Région kurde.

Le 9 juillet, Massoud Barzani recevait dans sa résidence de Salahaddin les consuls étrangers et les représentants d'ONG internationales pour revenir sur les dernières évolutions de la situation sécuritaire et politique au Kurdistan et en Irak et les a avertis que les puissances étrangères ne devaient pas rester inactives devant l'État islamique (EI) met la menace qu’il présente « pour l’ensemble de la région au Moyen Orient » et qu’une « coopération internationale » devait se mettre en place.

Le président kurde est revenu sur la « politique de division dangereuse » menée par Nouri Maliki et que son maintien au pouvoir pourrait entraîner la « destruction complète du pays ». Il a redit que les Peshmergas et autres forces de sécurité kurdes déployés dans les régions de Ninive, Kirkouk et dans la Diyala protégeaient les populations des groupes terroristes et ne se retireraient pas mais que les populations y vivant décideraient de leur destin par référendum, celui de l'article 140.

Enfin, le 11, Massoud Barzani s’est adressé à l’ensemble du peuple irakien, dans une lettre ouverte, où, tenant à peu près les mêmes propos, il rappelle l’ensemble des conflits opposant les Kurdes au gouvernement central, et ayant amené ces derniers à souhaiter voter pour leur auto-détermination. Il appelle aussi à un « nouvel Irak », avec une « nouvelle administration » et une « vision nouvelle » pour gérer le pays dans le futur.

Quelques jours auparavant, au moment où Massoud Barzani demandait aux parlementaires de préparer une loi sur un référendum, son chef de cabinet, Fouad Hussein était aux États-Unis avec Falah Moustafa Bakir,le ministre kurde des Affaires étrangères, pour expliquer et défendre la position kurde. Fouad Hussein avait ainsi expliqué à la presse qu’une confédération avec un Irak pacifié, démocratique et ayant réglé ses conflits internes était envisageable. La confédération nécessitant l’indépendance et la souveraineté des États-parties, le référendum pour l’indépendance était ainsi présenté comme un premier pas vers un « nouvel Irak ». Reste à savoir si la présidence kurde croit elle-même à un développement positif dans un futur proche concernant l’Irak…

Interviewé pour Al-Monitor par Mustafa Al-Kadhimi, un analyste irakien spécialisé dans les questions politiques et des droits de l’homme, Massoud Barzani confirme son refus de participer à un troisième « cabinet Maliki » au cas où ce dernier parviendrait à faire reconduire ses fonctions : « Le problème avec M. Maliki n’est pas personnel, mais plutôt conceptuel et relié à ce qui forme le cœur de la philosophie et de la culture de l’administration publique qui a en charge les intérêts irakiens. »

Interrogé sur le référendum promis aux Kurdes, Massoud Barzani rappelle que la chute de Mossoul et des régions sunnites a entraîné une situation nouvelle pour le Kurdistan, qui se trouve maintenant séparé physiquement du reste de l’Irak par un EI avec qui il partage plus de mille kilomètres de frontière. Mais au sujet d’une coopération militaire éventuelle de l’armée kurde avec les États-Unis, l’Irak, voire d’autres forces régionales pour chasser EI, Massoud Barzani répond que le problème est « politique par excellence », et que d’une résolution politique de la crise irakienne dépend le succès militaire des actions contre EI, et notamment la résolution du conflit entre chiites et sunnites irakiens : « Il faudrait songer sérieusement à résoudre pacifiquement la question des droits légitimes des sunnites dans cette région et isoler ainsi les terroristes de ceux qui demandent leurs droits légitimes. C’est alors que les sunnites parviendront à chasser les terroristes de leurs  régions et nous les y aideront certainement. »

Le président kurde confirme qu’un autre référendum sera proposé aux habitants des régions rattachées pour leur demander leur avis, tel que le prévoyait l’article 140 et leur permettre ainsi de « choisir leur identité ».

Le 24 juillet, le Parlement kurde d’Erbil a approuvé une loi décidant la formation d’une commission électorale indépendante. Cette commission est autorisée à tenir des élections, des référendum et à fixer les dates de scrutin, sans avoir à en référer à Bagdad et à la Haute Commission électorale irakienne.

Autre pas vers une émancipation, il est fait référence, dans le texte, au « Kurdistan » et non plus à la Région du Kurdistan, nom porté par la région fédérale dans la constitution irakienne. Cette loi s’applique ainsi aussi bien aux trois provinces de Duhok, Erbil, Suleïmanieh qu’à Kirkouk et aux autres territoires kurdes mentionnés dans l’article 140.

La loi demande au GRK de former cette commission dans les 90 jours à compter du vote d’approbation. La commission sera formée de 9 représentants des différents partis politique du Kurdistan, plus 2 sièges réservés aux minorités.

Les réactions à cette annonce vont d’une forte opposition (l’Iran et Bagdad), à une désapprobation contenue mais sans réelle menace (USA) et une neutralité affichée de la Turquie, entre le « ni pour ni contre, bien au contraire » qui, dans les faits, se traduit plutôt par un accroissement des importations de Turquie au Kurdistan, au fur et à mesure que les liens se distendent avec Bagdad : Dès le mois de juin, le ministère des Finances au Kurdistan avait annoncé que, cette fois, les revenus de la vente du pétrole kurde ne seraient pas envoyés à Bagdad mais reviendraient directement à Erbil. L’adjoint du ministre, Rashid Tahir, a ainsi expliqué à l’agence Basnews que l’argent serait transféré d’Europe vers un compte ouvert auprès de la Hall Bank en Turquie, d’où il serait envoyé à la banque centrale du Kurdistan, puisque le gouvernement central refusant de payer, depuis janvier 2014, les fonctionnaires kurdes, « il n’y a aucune raison de leur retourner une partie de ces revenus ».

Le Kurdistan a même prévu, pour cela, de s’appuyer sur une loi que son parlement a voté en 2013, qui énonce que si le conflit entre Erbil et Bagdad dépasse les 90 jours, alors le gouvernement kurde est libre d’employer tout moyen à sa disposition pour obtenir les financements auxquels il a droit, comme le confirme au même journal Dilshad Sahban, s’exprimant au nom de la Commission parlementaire des ressources naturelles : « Si Bagdad n’envoie pas les 17% de son budget total à la Région du Kurdistan, ils n’obtiendront pas un penny de notre part, seuls 5% iront au Koweït à titre de compensation » [l’Irak doit dédommager le Koweït des dégâts causés par l’invasion de 1991 en prélevant un pourcentage de ses revenus pétroliers]. 

Selon Sadiq Aytekin, conseiller-adjoint au ministère turc de l’Énergie, 1. 48 000 barils de pétrole kurde ont été exportés sur les marchés mondiaux via le port de Ceyhan, avec un prix de 110 $ le baril. Près de 93 millions de $ auraient été ainsi déposés chez la Hall Bank. Une partie de cet argent devant être utilisé pour payer enfin le traitement des fonctionnaires, ce sera en dollars qu’ils pourraient être directement payés.

La création de ce compte a été officialisée lors de la visite en Turquie du vice-Premier ministre kurde Qubad Talabani, du ministre des Ressources naturelles Ashti Hawrami et du ministre des Finances Rebaz Mohammad. D’après le porte-parole du GRK, ces trois responsables seraient les seuls à disposer de la signature et du droit de retrait de ce compte.

Le gouvernement kurde espère, avec ces revenus, atténuer ou faire cesser la « crise des salaires » impayés par Bagdad. Le budget du ministère des Finances ne peut, pour le moment, couvrir que 10% des traitements de plus d’un million quatre cent mille fonctionnaires, dont une partie serait des « employés fantômes », selon des enquêtes internes.

L’effondrement de Mossoul et le désordre général en Irak n’ont pas empêché les exportations kurdes de se dérouler comme prévu et le 17 juin, un autre pétrolier avait quitté Ceyhan chargé du pétrole de la Région kurde (le premier était parti le 2 mai).

Le 7 juillet, Ashti Hawrami, le ministre kurde des Ressources naturelles s’exprimait au Parlement pour rendre compte de la crise provoquée par le front entre l’armée irakienne et l’EI, qui a privé le Kurdistan de l’accès à la raffinerie de Baidji et a provoqué une pénurie générale de carburant dans le pays. Ashti Hawrami a rappelé qu’avant les événements, la Région du Kurdistan consommait 7, 5 millions de litres de carburant par jour et qu’à présent, après restrictions, les besoins étaient tombés à 6 millions de litres par jour. Deux cent mille concessions de carburant avaient été délivrées. Le gouvernement projette de construire une raffinerie à Duhok et une à Garmiyan et le ministre a affirmé que ces deux raffineries suffiraient largement à résoudre la crise, mais il fallait attendre deux ans pour qu’elles soient opérationnelles.

D’un autre côté, deux champs de pétrole à Kirkouk sont tombés sous le contrôle des Peshmergas qui en ont chassé, le 13 juillet, l’État islamique. Ces deux champs ont une capacité de production de 300 000 barils par jour.

Le Kurdistan espère accroître ses exportations jusqu’à 250 000 barils par jour dans les prochains mois, et même 500 000 à la fin de l’année, avec le pétrole de Kirkuk qui viendra gonfler les exportations. Pour 2015, le gouvernement kurde espère relier les champs de Kirkouk une fois aux oléoducs de Khurmala et Makhmur, pour une exportation en Turquie via l’oléoduc du Kurdistan.

Le 27 juillet, un pétrolier transportant une cargaison kurde a atteint le port de Galveston, au Texas. Un million de barils de brut devait être vendu pour un montant d'environ 100 millions de dollars. Mais le 28 juillet, la cargaison était saisie, sur décision d’un juge de Galveston après plainte du ministère du Pétrole irakien auprès de la cour fédérale de Houston. La magistrate Nancy  Johnson n’a pas tranché sur le litige en lui-même, mais a ordonné au marshall de Galveston de confisquer le brut et de le garder en dépôt à terre, en attendant que la question juridique soit résolue.

Alors que les échanges s’accroissent avec la Turquie, ils se sont effondrés entre l’Irak et le Kurdistan, le président de la chambre de commerce d’Erbil estimant que 90% des échanges avaient cessé, en raison de la présence de l'EI au centre de l’Irak.

En ce qui concerne les échanges avec l’Iran, les chiffres du commerce et du tourisme ont chuté de 80% depuis le début du mois de juillet. Le 23 juillet, Ahmed Ali Kalari, du Conseil du commerce et de l’Industrie de Suleïmanieh a, dans une conférence de presse, indiqué qu’actuellement, c’est environ 180 camions par jour qui entraient au Kurdistan via la frontière de Parwezkhan, alors qu’auparavant, le nombre de camions amenant quotidiennement des marchandises d’Iran s’élevait à 900 par jour. L’Iran a ainsi fermé sa frontière aux camions-citerne irakiens et kurdes et ne laisse circuler que les iraniens. 


Mais alors que le GRK vient de renouveler un contrat de fourniture d’électricité avec la Turquie, un autre contrat est en pourparlers avec l’Iran, ce qui indiquerait que des mesures « anti-indépendance » de la part de Téhéran contre Erbil n’auront peut-être pas lieu. Le Kurdistan d’Irak a toujours essayé, depuis 1992, de garder un certain équilibre dans ses relations entre la Turquie et l’Iran et la poursuite, voire l’accroissement des échanges commerciaux avec son voisin oriental lui permettraient de ne pas dépendre entièrement de la Turquie tout en apaisant les craintes de l’Iran. 

Sur le front, les Peshmergas contiennent toujours l'EI que ce soit à Djalawla ou Ninive, avec des pertes qui doivent s'élever maintenant, depuis début  juin à près de 90 tués, plus de 200 blessés et quelques prisonniers. La journée du 26 juillet fut la plus lourde, quand les Peshmergas ont temporairement pris le contrôle de deux positions à Djalawla mais ont dû s'en retirer, faute de munitions, annonçant 13 des leurs tués, 40 blessés, contre 38 combattants d'EI tués. 

L'armement sophistiqué, fourni par les Américains à l'armée irakienne, dont EI s'est emparé sans coup férir, inquiète les militaires kurdes dont les Peshmergas ne disposent que d'un armement moins performant et moins adapté aux combats urbains. Et si les USA font la sourde oreille aux demandes de réarmement de Nouri Maliki, autant dire que les Kurdes n'ont rien à espérer de ce côté-là…



dimanche, juillet 27, 2014

Célébrations et rassemblements pour l'anniversaire de l'enlèvement du père Paolo Dall' Oglio



Communiqué de la communauté monastique Al-Khalil de Deir Maryam Al-Adhra, Suleïmanieh :

À l'occasion de la date anniversaire de l'enlèvement du père Paolo Dall'Oglio en Syrie, le 29 juillet 2013, quelques messes ou rassemblements sont organisés pour sa libération et celle des détenus de Syrie, pour la Syrie, pour l'Irak, pour le Moyen Orient.

À Anvers : à 20 h 30, rassemblement de solidarité place de Cpninck près de la gare centrale

À Berlin : 19 h 00, prière islamo-chrétienne à l’Église Saint-Thomas d’Aquin de l’Académie catholique (Katholische Akademie, Hannoversche Str. 5, 10115.

À Beyrouth :  à 18h45 messe à l’Eglise Saint-Joseph des Jésuites (Ashrafieh), suivie d’une rupture de jeûne et vigile de prière à partir de 19h30 sur le parvis de l’église.

À Bruxelles :  de 18 à 19 h, esplanade de la Gare centrale, rassemblement de solidarité, silencieux et apolitique. Chacun peut venir avec une bougie, un portrait du Père Paolo ou d'autres détenus. Pas de bannières, pas de drapeaux, pas de slogans politiques.


À Rome : une messe sera célébrée à 18 h 30 à l'église San Giuseppe, via Francesdo Redi 1 (via Nomentana).



mardi, juillet 15, 2014

L'ambassadrice américaine et la marchande de miel d'Amadiyya



Ce pourrait être le titre d'un conte heureux, hélas, cela se passe sous Anfal, en 1988, et cela est raconté par Jonathan Randal, qui a recueilli quelques confidences de l'ancienne ambassadrice américaine en Irak, April C. Glaspie, quand elle évoque ses rencontres avec Ghassemlou à Bagdad, au moment où l'Anfal avait commencé de toucher le Behdinan et qu'elle espère en savoir plus via le leader du PDK-I alors en exil plus ou moins surveillé en Irak : 

 À cette époque, le monde entier disposait de très peu d’informations fiables  sur le sort infligé aux Kurdes d’Irak » et April Glaspie souhaitait savoir ce qui se déroulait au Behdinan, totalement isolé de l’Irak arabe. Ghassemlou, même si cela était risqué, pouvait se rendre au Kurdistan d’Irak sans trop éveiller de soupçons, au contraire de l’ambassadrice, dont la voiture était filée en permanence par les agents de Saddam.

April Glaspie confie à Jonathan Randal ne s'être jamais pardonnée d'avoir fait arrêter sa voiture, à Amadiyya, cédant à l'envie d'acheter un pot de miel, sur la route, et repartir. Ils avaient tout juste redémarrer quand, regardant en arrière, elle vit l'infortunée marchande de miel se faire emmener par les agents de Saddam… 



jeudi, juillet 10, 2014

Paroles de Turcs




Vendredi 11 juillet à 23 h 15 sur ARTE, Paroles de Turcs, documentaire de Bettina Blümmer (All., 2013).


Le quartier de Neukölln, à Berlin. Conscient des problèmes que peuvent rencontrer ses compatriotes, le psychologue d’origine turque Kazim Erdogan a entrepris de les écouter. Il veut les aider à dépasser les préjugés défavorables qu'a une partie de la population allemande à leur égard. Des individus courageux parlent de problèmes personnels, mais aussi de questions sociales et économiques.

lundi, juillet 07, 2014

Les trois fronts d'Al-Dawla al-Islamiyya ou "Victoire islamique" : III. La Syrie

Drapeau du Rojava


Les prises de guerre, en armes, en matériel et en argent (l'État islamique ou EI s’est emparé du trésor de la banque de Mossoul) ne peuvent avoir qu’un lourd impact en Syrie, puisqu’à la faveur de la débandade irakienne, les djihadistes se trouvent être le groupe terroriste le plus riche au monde, et munis d’un armement américain certainement plus performant que l’équipement de l’Armée syrienne de libération (ASL) et du PYD kurde. La continuité territoriale du « nouvel État » offre aussi un accès continu et sûr pour la circulation de ses combattants, entre Deir ez Zur, Raqqa et Mossoul.

La question était de savoir si le front « majeur » d’EIIL va continuer d’être la Syrie, et notamment Deir ez-Zour, ou bien si c’est l’Irak qui passera en premier dans ses priorités offensives. Mais l’établissement du nouvel État islamique passe autant par un renforcement des attaques contre les milices djihadistes rivales ou l’ASL que par une consolidation de leur positions à Mossoul. Il s’agit d’assurer la sécurité et la continuité des routes et de garder la main sur les champs pétrolifères saisis, que ce soit À Deir ez-Zour ou à Ninive. 

Par contre, EI s’est livré à plusieurs appels rassurants en direction de milices djihadistes adverses, dont certaines relevant de Jabhat al Nusra, qui ont fait défection en sa faveur, en des points locaux de la province. La politique d’EI, ici, suit la ligne prêchée en direction des sunnites irakiens : une « clémence » en cas de repentance.
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La ville de Deir e Zur est toujours disputée entre le régime, Jabhat al Nusra et l'État islamique. Jusqu’ici, EI a combattu principalement les rebelles syriens, adoptant envers le régime la même politique d'évitement qu’envers le Kurdistan d'Irak en Irak, mais ses récents gains militaires orientaux peuvent changer la donne.

Les frappes de l’armée syrienne et sa concentration sur l’ouest syrien changent aussi de cap, et visent maintenant Raqqa, Deir ez-Zour et Hassaké, sur les positions tenues par EIIL. Cela peut alléger la pression sur l’ASL à l'ouest, d’autant que les milices irakiennes chiites présentes en Syrie sont rappelées à Bagdad pour soutenir la défense du sud Irak. Le 15 juin, les forces aériennes syriennes auraient ainsi pilonné durant 24 h des places fortes tenues par EI, dans les régions de Raqqa et de Hassake.

Si cet allégement du front ouest peut voir un déplacement de l’effort militaire syrien contre EI, ce dernier  dont la puissance de feu est maintenant accrue et les déplacement facilités, concentre aussi ses assauts sur les territoires kurdes qui coupent ses propres zones, et d’abord Kobanî, enclavé entre la Turquie et EI d’ouest en est. Hassaké est plus difficile à faire tomber, de part la persistance d’une présence des forces gouvernementales, et Afrin est, elle, bouclée entre l’ASL et le bastion alaouite. Entre Raqqa et Deir ez Zur, les lignes de front d’EI se mêlent ainsi à celles des Kurdes YPG, tout comme à Ninive et Kirkuk, ils côtoient de près les Peshemrgas du GRK. Mais si au Kurdistan et en Irak, EI évite généralement de disperser ses forces entre les Kurdes et les Irakiens, il n’en va pas de même en Syrie, d’autant que les YPG sont vus comme des alliés du camp chiite (Baath + Maliki + Iran) et que si les Peshmergas du GRK adoptent une attitude strictement défensive, de leur côté, les YPG tentent, en vain, de déloger EI des  régions qu’il occupe et qui coupent les trois ‘cantons du Rojava’. 

En riposte, l’EIIL sème la terreur dans les villages autour de Ras al ‘Ayn- Serê Kaniyê et Tell Abyad, avec des massacres de civils et des exécutions par décapitations ou crucifixions dont la diffusion sur Internet, par différents réseaux sociaux (tant d’eux-mêmes que des Kurdes) a pour effet de frapper les esprits et de servir d’avertissements ou d’intimidations (mais aussi de mobiliser davantage les Kurdes et tous ceux qui ont à craindre EI).


La réaction du PYD et du PKK à la chute de Ninive et au déploiement des Peshmergas sur les régions abandonnées par les Irakiens a été, dans les premiers jours des attaques, un appel à « l’unité » et à la défense générale du Kurdistan au cas (improbable) où EI menacerait son existence. Le porte-parole des YPG assurait même, dans une déclaration, être prêt à combattre aux côtés des Peshmergas (l’envie du GRK de voir arriver sur son sol les troupes des YPG-PKK doit être aussi grande que celle du PYD de voir arriver dans ses « cantons » les peshmergas du Conseil national kurde de Syrie ou du GRK).

Les peshmergas de Rabia et les YPG de Yaroubia se sont même rencontrés le 10 juin afin de coordonner la défense des frontières contre EI (source YPG). Depuis le départ des Irakiens, les positons respectives des Kurdes restent les mêmes : Yaroubia tenue par les YPG, Rabia par les Peshmergas. Plus au sud, c’est EI qui contrôle la frontière syro-irakienne, qui est ainsi totalement perdue par l’armée irakienne. 

Le KCK (c’est-à-dire le PKK) avait de même, le 11 juin, appelé à l’unité pour défendre « le sud et l’ouest » du Kurdistan, en affirmant qu’ayant échoué à prendre le « Rojava », EI se tournait maintenant contre le Başûr (le sud)  directement « menacé », ce qui contrastait singulièrement avec le calme et l’assurance que les Kurdes du « sud » affichaient devant EI et la confiance qu’ils éprouvent devant leur force de résistance. 

Cela faisait plusieurs mois, aussi, que le PYD appelait à une « entente » avec la Turquie (dont un accord pétrolier), d’autant que sur le terrain, devant les avancées d’EI, l’ASL et les YPG s’étaient trouvé un adversaire commun et une trêve avait précédé une collaboration militaire. Le 21 juin, Bashira Darwish, membre de l’exécutif du PYD, dans un entretien avec l’ANF (agence de presse du PKK) indiquait être de retour d’Istanbul où, le 7 juin, une délégation y avait rencontré plusieurs organisations  dont le Conseil national syrien (à qui aux début de la révolte syrienne, le PYD reprochait d’être soutenu précisément par la Turquie) en même temps qu'elle assistait au congrès du HDP-BDP le parti pro-kurde et proche du PKK en Truquie. 

Revirement assez prononcé par rapport à 2011- 2013, Bashira Darwish assurait avoir pour objectif de « rassembler l’opposition en Syrie sous un même toit ». Mais interrogée sur un dégel des relations du PYD avec la Turquie, elle reconnaissait que diplomaiquement, les relations n’étaient pas très amicales. De ce qu’il ressort du compte-rendu, le PYD y allait surtout pour aligner ses programmes politiques avec le processus de paix du BDP et d’Öcalan :

« On ne peut pas dire que nous avons établi des relations très chaleureuses avec la Turquie. Des délégations se sont certes rencontrées mais on ne peut pas dire qu’elles ont eu lieu comme faisant partie d’une relation sérieuse et durable. Nous, dans la région du « Rojava » nous sommes administrativement liés à la Syrie. Mais nous avons des frontières avec la Turquie et l’Irak. Ainsi, nous avons des rencontres avec ces deux États. Quand nous regardons les attaques menées par EIIL, nous voyons que ce n’est pas seulement le Rojava mais aussi la Turquie et l’Irak qui sont menacés. Notre désir est qu’un environnement de paix puisse se développer qui inclurait le Rojava. Concernant la Turquie, la tâche la plus importante à cette fin est pour nous de prendre des pas concrets pour répondre à l’appel lancé par le leader Apo (Öcalan) et pour avancer dans le développement du processus de paix. AInsi notre relation avec la Turquie s’améliorera en même temps que le déeloppement du processus de paix. » (source ANF).

Interviewé le 13 juin par le journal turc Bianet, Salih Muslim, le co-président du PYD, avait aussi réitéré les appels à l’unité des Kurdes, en se plaignant une fois de plus que jusqu’ici, son parti avait été le seul à combattre EI (faisant mine d’ignorer l’ASL et JN contre qui EI passe son temps à se battre) et que la Turquie n’avait jamais saisi la main tendue pour une collaboration commune ;  la chute de Mossoul en était le résultat direct :

« Nous avons constamment frappé à la porte, tendu une main, mais elle fut laissée pendante. La Turquie doit faire face aux faits, maintenant. Faisons quelque chose ensemble, ou le danger est sur nous tous. »

En parralèle, au moment où EI entrait en Irak et où le PKK appelait à l’unité, le journal Basnews rapportait une rencontre entre le PYD et le PDK de Barzani à Ankara, dont le sujet principal était l’avenir du Kurdistan syrien. Les deux parties avaient convenu, semble-t-il, de cesser de s'attaquer rmutuellement dans les media et de tenter de trouver un accord au sujet de l’ouverture du poste-frontière Sêmelka-Pêsh Khabur. Selon le même journal, le KCK (les Communautés kurdes émanant du PKK) avait participé aux discussions.

Mais ce début de détente plus que d'entente entre le PYD et le PDK allait être sérieusement écorné (et peut-être tué dans l’œuf) par les déclarations émanant à la fois du PKK et du PYD dès que s'est précisée l’intention de Massoud Barzani d’organiser un référendum sur l’indépendance : hostilité envers un État kurde indépendant et accusation envers le PDK de faire partie d’un « complot » réunissant les pays envisagés comme favorables à l’avènement d'un État kurde : la Turquie et Israël, mais aussi les USA et l’Arabie saoudite, deux États qui ont plus en commun leur opposition à l’Iran que leur soutien aux Kurdes et c’est évidemment de là que vient ce revirement, qui coïncide avec les prises de positions très fermes de Téhéran à l’encontre de toute indépendance kurde.

Dans un entretien donné au journal pro-PKK Özgür Gündem, Cemil Bayik, l’actuel dirigeant du mouvement (au nom d’Öcalan) a accusé le premier le PDK de soutenir EI. 

Le 24 juin, le site de presse multi media Vice News publiait une interview complète du même Cemil Bayik où il affirmait que l’UE et les USA étaient « responsables directs » de la désintégration de l’Irak, par « leur soutien à l’islam politique » ; selon lui, l’avancée rapide d’EI et l'absence de résistance qu’il a rencontré en Irak ne peut venir que d’« un plan pré-établi avec des puissances régionales et internationales », dont l’objectif principal est de désintégrer les populations et les États et d’éliminer les forces révolutionnaires du Rojava ».

Au même moment, un responsable du PYD déclarait sur sa page facebook, que « La Turquie, la Grande-Bretagne (sic) et les USA tentaient d’attirer les Kurdes dans un combat contre les autres nations de la région qui mènerait à la guerre », en ajoutant que Massoud Barzani était utilisé à cette fin comme une arme contre le PKK et que le PDK avait des liens avec EI :

« Proclamer un État kurde indépendant poussera les groupes militants (EI) à  venir dans les régions kurdes et à y combattre ».

Toujours le 24 juin, dans un entretien accordé à Al Monitor, Salih Muslim a accusé soudain la Turquie de soutenir EI, ne serait-ce qu’en laissant passer ses militants par la frontière, ou bien en soutenant directement des groupes armés, même si cela entrait en contradiciton avec la prise d’otages de Mossoul :

« L’été dernier, à Serê Kaniyê, nous avons vu ouvertement ce soutien. La Turquie soutient ouvertement EIIL. Il y a des témoins »

Salih Muslim fait aussi état de « divers documents » trouvés sur le corps de combattants d’EI tués et qui prouveraient leur séjour en Turquie. Il assure aussi ne pas croire à la thèse de « l’État profond qui agirait sans le consentement d’Ankara. Au minimum, selon lui, le pays ferme les yeux devant les allées et venues de l’organisation.

Or, en mars dernier, c’était le régime syrien qui était accusé par le PYD de soutenir en secret EI contre le PYD que ce soit par le porte-arole des YPG, Rêdûr Xelîl, qui nommait directement Al Assad  ou par le même Salih Muslim, qui déclarait, également dans le Monitor (27/3/14) que Damas était derrière les attaques d’EI contre les Kurdes, ce qui justifiait une collaboration entre l'ASL et les YPG. 

Quelques jours plus tard, le journal Özgür Gündem rapportait, sur la foi de « la copie d’un document montrée à leur correspondant par un diplomate qui a des années d’expérience au Moyen Orient » (l'original de cette copie aurait été vendu aux officiels irakiens pour 4 millions de $, il n’y a pas de petits profits) une rencontre secrète qui aurait eu lieu, le 1er juin, à Amman, la capitale jordanienne, entre le PDK et les Baathistes (irakiens plus que syriens, probablement) ; rencontre dont les USA, la Joprdanie, la Turquie, Israël et l’Arabie saoudite avaient eu connaissance. Tout ceci afin d’élaborer un plan  pour permettre à EI d’attaquer Mossoul et d’avancer sur Bagdad. 

Averti de la rencontre, l’Iran, lui aussi au courant, aurait menacé de représailles Massoud Barzani. Et le mystérieux diplomate a même pu établir la liste des invités dont le représentant des services jordianiens, Salih Kelob, Azad Berwarî pour le PDK (il avait aussi fait le voyage à Damas pour rencontrer Bashar Al Assad quand, au printemps dernier, Kobanî était encerclé par EIIL), des représentants de diverses organisations islamistes (certaines du Maghreb), Izzat Ibrahim al-Douri, le leader de l’Armée des Naqshbandi, un représentant de Mollak Kerkar, etc.

Quant à Massoud Barzani, contrairement à ce que l’on pouvait croire, il n’était pas en France ni en Italie 4 jours avant la rencontre (ça devait être un sosie sur les photos avec le pape) mais à Amman pour jouer un rôle actif de préparation à la rencontre (il devait essuyer les tables et préparer les gobelets à café). Aussi l’Iran lui aurait envoyé Ahmed Chalabi pour lui dire d’arrêter son soutien à EIIL ou il allait lui en cuire. L’Iran a dans le même temps assuré Maliki de son soutien militaire et qu;’il n’avait pas besoin d'en demander aux USA (ça tombe bien, ils n’ont pas l’intention de lui en donner).

Bref, hormis ce salmigondis, où Israël marche main dans la main avec les Salafistes, le PDK avec EI, la Turquie avec tout le monde, sauf l’Iran, qui est tout seul, apparemment, pour défendre l’Irak, il suffit de regarder rapidement la chronologie des événements pour voir que les attaques du PKK-PYD suivent les déclarations de Massoud Barzani à CNN, le 23 juin, au sujet de son intention de référendum et la déclaration du porte-parole iranien des Affaires étrangères vient le 25 juin, avertissant le GRK de ne pas « diviser » l’Irak, en devenant un État détaché et (surtout) allié à la Turquie). 

Depuis ce moment-là, tous les cercles plus ou moins affiliés au PKK y vont de leur avertissement sur le futur Kurdistan d’Irak. Le député Hatip Dicle (BDP) à peine libéré de prison n’a rien trouvé de plus pressé de déclarer que Kirkuk n’était pas kurde. Il va au moins doper sa popularité auprès du Front turkmène de Kirkouk… Quant à l’UPK, il semblerait que des scissions se fassent jour (encore une fois) entre les pro-référendum et les anti (plus sensibles à la sensibilité de l’Iran) d’autant qu’ils en sont encore à se choisir un leader (et éventuellement désigner leur candidat à la présidence de l’Irak).

Sur le terrain militaire du Kurdistan syrien, comme prévu, c’est à Kobanî, le point le plus vulnérable des régions tenues par le PYD, que s’est concentré l’effort de guerre d’EI contre  les YPG. Depuis un peu moins d’une semaine, le front a évolué des attentats quasi quotidiens ou des escarmouches entre villages, vers une offensive qui rappelle celle du printemps. Ce serait une centaine de djihadistes venus dans la zone (source YPG) et un lourd bombardement au mortier des environs. Les mêmes sources YPG indiquent avoir tué une centaine de combattants d’EI.

Le canton de Kobanî a décrété la mobilisation générale et ses commandants, ainsi que Qandil (PKK), ont appelé toute la « jeunesse kurde » de tout le Kurdistan à se joindre au combat. Dans ces opérations, l’alliance militaire entre l’ASL et les YPG se poursuit avec des opérations conjointes à l’ouest du canton (proche des positions ASL).

Le PKK et le PYD ont aussi – paradoxalement – appelé à l’aide le GRK (alors qu’il est supposé avoir tout combiné avec Israël). Murat Karayilan, l’ancien dirigeant du conseil de présidence du PKK que Bayik a évincé, est sorti de son silence pour  avertir Massoud Barzani que si EI contrôlait Kobanî, demain ils contrôleront Kirkuk » (nonobstant le fait que tout ça a été conçu à Amman).

Encore hier, l’aide demandée au GRK de la part du PKK n’était pas très claire. Ouvrir la frontière ? Kobanî est séparé de Hassaké par EI. Une intervention des Peshmergas en Syrie, sur les terres du PYD ? Encore moins probable. 

Quant à Salih Muslim, il vient de demander (via le site de presse officiel de l‘UPK) des tanks et des armes de la part du GRK (qui n'en a probablement pas de trop contre EI et ses nouvelles armes américaines), mais rien de précis n'a émané des YPG ; d’ailleurs les Peshmergas sont assez occupés à garder Kirkouk et à se défendre actuellement des premières frappes aériennes irakiennes (les avions russes sont enfin arrivés).

Concert de soutien à l'Institut kurde