mercredi, avril 23, 2014

Calais, une fenêtre sur la Syrie

Mercredi 30 avril à  17 h 00, sur France Culture : Calais, une fenêtre sur la Syrie. Sur les docks, E. Gruau.

Syrie : la vie, obstinément



Samedi 26 avril à 18 h 55 sur ARTE : Syrie : la vie, obstinément, reportage de Marcel Mettelsiefen et Anthony Wonke (GB, 2013).

"Alep, la grande ville du nord de la Syrie, était aussi autrefois l’une des plus prospères du pays. Elle est aujourd’hui ravagée et déchirée entre zones rebelles et quartiers tenus par le régime. 
Certains habitants ont décidé de rester et de se battre, vaille que vaille. Pour eux, pas question de fuir pour vivre ailleurs. Dans cette guerre d’usure, il règne une atmosphère surprenante : les habitants semblent s'être habitués à la guerre. La vie reprend ses droits au milieu des immeubles écroulés. Dans des bâtiments désertés, des écoles détruites ou fermées, ceux qui ont choisi de rester s'évertuent à maintenir une forme de vie quotidienne. De l’autre côté, malgré les combats et le chaos, les zones de la ville tenues par la rébellion syrienne retrouvent des airs de normalité. Entre écoles de fortune et comités de quartier, la cité s’organise, depuis la distribution du pain jusqu’au ramassage des ordures."

mardi, avril 22, 2014

La citadelle d'Erbil : histoire et héritage



Le mardi 29 avril 2014 à 17 h, à la Maison des sciences de l'homme, vernissage et présentation de l'exposition :

La citadelle d'Erbil : histoire et héritage

La Fondation Maison des Sciences de l’Homme et la Haute Commission pour la réhabilitation de la Citadelle d’Erbil (HCECR), en partenariat avec l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), et avec le soutien de la Représentation du Gouvernement régional du Kurdistan-Irak en France, organisent une exposition destinée à présenter la Citadelle d’Erbil. 

Une exposition de photographies aura lieu, et le président du HCECR présentera quelques aspects de l’importance du site, ainsi que le projet de conservation et de réhabilitation mené en vue de sauvegarder le riche héritage de la Citadelle d’Erbil.

mercredi, avril 16, 2014

L'Iran entre deux femmes

Vendredi 25 avril à 15 h 00 sur France Culture : L'Iran entre deux femmes. Avec Nahal Tajaddod, écrivain et Golshifteh Farahani, comédienne. Culture d'islam, A. Meddeb.

En secret


Mercredi 23 avril à 22 h 25 sur Ciné+ Club : En secret, de Maryam Keshawarz.

Atafeh et sa meilleure amie Shirin fréquentent les soirées branchées du Téhéran underground. Elles essayent de profiter au mieux de leur jeunesse quand Mehran, le frère et complice d’Atafeh, devient membre de la police des mœurs. Alors qu’il désapprouve sévèrement leur besoin de liberté, Mehran tombe amoureux de Shirin. Ses sentiments vont vite tourner à l’obsession et mettre à l’épreuve l’amitié des jeunes filles.

Le génocide arménien

Lundi 21 avril à 20 h 30 sur LCI : Le génocide arménien, documentaire de Laurence Jourdan (France/Belgique, 2005).


mardi, avril 15, 2014

Il y a deux siècles : les chrétiens nestoriens, chaldéens et autres vus par nos consuls


"Le groupe le plus important de ces hérétiques étaient les Nestoriens, qui vivaient dans le nord du pays en contact permanent avec les Kurdes auxquels ils ressemblaient par certains traits. Voici ce qu'en écrit en 1880 notre représentant à Mossoul, M. Pognon : "Après avoir eu des partisans dans presque toute l'Asie et fleuri pendant plusieurs siècles, après avoir eu des écoles célèbres et des hommes illustres, cette secte est confinée de nos jours dans un coin de montagne du Kurdistan et dans quelques villages de la Perse. Elle se trouve dans une profonde ignorance et une indigence qui frise la misère au point qu'un grand nombre de ses enfants sont obligés de s'expatrier pour se répandre dans des pays lointains afin de gagner médiocrement leur vie à des travaux pénibles et peu lucratifs. Mais si les partisans de Nestorius ont perdu leur importance et leur science, ils ont gardé la bravoure et l'énergie du montagnard qui font leur force et qui leur permettent de tenir tête à des ennemis formidables en nombre qui les entourent de tous côtés. Leurs mœurs sont restés dans leur pureté primitive et leur caractère, quoique belliqueux, est empreint de cette douce candeur qu'on rencontre souvent chez les peuplades vivant dans une liberté plus ou moins sauvage… Comme tous les peuples ignorants, cette secte a son fanatisme de routine et pour ainsi dire mécanique, sans être fixé par une conviction savante… Ils sont belliqueux et bien armés ; ils mènent une vie très frugale et habituent, dès leur bas-âge leurs enfants au maniement des armes. Les montagnes qu'ils habitent leur ont permis jusqu'à présent de jouir, vis-à-vis de la Porte dont ils sont les sujets, d'une indépendance presque absolue. Le gouverneur du Sultan n'exerce sur eux qu'une souveraineté de nom. Leur patriarche, qui porte toujours le nom de Bar-Chamoun, par allusion à St Pierre dont il est sensé être le successeur légitime, possède en main les deux pouvoirs,  temporel  et spirituel… Leurs montagnes sont, paraît-il, extrêmement difficiles et, pour pénétrer dans certaines parties du pays, on a à traverser des ponts, construits avec des joncs et des roseaux qui peuvent à peine leur servir de passage ainsi qu'à leurs bestiaux et qu'ils sont maîtres de briser devant le moindre danger qui les menace. Cette antique communauté chrétienne compte près de 100. 000 âmes dans les montagnes et 50. 000 répartis dans des pays divers. Elle est travaillée depuis quelque temps par les Anglais et les ministres protestants qui cherchent à s'introduire chez eux et à leur inculquer leur doctrine." [lettre du 18 octobre 1880]
Dix ans plus tard, un autre de nos agents, M. Pognon, nous donne de curieux détails sur la succession patriarcale chez les Nestoriens : "Peu de temps après son avènement, le patriarche se choisit un successeur de la manière suivante. Il annonce à son frère ou à son plus proche parent marié que le premier fils qui naîtra de lui sera son héritier. Dès le commencement de la grossesse, la mère du futur patriarche doit s'abstenir de viande et d'aliments gras et cette abstinence doit continuer jusqu'après l'allaitement de l'enfant si celui-ci se trouve être un fils. Être "nazir", c'est-à-dire n'avoir jamais absorbé un atome de viande, et appartenir à la famille patriarcale est à peu près tout ce qu'on demande à l'˙héritier présomptif du patriarche. À la mort de celui-ci, son successeur désigné le remplace de plein droit et est sacré sans difficulté alors même qu'il serait encore enfant. L'épiscopat est également presque héréditaire dans certaines familles et il n'est pas rare de voir des évêques nestoriens âgés de douze ans. Vivant à la manière des grands seigneurs féodaux, les patriarches héréditaires sont généralement des personnages fort peu ecclésiastiques : leur conduite laisse parfois beaucoup à désirer et le patriarche actuel est un ivrogne incorrigible. Quant au clergé, il est arrivé au dernier degré de l'ignorance et il est évident que le nestorianisme est condamné à disparaître dans un petit nombre d'années et à céder la place, soit au catholicisme, soit au protestantisme."
À cette époque d'ailleurs, des pourparlers étaient en cours pour les amener à rentrer dans l'église catholique et notre consul indique quelles sont, à son avis, les conditions pour que ces négociations aboutissent : "J'ai la conviction que le Patriarche et ses évêques signeront toutes les professions de foi qu'on leur présentera ; ils les signeront d'autant  plus facilement qu'ils ne les liront peut-être pas et que, s'ils les lisent, ils n'y comprendront probablement rien du tout. Par contre, il serait tout à fait impolitique de prétendre rien changer aux usages établis et à la discipline ecclésiastique". [lettre du 10 novembre 1890]. En fait, les pourparlers n'aboutirent pas.
Quelqu'ignorants qu'ils fussent, les nestoriens, tout au moins leurs prêtres, ne manquaient pas d'astuce quand il s'agissait de se procurer de l'argent. Ils se répandaient en effet dans le monde entier, munis de lettres de recommandation plus ou moins fantaisistes et faisaient appel à la charité des fidèles en dissimulant soigneusement leur identité véritable. Nos consuls mettent à plusieurs reprises nos autorités civiles et religieuses en garde contre leurs agissements : " Un certain nombre de prêtres et même de laïcs nestoriens", écrivait en l'année 1894 notre consul à Bagdad M. Pognon, "vont chaque année quêter en Europe, et particulièrement en France, et recueillent ainsi des sommes importantes. Munis d'une lettre de recommandation écrite en syriaque par leur évêque, rédigée intentionnellement en termes ambigus et dont le signataire se qualifie, non des nestorien, mais de chaldéen, munis en outre de papiers qui, fort souvent ont été délivrés à d'autres qu'eux, ils s'adressent aux évêques, surprennent leur bonne foi et obtient des préfets l'autorisation de faire des quêtes généralement fort fructueuses… Faites comme elles le sont par des gens qui se donnent une qualité qu'ils n'ont pas, qui dissimulent souvent leur nom et qui, dans la plupart des des cas, gardent pour eux-mêmes les sommes recueillies, ces quêtes constituent de véritables escroqueries et devraient être interdites. Autant qu'il est possible d'en juger, les quêteurs s'adressent surtout au bas-clergé, aux couvents, aux congrégations religieuses et il est incontestable que la plupart de ceux qui donnent leur offrande ne la donneraient pas s'ils savaient à qui ils ont affaire. Mgr l'évêque de Tarbes, par exemple, serait probablement navré si on lui disait que les deux individus que son grand vicaire a si chaleureusement recommandé aux âmes pieuses comme bons catholiques appartiennent en réalité à la secte nestorienne anathématisée par l'Église de Rome depuis le règne de Théodose II, c'est-à-dire depuis quatorze siècles… De même, notre consul à Wellington recommande innocemment à la charité des âmes chrétiennes le R. P. Élie, qui quête pour la construction d'une église et d'un orphelinat à Ninive. Or l'individu qui se faisait appeler le père R. P. Élie était un nestorien et n'était peut-être même pas prêtre ; les nestoriens ne savent même pas ce qu'est un orphelinat ; enfin Ninive a été détruite il y a plus de 2. 000 ans".
En conclusion, notre consul recommande l'expulsion de ces quêteurs abusifs : "C'est ce que fit, il y a quelques années, le gouvernement russe qui fit reconduire à Constantinople une bande entière de quêteurs nestoriens qui exploitaient le territoire russe en se donnant comme catholiques orthodoxes. Le retour inopiné de cette bande qui, loin de rapporter le butin habituel, revint plus pauvre qu'elle n'était partie, fit sensation dans la région et, depuis cette époque, les quêteurs nestoriens, qui vont pourtant jusqu'en Chine, en Amérique et en Australie, ne se hasardèrent jamais sur le territoire russe". [lettre du 15 décembre 1894].
À côté des nestoriens, l'Irak abritait aussi des monophysites ou jacobites : cette secte fut, en 1895, troublée par un schisme dont notre consul, à Bagdad, M. Pognon, nous conte ainsi l'origine : "Cinq mois avant sa mort, le dernier patriarche jacobite avait perdu sa mule et, ayant appris que l'évêque jacobite de Diyarbékir en possédait une très bonne, il l'invita à la lui envoyer. Cet évêque est très riche, mais aussi avare que riche et il refusa formellement de donner sa mule au patriarche, refus auquel celui-ci répondit par une excommunication en bonne et due forme… L'évêque ne s'en émut nullement ; il conserva son siège et la confiance de son troupeau et, lorsque la patriarche mourut, il fut nommé administrateur du siège patriarcal jusqu'à l'élection du nouveau patriarche. À cette élection, il recueillit la majorité des suffrages et allait être nommé quand un de ses collègues, vieillard peu intelligent et très ignorant, assez peu estimé par ses collègues et ayant peu d'autorité sur ses fidèles, soutint que l'élection n'avait pas été canonique en raison de cette excommunication. Il acheta l'évêque qui représente la secte à Constantinople en lui envoyant 200 livres turques et 40 caisses de beurre et parvint à faire recommencer l'élection". [lettre du 20 septembre 1895]. Un autre candidat qui avait eu, entre temps, l'ingénieuse idée de distribuer un vêtement sacerdotal à chacun de ses confrères, fut alors élu. Mais l'évêque de Diyarbakir refusa d'accepter son élection, fit dissidence et menaça même de passer au catholicisme ; finalement, la seconde élection fut annulée et l'avare, qui avait sans doute consenti alors les sacrifices nécessaires, monta sur le trône du patriarche.
Les catholiques sous obédience de Rome se divisaient, eux aussi, en plusieurs Églises : les deux plus importantes étaient les Syriens catholiques (une dizaine de milliers) et les chaldéens (30. 000 environ). Ces derniers étaient d'anciens nestoriens, convertis au XVIIe siècle. Ils étaient fort pauvres et dépendaient étroitement des subsides que leur octroyaient le Vatican et aussi le gouvernement français ; ils étaient généralement, de ce fait, relativement soumis à Rome et, au cours des dernières années du siècle, certains de nos consuls, marqués d'anti-cléricalisme, le leur reprochent. En 1894 par exemple, notre consul à Bagdad écrivait, en parlant du patriarche qui venait d'être élu : "C'est un vieillard très âgé, fort instruit, mais maladif, maniaque, d'un ultramontanisme exagéré et, dit-on, d'une avarice sordide. Il a publié un livre dans lequel il a démontré la primauté du Souverain Pontife par des extraits des auteurs syriaques. C'est un peu comme si on voulait démontrer l'ancienneté de la poudre à canon par des citations tirées des Commentaires de César. Aussi ce tour de force lui a acquis la bienveillance du clergé latin." [lettre de M. Pognon du 1er décembre 1894].
Cette dépendance financière du clergé chaldéen vis-à-vis de Rome n'empêchait pas d'ailleurs que, de temps en temps, l'un ou l'autre des évêques de ce rite ne parte en dissidence ; c'était généralement le cas de candidats au patriarcat qui avaient vu leurs ambitions déçues et s'en prenaient au délégué apostolique qui n'avait pas toujours la tâche facile. Mais ces schismes ont été de courte durée et un compromis intervenait au bout de quelques années. "

La vie en Irak il y a un siècle vue par nos consuls, Pierre de Vaucelles, collection "Petite histoire des consulats".


lundi, avril 14, 2014

Il y a deux siècles : les yézidis, shabaks et badjwans vus par nos consuls


"Mais une des sectes les plus étranges de ce pays est bien celle des Yézidis, ou adorateurs du diable, qui subsistent encore dans le nord du pays mais sont en voie de disparition. Bien qu'ils prétendent se rattacher à un certain cheikh Ali [sic] qui fut, croit-on savoir, un musulman très orthodoxe, ils pratiquent une sorte de manichéisme et rendent un culte à l'Esprit du mal, représenté sous la forme d'un paon ; on ne sait exactement d'ailleurs s'ils vénèrent en lui une divinité redoutable qu'il convient d'apaiser ou s'ils croient, comme certains spécialistes l'ont affirmé, que Dieu a pardonné au diable sa révolte et lui a rendu son range de chef de la milice céleste. Quoi qu'il en soit, nos représentants  à Mossoul se sont intéressés à eux et ont essayé de connaître leur doctrine. Mais les Yézidis sont méfiants et peu enclins aux confidences ; les cérémonies du culte se déroulent généralement la nuit et les étrangers n'y sont pas admis. D'autre part, il leur est interdit d'apprendre à lire et à écrire, à la seule exception des membres de la famille du Cheikh Ali : aussi sont-ils fort ignorants, même leurs prêtres. Dans ces conditions, ce que nos agents ont pu savoir d'eux est peu de chose. Voici, par exemple, ce qu'écrivait M. Siouffi, notre vice-consul à Mossoul, en 1891 : "La secte des Yézidis qui, il y a un siècle encore, soutenait des luttes armées contre les autorités locales, est tombée de nos jours dans la faiblesse ; elle est exploitée, d'un autre côté, par des usuriers insatiables qui l'ont laissée dans une extrême indigence. Sous le rapport intellectuel, elle est de la plus grande ignorance… Aussi les Yézidis ne peuvent-ils fournir aucune donnée certaine sur l'origine de leur croyance. Ils ont l'air d'admettre l'existence de deux principes, du bien et du mal. C'est pourquoi on essaie de les faire remonter à Manès ou à Zoroastre. Quant aux auteurs musulmans et aux partisans du prophète en général, ils les considèrent comme des renégats et les accusent d'avoir apostasié l'islamisme après l'avoir professé. Ils prêtent à cet événement des circonstances mythiques et le placent à une époque fort improbable. Mais, quoi qu'il en soit, cette opinion des Musulmans sur l'origine des Yézidis fait le malheur de ces derniers attendu que, d'après la loi du Coran, tout homme qui, après avoir professé l'islamisme, renie cette religion pour en embrasser une autre, est voué à la haine publique et doit s'attendre à perdre la vie, l'honneur et les biens. Ce principe s'applique à l'infini à toute la descendance du renégat ; ce qui fait que les Yézidis de nos jours sont, aux yeux des Mahométans, responsables de la prétendue apostasie de leurs ancêtres, quelque reculée qu'elle soit dans l'histoire". [lettre du 10 juillet 1881].
En 1892, un gouverneur se mit en tête de ramener les Yézidis à l'Islam : par des promesses et des menaces, il amena quelques uns des principaux chefs à abjurer, mais la masse résista en dépit de procédés de conversion très persuasifs : jugez-en plutôt : "Le gouverneur a envoyé dans la contrée habitée par les Yézidis son fils accompagné d'un fonctionnaire réputé pour ses désordres et sa méchanceté " l'un âgé à peine de 25 ans, l'autre qui n'en a pas encore 30. Voilà les personnes qu'il a choisies pour opérer la conversion de toute cette secte. Ces jeunes gens, inexpérimentés et fougueux, qui avaient à leurs ordres plusieurs centaines de soldats de troupes régulières, ont commis, dans ces derniers temps, des abus révoltants : pillages, supplices, viols, meurtres, tout a été mis en usage par eux. Pour sauver son honneur, une femme s'est précipitée du haut d'une terrasse où elle avait été poursuivie et s'est fracturé la jambe. On ouvrit à certains individus les chairs pour bourrer de sel leurs blessures ; à d'autres, on enduisait le corps de miel pour les laisser dévorer par les mouches au soleil ; à l'un on coupait le nez, à l'autre on brisait l'épine dorsale à coups de crosse. On a tué l'un des notables dont on a apporté les oreilles au fils du gouverneur… On me dit qu'une femme enceinte, ayant été poursuivie par plusieurs soldats, s'est réfugiée dans une église où, après avoir subi le dernier outrage, elle a été laissée évanouie et en état d'avortement". [lettre de M. Siouffi du 23 septembre 1892].
Les conversions ainsi obtenues ne pouvaient être sincères : "On m'assure (et ce sont des musulmans mêmes qui me l'ont dit", que, lorsque les nouveaux prosélytes sont appelés derrière l'Imam à faire la prière aux cinq moments désignés par le Coran, l'Imam se retourne après avoir fait sa prière et ne voit personne, attendu que tous quittent furtivement l'oratoire afin d'éviter une pratique qui leur répugne. D'autres m'ont attesté que lorsque un Yézidi est forcé de maudire le "Cheïtan" (le diable) considéré, dit-on, par les Yézidis comme l'esprit du mal et à ce titre vénéré par eux comme une divinité, il plie devant les menaces ; mais, au lieu d'adresser sa malédiction au "Cheïtan", il l'envoie au Sultan sans que ses interlocuteurs mahométans s'en aperçoivent parce que, dans les deux mots, la différence de prononciation est très peu sensibles". [lettre de M. Siouffi du 25 novembre 1892].
Nos consuls mentionnent également l'existence de deux sectes curieuses, celle des Chabah (sic) et celle des Bajouan. La première, "qu'on désigne aussi dans le pays d'un mot turc signifiant "éteigneurs des lampions" est accusée de certaines réunions nocturnes fréquentées par des personnes des deux sexes qui se livrent dans l'obscurité à des actes adultères et incestueux. L'existence de cette loi occulte n'est pourtant pas assez prouvée pour qu'on puisse la donner pour un fait avéré… Ses membres font, sans scrupules, usage des boissons spiritueuses ; leurs mœurs sont très corrompues et leur ignorance générale". [lettre de M.Siouffi du 8 mars 1889].
Quant aux Bajouans, "ils prétendent appartenir à la religion musulmane, mais en réalité ils ne reconnaissent pas le Coran ni la mission du fondateur de l'Islam. Tout ce que j'ai pu savoir jusqu'à présent sur leurs croyances, c'est que le chef suprême de leur religion réside en Perse, que leurs livres spirituels sont écrits en langue persane, qu'ils reconnaissent Jésus-Christ comme Dieu et qu'ils considèrent l'homme fait à l'image de Dieu". [lettre du même du 16 mai 1889]. 
La vie en Irak il y a un siècle vue par nos consuls, Pierre de Vaucelles, collection "Petite histoire des consulats".


vendredi, avril 11, 2014

Il y a deux siècles : les Kurdes vus par nos consuls


"Ces farouches montagnards, de race et de langue indo-européennes, haïssent et méprisent les populations sémites de la plaine. Jusqu'aux premières années du XIXe siècle, ils avaient vécu quasi indépendants, à cheval sur la frontière turco-persane, n'obéissant qu'à leurs chefs de tribu. Vers 1830, le gouvernement ottoman résolut de les réduire et lança contre eux une véritable expédition qui les obligea à se soumettre : mais, au cours de la période qui nous occupe, ils se soulevèrent à plusieurs reprises, profitant des mauvais rapports qui régnaient alors entre Constantinople et Téhéran pour se réfugier en territoire persan lorsqu'ils étaient serrés de trop près. Redoutables dans leurs montagnes, ils étaient plus bandits que soldats et les généraux turcs en firent l'expérience lors de la guerre de Crimée. "Les Kurdes sont excellents pour assassiner et piller en s'embusquant derrière une roche dans quelque gorge de montagne", écrit alors M. Place, notre consul à Mossoul, "mais ils sont au demeurant de détestables soldats. J'ai été malheureusement appelé à me trouver fréquemment en contact avec les hommes de cette race et je n'ai guère eu qu'à m'en plaindre. Lorsqu'ils sont passés à Mossoul en bandes nombreuses et indisciplinées, rien n'égalait leurs bravades, leurs menaces contre les chrétiens qui devaient se disperser à leur seul aspect. Mais, dès qu'ils se trouvent en présence de l'ennemi, ils disparaissent comme par enchantement. Si on les place à l'arrière-garde, ils sont inutiles quand ils ne deviennent pas dangereux ; si on les met au premier rang, dès qu'ils aperçoivent l'ennemi en rase campagne, la peur les saisit, ils tirent hors de portée sans attendre aucun commandement et, quand ils ont déchargé leur carabine avec trois ou quatre pistolets, ils se débandent et se rejettent sur les troupes qui sont derrière eux… Quant à leur esprit d'insubordination et de pillage, il est devenu proverbial". [lettre du 26 août 1854].
Leurs mœurs étaient cependant essentiellement guerrières, ainsi que nous l'indique en 1880 notre agent à Mossoul, M. Siouffi : "Ils exercent, dès leur bas âge, leurs enfants à la précision du tir et au cheval qu'ils manient avec une habileté et une adresse telle qu'ils peuvent, tout en allant au galop, se renverser sur leur selle pour ramasser une pièce de monnaie qui se trouve sur leur route. L'armure complète du cavalier se compose d'un fusil, de deux paires de revolver (l'une est portée à la ceinture, l'autre à l'arçon de la selle), d'un sabre, d'un poignard, d'une lance et d'un bouclier… Ils mènent un genre de vie qui leur permet d'être continuellement sur le pied de guerre. Ils n'ont aucune propriété qui les attache au sol, ni des troupeaux qui gênent leurs déplacements… Ils peuvent changer de résidence tous les jours à la vitesse du cheval et sans éprouver aucun embarras" [lettre du 16 juillet 1880].
La seule autorité qu'ils reconnaissent est celle de leurs cheikhs auxquels ils obéissent aveuglément. Parlant de l'un d'entre eux, qui s'était soulevé contre la Porte en 1879, notre consul à Mossoul nous dit que, pour ses hommes, "c'est presque une divinité : ses partisans lui rendent en effet les honneurs divins. Quand ils le voient même de loin, ils s'empressent, à quelque classe qu'ils appartiennent, de descendre de leurs chevaux, et, la tête inclinée, les mains croisées et les yeux baissés, ils vont à sa rencontre en lui faisant des révérences continuelles. Une fois en sa présence, ils font, pour dernier hommage, une grande révérence jusqu'à terre sans prononcer un seul mot ; et ce n'est que lorsqu'il adresse lui-même la parole à l'un d'eux que celui-ci peut parler, mais sans le regarder en face. Le moindre signe et le moindre désir de ce moderne Vieux de la Montagne est un ordre suprême pour les siens qui se jetteraient, paraît-il, au feu pour lui être agréable". [lettre du 14 juillet 1879].
Cette crainte référentielle ne mettait d'ailleurs pas les chefs à l'abri des complots et des assassinats : "Il n'y a pas plus de quinze jours", écrit par exemple notre consul à Mossoul, le 16 juin 1879, "une tribu" a tué son propre chef. Vingt personnes l'ont attaqué au moment où il se trouvait seul et ont tiré sur lui à la fois et à bout portant. Le cheikh, qui avait reçu trois balles dans le corps, s'est servi de son revolver pour tuer l'un de ses assassins et en blesser un autre. Les autres se sont précipités sur lui et l'ont achevé à coups de poignards".
Leurs révoltes contre les autorités turques étaient fréquentes et leur donnaient l'occasion d'assouvir leurs instincts barbares sur les malheureux Arabes. En 1854, les environs de Kirkouk sont mis à feu et à sang par une tribu dont le chef, un certain Izdéchir bey, fait montre d'une insigne barbarie : "Trois individus ayant été faits prisonniers par ses hommes", écrit notre Consul M. Place, "à l'un il a fait couper le nez, à l'autre les oreilles, au troisième les deux lèvres, mettant les gencives et les dents à nu. Les quatre membres du conseil du village qu'il a fait périr sous le bâton ont été attachés face contre terre et battus pendant une demi-heure ; puis on les a retournés et battus sur la figure, sur la poitrine, sur le ventre jusqu'à ce qu'ils eussent perdu forme humaine. Un cinquième avait eu le temps de s'enfuit ; on s'est saisi de sa femme et de sa fille, une enfant de 12 à 13 ans, qu'on a déposées dans une chambre. Puis Izdéchir bey a fait battre le tambour pour réunir ses Kurdes et leur a donné permission de violer ces malheureuses ; plus de 200 de ces bêtes féroces ont pénétré successivement dans la chambre, ont outragé la mère et la fille de toutes manières et l'on assure même que leur brutalité s'est acharnée sur des cadavres. Un homme a été arraché de sa maison et, après avoir reçu une forte bastonnade, il a été enfermé dans un sac et jeté au milieu de la place. Alors, les Kurdes ont fait jouer leurs airs de musique et se sont mis à danser sur le malheureux qu'ils ont écrasé sous leurs pieds. Un autre a été attaché à terre et bâtonné ; ensuite, pour achever son supplice, les Kurdes ont pris un de ces énormes cylindres de pierre qui servent à aplanir le toit des maisons et le lui ont roulé sur le corps, le laminant, le broyant, avec une joie de cannibales". [lettre du 26 août 1854].
En 1880, une autre tribu, particulièrement turbulente, les Hamawands, se soulève à son tour : "Elle sème la terreur dans toute la région montagneuse entre Mossoul et Bagdad", écrit M. Pognon, notre consul dans cette dernière ville. "Une caravane de 500 personnes a été pillée et a eu une vingtaine de tués ; des villages entiers ont été saccagés et incendiés… On assure même qu'un petit corps de troupes aurait été mis en déroute il y a une dizaine de jours et que les Hamawands se seraient emparées d'un certain nombre de fusils et de caisses de cartouches. Les populations sont absolument terrorisées, les caravanes ne circulent plus que la nuit et le courrier de Constantinople voyage avec une escorte de 400 cavaliers… L'autorité ne fait rien et affecte de tout ignorer. Je ne vois pas du reste ce qu'elle pourrait faire avec la meilleure volonté du monde, car le sixième corps d'armée (celui de Bagdad) est en pleine désorganisation, ou plutôt il n'a jamais été organisé et est à peu près hors d'état de mettre sur pied de guerre quelques centaines de cavaliers et de petits détachements qui seraient infailliblement anéantis par les Hamawands qui sont armés de fusils Martini et paraissent avoir une organisation militaire. Rien ne prouve mieux la vénalité et la corruption des administrations turques que la présence, entre et Bagdad, de cette poignée de brigands… que l'on aurait pu à maintes reprises anéantir si on l'avait voulu et qui finissent toujours par reparaître. Il est à remarquer en effet que les Hamawands, qui, à l'heure qu'il est, ne comptent vraisemblablement pas 200 hommes, ne peuvent utiliser que l'argent et les armes qu'ils enlèvent. Les marchandises dont ils s'emparent ne leur serviraient à rien et ils sont obligés de vendre presque publiquement et dans la région même le produit de leurs rapines. Tous les fonctionnaires du pays sont payés par eux pour tolérer ce commerce ; tous les protègent en secret et c'est pour ce motif qu'ils finissent toujours par échapper aux poursuites dirigées contre eux". [lettre du 6 novembre 1890].
De telles complicités favorisaient singulièrement, on en conviendra, la tâche de ces bandits et l'on comprend qu'ils se soient montrés aussi audacieux. Il faut dire aussi, à leur décharge, qu'ils étaient souvent poussés à bout par la rapacité et la perfidie des autorités ottomanes. Notre consul à Mossoul M. Siouffi nous en fournit un exemple, qui date de 1879. "Une compagnie de troupes régulières", écrit-il, "avait été envoyée dans une partie de la montagne pour réprimer les désordres causés par une tribu kurde. À son arrivée sur les lieux, les malfaiteurs ont pris la fuite ; mais la troupe, qui ne se souciait pas de les poursuivre, n'a rien trouvé de mieux à faire que de tomber sur les villages mêmes qu'elle était venue protéger pour les piller et enlever les femmes des villageois : 24 jeunes filles ont été violées en une seule nuit et l'officier, qui était un chef de bataillon, a eu pour sa part deux jeunes filles. Cette conduite est restée complètement impunie pour la seule raison que les victimes étaient de la même race que la tribu malfaitrice qui devaient être châtiée, c'est-à-dire qu'elles étaient kurdes". [lettre du 14 juillet 1879].
La vie en Irak il y a un siècle vue par nos consuls, Pierre de Vaucelles, collection "Petite histoire des consulats".

mardi, avril 08, 2014

Bei den Kurdischen Juden : une expédition en 1933 chez les juifs de Sandor



Le journal juif de langue allemand, Jüdische Rundschau, était un hebdomadaire qui parut de 1902 en 1938 (date de son interdiction en Allemagne). C'était l'organe de presse de la Fédération sioniste d'Allemagne.

En 1935 (Nr 56. 12. VII. 1935) parut le compte-rendu d'une expédition organisée par l'université hébraïque de Jérusalem, qui partit en 1933, en Irak et au Kurdistan. Cette expédition avait reçu l'ordre de mission du gouvernement irakien d'étudier la situation des forêts au Kurdistan d'Irak afin que sur la base de cette enquête soit mise en place une loi forestière, qui n'existait pas alors. Le voyage se fit en voiture de Jérusalem via Amman, en traversant le désert arabo-syrien jusqu'à Bagdad, et de là vers Kirkuk. De Kirkuk, le voyage se fit en voiture ou à cheval à travers tout le Kurdistan. Après six semaines, commença le voyage de retour vers Bagdad et Damas. L'un des membres de cette expédition, le Dr Walter Schwarz, relata par écrit une partie de cette expédition, quand ils furent au contact de leurs coreligionnaires kurdes, et l'envoya au journal, qui la fit paraître, 2 ans plus tard, avec les croquis des synagogues du village juif de Sandor et de celle d'Amadiyya. En voici la traduction :




Dans tout le Kurdistan, on trouve des juifs dans les petites et les grandes villes, ainsi que dans les villages. Il est difficile, au début, de reconnaître des juifs dans ces hommes vêtus exactement comme les Kurdes, de pantalons amples et de larges ceintures de tissu, et qui portent sur la tête un turban entortillé. Mais il suffit d'une courte conversation pour faire oublier cet aspect étrange et comme chez tous les juifs du monde entier, nous retrouvons les mêmes prières, les mêmes fêtes, les mêmes préoccupations. Leur situation économique est aussi très similaire à celle de tous les juifs du monde. Ce sont de petits artisans, des revendeurs dans les bazars, des colporteurs.
Nous avons découvert un monde très différent et très étrange dans le village juif de Sandor. Si vous partez au nord de Mossoul et traversez les ruines de Ninive, vers les montagnes kurdes, et puis continuez de Dahug (sic) vers Amadiya, il ne faut pas aller très loin pour voir, à gauche de la route, sur une colline, un petit village qui ne diffère en rien des autres petits villages kurdes. Il est peut-être seulement un peu plus pauvre. Tassées au pied d'une chaîne de montagne, comme dans la plupart des villages kurdes, s'élèvent des maisons basses en pisé qui, de loin, se distinguent peu dans le paysage. Seuls les peupliers, vignobles, vergers et champs environnant annoncent un village. De la route, descend tout le long vers le village un petit ruisseau qu'il faut franchir. Les maisons sont petites, à un étage, bâties de boue, et couvertes de branches de chêne. Sur l'un des côtés, on trouve souvent une petite véranda, dont le plafond est soutenu par des troncs d'arbre non équarris. À l'intérieur, il y a généralement une pièce, dans laquelle se déroule l'essentiel de la vie quotidienne. On accède sur le toit plat, par un escalier ou une échelle, pour y dormir en été. Seule la maison du Hakham (Chacham), le chef du village, est plus imposante. Elle possède une chambre d'hôte. 
En entrant dans le village, nous rencontrons d'abord des hommes et des femmes qui mènent les vaches s'abreuver.  À notre question "Yehudim ?", ils nous répondent oui et s'éloignent avec timidité. Nous remarquons immédiatement que cet accueil est tout à fait inhabituel par rapport aux autres juifs kurdes. Quand les juifs de la ville reconnaissent en nous d'autres juifs, ils témoignent toujours de la joie. Ici, à Sandor, nous rencontrons une méfiance palpable, qui ne se dissipe que peu à peu.





Nous nous rendons alors dans la maison d'un tisserand qui rembobine ses fils sur son porche. Nous lui demandons le chemin de la maison du hakham, un juif très vieux et très digne, qui nous mène poliment dans la salle d'hôte, où nous nous installons, avec nos compagnons kurdes, sur le sol en terre battue. Puis quelques hommes, dont le shamash [titre donné aussi aux diacres chrétiens] qui s'occupe de la synagogue, nous rejoignent et lentement, avec précaution, esquissent une conversation. Seuls trois hommes, dont le shamash, parlent hébreu. Entre eux, les gens du village parlent arabe ou le laschon hatargum" c'est-à-dire l'araméen. Nous les interrogeons d'abord sur leur vie, leur travail, etc. Mais le vieux hakham, qui mène la conversation avec l'aide d'un des hommes parlant hébreu, nous fait des réponses prudentes, et quand un autre homme nous renseigne mieux que les autres, il s'interpose. Ce n'est que progressivement que nous réalisons pourquoi ces gens, et surtout le hakham, sont si réticents, et ce qui fonde cette réserve envers les étrangers. Nous sommes venus vêtus à l'européenne, accompagnés de soldats kurdes. Ils vivent aussi dans une zone où, il y a seulement trois mois, ont eu lieu des combats entre les Assyriens et les Kurdes, au milieu desquels les juifs de Sandor se trouvèrent pris. "Peut-être que ces étrangers ne sont-ils pas des juifs ? Peut-être sont-ils juste des espions ?" Ce n'est que progressivement que nos vis-à-vis se dégèlent. Quand ces hommes se persuadent enfin que nous sommes vraiment des juifs, et venus avec les meilleures intentions, c'est alors la joie la plus grande et l'étonnement le plus chaleureux. Les questions sur la Palestine ne font que pleuvoir sur nous. Peut-être connaissons-nous tel ou tel parent à Jérusalem ? Comment vit-on en Palestine ? Comment peut-on s'y rendre ?
Nous nous laissons guider à travers le village, sans nos compagnons kurdes, tandis que l'un d'entre nous reste avec le hakham et obtient de lui des renseignements sur beaucoup de sujets. Le shamash, qui parle un bon hébreu, nous escorte, et notre conversation devient plus familière. Nous visitons les huttes de tisserands, dont les femmes, à l'intérieur des maisons, sont assises devant les métiers à tisser,  et tissent des carpettes avec un art primitif. (Les femmes sont, de même que les Kurdes et les Arabes, excessivement timides. Elles se laissent à peine voir, et il n'est pas question de les photographier). Nous voyons des vergers et des vignes bien entretenus, des champs cultivés, et les trois-quarts de la population que compte Sandor. Partout nous rencontrons plus ou moins la même pauvreté. Les maisons – dont l'une se distingue nettement des autres – sont petites et pauvres, comme dans la plupart des villages kurdes.
Nous visitons aussi le cimetière. Et à cet endroit où les racines du village sont tout à fait tangibles, notre guide se fait loquace et nous apprenons beaucoup de choses intéressantes.
Le village de Sandor n'est habité que par des juifs. Et cela fut toujours le cas, de mémoire humaine. Dans tout le Kurdistan, il n'y a qu'un seul autre village [entièrement] juif. Les habitants ont toujours cultivé la terre. C'est un village purement juif qui a – comme nous l'apprennent les vieilles pierres tombales et la synagogue plus tardive – depuis des siècles et peut-être des milliers d'année, une tradition agricole ininterrompue. Ici, nous nous trouvons devant un type d'homme que nous décrit le Talmud : "l'homme de la campagne" (Am haaretz), qui parle araméen, qui cultive son champ ou qui s'adonne à l'artisanat (très talmudique est aussi la diffusion large du métier de teinturier), par ailleurs très inculte et souvent très superstitieux comme nous pouvons le constater parfois. D'un autre côté, ces gens sont aussi très faciles à vivre, simples, pieux, et fermement enracinés sur leurs bases.
Bien que les champs et les vignobles soient bien entretenus et soient de bon rapport, et bien que ces juifs aient des exigences de vie incroyablement modestes, ils sont très pauvres et ne peuvent trouver un marché rémunérateur pour leur production. La situation des artisans, surtout, est mauvaise. Comme il serait bon d'avoir ces agriculteurs expérimentés en Eretz Israël ! Mais l'émigration poserait de grandes difficultés.
Avec leur voisinage kurde, les juifs vivent en assez bonne entente, même s'ils sont parfois dans une position dangereuse. Ainsi la moitié du village a migré vers Mossoul en raison des troubles assyriens, car personne ne pouvait savoir si les combats allaient les toucher eux aussi. Maintenant, ils sont protégés par un décret explicite du gouvernement.  
Le cimetière du village est très étendu et il a une superficie plus grande que celle de l'actuel village. Tout comme les cimetières kurdes, il est complètement négligé. Même les arbres, marques des cimetières kurdes et arabes, manquent ici. Les tombes sont signalées par de petites pierres taillées, rectangulaires. De loin, le cimetière ressemble à un champ de stèles. De temps en temps, on trouve une stèle apparemment plus ancienne, sur laquelle on peut déchiffrer des lettres hébraïques. Les stèles récentes sont sans écriture. Le cimetière s'élève au-dessus du village. On y a une vue magnifique sur le village et ses environs. Le shamash nous explique que le village était autrefois beaucoup plus important et plus étendu. Il a maintenant de vastes parcelles vides, car les juifs émigrent, le plus souvent en Palestine.
Du cimetière, nous nous rendons dans la Beth Hammidrasch, au moment de la prière du soir. La Beth Hammidrasch est construite comme chez tous les juifs kurdes, et est seulement plus petite et plus simple. En franchissant la porte en bois de l'enceinte, on arrive dans une cour, au milieu de laquelle il y a un petit pupitre en bois, en forme de chaise haute. C'est pour les rouleaux de la Torah, lors de la lecture de la Torah. C'est ici, dans la cour, qui est recouverte de simples nattes de paille, que se déroule le service divin. La synagogue elle-même, qui est à l'arrière de la cour, est seulement utilisée l'hiver comme lieu de prières. En été, c'est le garde-manger de la communauté, et nous trouvons – quelle étrange vision pour des juifs européens ! – dans un coin, un énorme tas de raisins secs. Les synagogues, dans les endroits plus grands, sont construites ainsi, en principe : contrairement à Sandor, une galerie fait le tour de toute la cour, portée par des piliers de bois. À Amadia, ces colonnes de bois ont de vieilles inscriptions hébraïques à leur sommet.  



Après la prière – nous avons eu ici l'occasion de voir que la plupart ne peuvent pas lire les prières – une foule nous apporte des fruits et nous assaillent de demandes pour que nous restions là jusqu'au lendemain soir pour célébrer la Roch Hachana. Nous devons malheureusement refuser, car nous voulons être à Mossoul pour la Roch Hachana et, escortés par tout le village, nous quittons les habitants de ce hameau isolé du monde dans les montagnes kurdes, grâce auxquels nous-mêmes, si loin de notre patrie, nous nous sommes sentis, durant quelques heures, comme à la maison.
Aussi démunis et vivant dans la pauvreté que soient les juifs de Sandor, ce ne sont nullement les plus pauvres des juifs du Kurdistan que nous avons trouvés, et je ne peux pas m'empêcher de parler, à la fin, de ces pauvres parmi les pauvres. De Svaratuka, notre location entre Dahuk et Amadia, nous avons fait d'autres excursions dans les environs. Durant l'un de ces voyages, nous sommes arrivés, après un trajet d'environ 12 heures, dans un village chaldéen, (en plus des Kurdes et des Assyriens, il y a au Kurdistan un nombre encore plus grand de chrétiens chaldéens locuteurs de l'araméen). Sandor est déjà très isolé du monde, mais il ne peut supporter aucune comparaison avec ces hameaux chaldéens, éloignés de 10-20 heures de trajet à cheval de la route la plus proche. Et là aussi nous avons trouvé des juifs, qui attirèrent vite notre attention par leur apparence. Les juifs de Sandor avaient au moins de la terre et du bétail, mais ici, ils n'ont pas de terre, ne possèdent rien et travaillent comme valets de ferme chez les Kurdes et les Chaldéens. Il n'y a, dans chaque village, qu'une à deux familles [juives]. Les femmes aussi doivent s'employer. Comme ils sont désespérément pauvres, ils ne sont pas libres de leurs mouvements, et doivent rester là, où ils sont nés.
Dr. Walter Schwarz, Jérusalem. 

My Sweet Pepper Land


De Hiner Saleem, sortie le 9 avril de My Sweet Pepper Land, avec Korkmaz Arslan, Golshifteh Farahani, Suat Usta.


Au carrefour de l’Iran, l’Irak et la Turquie, dans un village perdu, lieu de tous les trafics, Baran, officier de police fraîchement débarqué, va tenter de faire respecter la loi. Cet ancien combattant de l’indépendance kurde doit désormais lutter contre Aziz Aga, caïd local. Il fait la rencontre de Govend, l’institutrice du village, jeune femme aussi belle qu’insoumise...



lundi, avril 07, 2014

Rapport d'Amnesty International : L'Irak et l'Iran, ces pays-champions de la peine de mort



Le rapport annuel de l’ONG Amnesty International sur la peine de mort dans le monde établit que l’Irak et l’Iran sont les deux pays 

« à l'origine d'une forte augmentation du nombre d'exécutions dans le monde en 2013, allant à l'encontre de la tendance mondiale à l’abolition de la peine de mort. Le nombre alarmant d'exécutions dans un groupe restreint de pays – principalement ces deux pays du Moyen-Orient – s'est traduit par près d'une centaine d'exécutions supplémentaires dans le monde par rapport à 2012, soit une augmentation de presque 15 %. »

Salil Shetty, le secrétaire général d'Amnesty International, qualifie même « le rythme quasi frénétique des exécutions dans certains pays comme l'Iran et l’Irak » de « scandaleux ». En effet, mis à part la Chine, dont le nombre des exécutions est classé comme « secret d’État » et qui, depuis 2009, échappe ainsi aux statistiques, la hausse significative des exécutions entre 2012 et 2013 est à imputer largement à l’application en hausse de la peine de mort dans ces deux pays. En ce qui concerne la Syrie, la situation ne permet évidemment plus, depuis 2012, d’enquêter sur les exécutions.

« Près de 80 % des exécutions recensées dans le monde ont eu lieu dans seulement trois pays : l’Arabie saoudite (79 exécutions en 2013), l’Irak et l’Iran », alors que la tendance générale, dans l’ensemble des pays, tend vers l’abolition. Ces trois pays sont « à eux seuls responsables de 95 % des exécutions confirmées dans la région » (le Moyen-Orient).

En Irak, « les exécutions signalées ont augmenté de près de 30 % ; 169 personnes, peut-être davantage, ont été mises à mort en 2013. » Mais le chiffre réel est « probablement beaucoup plus élevé, car beaucoup de condamnations à mort ne sont pas rendues publiques ». 35 personnes ont été condamnés à mort l'année dernière, dont une femme. D’après un rapport du ministère irakien des Droits de l’homme, « les juridictions pénales ont prononcé plus de 2 600 condamnations à mort entre 2004 et 2012, plus de 280 par an en moyenne. »

En Iran, « au moins 369 exécutions ont été reconnues officiellement, mais plusieurs centaines d’autres ont été signalées par d’autres sources. » Le nombre des exécutions a augmenté de 18% mais 

« des éléments crédibles montrent qu'un grand nombre d'exécutions ont eu lieu en secret et, selon des sources fiables, au moins 335 autres exécutions ont eu lieu (concernant des femmes dans 18 cas au moins). Ceci porterait le nombre total d'exécutions à 704 au moins pour l'année 2013 ».

Pour l’Irak comme pour l’Iran, le mode exécutoire est la pendaison. En Irak, 

« les exécutions sont souvent réalisées en série et dans des délais très courts après que l'intéressé a été averti. Réagissant à l'exécution de 21 hommes dans la même journée, en avril, la haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies a déclaré que le système judiciaire irakien comportait ‘de trop graves lacunes pour permettre une application même limitée de la peine de mort, a fortiori pour des dizaines d’exécutions à la fois. Exécuter ainsi des gens par lots entiers est indécent. Cela s’apparente à de l’abattage de bétail’ ». 

L’Iran a pratiqué plusieurs exécutions en public : 

« au moins 44 exécutions se sont déroulées en public, le plus souvent par le moyen d'une grue soulevant dans les airs le condamné auquel on avait passé une corde autour du cou, devant une foule de spectateurs. Il est possible que certains des condamnés aient été des mineurs (au moins 11 des prisonniers exécutés).»
Il est en tout cas établi qu’en Iran, des détenus se trouvant dans les couloirs de la mort étaient mineurs au moment des faits qui leur sont reprochés. 

Ces deux pays ont recours à la torture pour extorquer des aveux, et  dans les deux cas, ces « confessions » sont parfois retransmises à la télévision, « avant le procès, au mépris du droit à la présomption d’innocence. Pour l'Irak,

« il est fréquent que des « aveux » soient obtenus sous la torture ou d'autres mauvais traitements, dont, selon des informations fiables, les décharges électriques sur des endroits sensibles du corps, la suspension par des menottes, les coups de crosse de pistolet et de câble assénés sur la plante des pieds (falaqa) et l'utilisation de perceuses. »
En Iran, pays tout aussi tortionnaire, la peine de mort peut être un châtiment obligatoire. Or, rappelle Amnesty international,
« l’imposition obligatoire de cette peine n’est pas compatible avec la protection des droits humains puisqu’elle ne laisse aucune possibilité de tenir compte de la situation personnelle de l’accusé ou des circonstances du crime ». Par ailleurs, les « crimes » qui encourent, parfois de façon automatique la peine de mort en Iran ne sont pas toujours des homicides, mais peuvent être des délits liés au trafic de stupéfiants, ou bien des viols. »

Il y a aussi, dans la République islamique d'Iran, les crimes à caractère politico-religieux, comme l’« inimitié à l’égard de Dieu », la « trahison », les « atteintes à la sécurité nationale », la « collaboration » avec une entité étrangère et autres « crimes contre l’État » :
« La majorité des exécutions pratiquées en 2013 ont concerné des personnes condamnées pour meurtre, trafic de drogue, viol, espionnage, « inimitié à l'égard de Dieu » ou « corruption sur terre », ces deux dernières infractions étant définies en des termes vagues. L'« inimitié à l'égard de Dieu » vise principalement l'insurrection armée. Dans la pratique, toutefois, ce chef est utilisé contre des personnes n'ayant pas pris les armes mais à qui l'on reproche des liens avec des organisations interdites en Iran. Le champ d’application de la peine de mort en Iran restait large et comportait, entre autres, le meurtre, l’« adultère par une personne mariée », l’« apostasie » et la « sodomie », autant d'actes qui n'entrent pas dans la catégorie des « crimes les plus graves » à laquelle font référence les normes internationales et qui ne devraient même pas être considérés comme des infractions. En mai, le président Ahmadinejad a promulgué une loi modifiant le Code pénal islamique. La peine de lapidation pour le « crime » d'« adultère » était maintenue dans les nouvelles dispositions. 
« En ce qui concerne les exécutions, des avocats signalent qu'ils ne sont pas toujours informés au préalable de l'exécution de leur client, malgré l’obligation légale de les avertir 48 heures à l’avance. Les familles n'ont pas toujours la possibilité de rendre une dernière visite à leur proche. Elles ne sont pas systématiquement informées de l'exécution à l'avance, ni même parfois après. Très souvent, le seul indice de l'imminence d'une exécution est le transfert d'un condamné à mort vers une cellule d'isolement, appelée la « salle d'attente de l'exécution ». Il arrive que le corps de la personne exécutée ne soit pas rendu à sa famille, et que celle-ci ne soit pas informée du lieu où il a été inhumé. 

Ainsi, en octobre 2013, Le prisonnier politique kurde Habibollah Golparipour, arrêté en 2009 et condamné à mort en 2010, lors d'un procès qui avait duré cinq minutes, sur le chef d'« inimitié à l'égard de Dieu » lié à sa collaboration supposée avec le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK), a été exécuté sans que sa famille ait été informée. Les autorités ont refusé de lui restituer le corps.

Amnesty International a rassemblé des informations sur de nombreux autres cas dans lesquels

 « la peine de mort a été utilisée comme moyen de répression contre des représentants politiques ou culturels des minorités ethniques du pays – Arabes ahwazis, Baloutches et Kurdes notamment. »
Comme pour l’Iran, la peine capitale en Irak ne sanctionne pas toujours des homicides, mais 

« l'immense majorité des exécutions pratiquées ces dernières années concernent des personnes condamnées sur la base de l'article 4 de la Loi n° 13 de 2005 relative à la lutte contre le terrorisme, parmi lesquelles un certain nombre de ressortissants d'autres pays arabes. Cette loi sanctionne notamment des actes définis en des termes vagues comme le fait de provoquer, de planifier, de financer ou de commettre des actes terroristes, ou le fait d’encourager d'autres personnes à commettre de tels actes. La position du gouvernement est que la peine de mort est nécessaire dans un contexte marqué par le nombre élevé d'attaques de groupes armés contre des civils. Or aucun élément ne permet d'affirmer que la peine de mort a un effet dissuasif sur la criminalité ou les attentats. La situation sécuritaire a d'ailleurs empiré dans le pays ces dernières années. […] Dans de nombreux cas les condamnations à mort interviennent à l'issue de procédures contraires aux normes d'équité les plus élémentaires, au cours desquelles les prisonniers n'ont pas accès à une représentation juridique digne de ce nom. »


Par contre, « aucune exécution n'a eu lieu depuis 2008 dans la région du Kurdistan d’Irak. » Ce qui est une bonne nouvelle, car il arrive fréquemment que l'abolition de la peine de mort dans un pays ait été précédée d'une période de non-application (ce fut le cas en Turquie). C'est donc un signe qui peut laisser espérer une future abolition de la peine capitale dans la Région du Kurdistan d'Irak et les ONG et autres instances internationales devraient encourager le GRK à continuer d'aller dans ce sens, surtout au moment où le Kurdistan d'Irak fait face à une recrudescence des menaces terroristes qui pourrait l'inciter à rompre avec cette tendance.

vendredi, avril 04, 2014

2016 : Indépendance du Kurdistan d'Irak ?



Le 11 mars, alors que la Région du Kurdistan célébrait l’anniversaire du soulèvement de 1991, Massoud Barzani, qui avait, il y a quelques jours, assisté aux funérailles de 93 des siens, assassinés secrètement en 1983 par Saddam Hussein et dont on a retrouvé les charniers, a rappelé, dans son discours, qu’une génération nouvelle avait grandi au Kurdistan et n’acceptait aucune forme de dictature et d’occupation, et cherchait, au contraire, à assurer la liberté et le progrès dans son pays, après que des générations entières se soient sacrifiées pour cet objectif au Kurdistan.

Le président kurde visait bien évidemment le Premier ministre irakien qui tente de faire céder Erbil dans les âpres négociations sur la gestion des revenus pétroliers en coupant le salaire des fonctionnaires au Kurdistan.

Le 20 mars, après une intense médiation américaine, le Premier ministre de la Région du Kurdistan annonçait, en « geste de bonne volonté », être prêt à exporter 100 000 barils par jours vers l’Irak, afin de relancer les négociations, toujours en cours, mais qui piétinent depuis des mois.

« Les négociations avec Bagdad sur l'exportation du pétrole et les questions budgétaires sont en cours. Ces négociations n'ont pas encore abouti à des accords acceptables. En tant que geste de bonne volonté, et afin de donner aux négociations le maximum de chances de succès, le Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) a offert d'apporter sa contribution aux exportations des oléoducs irakiens ».

Mais à ce jour, les exportations n’ont toujours pas reprises, en raison de l’état de cet oléoduc reliant Kirkuk au port turc de Ceyhan, qui a été régulièrement saboté l’an passé et n’est toujours pas prêt, de l’aveu du ministre irakien du Pétrole, à assurer les transferts de brut. Notons que si le gouvernement Maliki mettait autant d'énergie à assurer la sécurité de ses infrastructures et de son climat politique qu'à vouloir mater les Kurdes, le budget irakien se porterait mieux…

Mais la situation créée par le gel des salaires pourrait devenir préoccupante, selon des économistes, en raison du grand nombre de fonctionnaires dans la Région kurde, et de certaines faiblesses inhérentes au système économique du Kurdistan d’Irak, comme ne se prive pas de le souligner le parti Gorran (principal parti d'opposition toujours en pourparlers pour la formation d’un cabinet de coalition avec le PDK et l’UPK) qui se pose volontiers en réformateur des lignes politiques et des décisions économiques adoptées par ses rivaux depuis 2005. 

Un rapport d’un parlementaire de Gorran, Ali Hama Ali, expose ainsi de façon détaillée dans le journal Chawder News (pro-UPK) les failles de la réussite et du développement économiques de la Région qui emploie, à elle seule, 679, 939 fonctionnaires ce qui correspond à 22,6 % des fonctionnaires irakiens. Selon lui, le budget annuel du GRK ne peut suffire à payer ne serait-ce qu’un mois de traitement de tous ses employés. Ainsi, le revenu estimé, pour 2013, des employés de ministères, s’élevait à 651 milliards de dinars, alors qu’un mois de traitement nécessite environ 750 milliards de dinars.

« Le GRK est endetté auprès de plus de 900 investisseurs et n’a pas d’argent à leur donner. Il n’y a pas de banque internationale pour leur prêter des fonds parce que le Kurdistan n’est pas un pays et aucun autre pays n’est prêt à devenir le représentant du GRK. » 

Selon le rapport, la crise financière qui menace n’est pas seulement due au conflit avec Bagdad. 70% du budget de la Région va à ses employés ; le GRK a aussi alloué 3 milliards de dollars US à des entreprises, et a aussi dépensé des fonds sur plusieurs projets non planifiés, tels que le prêt pour l’accès à la propriété ou au mariage ou à des programmes de développement dont certains offriraient,  selon Ali Hama Ali, plus de désavantages que d’avantages. De plus, les dépenses et les frais des deux partis historiques, le PDK et l’UPK, sont toujours à la charge du gouvernement, ce qu'il serait peut-être temps de réformer.

En ce qui concerne les prêts aux sociétés locales de prospection et d’extraction pétrolière, le gouvernement ne peut leur avancer de l’argent et les investisseurs internationaux rechignent à le faire en raison des 70% du budget réservés aux traitements des fonctionnaires, ainsi que du conflit avec Bagdad sur les revenus du pétrole et l’exportation des hydrocarbures.

Le contrôle des marchés, des importations et des exportations souffre aussi d’un manque d’organisation et de planification. Alors que d’importants privilèges sont octroyés à ces mêmes sociétés, étrangères comme locales, les frontières de la Région du Kurdistan sont ouvertes et laissent passer des produits, par exemple des milliers de véhicules, moyennant de faibles taxes et des contrôles techniques ou de qualité peu fiables et manquant de normes rigoureuses. 

La présence de milliers de travailleurs étrangers, principalement dans le bâtiment ou les emplois de service contribue aussi à ce déséquilibre des échanges monétaires. 

Interviewé par la chaîne KNN, le leader du parti Gorran, Nawsirwan Mustafa, critique aussi l’économie « consumériste » de la Région qui la fait dépendre, pour sa survie, des 17% du budget national irakien, et non de son agriculture, de ses élevages ou de ses industries, quasi inexistants et dont le revenu ne couvrirait actuellement que 6% des dépenses du GRK. Le suremploi des fonctionnaires met ainsi Erbil à la merci du gouvernement central dans cette guerre économique.

Malgré ces analyses pessimistes sur la capacité de la Région kurde à s'en sortir sans assistanat irakien, la crise avec Bagdad a relancé, dans les media comme dans les milieux politiques, la question d'une éventuelle indépendance et certains, même au sein de Gorran, envisagent le moment où la séparation du Kurdistan d’avec l’État central deviendrait inévitable. 

C’est ainsi que le même Nawshirwan Mustafa aurait déclaré à la Kurdistan Pas News Agency que le président Massoud Barzani lui avait confié envisager l’indépendance dans un délai de deux ans. Une autre source politique kurde, s’exprimant sous l’anonymat auprès du journal arabe Asharq al-Awsat, confirme que ces propos de Nawsirwan Mustafa ont été tenus lors d’un meeting de son parti, à Suleïmanieh, et qu’il avait dit, plus précisément, que l’indépendance du Kurdistan était « débattue comme une option ». 

Selon cette même source, le mouvement Gorran, selon Nawshirwan Mustafa, « soutiendrait la déclaration d’un État [kurde indépendant] dès lors qu’il « y aura eu une préparation suffisante, y compris en termes d’économie et d’institutions », ce qui expliquerait les rapports et les analyses critiques en terme de viabilité économique du Kurdistan récemment publiées dans les media proches de ce parti ou exprimées dans la bouche de son leader, qui aurait ajouté : 

« Nous ne voulons pas que le Kurdistan se retrouve dans une situation similaire à celle de Chypre Nord, dont l’existence repose principalement sur le soutien turc. Nous ne voulons pas perdre les gains obtenus à ce jour par la Région. »

Réagissant à ces propos, auprès du même journal Asharq al-Awsat, qui faisait un tour d'horizon des principaux blocs parlementaires irakiens, un député de la coalition État de droit, dirigé par Nouri Maliki a vivement critiqué Massoud Barzani, qui « agit comme s’il était plus important que l’État irakien » et dont les ambitions « pourraient rencontrer de nombreux problèmes, à commencer de la part des États-Unis ». Ali Al-Shallah a enfin rappelé que si le président Barzani « insiste pour proclamer un État, il le fera dans le cadre des frontières du 9 avril 2003 [date de la chute du Baath] ce qui exclut Kirkouk et les régions disputées ».

Un autre député irakien, cette fois de la liste sunnite Iraqiya, Hassan Al-Zoubai, a eu un ton plus modéré, en estimant que : « L’Irak, aujourd’hui, est plus proche d’une confédération que d’un gouvernement fédéral » :

« Le problème est que la constitution irakienne donne la priorité aux régions et aux provinces sur le gouvernement central – et c’est ce qui a permis au Kurdistan irakien de se développer à tous les niveaux, de sorte qu’il est devenu plus important que le centre. L’Irak aujourd’hui est fait de régions, les Kurdes étant les plus puissants à tous les niveaux, y compris la force militaire des Peshmergas, l’économie et les investissements.»

Quant à Burhan Mohammed Faraj, député de la liste Kurdistan à Bagdad, il rappelle que « les Kurdes ont choisi volontairement de s’unir aux Arabes dans le cadre d’un Irak unifié. Le seul moyen d’assurer l’unité de l’Irak est de témoigner de son engagement envers la constitution irakienne et de l’appliquer pleinement. »

Quel que soit le crédit à apporter à ces rumeurs d'indépendance, la crise actuelle et le chantage aux salaires exercé par Nouri Maliki pourraient avoir un effet positif sur l'avenir de la Région kurde si ses dirigeants, soudain rappelés à la réalité du terrain, se trouvaient dans l'obligation de reconsidérer sa politique économique et sociale, en envisageant d'accroître son auto-suffisance : un peu moins de Dream City et de New Dubaï et un peu plus de "redressement productif", avec ou sans ministre à marinière şal û şapik

mercredi, avril 02, 2014

Encerclé par les djihadistes de l'EIIL, le PYD accuse le régime syrien et se rapproche de l'ASL



Les attaques récurrentes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) contre le « Rojava », et la stratégie d'encerclement des trois enclaves kurdes déclarées cantons autonomes par le PYD, ont poussé finalement la branche syrienne du PKK à une forme d’alliance (ou de trêve) avec l’Armée syrienne de libération, l’adversaire d’hier.

Le 19 mars, le commandement central des YPG a ainsi appelé tous les Kurdes à une « mobilisation générale » dans les trois cantons pour « protéger les valeurs de la démocratie et de la liberté et soutenir les YPG ». 

En plus des attaques contre les zones kurdes, le 21 mars, dans la province de Raqqa, où EIIL cherche à fonder son « État » et dont il occupe la capitale éponyme, près de 600 Kurdes ont fui leurs villages (Tell Akhdar, Tell Fandar et Tell Abyad), selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, en raison d’un ultimatum d’EIIL. Selon l’Observatoire, c’est près de 500 Kurdes qui seraient passés du côté de la frontière turque, ce qui fait penser à une volonté d'EIIL de nettoyer le terrain ethnique kurde autour de Kobanî ('Ayn Al Arab) afin de l'isoler d'avantage.

En déplacement à Oslo, le co-président du PYD, Salih Muslim, lors du conférence de presse donnée le même jour, indiquait qu’EIIL n’avait cessé de lancer des attaques et des attentats suicide depuis trois semaines, contre Qamishlo ou Kobanî ('Ayn al Arab), afin de couper les voies d’accès reliant les deux régions et que la phase prochaine de leurs plans serait d’isoler Afrin de la même façon.

Rêdur Khalil, porte-parole des YPG, a confirmé le 24 mars que Kobanî était actuellement encerclé par l'EIIL, avec des troupes venues, entre autres, de Deir el Zor, Alep, Rakka et Lazkiye, et relaie les propos de Salih Muslim faisant mention de tanks déployés, avec lesquels les djihadistes ont lancé des attaques contre la partie orientale du canton. Les passeports des islamistes capturés ou tués indiquent des provenances géographiques diverses, Arabie saoudite, Yémen, Kurdistan d’Irak, Algérie, Tunisie, Libye, Canada, Danemark, France, Allemagne, Turquie et Tchétchénie.

Le même jour, le haut-commandement des YPG a appelé « tous les groupes kurdes à mettre de côté leurs différences » et à accomplir leur « devoir national » face aux attaques. Dans le communiqué, il est indiqué que le but d’EIIL est de prendre le contrôle des champs pétrolifères de Rimelan en plus de rompre les communications entre les cantons. Il a réitéré l’appel des YPG à tous les Kurdes, même les non-Syriens, à rallier leurs forces pour défendre les cantons. 

Cette fois, les « groupes kurdes » appelés à l’aide étaient nommément cités : la présidence du Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak (GRK) et ses trois grands partis,  le Parti démocratique du Kurdistan d'Irak de Massoud Barzani, (PDK) l’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani (UPK), Gorran de Nawshirwan Mustafa ; l’exécutif du Groupe des communautés du Kurdistan (KCK-PKK),), le Parti de la paix et de la démocratie (BDP) pour les Kurdes de Turquie, bref, tous les partis kurdes existants, sauf ceux d'Iran, mais sans préciser de quelle aide il s'agissait, en plus d'une aide humanitaire internationale, notamment du Croissant rouge en Turquie et l'ouverture des postes-frontière turcs.

Ce type de déclaration et d’appel à la mobilisation s’est multiplié tout le mois de la part des responsables locaux du PYD et des YPG, mais toujours sans détailler, dans le fond, la teneur  de ce  « devoir national ».

Réagissant à cet « appel à l’unité », Abdulhakim Bashar, le président du Parti démocratique du Kurdistan de Syrie (Al-Parti), proche du PDK d’Irak, a répliqué qu’ils étaient tout à fait prêt à s’unir contre EIIL, et de mettre fin à un conflit fratricide :

« Nous sommes prêts à négocier avec le PYD. Il est vrai qu’il y a différentes opinions au sein des partis kurdes, mais protéger les régions kurdes des groupes terroristes est du devoir de tous. » (BasNews).

…mais à condition que ce soit sous le drapeau du Kurdistan et au nom du Kurdistan (et non sous la bannière des YPG et pour le compte du PYD), en acceptant de former un front politique unifié des partis kurdes (c’est-à-dire, en somme, d’appliquer les accords d’Erbil de novembre 2012 qui prévoyaient la formation d'une force militaire unie, au commandement partagé avec le Conseil national kurde qui regroupe environ 20 partis kurdes syriens et non subordonnée aux seuls YPG). 

Faire entrer les troupes de peshmergas kurdes syriens entraînés au Kurdistan d'Irak n’est sûrement pas dans les objectifs du PYD, mais jusqu’ici, se défendant d’avoir des liens « organiques » avec le PKK,  il ne faisait pas appel (en tout cas pas officiellement) à des combattants kurdes non syriens. Or Murat Karayilan a récemment appelé la jeunesse kurde d’Urfa (limitrophe de Kobanî) à se joindre à la « résistance kurde », de même que le reste des jeunes kurdes du Nord (Turquie), ce que Rêdur Khalil présente comme une réponse normale à l’internationale jihadiste (d'où l'énumération détaillée des passeports d'ennemis saisis par ses troupes).

Il n’y a donc pas eu, pour le moment de réactivation des accords d’Erbil, mais un des tournants politiques et stratégiques du PYD est l’alliance – au moins sur le terrain militaire – de l'Armée syrienne de libération et des YPG. Salih Muslim a en effet confirmé, dans une conférence de presse donnée en Suède, que « dans ce combat, l’Armée syrienne de libération nous soutient. La population est du côté des YPG. »

Il faut savoir ou se souvenir que, depuis le début de la révolution syrienne, les relations du PYD entre l’opposition syrienne arabe, que ce soit la Coalition et, sur le terrain, l’ASL, ont été, soit inexistantes, soit très mauvaises, se traduisant par de fréquents affrontements, notamment dans les régions mixtes kurdes et arabes, comme à Serê Kaniyê (Ras al ‘Ayn), ou bien dans les zones situées entre Alep et Afrin. Et l'un des principaux reproches que le PYD faisait à l’encontre du Conseil national kurde était sa ligne politique qui passait par une entente ou une alliance avec la Coalition syrienne et l’ASL, accusées par tous les organes officiels du PYD ou ses media, d’être noyautées par les islamistes (par exemple Jabhat al Nusra) et de faire le jeu de la Turquie.

Mais Kobanî ('Ayn Al Arab) étant de plus en plus encerclé par l’EIIL, le PYD et les YPG ont vu probablement les limites pratiques de leur isolement politique et militaire, qui ne peut se résoudre de lui-même, étant donné la situation d’enclavement géographique et ethnique des trois régions kurdes.

Enfin, autre signe indiquant un glissement des alliances, la nouvelle charge du PYD contre le régime du Baath, cette fois, accusé de soutenir EIIL en sous-main afin d’affaiblir les Kurdes et d’empêcher l’autonomie des zones kurdes et « leur nouvelle expérience démocratique »,  accusations qui, de même, visaient auparavant l’ASL, tandis que le reste des Kurdes syriens et l'opposition arabe n'ont cessé de dénoncer la collaboration sur le terrain entre le Baath et le PYD.

Ce glissement des alliances montre aussi peut-être vers quoi se dirige la guerre en Syrie : un terrain où s'affronteront et se réconcilieront  au gré des circonstances, des formations politico-militaires, tour à tour soutenues ou lâchées par des États voisins qui ne manqueront pas de les utiliser les unes contre les autres.

Dans un entretien accordé au journaliste néerlandais Wladimir Van Wilgenburg à Al Monitor, Rêdur Khalil se retourne ainsi ouvertement contre le gouvernement syrien : 

« Le régime essaie d’affaiblir les Kurdes. Ils savent aussi que nous combattons EIIL. Notre combat contre EIIL sert le régime sans aucun doute. »

Changez EIIL par ASL et Syrie par Turquie et vous aurez les déclarations des mêmes YPG-PYD de l’an dernier. Ce qui n’empêche pas que ces accusations puissent avoir un fond de vérité. C’est en tout cas que ce pensent certains membres du Conseil national kurde, ainsi Ismaïl Heme, toujours cité par Van Wilgenburg, estime que « le régime joue peut-être ce jeu pour affaiblir à la fois EIIL et le PYD. »

Rêdur Khalil accuse même l’Iran d’être derrière ces manœuvres ce qui indiquerait, là encore, un changement dans les proximités politiques, voire une tentative de rapprochement avec la Turquie. Ainsi, en février dernier, Asia Abdullah, coprésidente du PYD, se trouvait à Istanbul et déclarait que son parti cherchait le soutien turc et ne souhaitait pas affronter Ankara

De fait, une « réconciliation » avec le Kurdistan d'Irak qui verrait la réouverture du poste de Pêsh Khabûr ne servirait pas beaucoup à Kobanî qui, tout comme Afrin, n’ouvre que sur la frontière turque. Le seul moyen de relier les trois cantons seraient d’occuper des zones peuplées d’Arabes, de Turkmènes et de chrétiens. Mais il serait risqué de s’installer manu militari au milieu de populations qui ne sont pas toutes acquises au PYD ou à un Rojava autonome kurde, et cela ferait beaucoup de « petites questions de Kirkouk » disséminées tout le long de la frontière turque entre les cantons du PYD. 


Concert de soutien à l'Institut kurde