mercredi, octobre 30, 2013

Jasmine



Sortie de Jasmine, réalisé par Alain Ughetto, avec Jean-Pierre Darroussin et Fanzaneh Ramzi.



Synopsis : Dans le Téhéran de Khomeiny, mystérieux et oppressant, dans le tumulte de l'Histoire, des êtres de pâte et de sang luttent comme bien d'autres pour l'amour et la liberté. Du frémissement de la pâte modelée, surgit la plus incroyable des histoires mêlant l'amour et la révolution : France, fin des années 70, Alain rencontre Jasmine, une Iranienne ; elle change le cours de sa vie.



mardi, octobre 29, 2013

Amêdî en 1911


Walter Bachmann est né en 1883 à Leipzig et mourut en 1958 à Radebeul (Saxe). C'était un historien de l'architecture et un restaurateur. De l'automne 1908 jusqu'au printemps 1914, il a participé aux fouilles d'Assur sous la direction de Walter Andrae. Mais comme pour Austen Henry Layard, ce sont ses expéditions au Kurdistan qui nous intéressent. En 1911, il entreprend en effet un voyage au Kurdistan et en Arménie, qui le fait partir d'Amadiyya et l'amène jusqu'à la mer Noire, pour enfin revenir en Allemagne. Contrairement à Layard, ce n'est pas tant les populations qu'il décrit, mais, en bon historien d'art spécialisé en architecture, ce sont les bâtiments qu'il dessine et photographie, et c'est ainsi que parut en 1913, à Leipzig, Kirchen und Moscheen in Armenien und Kurdistan. Walter Bachman part de Mossoul le 23 juillet 1911, et fait une excursion à Lalesh, pour arriver à Amadiyya le 26 juillet (traduction certainement imparfaite puisque mienne et mon allemand date du lycée, si des germanophones avertis relèvent des erreurs, qu'ils n'hésitent pas à les mentionner) : 


 Von Mossoul am 23. Juli 1911 aufbrechend, gelangte die Karawane noch am gleichen Tage, an den Ruinenhügeln von Chorsabad, nach dem freundlich am Füsse des Gebirges gelegenen Jezidendorfe Bâ Idrî, dem Wohnsitz des Oberhauptes und Oberpriesters aller Jetzigen, des würdigen Ali Bei. Schon in den Vormittagsstunden des nächsten Tages erreichten wir über den ersten steilen Gebirgsrücken hinweg das un reich bewachsenem, von Wasseradern durchzogenem Tale gelegene Heiligtum des Scheich 'Adi, in dem der Gründer der Jezidenkte, der Heilige Scheich 'Adi selbst begraben liegt. Dank dem freundlichen Entgegenkommen des Oberpriesters konnte ich den Rest des Tages zur zeichnerischen Aufnahme des Gebäudes ausnutzen, nur das Photographieren mit Blitzlicht in den dunklen Innenräumen wurde mit leider verwehrt. 

 Partant de Mossoul le 23 juillet 1911, la caravane arriva le même jour aux ruines de la colline de Khorsabad, puis, au pied des montagnes, à l'accueillant village yézidi de Bâ Idri, résidence du souverain et grand-prêtre de tous les yézidis, le digne Ali Bey. Le lendemain, aux premières de la matinée, nous atteignîmes les premières crêtes escarpé, traversant dans une dense végétation, la vallée sillonnée de cours d'eau où le saint Sheikh Adi est enterré. Grâce à l'amicale courtoisie du grand-prêtre, j'ai pu profiter du reste de la journée pour relever au dessin le bâtiment, les photographies au flash de l'intérieur sombre des bâtiments étant malheureusement impossibles. 
 Von hier aus gebrauchte die Karawane zwei Tage bis zu dem inmitten hoher Bergketten gelegenen Kurdenstädtchen 'Amadia. Am Nachmittag des 26. Juli kamen wir in der auf steilem, isoliertem Felsplateau gelegenen, nur an zwei Stellen zugänglichen Bergfeste an. Den letzten Teil des Aufstiegs vor dem mit arabischem Figurenfries geschmückten, halbzerfallenen Stadttor bilden aus Felsblöcken roh zusammengefügte Stufen. In die Felswand, an der diese Stufen anliegen, sind drei Nischen eingearbeitet, von denen zwei die rohen, stark verwitterten Flachreliefs einer lebensgrossen Gestalt zeigen. Die beiden Figuren, deren Köpfe abgeschlagen sind, tragen, soweit sich erkennen lässt, die ausparthischen Reliefs bekannte Hosentracht, würden also in diesem Falle ein recht beträchlichtes Alter haben. Die kleinen, dürftigen Häuser der Stadt 'Amadia nehmen die Nordseite des langgestreckten Felsplateaus ein, auf dessen Südhälfte sich die Ruinen einer ausgedehnten Zitadelle aus arabischer Zeit und eines zweiten merkwürdigen Baues finden, der in einer Mulde dieses Plateaus, umgeben von Gräbern gelegen ist. Diese Ruine hat schon die Aufmerksamkeit früherer Reisender erregten. Layard glaubte in ihr Reste einer christlichen Kirche, Ainsworth (v. Ainsworth (1842) : Ainsworth, W. H, Travels and researches in Asia Minor, 2 vols, Londres) die eines Feuertempels den Sasaniden zu erblicken. 
 De là, la caravane nous mena en deux jours à Amadiyya, bourgade kurde entourée de hautes montagnes. Dans l'après-midi du 26 juillet, nous parvînmes à la forteresse, située sur un plateau abrupt et isolé, accessible seulement par deux endroits. Dans la dernière partie de l'ascension, avant la porte de la ville à demi en ruine et décorées de frises arabes, des marches sont faites de blocs de roche brute, assemblés. Sur la paroi rocheuse, au niveau de ces marches, il y a trois niches creusées, dont les deux premières aux reliefs fortement altérés, montrent un personnage grandeur nature. Ces deux personnages dont la tête est coupée, portent, pour autant que l'on puisse deviner, les pantalons et les costumes que l'on voit sur les reliefs parthes, ce qui, en ce cas, indiquerait un âge assez vénérable. Les petites et pauvres maisons de la ville d'Amadiyya occupent le côté nord du long plateau rocheux, tandis que dans la moitié sud se trouvent les ruines d'une vaste citadelle d'époque arabe et un second bâtiment, assez curieux, qui, dans un creux de ce plateau, est entouré de tombes. Cette ruine a déjà attiré l'attention d'anciens voyageurs. Layard a cru y voir les restes d'une église chrétienne, Ainsworth ceux d'un temple du feu. 



 Der ganze Bau, soweit er sich noch erhalten hat, ist etwa 3 m tief in den Fussbode eingearbeitet. Der Grundriss von rechteckiger Form hat eine Länge von etwa 29 m und eine Breite von 17 m. Die Längsachse verläuft in Südost-nordwestlicher Richtung. Im Innern erheben sich drei Reihen von je vier niedrigen Pfeilerstümpfen, die, ebenfalls aus dem Felsen herausgearbeitet, die Form abgestumpfter Pyramiden haben. Die grob geglätteten Felswände stehen an der Südwest und Nordostseite noch bis zum 3 m Höhe an, sind aber an der Südostseite fast ganz und an der Nordwestseite vollkommen verschwunden. Die Seite wände haben geringe Schräge und in 2 m Höhe einen 35 cm breiten Absatz. Reste ein etwa 3 m tiefen Nische findet sich ungefähr in der Mitte der Südostwand in deren oberem Teile. Diese Nische scheint ihre Entstehung einer späteren Zeit zu verdanken und eine Grabstätte gewesen zu sein.  
 La totalité du bâtiment, dans ce qui en a été préservé, a environ 3 mètres de profondeur au rez-de-chaussée. L'étage, de forme rectangulaire, a une longueur d'environ 29 m et une largeur de 17 m. Son axe a une direction qui va du sud-est au nord-ouest. À l'intérieur, s'élèvent sur trois rangs, quatre souches de piliers de faible hauteur, également travaillées dans la roche, qui ont la forme de pyramides tronquées. Les murs de pierre brute lisse, sur le côté sud-ouest - nord-ouest, ont jusqu'à 3 m de hauteur, mais ont complètement disparu sur le côté sud-est -nord-ouest. Les parois latérales ont une faible inclinaison, une hauteur de 2 m et une largeur de 35 cm. À peu près au milieu de la paroi sud-ouest, dans s apatride supérieure, il y a les restes d'une niche de 3 m de profondeur. Cette niche semble avoir été un tombeau et dater d'une époque ultérieure.

  
In der Süd- und Ostecke des Felsenbaues finden sich in die Felswand senkrechte etwa 30 cm breite Rillen eingeschnitten. Auf der Ostecke stehen diese Rillen mit zwei flachen Becken in Verbindung und diese wiederum mit einigen zerstörten Kanälchen, die sieh in der Umgebung des Bauwerks verlieren. Die ganze Anlage dürfte also wohl als Rest eine alten Zisterne zu betrachten sein, wie sie auf diesem vollkommen wasserarmen Felsplateau recht wahrscheinlich ist. Die Pfeiler werden ursprünglich eine gerade Decke getragen habe deren Auflager an den Wänden der erwähnte Absatz bildete. Die tiefe Nische an der Süd-ostseite ist augenscheinlich erst in späterer Zeit ausgearbeitet worden, und es ist nicht unwahrscheinlich, dass dieses Bauwerk nach seinem Verfall als Zisterne eine Zeitlang als christliche Kirche verwendet wurde.  
 Dans les coins sud et est du bâtiment se trouvent dans la paroi verticale de larges rainures incisées d'environ 30 cm de large. Sur le coin est, ces rainures rejoignent deux bassins peu profonds et ceux-ci à leur tour, par quelques canaux endommagés, vont se perdre aux abords du bâtiment. L'ensemble de ce système doit être considéré comme un vieux reste de citerne, ce qui est tout à fait probable au vu de l'aridité du plateau. Les piliers devaient initialement soutenir un plafond droit qui reposait sur les parois mentionnées. La niche profonde au sud-est a été évidemment creusée à une époque plus tardive et il n'est pas impossible que ce bâtiment, après qu'il ait cessé d'être utilisé comme citerne ait servi un temps d'église chrétienne.

samedi, octobre 26, 2013

Welcome







Dimanche 27 octobre à 20 h 45 sur France 2 : Welcome, de Philippe Lioret, 2008

Pour impressionner et reconquérir sa femme, Simon, maître nageur à la piscine de Calais, prend le risque d'aider en secret un jeune réfugié kurde qui veut traverser la Manche à la nage.







Hacî Hemedereş


jeudi, octobre 24, 2013

Réformes démocratiques en Turquie : de quoi les Roms se plaindraient-ils encore ?

Buçük, "sur les traces des tsiganes de Turquie",Elmas & Haluk Arus

Au cours de l’été, le PKK, en la personne de son nouveau dirigeant intérimaire, Cemil Bayik, avait annoncé, que sans mesure « concrète » de la Turquie, d’ici le 1er septembre, pour faire avancer le processus de paix, son mouvement le considérerait comme enterré.  Le 9 septembre, un communiqué émanant du conseil exécutif de l’Union des communautés kurdes (KCK) et publié dans l’agence de presse Firatnews annonçait le gel du retrait des forces armées kurdes, sans, cependant, déclarer la fin du cessez-le-feu ni remettre en cause la teneur du message politique d’Abdullah Öcalan :

« Notre mouvement croit au projet de démocratisation présenté par le leader Apo le jour du Newroz. C’est le seul moyen d’établir une fraternité entre les peuples vivant en Turquie, de résoudre la question kurde et de créer une Union démocratique du Moyen-Orient. La suspension du retrait a pour but de pousser le gouvernement à prendre ce projet au sérieux et de faire ce qu’il fait ».

Le KCK a aussi appelé le « peuple kurde et ses pouvoirs démocratiques » à renforcer leur lutte pour exhorter le gouvernement AKP à « abandonner son attitude irresponsable et à prendre des mesures pour le succès de la démocratie et une solution au problème kurde », afin de parvenir à la réalisation du « pas historique » fait par Öcalan. 

Les réactions du parti kurde du BDP se sont faites plus conciliantes, et Gulten Kişanak, qui, avant le message de mars, avait été assez critique sur la teneur et le déroulé du processus dont on parlait déjà avant le 21 mars, s’est montré plus conciliante et mesurée dans le constat d’échec (et donc en tout point dans le ton et la ligne Öcalan), qualifiant le processus de ni « au point mort ni en progrès », et faisant juste état de « problèmes et tensions » (AFP) :

« Nous ne pouvons dire si le processus est achevé ou s’il a stoppé, parce que les négociations avec Öcalan continuent. »

Mais c’est surtout le paquet de réformes que le parlement turc devait voter qui apparaissait comme un possible « premier pas » de la Turquie, et Gulten Kişanak a fait part de son dépit de ce que le BDP n’ait pas été consulté à ce sujet, doutant qu’il satisfasse les demandes des Kurdes de Turquie.

Le BDP n’est d’ailleurs pas le seul parti à se plaindre de l’opacité qui a entouré l’élaboration des réformes ou du processus de paix. Kemal Kiliçdaroğlu, le leader du Parti républicain du Peuple, le laïc et nationaliste CHP, s’est plaint de même d’avoir été écarté  :

« Abdullah Öcalan est assis à un bout de table et Erdogan à l’autre bout. Les deux se rnecontrenent, et marchandent. Le public n’est pas informé de ce qui se passe. »
Mais le 30 septembre, Recep Tayyip Erdoğan présentait enfin ses réformes et le moins qu’on puisse dire, est qu’il a fait contre lui l’unanimité de son opposition, turque comme kurde.
La langue kurde ne sera pas autorisée dans les écoles turques publiques, uniquement dans les écoles privées, ce qui existait déjà (avec peut-être une interdiction pour les enfants, ou sinon, avec la réforme, sans souci de la largeur des portes, cette fois), ce qui le ramène au rang des langues des minorités religieuses mentionnées dans le traité de Lausanne, (églises grecque et arménienne, mais pas les syriaques) tolérées dans les écoles religieuses. Du coup, le kurde sera-t-il tout de même enseigné comme langue « étrangère » au collège ? ». 

Par contre, l’hymne que devaient chanter tous les matins les écoliers, à la gloire  e la race turque à laquelle ils sont tous censés appartenir disparaît. Recep s'est peut-être avisé que cela faisait ressembler ses écoles publiques à celles de son grand ami Bachar Al Assad qui faisait aussi chanter à ses écoliers, le bonheur ou la fierté d'être de la race arabe…
L’autre grande demande du BDP, la levée du seuil de 10% aux élections législatives, qui lui permettrait de figurer au parlement autrement que sous couvert d’élus indépendants, fera l’objet de débats ultérieurs au Parlement, selon le Premier Ministre, avec 3 options possibles : son maintien, son abaissement à 5% ou bien sa suppression totale, avec un vote uninominal par de circonscription. Le seuil de de 7% de voix qui permet à un parti d’être subventionné par l’État pourrait être abaissé à 3%.
Du fait que les lettres interdites dans la « Loi du Chapeau » ne le seront plus, on pourra continuer d’écrire WC - Bay - Bayan sur les portes des toilettes publiques Newroz au lieu de l’horrible Nevroz sur les affiches du Nouvel An Kurde, et les tournées électorales des politiciens pourront se faire en discourant dans leurs langue maternelles, qualifiées de « dialectes autres que le turc ». Les localités à noms araméens, arméniens et kurdes qui avaient été turcifiées reprendront leur nom d’origine, dont l’emblématique Dersim (ce qui promet de beaux panneaux bilingues pour pas mal de localités).
Les minorités religieuses n’obtiennent, dans le meilleur des cas, qu’un non-lieu de justice, avec l’assurance que les moines indélicats squatteurs de la mosquée Mor Gabriel pourront garder le produit de leur recel, mais le séminaire orthodoxe ne sera pas rouvert pas plus que l'enseignement du clergé des syriaques orthodoxes permis (une demande de l’Union européenne, pourtant) ; dans le pire des cas, celui des Alévis, ils n’obtiennent rien : leur culte n’est toujours pas reconnu comme étant à part de celui des musulmans, mais les cemevi (lieu de cérémonies religieuses) ne sont pas entretenus et financés par l’État, au contraire des mosquées. L’islam est toujours enseigné et pas de façon facultative, dans les écoles publiques.
Quant à la majorité religieuse musulmane sunnite, son corps fonctionnaire féminin (hormis les juges, procureurs, policières et gendarmettes) obtient le droit de porter le voile sur son lieu de travail. On peut supposer que le Premier Ministre se soucie de l’islamophobie (prédominante en Turquie, comme on sait, bien plus que contre la christianophobie ou l’anti-alévisme), quand il promet que 

« des sanctions dissuasives contre les crimes motivés par la haine et le mépris des modes de vie vont être pratiqués et la punition des crimes haineux sera plus lourde. La prévention de la pratique de cérémonies religieuses sera condamné dans le champ d'application de la loi pénale turque » (parions que cela ne concerne pas les sem'a alévis).
Quant aux Rroms, à peu près aussi aimés et tolérés que dans l'Union européenne, ils vont avoir droit à un institut et centre culturel à eux tout seul (R.T E a dû lorgner envieusement du côté de Duhok).
Finalement, la meilleure synthèse de ce qui aurait dû être inclus dans les réformes peut être lue dans la réactions du Conseil des Sages, mis en place par Erdogan lui-même pour éclairer et suivre les différentes étapes du processus de paix turco-kurde et composé de différentes personnalités publiques, artistiques, politiques, qui tente d’apporter une expertise neutre sur l’élaboration et les besoins de ce processus. 
Dans son rapport, le Conseil des Sages avait ainsi préconisé certaines mesures, dont certaines (le rétablissement des noms kurdes ou araméens des localités) ont été suivis, mais la plupart superbement ignorés, comme une amnistie générale des combattants kurdes, l’abolition de la loi Anti Terreur, une réforme du système judiciaire, une vaste opération de déminage des campagnes et des montagnes kurdes, le retour des réfugiés kurdes actuellement relogés au camp de Makhmur (Kurdistan d’Irak) depuis les années 1990; la restitutions aux Yézidis des terres confisquées et des facilités apportées à leur retour (si c'est ceux chassés par le génocide de 1915, on peut se demander pourquoi eux seuls et pas les Arméniens; que les Assyriens puissent éduquer leurs enfants dans leur langue, etc.

Pour le moment, si, bien sûr, l'ensemble des Kurdes a critiqué ce qui ressemble bel et bien à un foutage de gueule, aucune réaction ne s'est fait entendre d'Imralı. Comme disait Gulten Kişanak, les négociations sont peut-être encore en cours…

lundi, octobre 21, 2013

Le parlement du Kurdistan après les élections de septembre 2013

En jaune, le PDK, en bleu, Gorran, en vert, l'UPK,
en marron Yekgirtu, en orange, Komal,
en gris les autres petits partis,
les R sont les sièges réservés aux minorités nationales,
source wikicommons.




Début août, la Haute Commission électorale indépendante irakienne avait approuvé la procédure des futures élections parlementaires dans la Région du Kurdistan d’Irak, fixées au 21 septembre, même si elle avait initialement souhaité leur report au 21 novembre, en même temps que les élections des conseils provinciaux.

La campagne électorale a donc commencé à la fin du mois d’août, sur un ton et un rythme plus modéré et moins passionné qu’en 2009, quand la percée du tout nouveau parti d’opposition Gorran avait changé la donne du bipartisme habituel. Aujourd’hui que ce troisième larron est bien installé dans le paysage politique du Gouvernement régional, la question était surtout de savoir, comme aux précédentes élections, si cette fois-là, le mouvement de Nawshirwan Mustafa allait pouvoir battre sur son terrain de Suleïmanieh l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). Seuls quelques tirs ont éclaté, début septembre, dans différents quartiers de Suleïmanieh, lors d’échaufourées opposant supporters de Gorran et de l’UPK, mais sans suites conséquentes, et ne faisant que 9 blessés, dont 5 policiers, intervenus sur place.

Au contraire des élections précédentes, l’UPK avait choisi de ne pas faire liste commune avec le Parti démocratique du Kurdistan, tout en réaffirmant sa volonté de perpétuer son alliance politique avec le parti de Massoud Barzani et de faire donc essentiellement campagne contre son rival Gorran. Mais l’UPK partait avec le handicap majeur d’être toujours officiellement présidé par Jalal Talabani, même si son retrait de la vie politique fait que sur le terrain, c’est son politburo qui en assume la direction. Depuis l’accident de santé du président irakien, les rumeurs au sujet sa mort font surface régulièrement, alimentées par son absence de toute apparition publique depuis décembre 2012, rumeurs toujours démenties, que ce soit par l’entourage familial direct de Jalal Talabani ou les autorités du GRK.

Le 25 août, une délégation de 35 universitaires kurdes a tenté de rencontrer Jalal Talabani à l’hôpital de la Charité (Berlin) où il est toujours soigné. Le personnel médical leur a seulement transmis un message du président, leur assurant qu’il les rencontrerait dans « quelques jours », ce qui n’a pas eu de suite pour le moment.

Dans ces conditions, le principal défi qu’avait à relever l’UPK n’était pas de se démarquer du PDK auprès de ses électeurs (l’implantation du PDK et de l’UPK au Kurdistan d’Irak est inamoviblement locale) mais de Gorran, qui a l’avantage, auprès des électeurs de la province de Suleïmanieh, d’être mené par des figures politiques et locales bien connues, des vétérans de l’UPK, anciens compagnons de Talabani et surtout, qui a à sa tête un leader en chair et en os, présent sur le terrain, en la personne de Nawshirwan Mustafa, alors que l’UPK ne pouvait parier que sur la fidélité de son électorat à un nom et un souvenir, plus qu’un véritable chef politique.

Le jour des élections, le 21 septembre, se déroula sans incident majeur, et les bureaux de vote fermèrent à 17 h 00. Très vite, alors que tombaient les premières estimations, il est apparu que Gorran a réussi à supplanter de façon incontestable son rival : Le parti de Massoud Barzani (Parti démocratique du Kurdistan) garde la première place, avec 37.79% des voix, Gorran suivant avec 24.21% et l’Union patriotique du Kurdistan n’en obtient que 17.8%.

Les deux partis islamistes, Yekgirtu et Komal font respectivement 9.49% et 6.01%. Le reste des petits partis ramasse globalement 4.69% des voix.

Si l’on regarde les résultats province par province :

– Erbil plébiscite incontestablement le parti présidentiel avec 48.22%, tandis que Gorran et l’UPK n’obtiennent que 18.4% et 12.89. Les deux partis islamistes sont à peu près à égalité, 6.55% pour Komal et 6.51% pour Yekgirtu, ce qui fait donc un score  de 13.06  % pour les partis religieux, le reste se répartissant entre 7.42%.

– Duhok, sans surprise, vote largement pour le PDK, avec 70.03 % des voix. Yekgirtu, son principal rival dans la province, arrive loin derrière avec 12.77% et Komal ne fait que 1.08% (avec un total de 13.85%, à peu près comme à Erbil, cela relativise la soi-disante « percée islamiste » que l’on annonce au Kurdistan depuis 1992). Pas de percée non plus du PÇKD, la branche politique irakienne du PKK. L’UPK et Gorran, partis très peu implantés au Behdinan, font 5.67% et 2.88%, le reste des partis 7.56%.

– C’est à Suleïmanieh que les choses ont le plus bougé. Gorran remporte 40.8 % des voix, et l’UPK, avec 28.,62% des voix, devient, dans sa ville historique, le premier parti d’opposition, mais loin derrière sa branche dissidente. Le PDK arrive même à y faire 11.03 % (alors qu’un incident entre ses miliciens et un cortège de manifestants fut le point de départ d’une vague de protestations dans la ville, durant tout le printemps 2011). Yekgirtu fait 10.27% et Komal 8.22%, ce qui, au passage, relativise aussi l’image que les gens de Suleïmanieh aiment donner de Duhok, province « traditionnelle et islamiste », car c’est dans leur province que les deux principaux candidats religieux font le plus haut score, avec 18.49%. C’est aussi dans cette province que les petits partis outsiders font un score quasi nul, 0.78%, ce qui laisse entendre que ses électeurs, très motivés pour un changement, se sont concentrés sur un vote « utile ».

Si l’on compare avec les élections parlementaires de 2009, le PDK gagne 8 sièges (38 aujourd’hui, 30 en 2009). Gorran, s’il a fait un score surprise, non seulement ne gagne pas de siège mais en perd un (passant de 24 à 25). Les autres partis qui progressent sont Yekgirtu (+4), Komal (+2), tous les autres partis reculant ou ne gagnant pas plus d’un siège, le grand perdant étant l’UPK qui perd 11 sièges.

Concernant les minorités, qui ont des sièges réservés : les Turkmènes, les Assyriens, Chaldéens et autres araméenophones, ont respectivement 5 sièges, comme en 2009, puisque c'est dans la constitution, et les Arméniens, un député. Précisons au passage que ces minorités au Parlement, à savoir les Turkmènes, les Assyriens Chaldéens Syriaques (qui ne se sont apparemment toujours pas mis d’accord pour se trouver un nom commun), les Arméniens, enfin, sont tous des groupes considérées comme « nationaux . Il n’y a pas de sièges réservés à des représentants religieux, les partis islamistes étant traités de la même façon que tous les partis kurdes et les partis appelés chrétiens par commodité sont  des laïcs. Cela explique donc qu’il n’y a pas de siège réservé aux yézidis, pas plus qu’aux kakay et aux shabaks qui, étant kurdes, ont le choix, soit d’être membres des partis existant, ce qui est le cas, surtout au sein du PDK, soit de fonder leur propre parti, ce qui ne s’est pas encore produit. 

D’un autre côté, même si les Assyro-Chaldéens, Turkmènes, etc., ont quelques sièges réservés comme minorités nationales, rien ne les empêche de figurer, (ce dont ils ne se privent pas et parfois à de hauts postes), dans les rangs des partis kurdes dominants, comme candidats ordinaires. Les minorités religieuses sont reconnues dans la constitution et bénéficient de la liberté de culte, mais non de droits politiques spécifiques.

Ainsi les Roms, nouveaux venus au Kurdistan pourraient et souhaitaient même réclamer un siège à l'assemblée, puisque c’est une minorité nationale, mais ce n’est pas encore le cas car ils ne figurent pas non plus comme peuple du Kurdistan dans la constitution de 2009 (les Arabes non plus, au passage).

Par contre, le parlement 2013 doit être composé de 34% de députés féminins, un quota de 30% minimum étant imposé en faveur des femmes, toujours selon la constitution.

Deux questions se sont tout de suite posées au vu des résultats : l’UPK allait-il accepter une si cuisante défaite sur le terrain, ou bien la contester comme il l'avait fait en 1992 ? Mais ce scénario était plus une histoire d'alimenter les colonnes des media, car étant donné la fonte comme neige au soleil de ses supporters, il n’a plus guère les moyens de la rébellion et puis surtout, entre 1992 et 2013, la situation au Kurdistan n’est plus la même.

Dès l’annonce officielle des résultats par la Haute-Commission électorale, les dirigerants de l’UPK ont ainsi assumé démocratiquement leur débâcle  en s'en tenant pour « entièrement responsables », comme l’a publiquement déclaré Kosrat Rassoul, le vice-président du GRK et nº 2 du parti, ainsi que Barham Salih, ancien Premier Ministre du GRK. Hero Talabani, l’épouse de Talabani, toute puissante au sein de l’UPK, annonçait le 30 septembre sa démission, en déclarant que l’UPK avait besoin de se renouveler en son sein et qu’elle souhaitait en être le premier exemple.

L'autre question est de savoir si le nouveau gouvernement de coalition qui doit se former le mois prochain comportera le PDK + l’UPK ou bien formera un trio avec Gorran ? 

Ce qui est déjà acquis, c’est la traditionnelle participation des minorités nationales (Assyro-Chaldéens etc. et Turkmènes) au gouvernement, le PDK ayant toujours appliqué la politique du parrainage des petites nations, ce qui lui permet de gagner des voix lors des votes parlementaires.

Amener Gorran à pariticiper au gouvernement permettrait au PDK comme à l’UPK de le neutraliser comme source de contestation et puissant opposant. Car  une fois au gouvernement et aux rênes du pouvoir, le parti du Changement se retrouverait dans la classique position, toujours difficile, du critique qui était « contre » et qui doit à son tour encourir la part de mécontentement et de désappointement éventuels de ses électeurs. 

D’un autre côté, refuser de participer au futur gouvernement pourrait tout autant décevoir les 446.095 citoyens qui ont voté pour lui, une posture de refus pouvant être perçue comme une dérobade devant toute responsabilité politique.

Un inconvénient possible pour le PDK serait une « réconciliation » de l’UPK et de Gorran, car le parti présidentiel avait, ces dernières années, beaucoup dominé les cabinets gouvernementaux, en raison de l’affaiblissement progressif de son alter-ego/rival, miné autant par les désaccords internes que par l’érosion de son électorat. L’UPK peut donc s’assurer une certain influence au sein du GRK en marchandant son appui à l'un ou l’autre des deux partis en tête.

Enfin, une autre grande bataille électorale se prépare avec les prochaines présidentielles car si l'on ajoute les voix de Gorran à celles de l'UPK face au PDK, nul doute que les candidats à la présidence arriveront au coude à coude, tout comme en 1992, et qu'il s'agira là encore d'un Kurdistan coupé en deux entre région pro-Barzani et anciennement pro-Talabani. La mise à l'épreuve de la démocratie au Kurdistan n'est donc pas tant celle qu'il vient incontestablement de remporter que le « combat des chefs » à venir.

vendredi, octobre 18, 2013

Le génocide arménien

Samedi 19 octobre à 20 h 50 sur Toute l'histoire : documentaire .

Amêdî en 1846





En août 1846, Austen Henry Layard visita les monts Tiari (le pays des Nestoriens) et passa ainsi par Amadiyah. 

 Les voyageurs sont d’abord accueillis par des Kurdes « de la branche Badinan de la tribu des Missouri » et se rendent ensuite dans le village chaldéen de Bebozi où ils assistent à un débat théologique assez vif entre Chaldéens ralliés à Rome (plus ou moins de bon gré par leur évêque, et d’une façon que Layard trouve très discutable) et un «Nestorien à moitié demeuré» qui s’appelle Ionian ou Ionunco que les Anglais ont embauché «pour l’amusement de la caravane». 


Je remerciai la dame kurde pour son hospitalité en offrant un présent à son fils et repartis pour le petit village chaldéen de Bebozi, juché au sommet d’une haute montagne. Le chemin qui y menait était des plus raides, et les chevaux atteignirent l’endroit au prix de grandes difficultés. Nous trouvâmes un groupe de dix maisons, construites au bord d’un précipice, à une si grande hauteur que le torrent en contrebas était à peine visible au fond de la vallée. Les habitants étaient fort pauvres, mais ils nous reçurent avec une hospitalité dénuée d’affectation. Je visitai la petite église. Les gens de Bebozi font partie de ces Chaldéens convertis récemment au catholicisme, et offrent le triste et trop fréquent exemple de la manière dont de tels prosélytes sont acquis à la Sainte Église de Rome. J’ai vu dans la chapelle quelques misérables estampes représentant des personnages vêtus des couleurs les plus criardes – rouge, jaune, bleu – des miracles de saints ou de la Vierge Marie, ainsi qu’un affreux nouveau-né emmailloté, sous lequel était écrit «L’Iddio, bambino»  [Dieu, enfant]. Elles avaient été récemment collées sur les murs. «Pouvez-vous comprendre ces images ?» demandai. «Non», me fut-il répondu. «Ce n’est pas nous qui les avons mises là ; quand notre prêtre (un nestorien) est mort il y a quelque temps, Mutran Yusuf, l’évêque catholique, est venu nous voir. Il a placé ces images sur les murs, et nous a dit que nous devions les vénérer. Nous les avons retirées, mais pour l’avoir fait, nos kiayahs (les chefs de village) ont été bastonnés par Mahmoud Agha, le chef des Missouri, et nous avons été nous-mêmes roués de coups. Maintenant, nous les laissons à leur place. Et comme les Kurdes ont été soudoyés pour interdire l’accès du village aux prêtres nestoriens, nous sommes obligés d’écouter le prêtre catholique que Mutran Yusuf nous envoie de temps en temps.» Sur l’autel et le pupitre étaient posés quelques rituels et livres de prières, ainsi qu’une bible chaldéenne. Ils n’ont pas été remplacés, seuls le nom de Nestorius a été soigneusement biffé au crayon, et l’office dominical des nouveaux fidèles, hormis quelques prosternations devant les images, reste identique à celui qu’ils célébraient avant leur conversion. 
Je regagnai la maison dans laquelle j’avais pris mes quartiers et essayai de dormir. Ionunco, dependant, débattait avec quelques Chaldéens d’un village voisin, dont la conversion était plus ancienne et plus complète que celle des habitants de Bebozi, des mérites de leurs croyances respectives. Il ne me resta plus qu’à me couvrir le visage de mon manteau, à me coucher et à écouter. La discussion devint vite animée. Ionunco invoqua à l’appui de ses dires tous les textes qu’il avait recueillis pendant un séjour prolongé avec le patriarche et d’autres dignitaires de son église. Les convertis, de leur côté, citèrent tous les arguments qui les avaient détournés de leurs erreurs. Les habitants de Bebozi écoutaient avec admiration ce docte débat sur la consubstantialité des trois personnes de la Trinité. Les étrangers insistèrent ensuite sur l‘avantage qu’il y avait à reconnaître l’autorité du Pape et à se placer sous sa tutelle. «Le Pape», s’exclama Ionunco hors de lui, «est peut-être très utile, mais, en ce qui me concerne, je ne l’échangerais pas contre mon âne !» Si je n’étais pas intervenu à ce moment-là, cette irrévérencieuse sortie aurait donné le signal des hostilités. J’ordonnai illico à Ionunco de seller sa jument, et nous poursuivîmes notre voyage.
Après avoir franchi une chaîne de collines couvertes d’une forêts de chênes nains, nous descendimes dans la vallée de Cheloki, et atteignîmes au coucher du soleil le bourg kurde de Spandarreh, appelé ainsi à cause de ses peupliers (spandar). Pris de panique à l’apparition de notre imposante caravane, les habitants voulurent se soustraire aux devoirs de l’hospitalité ; et il nous fallut déployer des trésors de persuasion pour les convaincre que notre invasion était purement amicale. 
Nous n’étions plus séparés de la vallée d’Amadiyah que par une chaîne de hautes montagnes couvertes de forêts, les monts Ghara. Nous la franchîmes par une route très peu fréquentée, si raide que nos chevaux ne cessaient de trébucher. L’un d’eux, portant une partie de nos bagages, disparut soudain par le rebord d’un rocher ; nous le retrouvâmes une centaine de mètres plus bas, les quatre fers en l’air, coincé entre deux rocs. Comment était-il arrivé là sans se rompre autre chose que l’os de sa queue ? C’est un mystère que nous n’avons jamais élucidé. La vallée d’Amadiyah, pour l’essentiel un vaste affleurement de grès, est entaillée d’innombrables ravins formés par les torrents qui decsendent des montagnes et se frayent un chemon jusqu’au Zab. Elle est cependant recouverte de forêts de chênes, produisant en abondance les noix pour lesquelles cette région est réputée. Les paysans les ramassaient au moment de notre passage. 
Il était presque midi quand nous parvîmes au pied du piton rocheux sur lequel la ville et le fort d’Amadiyah ont été construits. La plaine d’Amadiyah comporte un grand nombre de villages chaldéens jadis florissants. La plupart sont aujourd’hui désertés, les habitants ayant trouvé refuge encore plus haut dans la montagne pour fuir la brutalité et la tyrannie des gouverneurs turcs et kurdes, et la non moins humiliante oppression d’évêques au prosélytisme envahissant. 

Ils arrivent ensuite à Amadiyya, tenu par une garnison ottomane, des Albanais, qui n’ont pas l’air de bien s’y acclimater, car le climat semble très malsain (tout le monde a le paludisme, Amadiyya a dû assainir son climat depuis). 

Le gouverneur, Selim Agha, un vieil homme rongé de fièvres, est originaire d’Asie mineure, et ne souhaite qu’une chose : partir de cet endroit. Les pachas héréditaires sont en exil, et depuis que les Turcs l’occupent, la population est partie se réfugier dans les montagnes. On est à l’époque du début de la conquête centralisatrice d’Istanbul du Kurdistan, et on voit que cela n’amène pas forcément la prospérité et le développement des provinces kurdes.


À notre arrivée, quelques Albanais dépenaillés et rongés par les fièvres sommeillaient sur des bancs de pierre, près des portes du fort. Pendant les mois du Ramadan, si c en’est pendant toute l’année, cette place forte pourrait très certainement être investie par surprise par une poignée de Kurdes résolus. Nous y pénétrâmes, et nous retrouvâmes au milieu d’un véritable champ de ruines : porches, bains, bazars, habitations, tous les édifices étaient éventrés, laissant apparaître leurs recoins les plus secrets. Nous éprouvâmes quelques difficultés à trouver notre chemin jusqu’à une ruine croulante honorée du nom de «sérail» – par le Palais. Là aussi, tout le monde semblait dormir. Aucun garde ni serviteur ne parut, et nous errâmes à travers l’édifice jusqu’à la porte du gouverneur. Les parasites de sa cour, tout à leurs aises, dormaient, vautrés sur les divans, et nous les réveillâmes non sans mal. On nous conduisit finalement jusqu’à une grande pièce, dans une tour construite sur le rebord même de la falaise, et surplombant toute la vallée – ce à quoi se réduit aujourd’hui l’État des anciens pachas héréditaires d’Amadiyah. Une brise rafraîchissante soufflait de la montagne, l’immense panorama était un ravissement pour les yeux, et j’en oubliais la désolation et la misère qui régnaient alentour.

Toute la ville est en ruines, et Layard raconte commente cette ville peuplée et florissante est devenue une cité fantôme et insalubre, une fois administrée par les Ottomans. Il parle aussi des derniers «pachas héréditaires» d’Amadiyah qui défiant l’autorité de la Porte sont forcément des Kurdes, malgré leur prétentions abbassides et dont les femmes jouissaient d’un statut particulier. Une fois en exil à Mossoul, elles fréquentent même les Européens huppés de Mossoul et à visage découvert, apparemment, ce qui est très loin de l’image des princesses de harem ottomans.

Amadiyah était jadis une villte très importante et très puissante, et comptait une population nombreuse et prolifique. Elle était gouvernée par des pachas héréditaires – des chefs féodaux qui prétendaient descendre des califes abbassides, et, pour cette raison, avaient toujours été considérées avec un respect religieux par les Kurdes. Les dames de cette famille étaient non moins vénérées, et portaient un titre très particulier pour des femmes – celui de «khan». Le dernier de ces chefs héréditaires avait été Ismail Pacha, qui avait longtemps défié, dans son château quasi inaccessible, les tentatives d’Injeh Bairakdar Mohammed Pacha pour le soumettre. Les Turcs parvinrent à faire exploser une mine sous une partie de la muraille que, du fait de sa position, les Kurdes croyaient à l’abri de toute attaque, et la place fut prise d’assaut. Fait prisonnier, Ismail Pacha fut envoyé à Bagdad, où il se trouve encore, et sa famille, dont la jolie Esma Khan, que les Européens de Mossoul connaissent bien, a longtemps bénéficié de la générosité de Mr Rassam [le vice-consul britannique]. Amadiyah est souvent mentionnée par les premiers géographes et historiens arabes, et sa fondation remonte, sans aucun doute, à une date très ancienne. Les seuls vestiges que j’aie pu découvrir autour de la ville sont un bas-relief en très mauvais état, adossé à la roche près de la porte nord, dont il reste cependant assez   permettre de lui attribuer une date approximative – l’époque des rois arsacides –, et quelques cavités creusés dans le roc, à l’intérieur de l’enceinte, qui semblent avoir servi à une époque très reculée d’églises chrétiennes. L’insalubrité d’Amadiyah est devenue proverbiale, malgré sa position exposée et surélevée. À cette époque de l’année, les habitants avaient quitté la ville pour les massifs montagneux environnants, dans les vallées desquelles ils construisaient des ozailis, ou abris, avec des branchages. La population a considérablement diminué depuis la prise de la place par les Turcs. Qui, dit-on, tient le château d’Amadiyah tient le Kurdistan, ce qui explique qu’il était défendu par trois cents Albanais et un petit détachement d’artilleurs avec trois canons.



" Voici, enfin traduites en français 150 ans après leur publication, les légendaires Ruines de Ninive, dont Lawrence d'Arabie et C. W. Ceram avaient fait leur livre de chevet. En 1845, un jeune voyageur anglais de 28 ans, Henry Layard, entreprend d'arracher aux sables du désert d'Irak les grandes cités assyriennes décrites dans la Bible. Il fera ainsi ressurgir de la nuit des temps Nimroud (l'antique Kalhu), qu'il identifie d'abord à Ninive, la cité du prophète Jonas et la capitale d'Assourbanipal. Chargées dans des conditions rocambolesques sur des radeaux, pour être ensuite expédiées à Londres, ses trouvailles spectaculaires (au nombre desquelles de fabuleux lions ailés) formeront le noyau de la collection assyrienne du British Muséum. Mais Layard n'était pas qu'un chasseur de trésors : la relation de ses recherches se double d'une prodigieuse enquête ethnographique sur le Kurdistan au milieu du XIXe Siècle. Entre deux fouilles, il parcourt le nord de l'Irak, et rapporte de son périple une moisson d'informations sur les différentes ethnies coexistant dans la province de mossoul-turcs, Bédouins du désert (dont il partage le mode de vie), Kurdes, Chaldéens nestoriens, Yézidis ou "Adorateurs du Diable", qui, toutes, s'entre-déchirent inlassablement. Le récit de son séjour parmi les Yézidis (étrange secte ayant emprunté divers éléments aux principales religions du Moyen-Orient) présente notamment un intérêt exceptionnel."

mercredi, octobre 16, 2013

Shêrko Bekas






La nuit des contes

Hurlent et galopent les vents
telle une femme prise d’épouvante.
Ferment les yeux, les vagues,
Déchiquetés sont les nuages,
dispersés comme du coton cardé
dans le ciel gris de l’Euphrate.
Les nuages sont les plumes d’une colombe blanche,
privée d’ailes,
lorsqu’elle tente de s’envoler
Mon cœur est à présent une grenade pressée,
Je m’assieds en cette nuit près de la cheminée de ma chambre
en face de ma vieille mère.
J’observe ses yeux affaiblis.
C’est la nuit des contes,
Nous rendent visite cette nuit… Las et Khazal*
J’écoute ma mère religieusement
J’écoute : Las parle, Las part
et je voyage avec lui d’une rivière à l’autre
d’un pied de montagne à l’autre,
d’une montagne à l’autre, avec lui, je voyage
et lorsque palpitent les ailes du sommeil
dans mes yeux,
j’entends l’Euphrate, et lui de gémir encore et de crier.
À l’extrémité,
Las part, mettant de longues lieues derrière lui.

*Couple amoureux d’une épopée kurde.



La mort

Quand mourut une feuille d’arbre, mourut l’une de mes lettres,
quand mourut la source de la montagne, mourut un de mes mots,
quand mourut un des jardins de ma vision, mourut une phrase,
mais
Ô fille de dix ans,
Ô fille du village Heleden*
quand ils t’ont tuée
Moururent une dizaine de mes poèmes, d’un seul coup.


* Village de la province de Suleïmanieh.



Adresses

Point de nom de ville
ni de quartier
ni de rue
Point de numéro de téléphone
ni de boite postale
que je possède
Mais
Chaque jour
Le long de la route
Me parviennent des lettres vertes
du lointain… et d’à côté
Car
ma poésie est elle-même le facteur de l’amour
Et mon adresse
la tranchée du dernier martyr.



La route

Un certain jour
La terre enfanta un volcan
De celui-ci naquit le Kurdistan
Le Kurdistan engendra Ararât
D’Ararât sont nés les Kurdes
Des Kurdes sont nés des jumeaux : la peine et le défi
Et de ceux-ci
naquit la Voie* de Yilmaz Güney.

* Yol.




Le premier et le dernier des cris

Une minute, trente secondes, quelques tic tac tic…
Avant onze heures
Le ciel était semblable à l’âme de Mewlewî*
Clair et pur
Pareil à la monture d’Ehmed Mukhtar**
La beauté du printemps était dans le hennissement du cheval
Et le sommet de Gulan
Avait mis une rose-étoile de Shem***
dans les cheveux de Goran****

Une minute, trente secondes, quelques tic tac…
Avant onze heures
Sous le plafond d’une chambre
À Halabjah
Il y avait une famille
Le père, la mère et une petite fille
Quelques tic tac… avant onze heures
La mère balançait le berceau
Et le petit enfant souriait.
Allongé, le père
Écoutait une cassette.

Onze heures ont sonné
Dong ! Deux à trois fois
Une fumée tel le cœur d’Ibn ‘Oujah
Et l’air, de mourir
Et le printemps, de mourir
Le père, la mère et l’enfant
À onze heures
Sous le plafond d’une chambre
À Halabjah
Sont devenus trois pierres
D’une statue
Ils se sont tous embrassés.

Après onze heures
Une ville pareille
À une colombe étranglée
Son cou brisé sous les ailes
Sa voix étouffée
Dans une ville du sud
Pas de cri d’oiseau, ni de piaillement d’oisillons
Ni de chuchotement
Ni de clameur
Ni de soupir
Ni âme qui respire
Après onze heures.

Seul le cri d’une voix dans cette ville
Parvient aux oreilles de la montagne
À travers l’arsine*****
Et rame pour atteindre
Les rivages de la vie.
Seule, cette voix
Après onze heures
La voix d’une bande magnétique
Dans la chambre
Qui joue l’hymne des armes
et des combattants.


  • Poète kurde (1806-1882)
  • * Poète kurde assassiné en 1935.
  • ** Nom d’une couronne dans une épopée kurde.
  • **** Poète kurde (1904-1962)
***** Gaz toxique.



Le poète kurde Shêrko Bekas est mort le 4 août dernier d’un cancer, à Stockholm où il était soigné depuis plusieurs mois.

Shêrko Bekas est né le 2 mai 1940 à Suleïmaneih dans une famille éprise de littérature et de culture et dont le père, Fayik Bekas (1905-1948), était un poète patriote, plusieurs fois arrêté et emprisonné. 

Orphelin à l’âge de sept ans, Shêrko Bekas fait toutes ses études primaires et secondaires à Suleïmanieh, En 1959, il part étudier à Bagdad pour y faire des études techniques.

Il commence à écrire à l’âge de 17 ans, et publie des poésies dans le journal Jîn (La Vie) et des nouvelles dans la revue Hetaw (Le Soleil). Très vite, ses poésies paraissent dans des revues littéraires kurdes prestigieuses, comme Rojî Nuwê (Le Jour nouveau) et Hîwa (L’Espoir). 

Menacé d’emprisonnement en 1965, sous le régime du général Aref, il s’enfuit dans les montagnes et rallia le mouvement de résistance, en animant la radio Dengê Shoreshê (La Voix de la Révolution), et fut aussi un des rédacteurs du journal Dengî Peshmerge (La Voix des Peshmergas).

En 1970, à la faveur de l’Accord de Mars entre le gouvernement irakien et le mouvement kurde, les écrivains kurdes purent à nouveau s’exprimer et publier librement en Irak, En avril 1970, avec les romanciers Hussein Arêf et Kake Mem Botanim, les poètes Djelal Mirza Kerim et Djemal Sharbajêrî, il écrivit un manifeste intitulé « Marsad » (Le Télescope), où les cinq hommes de lettres exprimaient leurs aspirations et leur programme littéraire : 

Nous voulons que nos œuvres et créations littéraires soient adaptées à l’esprit de notre temps, tiennent compte des nouveaux concepts et doctrines et representent un miroir ou un reflet authentiques de notre société kurde comme de la société humaine tout entière.  

Notre manifeste constituera ainsi le point de jonction de l’ensemble des courants et des nouvelles idées. Ceux-ci s’y rencontreront malgré la diversité de leurs convictions et de leurs engagements philosophiques et idéologiques, et leurs positions intellectuelles à l’égard de l’homme et de la vie. 
 Nous ne nous élevons pas aveuglément contre le patrimoine, nous pensons en effet que l’héritage patrimonial authentique tient lieu de soutien déterminant aux créations et aux tendances nouvelles ; en son sein, nos productions nouvelles sont-elles nées et ont grandi.» «Marsad», nº1, Bagdad, 1970 ; in « Étude sur la poésie kurde contemporaine », Les Petits Miroirs, Shêrko Bekes, trad. Kamal Maroof.

Mais en 1974, la guerre reprit au Kurdistan et il dut à nouveau prendre le maquis. Après la défaite du général Barzani, en 1975, il revint à Suleïmanieh avant d’être assigné à résidence par le pouvoir dans l’ouest de l’Irak, hors du Kurdistan. Mais il continue à écrire et ses poèmes circulent clandestinement dans les milieux de la résistance kurde.

En 1984, il réussit à s’enfuir à nouveau dans les montagnes, jusqu’en 1986. Il anime à nouveau la radio kurde de la résistance, prit part à la fondation de l’Union des écrivains kurdes et publia dans de nombreuses revues et bulletins qui paraissaient dans les zones « libres » tenues par les Peshmergas.

Invité dans plusieurs pays européens, il choisit de se fixer en Suède jusqu’en 1987. En 1992, il retourne au Kurdistan d’Irak, en partie libéré après la Première Guerre du Golfe et l’instauration d’une zone de sécurité.

Il est ministre de la Culture dans le premier cabinet du Gouvernement régional du Kurdistan.

Shêrko Bekas s’est imposé comme une figure rénovatrice de la poésie kurde, avec son recueil paru en 1971, Rûwange (Vision) qui rompt avec la métrique classique et une poésie sans rime et son recours au « poème-affiche » en 1975. 

Sa poésie a été traduite en arabe, suédois, danois, néerlandais, français et anglais. L’intégralité de son œuvre poétique a été rassemblée dans deux volumes de mille pages publiés à Stokholm.

Ses obsèques ont eu lieu dans sa ville natale, à Suleïmanieh, et il a été inhumé lors d’une cérémonie nationale dans le parc principal de cette ville, le parc Azadî (Liberté). En plus d’une foule nombreuse, assistaient à ses obsèques le vice-président de la Région du Kurdistan, Kosrat Rassoul, le secrétaire générakl adjoint de l’Union patriotique du Kurdistan, Imad Ahmed, et l’ancien Premier Ministre de la Région du Kurdistan, Barham Salih, ainsi qu’un certain nombre d’officiels et d ereprésentants du gouvernement.

Mais le lieu de cette inhumation est provisoire car il doit se construire, à Suleïmanieh, une « cité culturelle » où un bâtiment doit abriter la sépulture de grandes personnalités culturelles et littéraires de la province.



Circulations à la frontière entre Kurdes d’Irak et Kurdes d’Iran.


À lire sur ÉchoGéo, par Cyril Roussel :

Circulations à la frontière entre Kurdes d’Irak et Kurdes d’Iran.

Clandestinité économique et politique au Moyen-Orient

Concert de soutien à l'Institut kurde