mardi, janvier 17, 2012

Rapport sur le massacre de villageois de Gülyazı (Bujeh) et d'Ortasu (Roboski) du district d'Uludere (Qileban) de la province de Şırnak Province (extraits, partie 2)

Entretiens résumés des deux commissions avec les survivants et les villageois :

Hacî et Servet Encü, photo Radikal.


 1- Haci Encü (19ans) qui a survécu à l'incident, interrogé le 29 décembre à l'hôpital :

 Le 28 décembre 2011 à 16 h 00, nous avons traversé la frontière de l'Irak avec un groupe de 40 à 50 personnes et un même nombre de mules pour y ramener de l'essence et de la nourriture. Nous n'avons pas informé le QG de la gendarmerie, intentionnellement, mais ils savaient déjà que nous allions et venions. Notre but était de ramener de l'essence et du sucre. En fait, déjà en route nous avons entendu le bruit des engins volants sans pilote (drones) mais nous avons continué parce que toujours, nous passions et repassions. À 19 heures, nous avons commencé de nous en retourner, après avoir chargé les mules. À 21 heures, nous étions proches de la frontière. Nous avions atteint le plateau de notre village. D'abord, il y a eu des fusées éclairantes, et puis des tirs d'obus. Nous avons laissé le chargement de l'autre côté de la frontière. Immédiatement après, les avions sont arrivés et ont commencé de bombarder. Nous étions deux groupes : il y avait une distance de 300-400 mètres entre le groupe de devant et celui de l'arrière. Tout de suite après, il y eu les salves aériennes. Il n'y avait pas d'autre chemin pour passer de l'autre côté de la frontière parce que les soldats tenaient notre plateau. Ainsi, les groupes étaient coincés et ont dû se réunir, et à la fin nous avons formé deux grands groupes. C'est avec le premier bombardement aérien que le groupe d'une vingtaine de personnes qui se trouvait sur le point-zéro de la frontière a été anéanti. Tout de suite nous avons pris la fuite. Les bombes ont commencé de pleuvoir sur ceux qui étaient entre les rochers. Le groupe dont je faisais partie comprenait 6 personnes dont 3 ont survécu. Nous étions habillés en civil, personne n'avait d'armes. Deux d'entre nous sont entrés dans le ruisseau, avec 3 mules. Après avoir attendu une heure, nous nous sommes réfugiés sous une roche et nous ne pouvions rien savoir de nos amis. Entre 23 h et 23 h 30, nous avons compris que les villageois venaient, aux bruits et aux lumières. Les soldats ont commencé de quitter le plateau qu'ils tenaient quand les paysans se sont mis à hurler. 
Nous faisions ce travail depuis longtemps. Deux d'entre nous étaient mariés, les autres étaient étudiants ou écoliers. Personne ne m'a convoqué pour que je donne mon témoignage. Après les événements, je n'ai vu aucun soldat. Les autres survivants sont Davut Encü (22 ans) et Servet Encü (blessé, à l'hôpital de Şırnak ).


2- Servet Encü interrogé après les funérailles le 30 décembre (résumé):

Nos pères, nos grands-pères ont fait aussi ce métier  (contrebande). Nous l'avons aussi fait. Il n;y a pas d'usine. Nous gagnons de quoi vivre avec ce travail. Tout le monde dans ce village, sur cette frontière, fait ce métier. La nuit de l'incident, 7 ou 8 personnes de 2 ou 3 villages chacun, sur cette frontière, ont fait ce travail, ce qui fait en tout presque 40 personnes, avec nos mules, et nous avons franchi la frontière d'environ 2 kilomètres. Là, nous avons acheté de l'essence, du sucre et de la nourriture des Irakiens. Nous ne sommes pas allés à Haftanin ni Sinat. Au retour, les soldats nous ont stoppés. Ils le font à chaque fois, mais ils nous donnent toujours la permission de passer. Cette fois, ils ne l'ont pas fait. Ils nous ont fait attendre à la frontière. Et finalement, ils ont jeté leurs bombes sur nous. 
 37 personnes, dont des étudiants, âgés de 10 à 20 ans, ont été abattus pour un travail qui leur rapportait 50, 60 ou 100 lires turques (100 lires turques = 42, 5 euros). Selam Encü,, l'un des morts, était étudiant ingénieur. Şivan avait 15 ans, Orhan 10, Mehmet avait 11 ans. Personne n'était du PKK. Le PKK ne trafique pas de l'essence avec 40 ou 50 mules. Les soldats qui nous ont arrêtés à la frontière ne nous ont pas dit un mot. Après l'incident, aucun officiel militaire n'est venu nous aider. Après le bombardement, plusieurs blessés ont gelé à mort sur le sol car personne ne s'est montré pour leur porter secours. Nous sommes les 3 survivants sur 38. Ils ne m'ont pas vu parce que je me suis caché en m'enterrant sous la neige. 
Avant, les soldats nous arrêtaient un moment et puis nous donnaient la permission de passer. Cette fois, ils ne nous ont pas laissés et nous ont encerclés. Les soldats sont partis avec leurs voitures dès que les bombardements ont commencé. Si je n'avais pas survécu, les corps auraient pu attendre 2 ou 3 jours. Nous formions 3 groupes distincts, l'un à la frontière et deux loin d'elle. Nous avons pensé partir et laisser notre chargement quand ils nous ont stoppés. 
Après le bombardement, j'ai marché environ 100 mètres et j'ai demandé de l'aide par téléphone. Après 2-3 heures, ils sont venus au secours. Aucun soldats ou aucun autorité n'est venu, ce sont juste nos gens qui sont venus. Nous avions quitté le village à 17 heures, et à 21 h 30 nous gagné la frontière. à 21 h 40, il y a eu le bombardement. Les étudiants qui étaient avec nous faisaient cela pour leur argent de poche. Notre village est à 5 kilomètres de la frontière. Le premier groupe nous a informé que les soldats avaient pris des mesures. Nous avons pensé laisser notre chargement et repasser la frontière à cause du froid. À ce moment, 4 avions sont venus et nous ont bombardé plus d'une heure. Nous avons informé le QG par téléphone et ils ne sont pas venus. À 3 heures, nous avons porté les blessés et les morts jusqu'à mi-chemin vers le village. La moitié des blessés sont morts durant le trajet. Deux ou trois d'entre eux auraient pu survivre s'il y avait eu une intervention médicale à temps. Les soldats sur la frontière savaient que nous étions des villageois et que nous faisions ce travail. Avant l'incident, de temps en temps ils attendaient sur la frontière. Ils ont fermé la route. Nos amis nous ont informés que la frontière était tenue par les soldats. Les explosions m'ont fait voler dans les airs, et puis je suis retombé et je me suis retrouvé enfoui dans la neige. Nous faisions ce travail comme nous avions l'habitude de le faire. Jusqu'ici il n'y avait eu aucun affrontement sur ce parcours. Jusqu'à aujourd'hui, quand les soldats nous attrapaient, ils tuaient nos mules, brûlaient les selles et les biens que nous ramenions. Cette fois, ils nous ont tiré dessus. Le premier groupe nous a informé que nous ne pouvions pas traverser la frontière. Nous sommes restés où nous étions. Alors que nous attendions de voir si les soldats nous laisseraient passer ou si nous pouvions trouver un autre moyen de passer, nous avons été bombardés en deux groupes séparés. Nous avons été bombardés séparément. J'ai vu des blessés mourir en perdant leur sang, et ni les forces de sécurité ni une ambulance ne venait."


3- Une personne d'un autre village, qui a été une des premières à arriver sur les lieux (elle n'a pas voulu donner son nom) :

Deux jours avant l'incident il y a eu un affrontement au carrefour de la route pour Uludere. Les soldats ont dit à des amis qui achetaient les biens que nous ramenons du commerce frontalier et qui sont vendus dans les boutiques : "Cette nuit, c'est la dernière fois. Vous ne pourrez plus faire ce travail désormais."


4- Le père de  Ferhat Encü (tué) :

Tout le mois dernier, les soldats ne nous ont causé aucun problème quand nous faisons ce travail.


5- Un autre villageois (qui n'a pas voulu donner son nom)

Le personnel médical a essayé de venir sur les lieux de l'incident avec des ambulances, de la province de Şırnak, à 3 heures du matin.  Les soldats les en ont empêchés, en leur disant "vous ne pouvez pas aller là-bas avec des ambulances." Après que les villageois ont réagi auprès du personnel médical, ils sont allés au Qg en disant qu'ils voulaient se rendre sur les lieux. Mais au QG on leur a dit que seuls les chemins pouvaient être empruntés, que la route n'était pas sûre. C'est un de mes amis qui fait partie du personnel médical de la province de Şırnak Province qui m'a dit cela.

6- Un autre villageois (qui n'a pas voulu donner son nom )

Moi aussi j'ai été un contrebandier. Il y a un contract tacite entre les soldats et nous. L'État pouvait sauver les blessés avec les hélicoptères de la province de Şırnak comme ceux qui ont transporté les blessés de Lybie dans des avions ambulances privés, ou ceux qui ont été blessés dans l'attaque du Marmara par Israël. Certains de nos blessés sont morts gelés.



7- Şükrü Uysal, le frère d'Özcan Uysal (tué)  :

J'habite au village d'Ortasu. J'étais dans ce village quand c'est arrivé. Beaucoup de gens de notre village gagnent leur vie avec le commerce frontalier. Le commerce frontalier dure depuis des années. Le QG de la gendarmerie de notre village en est informé depuis longtemps. Le groupe de mon frère est parti du village pour la frontière irakienne le 28 décembre à 14 heures. Alors qu'ils revenaient vers 21 heures, ils se sont séparés en deux groupes après avoir vu les soldats fermer la route. Le groupe en tête a attendu à la frontière et a observé les soldats alors que l'autre groupe les tenaient informés. C'est alors qu'ils ont été attaqués. 
Le groupe à l'arrière s'est réfugié dans une zone rocheuse. Le premier groupe a été tué sur un terrain plat, qui tout était encore recouvert de neige. Les fusées éclairantes tirées par les soldats illuminaient tout comme en plein jour. Grâce à ces lumières, les soldats pouvaient clairement tous les voir. Le parcours était continuellement utilisé et il y a une route sur ce trajet. Il y avait des mines sur la route. 35 villageois ont été tués et 3 blessés dans cet incident.



8- Le chef du village d'Ortasu, parlant la maison de deuil :

Nous faisons ce commerce frontalier sur ce trajet, je veux dire ce travail, depuis que les Anglais ont tracé la frontière. Les soldats et les officiels de l'État savent que nous faisons de la contrebande. Je crois que cet incident vient d'un mouvement comme Ergenekon ou Balyoz parce que cela survient juste après que Bülent Arınç a dit qu'ils devaient donner des droits aux Kurdes. De plus, les villages alentour votent BDP (le parti kurde). Je crois que c'est pour ça que cet incident est arrivé. La région n'est pas sur le parcours du PKK parce que ce côté-ci de l'Irak est plat. Il n'est pas possible d'attaquer la Turquie par surprise de ce côté-là. Celui qui approcherait par ce côté serait remarqué par les soldats turcs. Jusqu'à présent il n'y a eu aucun affrontement sur ce parcours. En général, durant une opération, le chef du village et les gardiens de village temporaires sont avertis afin qu'ils empêchent les contrebandiers d'aller et de venir dans la région. Notre endroit, le village de Gülyazı ne peut pas être une municipalité, malgré sa population élevée. Nous voulons que la frontière soit ouverte. Nous avons fait des demandes officielles, mais…"


9- Un autre villageois, parlant dans la maison de deuil du village d'Ortasu:

Les Heron (drones) détectent tout. Nos enfants ne portaient pas d'armes. Les Herons auraient dû détecter cela. Au lieu de ça, pourquoi ils ont bombardé nos enfants…


10- Hacı Encü, le premier survivant, reparle dans la maison de deuil à Ortasu :

Nous avons atteint la frontière à 19 heures. Nous avons chargé de l'essence et du sucre à un endroit qui est à 2,5 - 3 kilomètres au-delà de la frontière et nous sommes retournés. Servet Encü est venu du groupe avant, à 200- 300 mètres de la frontière, en disant que les soldats avaient fermé la frontière.  Après, ils ont éclairé la frontière. Nous avons entendu les tirs d'artillerie.  Puis ils ont bombardé. Une heure et demi plus tard ils ont bombardé notre place. Le premier groupe a été complètement brûlé. Notre endroit n'a pas noirci.


11- Un autre villageois parlant dans la maison de deuil d'Ortasu :

Personne n'est venu aider après l'incident, bien que nous avions alerté. Ils n'ont pas répondu à nos appels téléphoniques. Nous avons porté nos morts. Nos enfants auraient été sauvés s'ils étaient intervenus à temps.


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