vendredi, novembre 25, 2011

TURQUIE : « EXCUSES » OFFICIELLES DU PREMIER MINISTRE POUR LES MASSACRES DE DERSIM


Le 9 novembre, Hüseyin Aygün, un député CHP (parti kémaliste) de Tunceli (Dersim), déclare que les lourds massacres de sa région, en 1937 et 1938, pour écraser la révolte de Seyid Riza, n’ont pu être perpétrés à l’insu de Mustafa Kemal et de son gouvernement, contrairement à ce qu’affirmait, jusqu’ici, l’historiographie « officielle », alors même que Sabiha Gökçen, la propre fille adoptive d'Atatürk, qui fut aussi première femme pilote de l'armée turque, avait elle-même pris part aux opérations militaires et bombarda la région.

L’actuel Premier Ministre au pouvoir, peu suspect, comme son parti, l’AKP de sympathies pro-kémaslistes a sauté sur l’occasion pour embarrasser son principal rival, le CHP. S’adressant publiquement au président du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, un alévi de Dersim, Recep Tayyip Erdoğan lui a demandé de reconnaître à son tour le rôle de Kemal Atatürk dans les massacres de Dersim : « C’est une opportunité en or pour le CHP d’affronter cette tragédie, car son leader est un membre de la communauté de Tünçeli. Vous êtes de Tünçeli, pourquoi fuyez-vous ? » À cela, Kemal Kılıçdaroğlu a répliqué sur le même ton : « Oui je suis de Tünçeli et je suis un fils de cette nation (turque NDLR). Actuellement je suis le président du CHP et j’en suis fier. Si Dieu le veut, je serai aussi bientôt le premier ministre. »

Kemal Kılıçdaroğlu est en effet originaire de Nazimiye, et sa propre famille a été décimée par les massacres et les déportations. Le chef du Parti kémaliste a rappelé à cette occasion que jamais l’AKP n’avait remporté un seul siège à Dersim-Tunceli, en dénoncant comme une « insulte » la soudaine volonté du Premier Ministre de parler aux noms des Dersimis, tous de religion alévie et qui nourrissent une grande défiance à l’égard des partis islamistes.

Devant à la fois apaiser la tempête interne à son propre parti (un groupe de députés a demandé l'exclusion d'Aygün) et faire front devant la polémique relayée par la presse, Kemal Kılıçdaroğlu a voulu contre-attaquer en se posant en défenseur de « l’héritage kémaliste », menacé de « destruction », selon lui, par les menées de l’AKP. Mais cela n’a pas empêché le chef du gouvernement de continuer sur cette lancée et, le 22 novembre, Recep Tayyip Erdoğan, lors d’une réunion de son groupe parlementaire a annoncé son intention d’ouvrir prochainement au public des archives sur la répression du Dersim, qui établiraient sans ambiguité le rôle prédominant du gouvernement de l’époque dans les massacres.

Le jour suivant, 23 novembre, le Premier Ministre allait jusqu’à faire des excuses publiques, au nom de la République de Turquie, pour des actes de répression qui ont fait près de 14 000 victimes selon l’État turc (entre 30 et 50 000 selon les historiens) civils ou combattants confondus, sur une période de 4 ans : « S'il y a des excuses à présenter au nom de l'Etat, alors je présente mes excuses ».

Les journaux proches du gouvernement AKP, comme Sabah ou Zaman, ou bien hostiles au nationalisme, comme Radikal, se sont lancés eux aussi dans le débat historique et ont publié des documents des documents et des archives prouvant les dires de Hüseyin Aygün, tandis que des ouvrages consacrés à la question connaissaient un regain de succès en librairie.

Beaucoup de voix d’opposants ou des journalistes, comme Pinar Ogunc de Radikal, relèvent le manque de cohérence de la part de l’AKP, qui a fait interdire un documentaire filmé sur le Dersim. Le député CHP à l’origine du débat, Hüseyin Aygün, accuse le gouvernement AKP de n’avoir rien fait, par ailleurs, pour améliorer les conditions de vie des Alévis dans cette région. Mais la plupart des éditorialistes et commentateurs politiques, comme Mehmet Ali Birand (Hürriyet, Kanal D) ont fait immédiatement le lien avec le génocide arménien en se demandant si la reconnaissance de « l’incident le plus tragique de notre histoire récente », comme le Premier Ministre a qualifié les massacres du Dersim sera un jour suivie de la reconnaissance d’un « incident » tout aussi tragique, bien que moins récent, à savoir le génocide des Arméniens et des Syriaques en 1915-1916.

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