lundi, octobre 31, 2011

TURQUIE : TREMBLEMENT DE TERRE MEURTRIER À VAN


Le climat de tension politique et de violence guerrière n’a fait qu’empirer au Kurdistan de Turquie alors qu’Ankara menace de faire d’intervenir ses troupes terrestres au Kurdistan d’Irak. Le parti pro-kurde du BDP a ainsi fait état, début octobre, d’un bilan politique judiciaire éloquent : 10 maires en exercice, 2 anciens maires, 2 présidents et 4 vice-présidents de conseils généraux provinciaux et 29 membres de conseils municipaux sont actuellement derrière les barreaux. Toujours d’après le BDP, entre le 14 avril 2009 et le 6 octobre 2011, 7748 cadres et membres du parti ont été en garde à vue, dont 1548 au cours des six derniers mois.

Sur le terrain militaire, loin d’avoir apaisé la situation, les récents bombardements turcs sur les bases du PKK n’ont pas diminué les attaques. Le 19 octobre, 24 soldats étaient tués et plusieurs autres blessés dans plusieurs assauts simultanés du PKK contre des postes militaires situés à la frontière, dans la province de Hakkari. Il s’agit du deuxième plus lourd bilan en pertes humaines au sein de l’armée turque, le premier ayant fait 33 victimes en 1993. L’opération annoncée comme « d’envergure » par l’armée, qui devait être autant terrestre qu’aérienne, a eu lieu principalement en territoire turc plus « quelques points en Irak », selon un communiqué officiel du 21 octobre. 22 bataillons étaient engagés dans les opérations. Bien que le nombre de soldats au total n’ait pas été révélé par l’état-major, la presse turque donnait un chiffre de 10 000 hommes.

Mais le 23 octobre, « l’actualité kurde » en Turquie était entièrement marquée par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2 qui a frappé la ville de Van et des bourgades avoisinantes, dont Ercis, la plus durement touchée. En plus des victimes, évaluées à environ 600, le tremblement de terre a jeté des milliers de famille à la rue, dont les maisons ont été détruites ou qui craignent d’y retourner en raison des fortes répliques. Dans un premier temps, le gouvernement turc a refusé l’aide internationale spontanée offerte par de nombreux pays, dont Israël, pourtant en froid avec la Turquie, avant de demander des mobile-home, les tentes turques parvenant aux sinistrés s’avérant en nombre très insuffisant.

Mais la colère des sinistrés devant le manque de tentes et de nourriture n’a fait que croître. Ainsi, à Ercis, une ville de 75 000 habitants qui a recensé plus de 360 morts, la population se plaint de discriminations dans les aides fournies par le Croissant Rouge : les familles des élus locaux (AKP), des militaires et des fonctionnaires de police, voire des tribus proches du pouvoir auraient été favorisées dans la distribution des tentes et des secours, tandis que les policiers semblaient parfois débordés. Les sauveteurs, menant une course contre la montre, ont réussi à dégager des survivants deux jours après le séisme, dont un bébé de deux semaines.

Selon Mustafa Gedik, qui dirige l'Institut sismologique de Kandilli à Istanbul, un séisme de 7, 2 sur l’échelle Richter, dans une région dont la plupart des constructions n’offrent aucune sécurité contre les tremblements de terre, peut causer entre 500 et 1000 morts. Par chance, la catastrophe est survenue un dimanche, alors que beaucoup de familles se trouvaient à l’extérieur et que les internats des écoles étaient vides. Des répliques puissantes, dont une de 5, 4 le 26 octobre, entretiennent un climat de panique.

Interviewé par le site de l’Observatoire de la vie Politique turque (OVIPOT), Çağlar Akgüngör, docteur en science politique, qui a soutenu à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, en 2007 une thèse intitulée «La Turquie à l’épreuve des séismes de 1999, une analyse sociopolitique à travers les discours médiatiques post-catastrophes et qui a participé à plusieurs opérations de recherche et de sauvetage, donne son analyse de ce qui est le séisme le plus grave (avec celui de Bingöl en 2003) depuis celui des 17 août et 2 novembre 1999, survenus respectivement à Izmit et Düzce dans la région de Marmara. S’il observe une meilleure préparation de l’État devant ce type de catastrophe, depuis 1999, une augmentation des effectifs de sauvetage, Çağlar Akgüngör indique qu’il y a, pour le moment, un certain flou dans l’évaluation du fonctionnement de ces équipes, en termes de formation, matériel et fonctionnement.

Sur les reproches faits au gouvernement, au sujet de l‘inefficacité des premières interventions de secours, le chercheur nuance les critiques : « Je crois qu’on ne peut jamais être “très efficace” lors des premières 24 heures suivant une catastrophe. Quand on est sur place, on se trouve isolé avec ses propres moyens, dont une partie considérable est détruite ou bloquée, pour différentes raisons. Il en est de même pour les personnels qui sont originaires de la zone où a eu lieu le séisme, car ils sont d’abord préoccupés par le sort de leur famille, ce qui est normal. Pour ce qui est de l’aide qui vient de l’extérieur de la zone de la catastrophe, c’est comme une force armée. Interviennent des mécanismes administratifs dont le lancement prend du temps. Mais une fois que “l’opération” est en marche, elle avance. Même les équipes de sauvetage volontaires qu’on considère comme plus flexibles ont mis entre 4 et 12 heures pour arriver sur la zone (la norme standard des Nations Unis est au maximum de 36 heures). »

Quant aux scènes de « pillages » de camions et de tentes par les populations démunies, elles ne sont pas très différentes de ce qui s’est passé en 1999, ou bien dans d’autres pays, hormis au Japon qui bénéficie d’une culture de l’État très différente. Sur la question de savoir si le refus préalable de l’aide étrangère était ou non une erreur, il faut distinguer les motifs politiques et ceux ayant trait à la logistique : « Il ne faut pas oublier que, dans les relations internationales, l’acceptation d’une aide, qui provient de l’étranger, peut-être politiquement considérée comme un aveu de faiblesse (…) En fait, si l’aide étrangère a été finalement acceptée, c’est probablement pour des raisons d’ordre diplomatique : garder de bonnes relations avec les Etats qui l’avaient proposée. Je note par ailleurs que lors des catastrophes et des situations d’urgence, les problèmes de l’acceptation et de l’efficacité de l’aide extérieure se sont souvent posés. Gérer l’aide internationale est une entreprise qui nécessite la coordination d’un grand nombre d’organisations sur le plan diplomatique, ce qui n’est pas toujours simple et faisable rapidement pour être efficace. Un exemple marginal mais surprenant est celui des Etats-Unis, la première puissance du monde, lors de l’ouragan Katrina en 2005. Ils ont été littéralement incapables de gérer l’aide internationale, ce qui a provoqué un scandale lorsque les Etats, qui avaient commencé à le faire, ont renoncé à envoyer de l’aide, alors même que les citoyens de Louisiane en avaient besoin. »

Quant au problème, récurrent en Turquie, de la non-conformité des nouvelles constructions aux normes antisismiques, une législation plus dure ne changerait pas grand-chose. Sur le papier, la Turquie a déjà adopté une réglementation conforme aux standards internationaux. Le problème est son application sur le terrain, où la corruption, les passe-droits et les constructions sauvages prédominent. Au total, le tremblement de terre a fait 601 morts, 2 300 blessés et a laissé 153 enfants orphelins.

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