vendredi, juillet 29, 2011

TURQUIE : BRAS DE FER AU PARLEMENT, MONTÉE DES VIOLENCES INTER-ETHNIQUES


La tension politique au parlement turc, après le boycott des députés kurdes élus protestant contre l’emprisonnement de deux des leurs, a eu pour conséquence une recrudescence des affrontements armés et une surenchère politique de la part du BDP.

Le 8 juillet, un accrochage entre l’armée et le PKK tuait un soldat turc et en blessait trois autres, dans la région de Pülümür. Le 11 juillet, deux autres soldats tombaient aux mains de la guerilla kurde, ainsi qu’un civil travaillant pour le ministère de la Santé, non lors d’une opération militaire, mais d’un barrage de route. Des témoins ont affirmé avoir vu des militants kurdes armés arrêter les véhicules, retrouvés abandonnés par leurs occupants. Le 15 juillet, 13 soldats turcs et 7 combattants du PKK ont perdu la vie dans un combat près de Silvan, dans la province de Diyarbakir, ce qui en fait l’affrontement le plus meurtrier depuis 3 ans entre l’armée et les Kurdes, déclenchant une série de « condoléances » de la part de la Maison Blanche et des Etats-Unis.

Le Premier Ministre Tayip Erdogan a annulé ses rendez-vous pour tenir une réunion de crise, avec les plus hauts gradés de l’armée, des forces de sécurité et le ministre de l’Intérieur, Beşir Atalay. De son côté, Cenil Çiçek, le président du Parlement, s’en est pris violemment aux élus kurdes (qui ont annoncé le boycott des séances) en leur demandant de « choisir leur camp », entre, selon lui, la « démocratie, la paix et la liberté » et « le sang, la haine et la barbarie ». Mais Selattin Demirtaş, tout en déplorant les victimes, a dénoncé l’absence de règlement politique de la question kurde, alors que les 36 députés du BDP refusaient de prêter serment au Parlement tant que leurs camarades resteraient emprisonnés.

Le 12 juillet, le CHP, qui refusait aussi de siéger, pour les mêmes raisons, a accepté que ses députés prêtent serment et a même lancé un appel conjointement avec l’AKP au reste des députés poursuivant le boycott, soit les Kurdes. Or, le même jour, le BDP a tenu, lui aussi, une session parlementaire, mais … à Diyarbakir, la capitale du Kurdistan de Turquie, défiant ainsi Ankara, appelant toujours à la libération des députés emprisonnés et réclamant des changements constitutionnels. En l’absence de réponse de la part du gouvernement, le BDP a déclaré que ce parlement de Diyarbakir continuerait de siéger jusqu’à ce que leurs revendications soient acceptées.

Le 15 juillet, cette même « Assemblée du Kurdistan » a proclamé une « autonomie démocratique pour une résolution pacifique de la question kurde ». À cela, la réponse judiciaire ne s’est pas faite attendre et un acte d’accusation a été émis contre les auteurs de cette initiative politique, alors que les 13 soldats turcs tués au combat contribuaient à l’échauffement de l’opinion publique, et faisaient craindre des affrontements entre Kurdes et Turcs dans les villes où les deux groupes se côtoient.

C’est ainsi qu’à Istanbul, lors d’un festival international de jazz, la chanteuse kurde Aynur Dogan n’a pu se produire sur scène, devant un public survolté pour qui ses chansons kurdes étaient une « provocation » après la mort de ces soldats. La chanteuse a dû interrompre son tour de chant, tandis qu’une partie de la salle reprenait l’hymne national turc. L’incident a fait le tour de la presse turque, ainsi que les journaux étrangers, qui l’ont tous jugé inquiétant, comme étant le signe d’une dégradation des relations entre les deux peuples dans le pays, surtout de la part d’un public perçu comme ouvert, jusqu’ici, aux autres cultures. « Ceux-là peuvent être considérés comme le public turc le plus sophistiqué – celui d’un concert de jazz. Ils savaient que quelqu’un allait chanter en kurde et ils ne pouvaient le tolérer. Cela montre la profondeur des blessures, pas seulement chez les Turcs, mais je pense, aussi chez les Kurdes » a commenté Soli Özel, éditorialiste politique du quotidien Haberturk. Selon lui, cet incident est le signe d’une polarisation croissante entre Kurdes et Turcs, en ajoutant que même au plus dur de la guerre, dans les années 1990, il n’y avait pas eu de propagation inter-ethnique des hostilités dans les villes de l’ouest, mais qu’à présent que des millions de Kurdes s’y sont réfugiés, les tensions ont aussi été exportées des régions kurdes. Seli Özel souligne la situation dangereuse à laquelle doit faire face l’AKP : « D’un côté, l’AKP tente d’intégrer les Kurdes dans le système économique, ce qui fait qu’ils y sont plus présents, et que cela créé du ressentiment chez les Turcs qui occupent déjà une position dans ce système. D’un autre côté, comme les Kurdes sont de plus en plus éduqués et peuplent de plus en plus les villes de l’ouest et du sud, ils peuvent exprimer leur colère avec plus de force. »

Des jeunes Turcs ont ainsi opéré des raids d’intimidation dans un bidonville d’Istanbul où vivent majoritairement des Kurdes refugiés depuis deux décennies. Ertugrul Kurkçu, un député turc du BDP a également émis les mêmes pronostics, du côté kurde, en parlant des jeunes générations issues de la guerre, dont les familles ont été déplacés, tuées ou traumatisées de diverses façons par le conflit : « Leur hostilité envers l’État actuel est même plus farouche que chez la génération précédente. Ils ne sont pas enragés sans raison. Ils vivent dans une atmosphère très sauvage, pas seulement en raison des conditions de vie physiques, mais aussi mentales, avec plus aucun respect pour le gouvernement, mais aussi envers la société. »

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