mardi, mai 31, 2011

TURQUIE : UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE SANGLANTE POUR LES LÉGISLATIVES


La campagne électorale pour les législatives en Turquie n’a pas été des plus pacifiques, émaillée d’attentats, de manifestations meurtrières et d’accrochages entre l’armée et le PKK.

Ainsi, le 4 mai, à Diyarbakir, lors des funérailles de quatre combattants de la guerilla, un cortège de plusieurs milliers de Kurdes s’est heurté aux forces de l’ordre qui avaient tiré en l’air pour disperser la manifestation. Un véhicule de police a été pris à parti par la foule, trois policiers ont été frappés et un quatrième blessé à l’arme blanche.

Le lendemain, 5 mai, c’est la propre voiture du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, qui était visée par un attentat qui n’a pas été immédiatement revendiqué. Alors en pleine tournée électoral, le Premier Ministre a en effet essuyé des tirs au fusil-mitrailleur et à la grenade. L’embuscade s’est produite peu après que la voiture officielle a quitté la ville de Kastamonu (mer Noire). Même si le journal Taraf, relayé par les quotidiens Milliyet et Sabah, a affirmé que, selon les sources de la sécurité, l’attaque proviendrait d’un commando de six membres du PKK, aucune accusation précise n’a été lancée par les autorités, pourtant promptes, en général, à désigner le PKK comme auteur d’attentats, réels ou fictifs, sur le territoire turc. Cette fois, le Premier Ministre s’est contenté de mentionner vaguement des « affiliés à une organisation terroriste ». Il est à noter que cette région de la mer Noire n’est pas, habituellement, un théâtre d’opérations du PKK. Aussi, la police turque accuse des groupes d’extrême-gauche de relayer la guerilla kurde hors de son terrain. Cependant, la mer Noire est aussi le fief de l’extrême-droite turque et compte de nombreux sympathisants des Loups Gris (MHP).

Le même jour, le parti kurde (BDP) en campagne, réuni à Diyarbakir, a condamné les opérations militaires des derniers jours, les arrestations de plusieurs militants, et menacé de boycotter les élections. Le Premier Ministre turc a immédiatement réagi : « Le BDP cherche à atteindre ses objectifs avec le soutien des terroristes ».

Finalement, le 6 mai, l’attaque contre le convoi du Premier Ministre a été revendiqué dans un communiqué du PKK, « en représailles à la terreur exercée par la police sur le peuple kurde (Firat News) » affirmant curieusement que la cible de l’attentat n’était ni le Premier Ministre, ni les civils, mais la police. Dans le même temps, le leader du PKK, Abdullah Öcalan a menacé, de sa prison : « "Soit un processus de négociations sérieuses commencera après le 15 juin, soit ce sera le début d'une grande guerre », mais comme ce n’est pas la première fois que ce genre d’ultimatum précède un prolongement de cessez-le-feu, la menace a peu ému la classe politique turque.

Par contre, l’éditorialiste Mehmet Ali Birand a estimé que la déclaration du BDP au sujet d’un éventuel boycott des élections était à prendre au sérieux : « La légitimité des élections serait en cause", et M. Erdogan serait très embarrassé, car il veut faire la démonstration d'une élection démocratique, à laquelle tout le monde participe. Mais les deux parties trouvent un peu leur compte dans cette tension sur la question kurde. Erdogan veut prendre des voix au MHP, donc il mène une politique nationaliste et s'en prend aux Kurdes accusés de menacer l'unité nationale. Quant au parti pro-kurde, "il montre ses muscles et fait la démonstration qu'il défend sa communauté » (AFP).
Les accrochages avec l’armée se sont poursuivis, avec deux membres du PKK abattus à Mardin, un policier tué et un autre grièvement blessé dans une attaque du mouvement kurde à Silopi le 7 mail. Le 13 mai, douze guerilleros kurdes étaient tués, alors qu’un commando tentait de franchir la frontière, à partir du Kurdistan d’Irak, près de Şirnak. Le 14 mai, un soldat turc était tué par une mine lors d’une opération de ratissage dans la montagne de Hakkari. Le 16 mai, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du Kurdistan de Turquie pour protester contre la mort de ces douze Kurdes, alors que des centaines de manifestants ont franchi la frontière avec le Kurdistan irakien pour récupérer les corps des combattants tués afin de les ramener à leurs familles. Les forces de sécurité sont intervenues et ont pu reprendre les quatre corps portés par les manifestants. À Diyarbakir, à Siirt, Istanbul et dans la province de Batman, plusieurs affrontements ont eu lieu avec les forces de l’ordre.

Le 23 mai, un autre attentat a été déjoué contre le Premier Ministre, toujours en tournée, cette fois dans les régions kurdes. Une bombe télécommandée contenant 36 kg d'explosifs a été en effet trouvée et désamorcée au pied d'un pont dans la province de Sirnak où Recep Tayyip Erdogan devait se rendre pour un discours électoral. Le 26 mai, un attentat à la bombe, cette fois à Istanbul, a fait huit blessés, dont deux grièvement. La bombe était placée sur un engin deux-roues et a explosé à 9 heures du matin, sous un pont, près d'un arrêt d'autobus, dans un quartier huppé de la rive européenne. « Une femme a eu un pied arraché par la déflagration et une autre souffre de brûlures du système respiratoire » (Agence Anatolie). Selon les services de sécurité, « le fait que l'explosion s'est produite à proximité d'une école de police laisse penser que l'attentat a peut-être visé la police. » Une fois encore, le Premier Ministre a laissé entendre que le PKK pouvait être à l’origine de l’attaque.

lundi, mai 30, 2011

SYRIE : LES KURDES ENTRE ESPOIR DE CHANGEMENT ET CIRCONSPECTION


Tentant toujours de mettre fin, par la force ou les « gestes politiques » aux manifestations qui se déroulent en Syrie, le président Bachar Al-Assad a rétabli officiellement les quelques 300 000 Kurdes « apatrides » dans leur citoyenneté, le 2 mai. À cette annonce, les manifestations se sont arrêtées à Qamishlo et Amude, mais ont continué dans d’autres villes, comme Hassaké.

Certains estiment, en effet, que cette mesure n’est pas suffisante. Ainsi le chanteur kurde Omar Şan, originaire d’Afrin, a-t-il déclaré au site Aknews que la citoyenneté syrienne, accordée seule, ne signifiait rien : « Les Kurdes ont besoin de beaucoup d’autres choses, allant de l’électricité aux soins médicaux, qu’est-ce que cette « citoyenneté creuse » va leur apporter s’ils n’ont aucun droit ? La négligence du Conseil de Sécurité de l’ONU et des organisations des droits de l’homme concernant les droits du peuple kurde est regrettable. » De même l’activiste kurde Aras Yussuf juge que les Kurdes doivent voir tous leurs droits reconnus en tant que citoyens vivant en Syrie, indiquant que l’octroi de la nationalité n’est qu’une petite partie de ces droits. Sur l’arrêt des manifestations à Qamishlo et Amude, Aras Yussuf a également indiqué que tous les réseaux des téléphones mobiles et autres moyens de communication ayant été coupés, cela a pu mettre un frein aux rassemblements de rue.

Par ailleurs, même si l’accès à Internet est beaucoup plus restreint en Syrie que dans les autres États arabes, une résistance par Facebook et Tweetter existe cependant et les sites et organisations kurdes libres, que ce soit au Kurdistan d’Irak ou dans la diaspora relaie cette voix. Ainsi Kurdish Rights.org a-t-il interviewé un de ces tweeters anonymes, qui, du Kurdistan de Syrie, déjoue la censure et la surveillance sur le web pour poster régulièrement les dernières nouvelles des manifestations.

Sous le pseudonyme KurdishFreeMan ou bien celui de Rêber se cacherait un Kurde d’Alep, qui a refusé d’indiquer son âge et ses activités civiles par prudence. Il dresse un état des lieux des foyers d’agitation kurdes dans tout le pays. Selon Rêber, la ville qui connaît le moins de manifestations, que ce soit des Kurdes ou des Arabes, est Alep. En effet, depuis trente ans, cette ville est tenue d’une main de fer par les forces de sécurité et la population vit dans la terreur des milices d’État.

La ville la plus remuante est Qamishlo : 10 000 personnes ont ainsi participé à une manifestation organisée le 20 mai, lors du vendredi dit ‘Azadî’, de la liberté. À Amude, environ 8 000 ont participé à ce Vendredi de la Liberté à Koban, 5 000 ; dans de plus petits villes comme Serê Kaniyê et Derbassieh, les manifestants étaient environ 3 000. À Afrin, 150 personnes ont tenté de manifester mais ont été immédiatement encerclées par les forces de sécurité.
Sur l’attitude des Kurdes de Syrie devant les révoltes arabes syriennes, Rêber estime que les opinions sont partagées, les Kurdes attendant de voir comment les choses vont tourner. Étant politisés depuis des décennies en Syrie, et la plupart affiliés à des organisations, soit politiques, soit de défense des droits de l’homme, il leur est facile, en une journée, de mobiliser plusieurs milliers de personnes pour manifester dans les villes.

Mais les buts de la révolution syrienne laissent les Kurdes dans l’expectative, en tant que minorité ayant à se défier du monde arabe et aussi des islamistes. Interrogé par Aknews sur le fait que, pour la première fois, ces manifestants kurdes brandissaient le drapeau syrien et non celui du Kurdistan, Rêber répond que la question des Kurdes de Syrie « réside à Damas et doit être résolu seulement à Damas ; la constitution doit arbitrer cette question. Nous sommes en Syrie, pas au Kurdistan et notre problème a ses sources en Syrie. Je veux un gouvernement démocratique, je veux que la constitution reconnaisse qu’il y a des Kurdes en Syrie et leur donne leurs droits sociaux, culturels et politiques. Nous voulons des media libres et honnêtes. La protection des citoyens syriens doit être une priorité du gouvernement. Quant à la réponse jusqu’ici modérée du régime syrien envers les Kurdes, par rapport à la répression dans les villes arabes, elle a plusieurs raisons. D’abord, la propagande du régime selon laquelle les manifestants seraient des fondamentalistes islamistes ne peut s’appliquer aux Kurdes, qui, dans leur immense majorité, n’ont jamais versé dans l’intégrisme religieux. De plus, empêtré dans la répression des villes arabes, le gouvernement ne souhaite pas ouvrir un « second front » dans les villes kurdes. Enfin, la Syrie fait face à de lourdes pressions internationales et le fait que de nombreux Kurdes vivent de l’autre côté de ses frontières, que ce soit en Turquie ou en Irak, la dissuade d’ajouter d’autres afflux de réfugiés qui rencontreraient, cette fois, le soutien de compatriotes, en plus de celui des Kurdes vivant hors du Moyen-Orient.

Autre signe de cette « distance kurde » par rapport à l’opposition arabe, l’annonce du boycott, par les groupes d’opposants kurdes syriens de la réunion, à Antalya des principaux partis d’opposition syriens arabes, réunion « patronnée » par la Turquie, qui a commencé le 31 mai. Les buts affichés de ce rassemblement sont « d’unir les énergies » de tous les Syriens, quelles que soient leurs ethnies, appartenances religieuses ou opinions politiques, pour un changement démocratique. Les participants attendus allaient de figures majeures de la Déclaration de Damas, d’anciens parlementaires, des Frères musulmans et des représentants de l’association indépendante des industriels et des hommes d’affaires. Des activistes kurdes étaient attendus en individuels, mais les représentants des partis politiques kurdes syriens ont décliné l’invitation. En effet, ces derniers, dans une déclaration publiée dans le journal Asharq al-Awsat, ont annoncé, s’exprimant au nom de 12 partis politiques kurdes, leur intention de boycotter la réunion, en raison du lieu où elle se déroulait: « Toute réunion de ce genre, se tenant en Turquie, ne peut être qu’au détriment des Kurdes de Syrie, puisque la Turquie est contre les aspirations des Kurdes, pas seulement en ce qui concerne le Kurdistan du nord, mais toutes les parties du Kurdistan, dont celui de Syrie. » Le représentant du Parti de gauche kurde, Saleh Kado, a confirmé cette préoccupation, en disant que la Turquie a une attitude « négative » sur toute la question kurde en général, et qu’Ankara doit d’abord résoudre « le problème des 20 millions de Kurdes qui vivent sur son territoire avant de chercher à amener les partis kurdes syriens à s’accorder sur un projet unifié pour gérer les événements actuels de Syrie. »

Saleh Kado a ajouté que les Kurdes de Syrie ne faisaient pas confiance à la Turquie et à sa politique, et que, par conséquent, ils avaient décidé le boycott de ce sommet. Une autre raison invoquée a été la présence de Frères musulmans à cette rencontre. Les Kurdes, en effet, ont très peu de sympathies pour les mouvements religieux arabes, tant en raison de leur propre culture religieuse, éloignée de l’intégrisme, que parce que ces mouvements islamistes prônent une « arabisation » de la culture kurde, au nom d’une soumission à la langue du Coran. Autre raison de ce rejet, l’indifférence reprochée par les Kurdes des mouvements arabes concernant leurs revendications.

Ainsi, deux semaines avant la réunion, le Mouvement national des partis kurdes a mis au point son propre plan pour un changement démocratique et des réformes à tous niveaux, mais ce document a été complètement ignoré par l’opposition non kurde. Abdul Baqi Youssef, un des dirigeants du parti kurde Yekitî, a aussi confié au journal web Aknews ses doutes envers cette plate-forme, déclarant ne connaître aucun de ses organisateurs, qui n’ont jamais pris contact avec le mouvement kurde lors des préparatifs. Par ailleurs, le sommet d’Antalya n’a pas invité tous les partis kurdes mais seulement cinq d’entre eux : le Parti démocratique de Syrie, le Parti de la gauche kurde, le Part Azadî, le Mouvement du futur kurde, et le Parti démocratique progressiste kurde. Si bien que l’ensemble de ces partis invités ont préféré décliner, afin de ne pas « fragmenter » l’opposition kurde.

Cependant, certains partis kurdes désapprouvent ce boycott. Ainsi, le représentant du Mouvement du futur kurde, Mohammed Hako, juge cette absence au sommet une « énorme erreur » : « En tant que Kurdes, nous devons profiter de chaque occasion pour débattre de l’avenir de notre peuple et de la nation. Je suis contre le fait de boycotter un sommet qui aura tant de poids, surtout au regard de la situation critique et sensible de la Syrie aujourd’hui. » C’est pourquoi Muhammad Hammo a déclaré vouloir y assister, mais en son nom propre et non en celui de son parti.

samedi, mai 28, 2011

KURDISTAN D’IRAK : DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE KURDOLOGIE À DUHOK


Du 1er au 3 mai 2011 s’est tenu à Duhok le 2ème Congrès international des Études kurdes, organisé conjointement par l’Institut kurde de Paris et l’université de Duhok. Ce congrès a rassemblé des kurdologues venus de tous les continents, travaillant sur l’histoire, la langue et la littérature kurdes. Le premier Congrès avait eu lieu à Erbil en 2006, avec, pour but, de faire un état des lieux de la kurdologie et des études kurdes dans les pays occidentaux, principalement la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, les pays scandinaves et les Etats-Unis. Mais la dernière décennie a vu se développer considérablement les études kurdes dans ces pays, où beaucoup de thèses de doctorats ont été menées avec succès sur les différents aspects de la question kurde, ou sur divers sujets portant sur l’histoire et la société kurdes.

De nouveaux thèmes de recherches, allant des déplacements forcés de populations aux nouvelles formes de relations entre ‘genres’ dans la société, des dynamiques d’urbanisation à la formation d’autorités municipales ont suscité l’intérêt des chercheurs, qui ont pu mener des recherches tant dans les archives que sur le terrain. Même s’il est impossible de donner un compte-rendu complet de toutes ces recherches nouvelles, il a paru cependant important que plusieurs porte-paroles viennent témoigner des nouvelles tendances de la recherche universitaire dans leurs pays respectifs.

Le second but de ce congrès était d’observer et d’analyser les effets de plusieurs programmes de recherche de haut niveau portant sur la langue et la littérature kurdes en Europe, mais aussi en Turquie. Alors que ces dix dernières années, plusieurs institutions, comme le Centre of Kurdish Studies de l’université d’Exeter (en Grande-Bretagne), l’université de Göttingen (en Allemagne) et l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (en France) ont poursuivi et intensifié leur programme d’enseignement, pour la première fois dans l’histoire de la république turque, trois universités ont ouvert des départements de langue et de littérature kurdes : Mardin, Mush et Hakkari.
Le congrès a permis aux différents spécialistes un échange autour de leurs méthodes pédagogiques, nécessaire à la consolidation de ces initiatives, et afin de renforcer leur qualité académique ; d’instaurer un début de coopération et d’échange entre les universités européennes, américaines, de Turquie et du Kurdistan d’Irak. À la séance d’ouverture du congrès étaient présents le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le professeur Dilawer Ala’adin, ainsi que le ministre de l’Éducation, Safeen Diyazee, et le ministre de la Culture, qui ont pris tour à tour la parole, ainsi que le président de l’université de Duhok, le Dr. Asmat M. Khalit et M. Kendal Nezan, le président de l’Institut kurde de Paris.

Le premier pannel portait d’abord sur l’historique des études kurdes au 20ème siècle, exposé par le professeur Joyce Blau (France), le professeur Abdul Fettah Botani, directeur du centre des Études et archives kurdes (Kurdistan d’Irak), suivis du professeur Celîlê Celîl (Autriche). Est venu ensuite un aperçu des études kurdes dans différents pays occidentaux, avec, pour la France, les interventions du professeur Hamit Bozarslan (Paris, EHESS), du philosophe Ephrem-Isa Youssif et Jean-Marie Pradier (université de Paris VIII). L’Allemagne était représentée par les Dr. Birgit Ammann (Fachochschule Potsdam, Berlin) et Khanna Omarkhali (université de Göttingen), l’Italie par le professeur Mirella Galletti (université de Naples), les Pays-Bas par le Dr. Michiel Leezenberg (université d’Amsterdam) ; les études kurdes en Scandinavie par Resho Zîlan (université d’Uppsala) ; la kurdologie dans les anciens pays de l’Ex-URSS par Knyaz Mirzoev (Université d’Alma Ata), les Etats-Unis par les Dr. Michael Gunter (Tennessee Technological University) et Janet Klein (University of Akron, Cleveland). L’aperçu des études kurdes au Moyen-Orient a porté sur la Syrie, avec le professeur Abdi Haji Muhammad (université de Duhok), la Turquie avec les professeurs Kadri Yildirim et Abdulrahman Adak (université de Mardin) ; enfin la kurdologie dans la Région du Kurdistan d’Irak a été présentée par le Dr Kamiran Berwari (université de Duhok).

Le deuxième jour était consacré aux ateliers de langue et de littérature, avec deux groupes de travail distincts. Le premier était intitulé « Langue et Linguistique ». Salih Akin (université de Rouen) est intervenu sur « La pratique du kurde dans la diaspora » et Birgit Ammann sur « l’identité kurde dans la diaspora ».Dans le second pannel de cet atelier, portant plus spécifiquement sur des questions de linguistique pure, Khosrow Abdollahi Madolkani (INALCO, Paris) s’est exprimé sur les deux types d’infinitifs du kurde, Baeiz Omer Ahmed sur les évolutions des dialectes locaux dans le Bahdinan.

Le pannel 3 était consacré au kurde en tant que langue de media, en retraçant et analysant le rôle des chaînes de télévision satellites dans le processus d’unification de la langue kurde, avec les interventions de Ruken Keskin (Kurd1), Abdul Rehman Kakil (Kurdistan TV), Hewar Ibrahim Hussain Shali (Kurdsat TV).

Le second atelier, portait sur des questions de littérature et d’histoire. Dans le premier pannel, « études litteraires », Sandrine Alexie (Institut kurde de Paris) a traité des problèmes de traduction en français de la littérature kurde classique et le professeur Muhammad Bakir Muhammad (Université de Duhok) du « Langage logique dans la poésie kurde ».

Le second panel était celui de la littérature orale, avec le professeur Celîlê Celîl pour parler du folklore kurde et Khanna Omarkhali pour un exposé sur les qewls (hymnes religieux) des yézidis. Le panel 3 était celui de l’histoire et de l’anthropologie, avec une intervention du Dr. Khalid Khayati sur la diaspora kurde de Suède.

Enfin le panel 4 réunissait des maisons d’édition en langue kurde, que ce soit en Turquie ou au Kurdistan d’Irak, comme Avesta, Aras, Doz.

Le Congrès a formulé un certain nombre de recommandations pour le développement des études kurdes. Un résumé de ces recommandations a été communiqué au Premier Ministre du Kurdistan, lors d’une réception qu’il a offert aux congressistes le 4 mai.

jeudi, mai 26, 2011

"Philosophie de la religion" : La situation commune au judaïsme et à l'islam


Rappelant le point de vue encore prégnant, qu'il n'y a plus de philosophie islamique après Averroès, Christian Jambet en arrive au contraire à suggérer que si 'philosophie de la religion' il y a, cela concerne plutôt, dans les religions bibliques, l'islam et le judaïsme, et non le christianisme.


"Qu'est-ce qu'une philosophie de la révélation, si elle n'est le discours qui dévoile la vérité, le modèle du vrai qu'une religion adopte sans en faire l'exégèse, parce que tel n'est pas le rôle des prophètes ? Le prophète dit la vérité, il ne dit pas ce qu'est la vérité. On remarquera que l'expression "philosophie de la religion", plus restrictive que "philosophie de la révélation" a du sens dans les structures religieuses où la philosophie est absolument nécessaire au dévoilement conceptuel de la vérité.
Il n'est pas sûr que tel soit le cas du christianisme, quoi qu'en pensent Gilson ou Maritain. Pascal en a puissamment nié la simple possibilité. Si la vérité est le Christ, l'exégèse du sens de la vie du Christ appelle, plutôt que la philosophie, la mise en pratique de la charité éclairée par la foi. Péguy méditant sur l'enfance de Jésus et Urs von Balthasar lorsqu'il interprète la théologie de l'histoire par la seule référence aux Écritures, répugnent tous deux à faire appel à la philosophie. Mais là où la providence de Dieu ne se réalise pas dans le mystère de l'Homme-Dieu, la vérité passe par la bouche des prophètes et d'eux seuls. C'est ainsi que les religions prophétiques qui n'admettent pas les leçons de la Croix unies à celles de l'Ancien Testament sont faites pour susciter une "philosophie de la religion", parce qu'elles sont des Lois prophétiques et que l'exégèse, tout comme la philosophie, ne peuvent être dévoilement de la Loi qu'en étant l'autre de la Loi, ce qui suppose l'horizon même de la Loi.
Chose remarquable, les sociétés chrétiennes ont vu naître, sur les fondations de la théologie, diverses philosophies, mais il fallut attendre Spinoza, qui suit l'enseignement d'Avicenne en ontologie et instaure du point de sa foi juive le couple religion/religions, puis il fallut l'idéalisme allemand, et singulièrement le legs marcionite au sein du luthérianisme, puis enfin la théologie dialectique, après Auguste Comte, qui entend faire le constat d'un nouvel état de l'histoire de l'esprit, pour voir naître des philosophies de la religion."
Christian Jambet : Qu'est-ce que la philosophie islamique ? II, Philosophie en islam ou philosophie islamique ? La situation commune au judaïsme et à l'islam.

mercredi, mai 25, 2011

TV, radio : ghobadi, diaspora arménienne, zarathoustra

TV

Mercredi 1er juin à 23 h 40 sur ARTE : Demi-Lune, de Bahman Ghobadi (Iran, 2007) : Mamo est un vieux musicien kurde de grande renommée qui vit au Kurdistan iranien. Depuis la prise de pouvoir par Saddam Hussein, il n'a pas eu le droit de donner de concert au Kurdistan irakien. A la chute du régime, l'interdiction est levée...












Radio

Dimanche 29 mai à 15 h 00 sur France Culture : Diaspora arménienne, avec Claire Mouradian, responsable de l'équipe Caucase au Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen de l'EHESS. Reportage d'E. Clovis. Tout un monde, M-H. Fraïssé.

Vendredi 3 juin à 21 h 00 sur France Culture : Les Gathas. Le Livre sublime de Zarathoustra (Albin Michel), avec Khosro Pazaï (Centre d'études zoroastriennes à Bruxelles). For intérieur, O. Germain-Thomas.

Présentation de l'éditeur
Zarathoustra (ou Zoroastre) est le grand oublié de l'histoire des religions. Inventeur du monothéisme il y a 3700 ans, il a donné naissance à la religion des empires perses jusqu'à l'avènement de l'islam, qui persécuta ceux qu'il percevait comme les adeptes d'une religion dualiste et idolâtres. Il faut dire que les Iraniens eux-mêmes avaient, au cours des siècles, oublié jusqu'à la langue des écrits originels de Zarathoustra, les Gathas, et avaient surchargé son message d'éléments étrangers à sa pensée. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que la langue des Gathas, proche du sanskrit védique, soit enfin déchiffrée. Le message de ces hymnes d'une grande poésie se révèle étonnamment moderne. Apôtre de la Justesse et de la Pensée Juste, les deux premiers attributs de ce Dieu unique qu'il appelle Ahura Mazda, Zarathoustra veut mener hommes et femmes vers une vie heureuse et dénonce la corruption des élites politiques et religieuses, les faux dieux et les sacrifices sanglants. Les plus grands philosophes grecs se réclamaient de lui, tandis que le judaïsme et le christianisme ont puisé à sa source les notions fondamentales de paradis, d'enfer, de royaume de Dieu. Khosro Khazai Pardis, l'un des grands spécialistes de ces textes et zoroastrien lui-même, nous livre ici une superbe traduction de ces hymnes qui ont fondé le monothéisme. Il nous explique également leur histoire, la philosophie qui s'en dégage et leur influence à travers les siècles.

Biographie de l'auteur
Khosro Khazai Pardis est le directeur du Centre européen d'études zoroastriennes (Bruxelles). Docteur en archéologie, en histoire de l'art, des civilisations et des philosophies orientales (Université libre de Belgique et Université de Gand), il est l'auteur de nombreuses publications universitaires (notamment aux Presses universitaires de Louvain) sur la philosophie zoroastrienne.

Poche: 231 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 mars 2011)
Collection : Spiritualités vivantes
Langue : Français
ISBN-10: 9782226220479
ISBN-13: 978-2226220479
ASIN: 222622047X

La forme "illuminative" de la philosophie



"Une figure distincte du faylasûf et du dâ'î ismaélien apparaît avec l'œuvre et la descendance intellectuelle de Shihâb al-Dîn Yahyâ al-Suhrawardî ou Sohravardî, surnommé Shaykh al-Ishrâq, "le maître de l'illumination", ou al-Shaykh al-maqtûl, "le maître mis à mort" (549/1154-587/1191). Son œuvre majeure, le Livre de la Sagesse orientale (Kitâb hikmat al-ishrâq) offre à la philosophie avicennienne un lien avec l'expérience mystique. Elle réalise aussi une synthèse de la prophétologie islamique, de la sagesse des Grecs et de la sagesse de l'ancienne Perse. Enfin, elle modifie le cours de la pensée de l'être, en concevant l'être, non comme une notion abstraite, un transcendantal, mais comme l'évidence la plus concrète, la plus immédiate, ce pourquoi l'être, en sa vérité, est dit "lumière", et l'être absolu "lumière des lumières".
La métaphysique de la "lumière"n'est pas une simple poétique de l'espace spirituel, elle se veut fidèle aux conséquences de cette intuition originaire de la présence ontologique, de ce qui autorise toute apparition, toute manifestation phénoménale : la lumière, invisible à force d'être trop visible. La réforme "illuminative" de l'ontologie oriente celle-ci, en lui dévoilant son véritable "orient". "

C'est une des raisons pourquoi je préfère la philosophie de l'Ishrâq à toute autre, même à celle des ismaéliens : pour son caractère d'évidence, à l'opposé de tout ce qu'on entend par 'gnose', 'ésotérisme' ce que Corbin, qui aimait tant aussi Sohrawardî, qualifiait 'd'officines', de cuisines 'occultes', rancies dans le caché, l'imitiation dérisoire. Avec Sohrawardî, Dieu est la lettre volée d'Edgar Poe, tellement mis en évidence qu'Il nous passe sous le nez et aussi indéfinissable par son évidence même : l'éblouissement ne se laisse pas catégoriser ni analyser.

"107. - S'il y a dans l'être quelque chose qui n'a besoin ni qu'on ne définisse ni qu'on l'explique, c'est cela l'apparent (zâhir). Or il n'est rien qui soit plus apparent que la Lumière. Donc il n'est rien qui soit plus que la Lumière indépendant de toute définition." Livre I, "Sur la Lumière et son essence ; sur la Lumière et ce qui émane d'elle en premier". 
114. Tout ce qui connaît une ipséité (dhât) dont il n'est jamais absent, n'est pas un être de la nuit puisqu'il est révélé soi-même à soi-même. Livre V : Proposition générale : Que tout ce qui se connaît soi-même est lumière immatérielle.
in La Sagesse Orientale.

Ainsi, le concret de l'être, sa réalité provient de son évidence telle qu'elle apparaît en notre conscience  : je me sens/sais/j'ai concience d'/être, donc je suis.

Ou :



"Celui qui se connaît soi-même, tel qu'il est,
celui-là est vivant, éternel.
Mortel est celui qui son propre visage ignore ;
immortel est celui qui cette image déchiffre.
Quand, au vrai, tu te connais toi-même,
bien qu'à l'origine voué au trépas, tu ne meurs jamais."


Idée aussi exprimée chez bien d'autres Iraniens, même en dehors de la philosophie proprement dite, ainsi Nezamî dans Les Sept Portraits.

L'influence de Sohrawardî et des Ishrâqî, heureusement, ne s'est pas éteinte avec son exécution et sa postérité semble s'être étendue même au-delà de l'islam (il est vrai que sa hiérarchie des lumières n'a pas grand-chose à voir avec la révélation coranique, pas plus qu'avec le Dieu biblique) et aussi au Maghreb et en Andalousie, ce qui montre bien qu'il y a eu une philosophie après Averroès en Occident musulman, contrairement à ce qu'on entend trop souvent, et quelque chose qui va au-delà de la 'philosophie' :

"Il se fit qu'une lignée de fidèles de l'Ishrâq, ou "philosophie illuminative", prit naissance, et que l'influence de Sohravardî se fit ressentir aussi bien chez ses commentateurs musulmans, parmi lesquels Shams al-Dîn al-Sharazûrî (m. après 680/1281) et Qutb al-Dîn al-Shîrâzî (m.710/1311), que dans le monde juif, ce dont témoignent les manuscrits judéo-arabes provenant de la genîzâh du Caire.
L'autorité philosophique de Sohravardî sera considérable dans l'Orient musulman, mais aussi dans le soufisme philosophant en Andalûs et au Maghreb. Si l'on prend acte du fait que, dès le début du XIVe siècle, les penseurs iraniens qui sauvent la culture de l'islam de la subversion mongole se réclament, pour une part importante, de l'Ishrâq, on peut comprendre comment une synthèse doctrinale entre le Kalâm devenu une discipline de style de plus en plus philosophique (chez Nasîr al-Dîn al-Tûsî), la philosophie "illuminative", l'enseignement d'un shî'isme duodécimain rationnalisé, chez 'Allâma al-Hillî (648/1250-726/1325), offrira à la philosophie "illuminative" un destin florissant qui s'épanouit dans les œuvres de la philosophie iranienne au XVIIe siècle. En témoignent, entre autres indices, les gloses que Mullâ Sadrâ Shîrâzî a portées en marge de La Sagesse orientale. Encore aujourd'hui, Sohravardî est une figure emblématique de la philosophie, un de ceux qui décident de son sens, spécialement dans le monde iranien, plus largement dans l'Orient musulman.
Dès le moment ishrâqî de la philosophie islamique, la complexité s'accroît de telle sorte que le vocable "philosophie", dont le sens strict est adéquat à la falsafa, ne semble plus convenir pour désigner l'activité et la singularité des systèmes. Le terme, déjà présent depuis longtemps, de hikma, littéralement "sagesse", "savoir", prend une importance nouvelle. Désormais, aux yeux des philosophes eux-mêmes, la "philosophie" (falsafa) est chose antérieure, conservant sa vérité permanente, mais devant être dépassée ou complétée par une hikma, une science et une sagesse animée par la question de l'être. Pour les auteurs et leurs lecteurs musulmans, telle est la philosophie vivante et achevée, qui tient la falsafa pour un de ses moments constitutifs et non pour la totalité de son développement."
Qu'est-ce que la philosophie islamique ? Chapitre I : La philosophie retrouvée. La forme "illuminative de la philosophie.


mardi, mai 24, 2011

Kongreya lêkolînên kurdî li Duhokê : axaftin û bîranî


Toutes les interventions du Congrès de Duhok sont en ligne sur leur site. On ne peut pas dire que j'aime beaucoup m'écouter mais bon... pour l'honneur, il fallait improviser en kurde, ce qui, à 9 h du matin, tenait de l'inconscience ou de l'héroïsme, mais comme dit Emily Dickinson :

"Not Sickness stains the Brave,
Nor any Dart,
Nor Doubt of Scene to come,
But an adjourning Heart -"

LES KURDES DE SYRIE ENTRE ESPOIR DE CHANGEMENT ET CIRCONSPECTION


Tentant toujours de mettre fin, par la force ou les « gestes politiques » aux manifestations qui se déroulent en Syrie, le président Bachar Al-Assad a rétabli officiellement les quelques 300 000 Kurdes « apatrides » dans leur citoyenneté, le 2 mai. À cette annonce, les manifestations se sont arrêtées à Qamishlo et Amude, mais ont continué dans d’autres villes, comme Hassaké.

Certains estiment, en effet, que cette mesure n’est pas suffisante. Ainsi le chanteur kurde Omar Şan, originaire d’Afrin, a-t-il déclaré au site Aknews que la citoyenneté syrienne, accordée seule, ne signifiait rien : « Les Kurdes ont besoin de beaucoup d’autres choses, allant de l’électricité aux soins médicaux, qu’est-ce que cette « citoyenneté creuse » va leur apporter s’ils n’ont aucun droit ? La négligence du Conseil de Sécurité de l’ONU et des organisations des droits de l’homme concernant les droits du peuple kurde est regrettable. » De même l’activiste kurde Aras Yussuf juge que les Kurdes doivent voir tous leurs droits reconnus en tant que citoyens vivant en Syrie, indiquant que l’octroi de la nationalité n’est qu’une petite partie de ces droits. Sur l’arrêt des manifestations à Qamishlo et Amude, Aras Yussuf a également indiqué que tous les réseaux des téléphones mobiles et autres moyens de communication ayant été coupés, cela a pu mettre un frein aux rassemblements de rue.

Par ailleurs, même si l’accès à Internet est beaucoup plus restreint en Syrie que dans les autres États arabes, une résistance par Facebook et Tweetter existe cependant et les sites et organisations kurdes libres, que ce soit au Kurdistan d’Irak ou dans la diaspora relaie cette voix. Ainsi Kurdish Rights.org a-t-il interviewé un de ces tweeters anonymes, qui, du Kurdistan de Syrie, déjoue la censure et la surveillance sur le web pour poster régulièrement les dernières nouvelles des manifestations.

Sous le pseudonyme KurdishFreeMan ou bien celui de Rêber se cacherait un Kurde d’Alep, qui a refusé d’indiquer son âge et ses activités civiles par prudence. Il dresse un état des lieux des foyers d’agitation kurdes dans tout le pays. Selon Rêber, la ville qui connaît le moins de manifestations, que ce soit des Kurdes ou des Arabes, est Alep. En effet, depuis trente ans, cette ville est tenue d’une main de fer par les forces de sécurité et la population vit dans la terreur des milices d’État.

La ville la plus remuante est Qamishlo : 10 000 personnes ont ainsi participé à une manifestation organisée le 20 mai, lors du vendredi dit ‘Azadî’, de la liberté. À Amude, environ 8 000 ont participé à ce Vendredi de la Liberté à Koban, 5 000 ; dans de plus petits villes comme Serê Kaniyê et Derbassieh, les manifestants étaient environ 3 000. À Afrin, 150 personnes ont tenté de manifester mais ont été immédiatement encerclées par les forces de sécurité.

Sur l’attitude des Kurdes de Syrie devant les révoltes arabes syriennes, Rêber estime que les opinions sont partagées, les Kurdes attendant de voir comment les choses vont tourner. Étant politisés depuis des décennies en Syrie, et la plupart affiliés à des organisations, soit politiques, soit de défense des droits de l’homme, il leur est facile, en une journée, de mobiliser plusieurs milliers de personnes pour manifester dans les villes.

Mais les buts de la révolution syrienne laissent les Kurdes dans l’expectative, en tant que minorité ayant à se défier du monde arabe et aussi des islamistes. Interrogé par Aknews sur le fait que, pour la première fois, ces manifestants kurdes brandissaient le drapeau syrien et non celui du Kurdistan, Rêber répond que la question des Kurdes de Syrie « réside à Damas et doit être résolu seulement à Damas ; la constitution doit arbitrer cette question. Nous sommes en Syrie, pas au Kurdistan et notre problème a ses sources en Syrie. Je veux un gouvernement démocratique, je veux que la constitution reconnaisse qu’il y a des Kurdes en Syrie et leur donne leurs droits sociaux, culturels et politiques. Nous voulons des media libres et honnêtes. La protection des citoyens syriens doit être une priorité du gouvernement. Quant à la réponse jusqu’ici modérée du régime syrien envers les Kurdes, par rapport à la répression dans les villes arabes, elle a plusieurs raisons. D’abord, la propagande du régime selon laquelle les manifestants seraient des fondamentalistes islamistes ne peut s’appliquer aux Kurdes, qui, dans leur immense majorité, n’ont jamais versé dans l’intégrisme religieux. De plus, empêtré dans la répression des villes arabes, le gouvernement ne souhaite pas ouvrir un « second front » dans les villes kurdes. Enfin, la Syrie fait face à de lourdes pressions internationales et le fait que de nombreux Kurdes vivent de l’autre côté de ses frontières, que ce soit en Turquie ou en Irak, la dissuade d’ajouter d’autres afflux de réfugiés qui rencontreraient, cette fois, le soutien de compatriotes, en plus de celui des Kurdes vivant hors du Moyen-Orient.

Autre signe de cette « distance kurde » par rapport à l’opposition arabe, l’annonce du boycott, par les groupes d’opposants kurdes syriens de la réunion, à Antalya des principaux partis d’opposition syriens arabes, réunion « patronnée » par la Turquie, qui a commencé le 31 mai. Les buts affichés de ce rassemblement sont « d’unir les énergies » de tous les Syriens, quelles que soient leurs ethnies, appartenances religieuses ou opinions politiques, pour un changement démocratique. Les participants attendus allaient de figures majeures de la Déclaration de Damas, d’anciens parlementaires, des Frères musulmans et des représentants de l’association indépendante des industriels et des hommes d’affaires. Des activistes kurdes étaient attendus en individuels, mais les représentants des partis politiques kurdes syriens ont décliné l’invitation. En effet, ces derniers, dans une déclaration publiée dans le journal Asharq al-Awsat, ont annoncé, s’exprimant au nom de 12 partis politiques kurdes, leur intention de boycotter la réunion, en raison du lieu où elle se déroulait: « Toute réunion de ce genre, se tenant en Turquie, ne peut être qu’au détriment des Kurdes de Syrie, puisque la Turquie est contre les aspirations des Kurdes, pas seulement en ce qui concerne le Kurdistan du nord, mais toutes les parties du Kurdistan, dont celui de Syrie. » Le représentant du Parti de gauche kurde, Saleh Kado, a confirmé cette préoccupation, en disant que la Turquie a une attitude « négative » sur toute la question kurde en général, et qu’Ankara doit d’abord résoudre « le problème des 20 millions de Kurdes qui vivent sur son territoire avant de chercher à amener les partis kurdes syriens à s’accorder sur un projet unifié pour gérer les événements actuels de Syrie. »

Saleh Kado a ajouté que les Kurdes de Syrie ne faisaient pas confiance à la Turquie et à sa politique, et que, par conséquent, ils avaient décidé le boycott de ce sommet. Une autre raison invoquée a été la présence de Frères musulmans à cette rencontre. Les Kurdes, en effet, ont très peu de sympathies pour les mouvements religieux arabes, tant en raison de leur propre culture religieuse, éloignée de l’intégrisme, que parce que ces mouvements islamistes prônent une « arabisation » de la culture kurde, au nom d’une soumission à la langue du Coran. Autre raison de ce rejet, l’indifférence reprochée par les Kurdes des mouvements arabes concernant leurs revendications.

Ainsi, deux semaines avant la réunion, le Mouvement national des partis kurdes a mis au point son propre plan pour un changement démocratique et des réformes à tous niveaux, mais ce document a été complètement ignoré par l’opposition non kurde. Abdul Baqi Youssef, un des dirigeants du parti kurde Yekitî, a aussi confié au journal web Aknews ses doutes envers cette plate-forme, déclarant ne connaître aucun de ses organisateurs, qui n’ont jamais pris contact avec le mouvement kurde lors des préparatifs. Par ailleurs, le sommet d’Antalya n’a pas invité tous les partis kurdes mais seulement cinq d’entre eux : le Parti démocratique de Syrie, le Parti de la gauche kurde, le Part Azadî, le Mouvement du futur kurde, et le Parti démocratique progressiste kurde. Si bien que l’ensemble de ces partis invités ont préféré décliner, afin de ne pas « fragmenter » l’opposition kurde.

Cependant, certains partis kurdes désapprouvent ce boycott. Ainsi, le représentant du Mouvement du futur kurde, Mohammed Hako, juge cette absence au sommet une « énorme erreur » : « En tant que Kurdes, nous devons profiter de chaque occasion pour débattre de l’avenir de notre peuple et de la nation. Je suis contre le fait de boycotter un sommet qui aura tant de poids, surtout au regard de la situation critique et sensible de la Syrie aujourd’hui. » C’est pourquoi Muhammad Hammo a déclaré vouloir y assister, mais en son nom propre et non en celui de son parti.

lundi, mai 23, 2011

Le Sacrifice inutile : L'État, la violence et les groupes – Les crimes de groupes.



"Les crimes contre l'humanité sont des crimes de groupes. Ils sont perpétrés par des groupes organisés, contre des individus "isolés". Le caractère systématique des attaques révèle que les victimes sont membres d'un groupe. Elles sont isolées, mais au sens où l'était Alain de Monéys : elles sont sans la protection d'un groupe. Elles sont seules, mais elles ont simultanément le malheur d'appartenir à un groupe, serait-ce celui des "Prussiens", et c'est du fait de leur appartenance à ce groupe qu'elles deviennent victimes. Dans les crimes contre l'humanité, derrière l'apparent face-à-face entre un individu isolé et l'État se profile une configuration différente : celle de l'affrontement entre groupes. C'est précisément cette structure qui les définit comme crimes contre l'humanité.
Larry May utilise parfois l'expression "caractéristiques 'non-individualisées'" pour attirer l'attention sur le fait que les victimes des crimes contre l'humanité sont visées en raison de caractéristiques qui ne leur sont pas propre en tant qu'individus. Cette expression dissimule cependant une différence importante. Elle peut signifier, premièrement, des caractéristiques universelles qu'un individu partage avec tous,par exemple être membre de l'espèce humaine. Si certains crimes visaient ces caractéristiques universelles, on pourrait comprendre qu'ils constituent bien des crimes contre l'humanité. L'offense s'en prendrait effectivement à ce qui est commun à l'humanité toute entière. Caractéristiques "non-individualisées" peut aussi renvoyer à des caractéristiques qui, sans être universelles, sont, comme le dit May, des caractéristiques qu'un individu "partage avec plusieurs autres". Par exemple, le fait de parler français ou d'être un musulman chiite, c'est-à-dire des caractéristiques de groupe. Or les victimes des crimes de groupes au sens de May, les victimes des crimes contre l'humanité, ne deviennent pas victimes en raison de caractéristiques universelles qu'elles partagent avec tous les membres de l'humanité.
Ce qui les désigne à leurs persécuteurs, ce sont des caractéristiques qu'elles partagent – ou qu'elles sont jugées partager – avec certains autres exclusivement. Les femmes, les juifs, les intellectuels bourgeois, les Arméniens, les Tutsis, les Kurdes, les Kosovars ne sont pas agressés et violentés, leurs villages ne sont pas brûlés, des bombes n'explosent pas dans les marchés où ils se rendent parce que ce sont de simples êtres humains ! Mais parce qu'ils appartiennent à des groupes particuliers. C'est parce qu'elles sont considérées avoir en commun certaines caractéristiques que leurs persécuteurs ne partagent pas – ou croient ne pas partager – que les victimes des crimes de groupes deviennent victimes. Ce n'est pas l'humanité, l'universel que les assassins ciblent, mais des groupes particuliers. Les crimes contre l'humanité ne visent pas l'humanité, mais des groupes d'êtres humains."

dimanche, mai 22, 2011

feu et eau

Une vie sans amour ne compte pas. Ne vous demandez pas quel genre d'amour vous devriez rechercher, spirituel ou matériel, divin ou terrestre, oriental ou occidental… Les divisions ne conduisent qu'à plus de divisions. L'amour n'a pas d'étiquettes, pas de définitions. Il est ce qu'il est, pur et simple.
L'amour est l'eau de la vie. Et un être aimé est une âme de feu !
L'univers tourne différemment quand le feu aime l'eau.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

samedi, mai 21, 2011

les permutables

Alors que les parties changent, l'ensemble reste toujours identique. Pour chaque voleur qui quitte ce monde, une autre naît. Et chaque personne honnête qui s'éteint est remplacée par un autre. De cette manière, non seulement rien ne reste identique, mais rien ne change vraiment.
Pour chaque soufi qui meurt, un autre naît, quelque part.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

vendredi, mai 20, 2011

meurs avant de mourir

Il n'est jamais trop tard pour se demander : "Suis-je prêt à changer de vie ? Suis-je prêt à changer intérieurement ?"
Si un jour de votre vie est le même que le jour précédent, c'est sûrement dommage. À chaque instant, à chaque nouvelle inspiration, on devrait se renouveler, se renouveler encore. Il n'y a qu'un moyen de naître à une nouvelle vie : mourir avant la mort.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

jeudi, mai 19, 2011

Radio : sulamî, jambet

Dimanche 22 mai à 6 h 10 et 22 h 1) : Abd Al Rahmân Andreucci, traducteur de Femmes soufies, de Sulamî (XIe s.). Cultures d'Islam. A. Meddeb.





À 17 h 10 sur RFI : Christian Jambet, pour Qu'est-ce que la philosophie islamique ? (folio). Idées, P. E. Deldique.

un temps pour aimer, un temps pour mourir

Dieu est un horloger méticuleux. Son ordre est si précis que tout sur terre se produit en temps voulu. Pas une minute trop tôt, pas une minute trop tard. Et pour tous, sans exception, l'horloger est d'une remarquable exactitude. Il y a pour chacun un temps pour aimer et un temps pour mourir.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

mercredi, mai 18, 2011

Araden, lundi de Pâques ou Fête du Larron







Lundi de Pâques, 25 février à Araden, Fête du Bon Larron, dont le sens et le texte sont expliqués ici. Il peut y avoir des variantes dans les textes, ainsi que dans le déroulé de l'action. Ici, c'est l'évêque qui, à la fin, a montré la croix salvatrice.

Duhok

le maître de tous les complots

Ce monde est érigé sur le principe de la réciprocité. Ni une goutte de bonté ni un grain de méchanceté ne restent sans réciprocité. Ne crains pas les complots, les traîtrises ou les mauvais tours des autres. Si quelqu'un tend un piège, souviens-toi, Dieu aussi. C'est Lui le plus grand des comploteurs. Pas une feuille ne frémit sans que Dieu le sache. Crois cela simplement et pleinement. Quoi que Dieu fasse, Il le fait merveilleusement.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

mardi, mai 17, 2011

Erbil



insan al-kamil

Les opposés nous permettent d'avancer. Ce ne sont pas les similitudes ou les régularités qui nous font progresser dans la vie, mais les contraires. Tous les contraires de l'univers sont présents en chacun de nous. Le croyant doit rencontrer l'incroyant qui réside en lui. Et l'incroyant devrait apprendre à connaître le fidèle silencieux en lui. Jusqu'au jour où l'on atteint l'étape d'Insan al-Kamil, l'être humain parfait, la foi est un processus graduel qui nécessite son contraire apparent : l'incrédulité.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

lundi, mai 16, 2011

islam

La soumission ne signifie pas qu'on est faible ou passif. Elle ne conduit ni au fatalisme ni à la capitulation. À l'inverse, le vrai pouvoir réside dans la soumission – un pouvoir qui vient de l'intérieur. Ceux qui se soumettent à l'essence divine de la vie vivront sans que leur tranquillité ou leur paix intérieur soit perturbée, même quand le vaste monde va de turbulences en turbulences.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

dimanche, mai 15, 2011

vacuité

Tandis que chacun, en ce monde, lutte pour arriver quelque part et devenir quelqu'un, alors que tout cela restera derrière eux quand ils mourront, toi, tu vises l'étape ultime de la vacuité. Vis cette vie comme si elle était aussi légère et vide que le chiffre zéro.
Nous ne sommes pas différents de pots : ce ne sont pas les décorations au-dehors, mais la vie à l'intérieur qui nous fait tenir droits.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

samedi, mai 14, 2011

Erbil



 Devant la nouvelle place aux fontaines je tombe sur la fin d'un marché, populaire, avec plein de Bengali qui se retrouvent entre eux, des Kurdes de partout, des costumes gris, beige, noir, des keffieh rouge, noir, vert, de tout, et naturellement appareil photo en main je me fais interpeller plusieurs fois (bien que j'essaie d'être discrète) : Pourquoi je ne les prends pas, eux ? Et ce qu'ils veulent c'est une photo où on est ensemble, sur la photo, ils hèlent un tiers et voilà.

Ce marché là devant le Nishtiman Center, m'a fait plaisir, c'est comme un pied de nez à tous ces prétentieux "center" vitrines du New Dubai, où, rien qu'à regarder les vitrines on meurt d'ennui. Devant, sur la place, on vend du fromage, des légumes, de la paille, des bricoles, c'est la vie.


Dîner ensuite dans un restaurant à côté. Le garçon et le patron tout content que je parle kurde (contrairement à Suleïmanieh, les gens d'Erbil ne font pas mine de ne pas comprendre quand ils entendent du kurmandji). Ils me demandent si je suis 'mamoste'. Je renonce à expliquer mes véritables activités et je dis oui, en littérature kurde. Le garçon me demande si je parle arabe aussi. Non. Le patron, encore plus content, ordonne d'aller me chercher de l'eau un soda ce que je veux.

Duhok

Je continue mon exploration des prix des spiritueux dans les boutiques face. Une bouteille d’écossais (assez tord-boyaux mais bon) 3000. Pensivement je dis au garçon qui tient la boutique, c’est dingue ce que le prix de whisky est bas par rapport à la France. – Tu viens de France ? – Oui. Il me file gracieusement une bouteille d’eau, un pepsi. – Au fait tu es Kurde ou chrétien ? – Chrétien. Et toi ? Tu es chrétienne ? (J’ai failli montrer mes achats en éclatant de rire, ça se voit pas ? »). – Oui.


Un long canal fait une boucle entre le centre et le barrage. Des quai, des sculptures, des bancs, des ponts. Des bassins où des gosses barbotent avec délectation dans une eau assez saumâtre par moment. Au premier bassin, ils réclament une photo, en plongeant dans l’eau, fier de leurs muscles de moustique et de leur mollets de coq. Au second bassin, c’est un plus grand qui me court après, Mistress ! Je me retourne, sourire adorable, une rose blanche tendue. Il repart vers ses exploits nautiques, je le prends de dos. Ensuite, il suffit de retraverser Duhok une rose dans une main et l’appareil photo dans une autre, avec l’air le plus naturel possible.

Trouvé par hasard l’église de Duhok hier, j’en ai fait le tour. Deux gardes, dont un qui prend la mine la plus patibulaire possible, histoire que le sourire qui va suivre aux premiers mots fasse le plus de contraste possible. Quand je photographie la façade il se plante sur les marches d’un air martial. Ça va, j’ai compris et la demande de portrait ne va pas tarder à suivre. – Tu t’appelles comment ? – Steve.

ferme et doux

Rien ne devrait se dresser entre toi et Dieu. Ni imam, ni prêtre, ni maître spirituel, pas même ta foi. Crois en tes valeurs et tes règles, mais ne les impose jamais à d'autres. Sois ferme dans ta foi, mais garde ton cœur aussi doux qu'une plume.
Apprends la Vérité, mon ami, mais ne transforme pas tes vérités en fétiches.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

vendredi, mai 13, 2011

bienheureux les doux

Si tu veux renforcer ta foi, il te faudra adoucir ton cœur. À cause d'une maladie, d'un accident, d'une perte ou d'une frayeur, d'une manière ou d'une autre, nous sommes tous confrontés à des incidents qui nous apprennent à devenir moins égoïstes, à moins juger les autres, à montrer plus de compassion et de générosité. Pourtant, certains apprennent la leçon et réussissent à être plus doux alors que d'autres deviennent plus durs encore. Le seul moyen d'approcher la Vérité est d'ouvrir son cœur afin qu'il englobe toute l'humanité et qu'il reste encore de la place pour plus d'amour.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

jeudi, mai 12, 2011

ni moi ni autres

Le vrai soufi est ainsi fait que, même quand il est accusé, attaqué et condamné injustement de tous côtés, il subit avec patience, sans jamais prononcer une mauvaise parole à l'encontre de ses critiques. Le soufi ne choisit jamais le blâme. Comment pourrait-il avoir des adversaires, des rivaux, voire des "autres" alors qu'il n'y a pas de "moi" pour lui ?
Comment peut-il y avoir quoi que ce soit à condamner quand il n'y a qu'Un ?
 "Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

mercredi, mai 11, 2011

Duhok : Babylone Hotel

Il faudrait que je fasse la liste de tout ce qu’on m’a montée dans cette chambre. Hier soir, une sorte de bouillon au citron, très bon. Ce matin, une bouteille de parfum à la main, de ces horribles parfums français des supérettes, on est venu m’en asperger obligeamment (je jure que je prends au moins 3 douches par jour). À chaque fois que l’on toque à ma porte, je me demande ce que ça va être, cette fois.

Duhok

Ayé, mon visa est bon jusqu'au 18 mai, sans test sanguin à passer. Ce fut, finalement, une matinée très drôle. Sortant du kani@net, je prends un taxi qui m'amène à un nouveau bâtiment, ce qui me fait douter que ce soit le bon. Peut-être plus petit, mais qui fait plus chic. C'est bien là, confirment les policiers, qui me demandent tout de suite si j'ai un 'répondant' en Iraq. Chez qui je vis ? Ben, là, à l'hôtel. Ils insistent. Je me connais personne ici ? Euh, si, le Matran d'Amadiyya (puisque vous voulez tout savoir). Ils me demandent alors de lui téléphoner, pour confirmer soit que je ne suis pas une future kamikaze, soit qu'il est complice de mes futurs forfaits. Je me marre d'avance en imaginant la scène qui n'a pas manqué de suivre. Après avoir payé le taxi, je leur demande s'ils ne préfèrent pas que j'appelle l'hôtel. Non, ils tiennent au Matran. 

Bon, c'est comme vous voulez, hein. J'appelle Rabban en croisant les doigts pour que ça sonne et que ça réponde. Ce fut les deux. "Excuse-moi de te déranger, mais la police demande si je connais quelqu'un 'en Iraq'. Il démarre au quart de tour, comme prévu et impossible à arrêter : "Oui ! Eh bien tu vas leur dire ça :" Voilà le tsunami est lancé, je ne prends plus la peine, comme au restaurant d'essayer d'expliquer que je lui passe quelqu'un, je tends directement le tel au jeune planton qui va essayer, lui, pendant quelques minutes d'en placer une (me demande bien ce qu'il lui a dit) et à la fin peut juste dire : erê… lê navê te… erê, erê… navê te ? (Oui… oui… mais ton nom ?) Silence et puis : 'haaa… Serçavan". Il raccroche, nous regarde tous, mi ahuri mi épaté : Il a dit : " EZ MATRANÊ KURDISTAN IM !" (JE SUIS L'ÉVÊQUE DU KURDISTAN). Bon, je peux entrer, et ne résiste pas au plaisir de glisser au passage : "Ça, tu l'as demandé, tu l'as eu !" Il opine, toujours mi sonné mi amusé.

Ensuite, premier guichet. Un qui parle anglais, l'autre non, mais mon kurde l'épate et il tombe immédiatement sous le charme (que je ne lui faisais pas), à la kurde : rouge de la tête aux pieds, sourire ravi, yeux dans les étoiles. On bavarde sur ma présence à Duhok, je montre le programme de la conf, il a étudié la littérature kurde lui aussi, et connaît le professeur Mustafa Bakir qui est intervenu avec moi. Puis, après m'être trimballée dans je ne sais combien de bureaux (j'avais l'impression d'évoluer dans un tableau d'Escher) je vais chez le chef qui parle un peu français. Il veut m'ajouter 3 jours de plus, alors que mon avion de toute façon est le 16, et ensuite me demande si j'ai fait le test. Non. Je prends un air mi pfff mi rigolard en demandant si le test de 2009 ne peut pas resservir...

Il me dit finalement que je suis venue pour les Kurdes, travailler sur la littérature, etc alors bon, en tant que mîvan je vais y échapper. Grand sourire reconnaissant, Il envoie ma fiche avec un post sur lequel il a écrit 5 ou 6 lignes, qui revient au bout d'une demi heure avec deux autres annotations, d'encres et de mains différentes, qui doivent dire que c'est bon. Entre temps, les gens venaient déposer leur passeports, des policiers (tous jeunots) venaient et sortaient, En entrant, curieux salut militaire de la main, accompagné d'un jeu de de jambe stylé : le pied se lève, dessine un rond dans l'air et retombe comme la patte qu'un héron voudrait dégourdir, mais avec un claquement sonore de semelle sur le plancher. Mi parade mi pas de danse. Le tout plusieurs fois de suite, du même.

Encore quelques bureaux, guichets, monnaie à déposer ça et là, et c'est bon, visa jusqu'au 18. Appris entre temps à quelques-uns que mai se dit 'Gulan'. Eux emploient les mois arabes, que je ne connais pas, et ils ne comprenaient pas mon calendrier patriotique, Un expert dans la file est venu expliquer sentencieusement que Gulan c'est le mois des fleurs, Gul, quoi. Ça les épate aussi, tiens. Penser quand même à apprendre les mois arabes, quoique leur calendrier tournant c'est trop casse pied à retenir.

Sortie vers 12 h, jus de banae et choux à la crème au bazar. Tenace sinusite du côté gauche, avec migraine. Après l'air pur d'Amedî, Duhok fait moite, poussiéreuse, il faut se réhabituer.

kismet

Le destin ne signifie pas que ta vie a été strictement prédéterminée. En conséquence, tout laisser au sort et ne pas contribuer activement  à la musique de l'univers est un signe de profonde ignorance. Il existe une harmonie parfaite entre notre vie et l'ordre de Dieu.
Le destin n'est pas un livre qui a été écrit une fois pour toutes. 
C'est une histoire dont la fin n'a pas été décidée, qui peut prendre beaucoup de voies différentes.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

mardi, mai 10, 2011

Duhok

Le Babylone est un endroit parfait, près du bazar, des restaurants, des épiceries, de l'internet café. Je me suis en plus aperçue, hier soir, qu'il était juste en face des boutiques 'alcooliques' comme dit un certain, et, me renseignant sur les prix, je me suis fait répéter ça plusieurs fois. La 37,5 de Ballantine, 7 000 dinars, Une bouteille d'écossais, 5000. La mâchoire m'en est tombée. Je veux bien qu'en France, on taxe, mais à ce point ?



En plus, l'hôtel est tenu par des yézidis adorables, comme le sont souvent les yézidis, que j'ai toujours vus comme les plus gentils et serviables des Kurdes. Faut dire que le Matran a soigne mon arrivee : à l'hôtel, il fait parler celui qui le garde, il me présente, histoire que le type sache qui il a chez lui, il lui demande sa religion, yézidi, très bien, elle connaît bien Lalesh et les gens du centre ici et le kurde. Moi je suis le Matran d'Amadiyya (comme ça le type sait aussi à qui il a affaire). Le garçon, Khalid (il a dû décliner son nom et son village et sa gent) monte voir quelle chambre il peut me donner. Je croyais que Rabban allait partir à ce moment, mais non. Il monte avec moi voir la chambre. Bon, c'est pas un 5 étoiles, mais pour 35 000 ça va.

 En plus de ce qu'a raconté sur moi le Matran, hier soir, j'ai bavardé avec trois d'entre eux, ils m'ont demandé quand j'avais été à Lalesh. 2006, 2007, 2009 (j'ai oublié 1994), Le soir, on me monte mon passeport. 1 heure après ça retoque. Comme à chaque fois je saute à toute vitesse dans mon jean par dessus mon pyja-short, (il fait chaud à Duhok, par rapport à Amedî), cherche la clef et vais ouvrir. Cette fois c'est un café et une bouteille d'eau qu'on me monte, et si j'ai besoin de quoi que ce soit, il faut le dire.

Ce matin, levée à 6 h (habitude des messes matinales de Komané). À 6h 50, ça toque pour me demander si je veux qu'on me monte le petit-dej. Même pas à me soucier de ça, parfait, Si je trouve où tirer du cash à Duhok, je ne reviendrai à Erbil qu'au dernier moment.

Petit-dej alla kurda : ragoût de légumes, yaourt, pain, thé.


Mangé au Safeen, hier, par souvenir, mais il y a plein d'autres restaurants.

Ce matin, corvée visa. On verra si c'est aussi casse-couilles que la dernière fois.

Waqt

Le passé est une interprétation. L'avenir est une illusion. Le monde ne passe pas à travers le temps comme s'il était une ligne droite allant du passé à l'avenir. Non, le temps progresse à travers nous, en nous, en spirales sans fin.
L'éternité ne signifie pas le temps infini mais simplement l'absence du temps.
Si tu veux faire l'expérience de l'illumination éternelle, ignore le passé et l'avenir, concentre ton esprit et reste dans le moment présent.


"Les 40 règles de la religion de l'amour" de Shams ed-Din Tabrizi.
in Soufi, mon amour, Elif Shafak.

Concert de soutien à l'Institut kurde