vendredi, mars 11, 2011

le sort des chrétiens en Irak-II Quelles perspectives ? Intervention du conseiller pour les Affaires religieuses auprès du ministre des Affaires étrangères français


M. Olivier Poupard, conseiller pour les Affaires religieuses auprès du ministre des Affaires étrangères.

Je représente le ministère des Affaires étrangères. Je suis le conseiller pour les affaires religieuses de la ministre des Affaires étrangères, qui m'a demandé de la représenter à votre colloque. Je dois dire que l'organisation de ce colloque au Sénat sur le sort des chrétiens d'Irak est une excellente initiative et il faut en féliciter l'Institut kurde de Paris. Cette initiative, qui s'inscrit dans une actualité douloureuse, rejoint la préoccupation de la France d'agir concrètement, pour la défense des droits des chrétiens, mais aussi des autres minorités irakiennes. 
À cet égard, et au début de mon intervention, je veux dire que la France exprime sa confiance dans l'action déterminée des autorités irakiennes pour assurer la sécurité de l'ensemble de la population, y compris, bien sûr, des populations chrétiennes, et pour continuer le processus de redressement et de stabilisation du pays. C'est naturellement dans cet Irak en voie de reconstruction, que se trouve l'avenir des chrétiens d'Irak. S'agissant de l'initiative du président Barzani, de novembre dernier, qui ouvre les portes du Kurdistan aux chrétiens qui sont menacés dans le reste du pays, elle est généreuse, et elle va dans le bon sens. Elle contribue à éviter l'exil d'une population installée depuis toujours dans un pays dont elle constitue l'une des composantes irremplaçables et où elle est garante d'harmonie et de paix sociale. 
Quelle est la situation actuelle ? On vient d'en parler abondamment durant ce colloque. Les événements dramatiques qui ont frappé le 31 octobre l'Église syriaque catholique d'Irak et ses fidèles à Bagdad et le 31 décembre l'Église copte d'Alexandrie ont brutalement rappelé, une nouvelle fois, quel était le sort dramatique et bien connu des chrétiens d'Orient et quel était le sort d'une minorité religieuse qui est en déclin dans la région. Sa présence en Orient, voire son existence même, est menacée. La menace mortelle qui pèse sur les membres des communautés chrétiennes dans cette région du monde appelle vigilance, et appelle surtout engagement de la part de la communauté internationale. On sait que la situation des chrétiens d'Orient ne cesse de se dégrader. Les causes de cette dégradation sont connues. Elles relèvent de facteurs de société, mais aussi, et là c'est un mot qu'il faut prononcer, aussi d'un terrorisme régional, voire même global, qui contraint les chrétiens à émigrer. Un contexte économique défavorable conduit les chrétiens à s'installer ailleurs, en Amérique, en Australie, en Europe, où ils rejoignent leurs coreligionnaires qui sont installés depuis longtemps. On ne peut également que constater, et on en a parlé, les difficultés locales qui se posent à eux qui ne peuvent souvent accéder à une pleine participation à la vie politique ou à certains niveaux dans l'administration. Le statut social qui est le leur les fait apparaître souvent comme des citoyens de second rang. De plus, les guerres ont pour eux un effet dévastateur. Les chrétiens se trouvent pris au piège du contexte régional dominé par des conflits endémiques, ou encore de contextes nationaux faits de luttes internes et de guerres civiles. Sur cette réalité se greffent des attaques menées par des groupes terroristes. Une terreur aveugle s'abat indistinctement, que nous devons condamner, sans appel, et qui doit faire l'objet d'une lutte conjointe avec les pays concernés. Que les victimes des attentats soient chrétiennes, musulmanes ou autres, elles méritent notre attention. Quels que soient les lieux de culte qui sont détruits, attaqués, nous devons réagir fermement et appeler à la poursuite des responsables. Aujourd'hui, cependant, il y a une urgence particulière s'agissant des chrétiens en Irak, qui sont visés par les terroristes au titre de leur identité confessionnelle, dans le but d'anéantir les communautés. C'est l'épuration religieuse dénoncée par le président Sarkozy, le 7 janvier dernier, lors de son allocution destinée aux autorités religieuses. 
En tant que conseiller pour les affaires religieuses, il ne me revient pas, aujourd'hui, de me prononcer officiellement sur les propositions qui viennent d'être faites par les représentants du Gouvernement régional du Kurdistan, mais j'en ai pris bonne note. Je peux d'ores et déjà dire que les pouvoirs publics les examineront attentivement pour y répondre – parce que nous souhaitons y répondre. Et d'ailleurs, à travers les contacts sur place de notre consul général à Erbil, le travail d'identification de projets que la France pourrait soutenir est déjà en cours. C'est, notamment, le secteur de l'éducation qui, pour nous, semble prioritaire. Monseigneur, vous avez prononcé le mot magique de 'francophonie', qui fait que les services français s'intéressent aux projets qui leur sont présentés. Mais toute initiative, aussi généreuse soit-elle, doit, pour pouvoir être mise en œuvre, bénéficier d'un environnement favorable. Faut-il rappeler que toute personne a droit, d'abord, à la liberté et à la sûreté ? La France place ce combat pour la protection des minorités religieuses au cœur de sa politique étrangère et s'engage à le porter dans les enceintes internationales – comme tout récemment, au Conseil de l'Union européenne – et dans ses relations bilatérales. Pour vous présenter une vision globale de notre politique en la matière, je dirai que de manière générale, au nom de la défense des droits de l'homme, 3 principes guident notre action en matière de liberté religieuse : d'abord, la protection des individus qui sont menacés et des victimes ; la promotion des libertés fondamentales ; la lutte contre l'intolérance. Le premier principe est de protéger et de soutenir les victimes. La France assure que des mesures nécessaires et efficaces sont prises et réprimer les actes de terrorisme, assurer la sécurité des personnes menacées, soutenir les victimes. 
En matière de mesures de sécurité, il faut rappeler qu'il est du devoir des États de protéger leur population, y compris les minorités religieuses. Nous encourageons les gouvernements concernés, dans nos discussions bilatérales, à assurer la sécurité des lieux de culte, la sécurité des espaces publics lors de la célébration des cultes et, plus généralement la sécurité des quartiers où vivent les minorités. La France incite également les États à respecter l'ensemble de leurs obligations internationales auxquelles ils ont souscrit en signant des accords internationaux, en luttant contre l'impunité des auteurs de violence, et nous sommes disposés à coopérer étroitement avec les États qui en feraient la demande. La lutte contre le terrorisme est aussi importante. Nous la soutenons activement, dans le respect des droits de l'homme, du droit international humanitaire, et du droit des réfugiés. À cet égard, le terrorisme ne peut être associé, ni à une religion, ni à une nationalité, ni à une culture, ni à un groupe ethnique. Dès lors que certaines organisations terroristes ciblent de plus en plus des personnes du fait de leur religion, des mesures appropriées doivent être prises par les États, afin que chacun, quelle que soit sa confession, puisse vivre en paix au sein de sa société d'origine. En matière de protection des victimes, la France possède une tradition de protection apportée à toutes les victimes de persécutions. Elle met en œuvre, à cet égard, un instrument juridique, qui est le droit d'asile. Depuis 1993, le droit d'asile est inscrit dans notre Constitution, il a valeur constitutionnelle, ce qui souligne notre attachement à ce droit et nous conduit à accorder cette protection à un nombre croissant de demandeurs. Je souligne dans le contexte de notre réunion qu'il ne s'agit pas ainsi de faire le jeu des terroristes qui ont fait du départ des chrétiens un véritable objectif politique. 
L'accueil humanitaire de victimes ne doit pas être interprété comme un encouragement au départ des chrétiens, au contraire. Ce point important doit être bien compris de nos interlocuteurs gouvernementaux et religieux. Le deuxième principe est de promouvoir le respect de la liberté de religion ou de convictions. C'est une liberté fondamentale, qui est liée à la liberté d'opinion et d'expression, et qui occupe une place centrale dans notre politique étrangère. La France défend en toutes circonstances la liberté de religion ou de conviction. C'est un principe qui est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l'homme, dans le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques et dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le rôle de la France est de veiller à l'universalité de ce principe, qui ne saurait faire l'objet d'interprétations diverses, fondées sur ce qu'on peut appeler un 'relativisme culturel'. La liberté de religion et de conviction recouvre des éléments nombreux, qui relèvent de la responsabilité des États. c'est d'abord un ensemble de libertés : la liberté d'avoir la religion ou la conviction de son choix ; de ne pas en avoir ; d'en changer ou d'y renoncer ; de manifester sa religion ou sa conviction ; d'exercer un culte et d'accomplir des rites, mais aussi d'établir des lieux de culte afin de pratiquer les rites de sa confession ; mais aussi la liberté d'enseigner et d'écrire, la liberté de diffuser des publications sur les religions ou les convictions. 
Comme on le voit, cet ensemble de libertés est très large. La garantie de ces libertés nécessite donc l'interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou la conviction, l'interdiction de tout appel à la haine, à l'hostilité ou à la violence, et de toutes contraintes contre les personnes du fait de leur religion ou de leurs convictions. Troisième et dernier principe : lutter contre l'intolérance religieuse. Pourquoi lutter contre l'intolérance religieuse ? Parce qu'il y a menace pour les sociétés pluralistes, comme l'Irak. Il y a risque d'uniformisation de sociétés qui sont pourtant très diversifiées depuis leur origine. Nous œuvrons à la promotion de la tolérance, notamment religieuse, par l'éducation – on y revient – par la médiation, par l'accès à l'information, afin de contrecarrer les influences qui conduisent à la peur et à l'exclusion de l'autre. Lutter contre l'intolérance religieuse parce qu'il y a aussi danger, bien sûr, pour les minorités religieuses. Elles sont devenues la cible de groupes terroristes qui cherchent à diviser les communautés entre elles et à déstabiliser les États. Dans certains pays, le contexte favorise, malheureusement, les visées extrémistes, dans la mesure où une partie de la population est sensible au message religieux fondamentaliste, endosse l'intolérance religieuse à l'égard de groupes minoritaires, voire, parfois même, de groupes majoritaires. 
En conséquence, nous veillons à rappeler en toutes circonstances le devoir qu'ont les États de protéger sur leur territoire les minorités, et de renoncer à toute législation restrictive en matière de libertés fondamentales. C'est, bien sûr, un travail de longue haleine. Lutter, enfin, contre l'intolérance religieuse, parce qu'il y a un risque mortel pour les chrétiens d'Orient. L'exil des chrétiens d'Orient est un drame humain pour ceux qui partent, qui sont contraints d'abandonner leur terre natale, et ceux qui restent sont davantage fragilisés et marginalisés. Les pays d'origine sont aussi affectés parce qu'ils se voient privés d'une partie des forces vives indispensables à leur développement et à leur identité. Le rôle de la France est d'encourager les mesures qui permettent à ces communautés de demeurer sur leur terre. C'est exactement l'objet de votre conférence. Ce objectif nécessite d'assurer la sécurité, de garantir les droits fondamentaux, mais aussi de favoriser – et c'est important – la participation politique, économique et sociale au sein de leur pays sur leur terre natale. 
Je vous remercie.

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