mercredi, juin 30, 2010

SYRIE : INQUIÉTUDE DES ORGANISATIONS DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME


Le rapport du Kurdish Human Rights Projects de ce mois porte sur la situation des Kurdes en Syrie, qu’il estime à 1.7 million, dans tous ses aspects, politiques, culturels et sociaux. En ce qui concerne la liberté d’expression, d’opinion et d’association, le KHRP rappelle qu’en 2009, plusieurs Kurdes, qui militaient pacifiquement dans des actions de type culturel, ont été arrêtés et mis au secret. De façon générale, toute activité en dehors du parti Baath au pouvoir est de facto considérée comme illégale par les forces de sécurité qui exercent une pression constante sur tout élément suspect de dissidence.

En mars 2009, 26 Kurdes ont été ainsi détenus arbitrairement pour avoir participé à une marche silencieuse qui protestait contre le décret 49, lequel restreint considérablement le droit à l’achat, la vente, la location d’une propriété dans les régions frontalières.

En juin 2009, Djigerkhwin Sheikhun Ali, un responsable du Parti démocratique kurde, a été emprisonné, de même qu’en décembre dernier l’avocat Mustafa Ismaïl, dont les écrits sur des sites Web étrangers ou les interviews téléphoniques qu’il a données au sujet des droits de l’homme en Syrie ont sans doute déplu au régime. Durant sa détention il a été mis au secret. La répression de toute dissidence utilise aussi le système judiciaire et pénal. La Cour suprême de sûreté de l’État (SSSC) a plusieurs articles de loi dans le code pénal syrien qui permettent de condamner des militants non-violents sur le motif d’atteinte à la sûreté nationale, articles dont elle use largement dans ses actes d’accusation.

En novembre 2009, un tribunal de Damas a condamné Sheikhu Muhammad, Sa’id Omar et Mustafa Jumah à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et « incitation à la haine sectaire ou raciale et aux conflits », après qu’ils ont été convaincu d’avoir distribué un journal critiquant la discrimination de la Syrie à l’égard des Kurdes. Les forces de sécurité et les tribunaux se servent d’autres articles du code pénal afin de rendre illégal toute appartenance à des organisations sociales ou politiques qui n’ont pas obtenu l’aval du gouvernement.

En mai 2009, Mashaal Temo, porte-parole d’un parti politique interdit, a été condamné à 3 ans et demi de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et pour avoir propagé des « informations fausses ou exagérées ». Aucun des témoins qui avait été requis en faveur de l’accusé par la défense n’a été admis à la barre, ni même à assister au procès.

Autre source d’inquiétude : l’emprisonnement de Kurdes ayant fui la Syrie et étant ensuite expulsés de leur pays d’accueil. En septembre 2009, Khaled Kenjo, expulsé d’Allemagne vers la Syrie après que sa demande d’asile politique a été refusée, a été arrêté dès son retour et mis au secret. Il est accusé de « propagation de fausses informations », en vertu de l’article 187 du code pénal syrien. De même, Barzani Karro, expulsé de Chypre vers le Syrie en juin 2009 a été arrêté à l’aéroport de Damas, mis au secret et des témoignages sur son sort font état de tortures.

Pour les auteurs du rapport, la dénomination même de l’État syrien, qui se qualifie de « république arabe » induit par avance la négation ou la discrimination de toutes les autres minorités ethniques vivant en Syrie. En tant que plus importante minorité en nombre, les Kurdes sont particulièrement ciblés par une législation discriminatoire et répressive. KHR rappelle qu’en 1962, 120 000 Kurdes de Syrie ont été déchus de leur nationalité, et que ni eux, ni leurs enfants et petits-enfants n’ont pu, par la suite, recouvrer une citoyenneté en Syrie, devenant ainsi des apatrides héréditaires. Toute expression de l’identité kurde est découragée. La tension est particulièrement grande lors des fêtes de Newroz, le Nouvel An kurde, et les festivités sont souvent interdites ou violemment perturbées par les forces de l’ordre. De même, l’usage de prénoms kurdes est interdit ainsi que l’apprentissage de la langue kurde dans les écoles.
Kurdish Human Rights project revient ensuite sur une affaire étrange qui inquiète la communauté kurde en Syrie : les décès mystérieux, en nombre anormalement élevé, de jeunes Kurdes effectuant leur service militaire. À ce jour, 36 appelés ont perdu la vie dans des circonstances mal élucidées, et ce en l’espace de cinq années. La version officielle des autorités a toujours été celle du suicide ou de l’accident, mais plusieurs militants pour les droits de l’homme, ainsi que les familles des victimes ne cessent de réclamer des enquêtes approfondies pour déterminer la cause exacte de ces morts. Jusqu’ici, leurs demandes sont restées vaines.

En juillet 2009, la République arabe syrienne a présenté son premier rapport périodique portant sur l’application de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce rapport, adressé au Comité contre la torture, niant ou minimisant ces agissements, est contredit par l’ensemble des témoignages de prisonniers ou d’associations locales, qui indiquent au contraire que la pratique d’extorsion d’aveux sous la torture demeure la règle dans les prisons syriennes. Ainsi, ce même mois de juillet 2009, Rojin Juma Rammo, membre d’une organisation féminine, a été arrêtée dans la ville kurde de Koban. Elle a alors été torturée en détention et envoyée par la suite à l’hôpital Al-Kindi sous un faux nom. Le mois suivant, deux sœurs, Esma Murad Sami et Eyhan Murad Sami ont été arrêtées dans la ville de Hassaké et ont rapporté avoir été torturées et contraintes de collaborer avec les forces de sécurité contre d’autres activistes kurdes.

Le 23 juin, un avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme en Syrie, Muhannad Al-Hassani, a été condamné à 3 ans de prison. Il avait remporté en 2010 le prix Martin Ennals, qui est décerné chaque année, depuis 1993, à « une personne ou à une organisation dont le combat contre les violations des droits humains a été courageux et remarquable. » Le jury de ce prix est composé de dix grandes organisations internationales : Amnesty International, la Commission internationale des juristes, la Fédération internationale des droits de l’homme, Human Rights First, Human Rights Watch, l’Organisation mondiale contre la torture, le Service international pour les droits de l’homme et Diakonie Germany. Cela n’a pas empêché la Syrie de le condamner et un porte-parole du Foreign et Commonwealth Office, en Grande –Bretagne, s’est publiquement exprimé sur cette sentence : « Le mercredi 23 juin, Muhannad Al Hassani, éminent avocat et militant des droits de l’homme, a été condamné à 3 ans de prison par un tribunal syrien, pour « propagation de fausses informations visant à affaiblir le moral de la nation ». Le Royaume-Uni regrette profondément cette condamnation et demande instamment au gouvernement syrien de revenir sur cette décision et de libérer Al-Hassani. Nous demeurons sérieusement préoccupés par la situation des droits de l’homme en Syrie et appelons le gouvernement syrien à remplir toutes ses obligations en matière de droits de l’homme, et à permettre à ses citoyens d’exercer leurs droits à la liberté d’expression sans craindre des arrestations arbitraires, des intimidations ou la prison. »

Concernant le sort de Mustafa Ismaïl, évoqué par le rapport du KHRP, le Second procureur du tribunal militaire d’Alep a accusé ce dernier d’avoir fomenté des plans et des actes visant à nuire aux relations de la Syrie avec des pays étrangers, et d’être membre d’une organisation illégale ayant pour but la division de la Syrie et d’annexer une partie de son territoire à un nouveau pays. Mustafa Ismaïl risque de 1 à 5 ans de prison. Le même procureur a rejeté toutes les demandes de libération sous caution de l’accusé présentées par ses avocats. Mustafa Ismaïl est un militant de longue date, bien connu des services syriens. Il a été arrêté une première fois en 2000 par les services secrets politiques, pour avoir participé à une émission de télévision sur la chaîne kurde Medya TV. Il avait alors été détenu plusieurs semaines à Alep et depuis, convoqué à plusieurs reprises par les services syriens. Ainsi, en octobre 2009, il a été convoqué par les départements militaire et d’État des services de renseignements. Mustafa Ismaïl est actuellement détenu à la prison centrale d’Alep, après avoir disparu trois mois, période pendant laquelle on suppose qu’il se trouvait aux mains des services secrets.

Né en 1973 à Koban, ville kurde du nord de la Syrie, Mustafa Ismaïl est marié et père de trois enfants. Il exerce la profession d’avocats et a défendu de nombreux Kurdes ou Arabes arrêtés et jugés pour leurs activités d’opposants politiques. C’est aussi un journaliste influent et un poète. Il est auteur d’une dizaine d’articles traitant de politique et de droit. Il a aussi traduit beaucoup d’articles et de travaux de recherche pour des sites Internet, des journaux ou des revues, arabes comme kurdes. Ses propres écrits traitent principalement des violations des droits de l’homme en Syrie. Il a aussi participé à des émissions de télévisions kurdes, en tant qu’analyste politique ou militants des droits de l’homme. Il est également correspondant du journal Azadiya Welat qui paraît à Diyarbakir et aussi pour la radio australienne Sydney 2000. D’autres militants ont été condamnés ce mois-ci.

Le 15 juin, le même tribunal militaire d’Alep a infligé 5 ans d’emprisonnement à Dilshêr Khatib Ahmed, de la ville de Qamishlo, et à Lawrence Hejarm d’Amude, en vertu des articles 267/288 du code pénal, réprimant l’appartenance à une organisation politique visant à détacher une partie du territoire syrien pour l’annexer à un autre pays. La peine a été ramenée finalement à 2 ans et demi. Fawaz Mohi al-Din, lui aussi d’Amude, a reçu la même peine de 2 ans et demi de prison, en vertu lui aussi de l’article 267 sur les organisations illégales. Sa peine a été réduite à 1 an et 3 mois. Le Comité des droits de l’homme en Syrie a fait part de sa préoccupation devant l’accroissement de ces peines, et appelle les autorités judiciaires à faire preuve d’indépendance et d’impartialité dans leurs jugements et leur façon de traiter ces dossiers. Il réclame aussi la libération des prisonniers politiques et d’opinion, tout particulièrement Mustafa Ismaïl. Mahmoud Safo, membre du bureau politique du Parti de la gauche kurde, arrêté le 28 mars 2010 a été condamné le 20 de ce mois par un juge militaire de Qamishlo à un an de prison, pour incitation à la haine raciale et sectaire, et pour avoir dirigé une association illégale.

Mustafa Mohammad Ali Khalaf, né en 1968 à Koban, a disparu depuis son arrestation, survenue à son domicile, le 3 mai dernier, par la branche de la Sûreté politique de sa ville natale, où il réside toujours. Marié et père de 7 enfants, c’est également le seul soutien financier de sa famille.

Toujours à Koban, Subhy Osman Berkul, né en 1965, a été arrêté le 14 février 2010 alors qu’il revenait chez lui de son travail. Aucune information n’a transpiré depuis sur son lieu de détention ni sur les raisons de son arrestation. De façon générale, on observe une augmentation des arrestations dans cette ville.

Enfin, comme nous l’avons vu avec le cas des sœurs Murad Sami, cité plus haut, les femmes kurdes ne sont pas épargnées par cette répression. En mars 2010, deux jeunes filles, Bêrivan Ramzi Rachid et Dijla Nuri Sheikh ont été arrêtées à leur domicile et emmenées de nuit vers une destination inconnue, sans que leurs proches soient informés de leur sort. Une organisation féminine kurde, Sittar, est ainsi en butte aux persécutions des autorités. Plusieurs de ses membres ont été arrêtées et sont détenues au secret. Parmi elles, Fatima Ahmed Hawool, qui souffre d’une infection chronique et ne peut être maintenue en prison sans danger, ou bien Hediya Ali Yussef et Menal Ibrahim, arrêtées en octobre 2009 à Alep, ainsi que Fekret Murad. D’autres membres, Aisha Effendi, Sadiqa Osman et Sara Ali sont régulièrement convoquées par les services de sécurité.

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