vendredi, avril 16, 2010

Min dît : J'ai vu.


Cette semaine, à Malatya, Evrim Alataş, co-scénariste du film Min dît, a été inhumée après avoir succombé à un cancer du poumon. Kurde et alévie, Evrim Alataş était également journaliste et avait débuté en 1994 au quotidien Yeni Politika. Elle avait, par la suite, travaillé pour plusieurs quotidiens, Evrensel, Birgün, le supplément de Radikal, Radikal İki, ou bien Demokrasi et Özgür Bakış, en tant que reporter ou éditorialiste. Elle était également auteur de nouvelles.


Min dît venant tout juste de sortir en Turquie, son réalisateur, le kurde Miraz Bezar a été interviewé par le journal Zaman, édition du Dimanche.

Vous avez tourné le premier film kurde en Turquie, et vous traitez d'un sujet politique. Ne craignez-vous pas qu'il y ait des critiques ?

Si je m'étais uniquement préoccupé de buiseness ou de faire carrière comme certains de mes collègues, j'aurais tenté de me faire une place sur le marché en tournant d'autres films. Mais il y a certains problèmes qui me frappent, du point de vue d'un metteur en scène. Ce film a été rendu possible par une approche de la question kurde sans hésitation ni censure. Pour cette raison, ce film devait être en kurde. Car la langue que l'on parle là où il a été tourné est le kurde. Aujourd'hui, ce film peut être projeté avec des sous-titres, comme un film américain. Si un film en langue kurde peut participer à une compétition nationale à Antalya, cela veut dire que nous avons eu raison. Cela peut aussi ouvrir la voie à de jeunes réalisateurs de Diyarbakir qui ont un avenir dans ce secteur. Maintenant, des familles kurdes d'Iran souhaitent que leurs enfants deviennent réalisateurs de film, et non médecins ou ingénieurs parce que le cinéma est une grande chance pour les Kurdes de s'exprimer à l'étranger.

Dans les films réalisés sur la Turquie par des Turcs vivant à l'étranger on peut sentir un point de vue extérieur. Quel est votre point de vue dans le film ?

En Turquie, je suis allé à l'école jusqu'à l'âge de 9 ans. Quand je suis parti en Allemagne, mon enfance a été complètement bouleversée. J'ai essayé d'apprendre le kurde car c'était interdit en Turquie. Mener une vie d'immigré après les années 70 et durant l'époque du Coup d'État en Turquie était très difficile. Mais si vous veniez d'une famille kurde politiquement engagée, vous étiez proche des problèmes que connaissait la Turquie. Par exemple, combien d'années ont passé avant que l'on commence à débattre du JITEM ? Pour moi, le JITEM était un problème datant de 1995, 1996. En vérité, la Turquie aurait dû s'émouvoir de ce problème après l'accident de Susurluk, mais cela n'a pas eu lieu. Si j'étais resté en Allemagne pour faire ce film. alors cela aurait été un point de vue entièrement extérieur. Aussi, j'ai dû partir et traiter d'autre chose que ce que nous savons ou avons appris sur la papier.

Pourquoi le film s'appelle Min dît (J'ai vu) ?

Ce film est le regard douloureux d'un Kurde, le mien, en fait. Les générations viennent et s'en vont, mais cette question n'a pu être résolue, et passe en héritage. Le message principal du film est de se demander ce que nous laissons aux générations futures. Cependant, j'ai investi cinq années dans ce film, et je suis stupéfait que certains laissent entendre que je fais cela pour la propagande. Quelle personne dotée d'une conscience peut accepter le fait qu'aujourd'hui, 3000 enfants sont en prison ? Mais en Turquie, malheureusement, les politiciens n'ont pas, au sujet des enfants palestiniens les mêmes commentaires qu'ils ont sur ces enfants lanceurs de pierre. "Ceux qui lancent des pierres aujourd'hui se retrouveront avec des armes demain", disent-ils. Par conséquent on ne doit pas les laisser lancer des pierres. Vous ne changerez pas leur monde en les mettant en prison. Vraiment, c'est quelque chose comme "Je te frapperai sur la tête jusqu'à ce que tu saches ta leçon". Ce que vous devez réellement faire est leur tendre les bras et les réinsérer. Sinon, ces enfants sentiront qu'ils sont seuls. 90% des enfants de Diyarbakir ont une telle expérience. Ainsi, nous créons une masse de gens qui ne savent s'exprimer que par la violence.

Pourquoi avez-vous choisi de débattre d'une question politique du point de vue d'enfants ?

J'ai pensé que si je racontais cette histoire avec les yeux d'enfants, les gens qui vivent dans l'Ouest de la Turquie et qui ne savent rien de ces incidents pourraient ressentir plus facilement une empathie. Nous visons ensemble dans ce pays. Mais dans ce pays, on a payé des gens avec nos impôts pour qu'ils en tuent d'autres, en notre nom. Et ils n'ont pas eu à rendre de comptes sur de tels actes. Franchement, je crois qu'en Turquie, chacun est victime, et pas seulement les Kurdes. Le mode de vie pluriculturel que j'ai expérimenté à Kreuzberg, à Berlin, peut aussi être expérimenté dans ce pays, mais cela est refusé aux gens. On a fabriqué certaines idéologies, des dogmes, de la peur. Des centaines de millions de dollars ont été dépensés dans cette guerre et n'ont ainsi pas servi aux écoles, à la science ou au développement du pays. Nous devons nous demander en premier lieu pourquoi cette guerre a été menée. Ceux qui prennent certaines décisions en notre nom, ceux qui disent que nous sommes tous frères et sœurs mais mènent des politiques sans fraternité, ceux qui les ont appliquées, doivent être questionnés aujourd'hui. J'ai dépeint le JITEM et ces meurtres non résolus dans mon film afin que ces plaies puissent être soignées et que ces gens puissent dire ce dont ils ont été victimes et éventuellement guérir de leur traumatisme. J'espère qu'un jour nous serons capables de parler du traumatisme causé ainsi aux soldats. Vraiment, nous devons répondre avec conscience à ces questions.

Dans le film, la mère communique avec ses enfants au moyen d'un conte de fée. Est-ce que ce conte de fée a une signification particulière ?

De façon général, le film s'inspire de Hansel et Gretel. En fait, le thème de base de ce conte est que ces enfants sont laissés seuls dans les bois ou notre vaste monde. Et comme dans le conte de fée "Zilli Kurt" nous voyons que la violence nourrit la violence. Cela s'applique au fait de lancer des pierres. Mais, en tant que metteur en scène, je veux présenter un moyen de contenir la violence et d'empêcher sa perpétuation. Dans ce conte, les villageois ne tuent pas un loup qui leur a causé des problèmes, mais ils lui mettent une clochette autour du cou. Cela veut dire qu'il est possible de développer une méthode alternative pour répondre à la violence.

Concernant les personnages du film, les critiques disent que les Kurdes sont entièrement bons et les Turcs entièrement mauvais. La Turquie connaît une première expérience. Quand une personne parle turc dans un film en langue kurde, cela ne veut pas dire qu'elle est turque. Je vous parle en turc, mais je suis Kurde. Nous voyons les choses de la façon dont nous voulons les voir.





Les deux jeunes acteurs du film :

Muhammad Al :

Dans le film, je joue le rôle d'un enfant dont les parents ont été tués alors qu'ils se rendaient à une cérémonie de mariage. Je commence alors à travailler dans les rues et prend de mauvaises habitudes. Comme Firat l'a vécu dans le film, ma famille a été durement touchée par le conflit dans la région. Notre village a été brûlé. Quand nous nous sommes retrouvés seuls, nous avons dû partir pour la ville. Nous sommes passés par des moments difficiles et nous avons survécu. J'ai travaillé comme vendeur de rue. Mon rôle dans le film est parallèle à ce que j'ai vécu dans la vie réelle. Les enfants de Diyarbakir, dans la région, font face à des conditions de vie très dures. Pour un environnement plus pacifique, les adultes doivent créer un monde meilleur pour les enfants. Pour cela, la police ne doit pas user de la violence contre les enfants. Cela se transforme plus tard en haine et en pierres. Les enfants sont emprisonnés, et alors, leur vie devient encore plus insupportable.

Şenay Orak :

Je joue le rôle de Gulistan, la sœur aînée de Firat, dans le film. Nos parents ont été tués. Nos vies sont détruites. Nous sommes abandonnés dans les rues. Cela ne devrait pas, mais nous sommes obligés pour survivre, comme cela arrive dans la vie réelle. La raison pour laquelle des enfants sont impliqués dans des crimes, dans cette région, est que les gens sont privés de leurs droits. Si on donne aux gens leurs droits, ils ne commettront pas de mauvaises actions. L'État doit donner aux gens ce qu'ils veulent. Ceux qui lancent des pierres dans les rues doivent être regardés pour ce qu'ils sont. Ce sont des enfants et ils ne peuvent pas penser d'une manière sensée. Ils ne savent rien de ce qui est, et ce qu'ils font. Les peines de prison mènent les enfants dans une autre impasse. La raison de ces lancers de pierres doit être étudiée et une solution trouvée.

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