vendredi, avril 30, 2010

IRAK : UNE PÉRIODE POST-ÉLECTORALE INCERTAINE


Les élections législatives ont laissé dans l’embarras et la suspicion réciproque toute la classe politique irakienne, tant les résultats au coude à coude d’Iyad Allawi, le leader nationaliste « laïc » et de Nouri Maliki, le Premier Ministre sortant, de confession chiite, ne peuvent permettre d’envisager aisément la formation d ‘un nouveau gouvernement et d’un nouveau conseil de présidence sans concessions ni négociations de part et d’autre. La liste d’Allawi, Al-Iraqiyya, obtient en effet 25, 87 % soit 91 sièges, contre 25, 76% pour Maliki, 89 sièges, tandis que la liste de Jaffari, l’ancien Premier Ministre, chiite lui aussi, fait près de 19%. Mais elle regroupe des personnalités chiites peu favorables à Maliki, comme les partisans de Moqtada as-Sadr et le Conseil suprême de la Révolution islamique (CSRI).

Entre les blocs politico-confessionnels arabes, les Kurdes, jusque-là unis, pouvaient servir à la fois de tiers modérateur ou de « faiseurs de rois » comme on les appelait souvent. Cependant, l’Alliance du Kurdistan, qui regroupe les deux principaux partis kurdes, le PDK et l’UPK, ainsi que d’autres petits partis de gauche, ou bien musulmans ou chrétiens, doit maintenant composer avec les voix du parti d’opposition Goran, qui a remporté 8 sièges au parlement irakien (43 reviennent à l’Alliance, dont 30 pour le PDK et 13 pour l’UPK, 6 autres à de petits partis kurdes). Les Kurdes doivent aussi s’accorder pour soutenir ou non la reconduction de Jalal Talabani à la présidence irakienne, alors même que le mouvement Goran est né d’une mésentente entre d’anciens hauts reponsables de l’UPK et la direction actuelle du parti de Jalal Talabani. Mais comme on le voit, cette dissension nouvelle à l’intérieur des mouvements pro-kurdes, si elle pouvait leur nuire sérieusement face à un gouvernement irakien fort et unifié, n’oblitère guère leur poids à Bagdad, tant les positions entre les sunnites regroupés dans la liste d’Allawi et le parti de Maliki sont éloignées. De plus, le reste des chiites, comme ceux du CSRI ou les fidèles d’As-Sadr, s’ils n’aiment guère Maliki, qu’ils accusaient de vouloir confisquer le pouvoir à des fins trop personnelles, ont encore moins de sympathie pour le mouvement des nationalistes sunnites, issus pour la plupart des rangs de l’ex-parti Baath de Saddam Hussein. Les Kurdes, qui ont aussi connu des moments de tension et de désaccord avec le gouvernement Maliki, ne peuvent non plus espérer obtenir mieux du bloc nationaliste arabe au sein de l’Irak d’Iyad Allawi. Ils ont donc fait savoir, par de multiples déclarations, que Nouri Maliki pourrait bénéficier de leur soutien dans la formation d’un gouvernement, mais pas sans de solides « concessions » et mesures concrètes pour accéder aux principales demandes de l’Alliance kurde.

Cependant, au début d’avril, ils étaient à la fois courtisés par les chiites et les sunnites, chacun espérant les amener dans son camp. Allawi s’est ainsi rendu deux fois dans la Région du Kurdistan. Le vice-président chiite Adel Abdul-Mahdi s’est lui aussi rendu à Erbil, tandis qu’à Bagdad, Nouri Maliki rencontrait Jalal Talabani. Mais les Kurdes, échaudés par les déceptions que leur a causées le précédent gouvernement, demandent, cette fois, des assurances concrètes et non de vagues promesses, comme le souligne l’actuel Premier Ministre kurde, Barham Salih : « Nous devons être très sérieux en ce qui concerne les engagements que nous réussirons à obtenir du futur gouvernement, quel qu’il soit. L’Irak ne peut se permettre quatre années supplémentaires de stagnation politique. »

Même son de cloche dans les rangs du PDK, le parti du président Massoud Barzani : « Lors des alliances précédentes, les Kurdes ont commis l’erreur de passer des accords sans signer aucun document, confirme Fadhil Miranî, secrétaire du Bureau politique du PDK, cette fois-ci nous ne ferons pas cette erreur. » Revendication majeure des Kurdes : le référendum prévu par l’article 140 de la constitution irakienne, qui pourrait décider du retour de Kirkouk au sein de la Région kurde. Mais les derniers résultats électoraux, qui ont amené. A cause de la dispersion des voix kurdes entre trois listes, à égalité de sièges l’Alliance kurde et le parti d’Allawi rendent plus difficile l’application de l’article 140, tant les sunnites y sont farouchement opposés. Les Kurdes réclament aussi que les Peshmergas, l’armée de défense kurde, soient plus largement soutenus financièrement par Bagdad, comme une composante de l’armée irakienne, et soient payés et équipés à un niveau égal aux autres soldats. Enfin, le conflit portant sur les contrats passés entre le gouvernement kurde et des sociétés étrangères afin d’exploiter les ressources pétrolières du Kurdistan ne s’est pas assoupli entre Bagdad et Erbil, le gouvernement central réclamant le plein contrôle de ces accords, alors que le gouvernement kurde, s’il est prêt à céder à l’État fédéral la totalité des ressources tirées de ses hydro-carbures, contre 17% du budget irakien, n’entend pas laisser la politique énergétique de la Région aux mains des Arabes. En tout cas, il apparaît de plus en plus probable que, quelle que soit la coalition au pouvoir en Irak, les Kurdes en feraient partie et, par ailleurs, un gouvernement mixte composé aussi de sunnites et de chiites est envisagé, même si la durée et la viabilité d’une telle équipe à la tête de l’Irak sont sources d’interrogation. Massoud Barzani a ainsi déclaré, dans une interview télévisée, le 4 avril, que selon lui les quatre grands vainqueurs de ces législatives devaient être représentés au gouvernement, en raison du danger de sape et de blocage auquel pouvaient se livrer des mouvements politiques marginalisés.

L’autre question qui agite la politique irakienne est la future présidence de l’Irak. Le président sortant, Jalal Talabani, est soutenu par l’Alliance du Kurdistan, l’incertitude portant sur le parti Goran, qui n’entend pas accorder son soutien sans concession, sur des conflits qui relèvent cette fois de la politique intérieure kurde. Ainsi, un de ses représentants, Shoresh Hadji, a très vite déclaré que son parti soutiendrait la présidence de Talabani « sur le principe », à condition que l’Alliance, et surtout l’UPK, qui tient politiquement la province de Suleïmanieh, cesse ses « persécutions » contre son opposition. Le président irakien n’a pas cette fois le soutien de tous les blocs politiques du pays, contrairement aux élections de 2005 où les dissensions entre chiites et sunnites avaient amené les Arabes irakiens à souhaiter un président kurde « neutre ». La première attaque est venue du sein même de la présidence, en la personne de l’actuel vice-président sunnite Tariq Al-Hashimi, lequel avait déjà fait parler de lui en incorporant dans la liste des membres soupçonnés de baathisme.
Cette accusation n’est pas prête de s’éteindre d’elle-même, après que le sunnite a déclaré que « l’Irak est un pays arabe et il est légitime qu’un Arabe en soit le prochain président. » Tariq Al-Hashimi explique que cela aurait son importance dans les rapports de l’Irak avec les autres pays de la Ligue arabe. Cette affirmation s’est immédiatement attirée les foudres de Massoud Barzani qui a condamné ces propos comme visant à un « conflit sectaire ». La sortie malencontreuse de Tariq AlHashimi qui plus tard a tenté de se justifier en alléguant qu’il voulait seulement dire qu’un Arabe aussi avait le droit d’être président, a d’ailleurs suscité les sarcasmes du directeur général de la télévision irakienne Al-Arabiyya. Abdul Rahman Al-Rashid, jugeant d’emblée la remarque du vice-président « détestable » et « raciste », a de plus souligné qu’aucun pays ne pouvait dicter à l’Irak ses choix en matière de gouvernement.

Cela étant, les deux principales coalitions chiites ont apporté leur soutien à la candidature de Jalal Talabani à la présidence de l’Irak, qui dispose ainsi d’une importante majorité et semble ainsi à peu près assuré d’être reconduit pour un nouveau mandat.

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