mardi, février 09, 2010

Osman Baydemir : "le gouvernement ne pourra plus trouver un seul Kurde pour établir un dialogue dans la région"

Du 3 au 4 février avait lieu à Bruxelles, au Parlement européen, la 6ème conférence internationale sur L'Union europénne, la Turquie et les Kurdes, intitulée "La Turquie et le conflit kurde : Dialogue politique & consolidation de la paix", organisée par l'EUTCC (la Commission civique pour la Turquie de l'UE), à laquelle aurait dû participer Osman Baydemir. Mais la Turquie lui a refusé la sortie du territoire. Cela arrive souvent pour les Kurdes dans le collimateur de l'État, mais le plus surprenant est de voir que Leyla Zana, elle, a pu sortir. Or elle passe comme nettement plus "Apocî" que le maire de Diyarbakir. L'AKP, et son Premier Ministre, qui s'étaient jurés de remporter la mairie de Diyarbakir et ont mordu la poussière devant les résultats écrasants en faveur du maire sortant, lui en ont peut-être gardé une tenace rancune...

Ne pouvant être présent à Bruxelles, Osman Baydemir a donc fait parvenir un message qui a été lu à la conférence :

Très chers collègues,

C'est avec tristesse que je vous fais savoir que je ne peux vous rejoindre aujourd'hui, dans cette importante conférence, La Turquie et le conflit kurde : Dialogue politique & consolidation de la paix, organisée par la Commission civique pour la Turquie de l'UE. Je ne peux me joindre à vous, car il m'est "interdit de me rendre à l'étranger". Malgré cela, je crois qu'il y a une chose qu'aucune autorité, aucun gouvernement ne peut dicter : Notre conscience. Je crois que notre conscience ne peut être tenue captive par aucune autorité.

Pour la première fois dans leur histoire, et uniquement au prix de grands sacrifices, les Kurdes en Turquie commençaient tout juste à faire entendre leur voix dans les gouvernements municipaux, dans leur propre langue, avec leur propre culture et leur identité. Parallèlement avec la tutelle centrale, pour la première fois, les Kurdes ont pu réussir à dire leur mot concernant leur rues, leurs routes, et leurs villes, via nos municipalités. Pour la première fois, nos villes dans la région se construisent dans un environnement favorable aux femmes. Nos citoyens municipaux ont été admis à participer au budget, à la planification, et à des expériences de démocratie directe. Pourtant, en retour, le gouvernement central a enclenché une purge massive dirigée contre ces exemples de liberté dont les Kurdes commençaient seulement à jouir.

Depuis avril 2009, 4475 personnes ont été détenues et 1444 ont été arrêtées dans notre région ; ce sont tous des maires, des conseillers municipaux, des représentants locaux de partis officiels, et des responsables d'ONG (et ces chiffres augmentent chaque jour). Aujourd'hui, 20 de mes collègues maires et maires-adjoints, comme M. Nejdet Atalay, M. Zulkuf Karatekin, M. Abdullah Demirbaş, M. Firat Anli et Mme. Leyla Guven, ont été menottés et jetés en prison. Laissez-moi clairement vous dire que cet état de choses est absolument incompatible avec le droit, les droits de l'homme et la démocratie.

Chers participants,

Si j'avais eu l'occasion de participer à la conférence aujourd'hui, j'aurais partagé avec vous mes expériences au sujet de la décentralisation démocratique et des gouvernements locaux, sur le terrain. De même, j'aurais parlé du renforcement des autorités civiles, des processus de subsidiarité et de décentralisation comme autant de contributions possibles à l'élaboration d'une solution pacifique au problème kurde.

Tous les travaux menés par nos maires et moi-même, en accord avec la Charte européenne d'autonomie des municipalités, ont fait l'objet d'une enquête judiciaire. Lors de ces enquêtes judiciaires, ce sont justement les activités municipales inspirées par un esprit de décentralisation démocratique et guidées par les principes de la Charte européenne d'autonomie qui constituent les plus grands crimes commis par nos maires. En d'autres termes, les efforts vers une décentralisation démocratiques sont regardés comme criminels en Turquie. S'il vous arrive de visiter un jour la Turquie, je vous suggère de ne pas défendre la philosophie de la "décentralisation démocratique". Je vous suggère de rester très loin de l'idée de "garder en vie la ville de Hasankeyf vieille de 12 000 ans et ainsi de protéger un héritage culturel et naturel commun à toute l'humanité". Si vous faites cela, vous pouvez être arrêtés et on peut vous interdire de quitter le pays. Ou vous pouvez même faire l'objet d'une notification officielle d'un probable assassinat contre vous. Je vous suggère tout particulièrement de ne jamais employer les mots de "gouvernement démocratique et de liberté locale" quand vous parlez de votre compréhension des pratiques de gestion municipale. Peut-être ne devriez-vous pas non plus adhérer aux principes fondamentaux de "cadre participatif", "transparence", "égalité des sexes" et "écologie". Ces concepts sont aussi traités comme des éléments à charge et forment une base pour une enquête criminelle.

Bien que les principes mentionnés plus haut et ces activités soient énoncés par l'Union européenne et la Charte européenne d'autonomie, et aient une importance croissante dans la politique européenne, ils servent de base pour l'arrestation des politiciens civils kurdes et des maires en Turquie. Je peux pas dire que je puis donner un sens au silence du monde sur ces procédures qui vont à l'encontre de la loi, de l'éthique et de la conscience, ces choses qui sont de poids. Mais je voudrais vous poser une question : Que croyez-vous que seraient les réactions si les maires en Europe ou à Ankara, Istanbul, dans la partie occidentale de la Turquie étaient traités de cette manière ? Je vous laisse décider ce que signifie un tel silence sur tout ce que nous avons subi dans la région.

Chers participants,

D'après la politique gouvernementale, qui a été initialement appelée "l'Ouverture kurde" mais a été très vite transformée en "Projet pour l'unité nationale", les gens étaient supposés descendre des montagnes vers les villes, le désarmement étant supposé être l'un des principaux buts. Cependant, nous pouvons voir clairement que le gouvernement, loin d'ouvrir le chemin vers la vie civile aux gens des montagnes, ne tolère même pas les politiciens civils kurdes actuels dans la politique municipale. Il est regrettable que le gouvernement comprenne et applique l'emprisonnement des politiciens kurdes comme une part de sa stratégie de résolution. Mais grâce à cette politique de purge, le gouvernement AKP essaie purement et simplement d'éliminer son seul rival politique dans la région, notre parti politique le BDP, anciennement DTP, qui a remporté une victoire majeure aux élections municipales de mars 2009, en augmentant le nombre de ses municipalités de 56 à 99.

Je dois aussi ajouter que si le processus politique se poursuit de cette façon, le gouvernement ne pourra plus trouver un seul Kurde pour établir un dialogue dans la région.

Chers participants,

Aucun d'entre vous ne devrait voir le moindre doute sur notre lutte politique pour une paix honorable. Que ce soit dans des "prisons fermées" ou dans un "pays devenu une prison ouverte", sous chaque terme et chaque condition,nous continuerons notre combat non-violent, civil et démocratique pour une paix honorable.

Pour conclure, avec la forte conviction qu'il est possible de vivre dans la paix, et que la paix finira par prévaloir, je voudrais réclamer justice, justice et justice pour tous.

Avec mon plus profond respect,
Osman Baydemir

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