dimanche, février 28, 2010

KURDISTAN : DEUX LISTES EN COMPÉTITION


La campagne électorale dans la Région du Kurdistan a été dominée par la rivalité entre l’Alliance du Kurdistan et le parti Gorran. Les autres partis kurdes en lice, comme les islamiques ou d’autres micro-partis n’ont pas réussi à s’entendre pour former des coalitions de poids.

Au rebours des élections législatives de juillet 2009 au Kurdistan, ces élections ont à la fois un caractère local, car il s’agit pour Gorran d’affermir sa position au Kurdistan, mais aussi des conséquences nationales, puisque cette division peut avoir un impact sur l’influence des Kurdes à Bagdad. Là-dessus, les avis divergent entre analystes extérieures. Ainsi, selon Joost Hilterman, (International Crisis Group), cette rivalité politique peut affaiblir les Kurdes au parlement irakien, car si les petits partis kurdes comme le Parti socialiste ou même les partis islamiques se ralliaient auparavant au bloc de l’Alliance dans les débats parlementaires irakiens, la mésentente entre Gorran et l’UPK ne présage pas forcément d’une ligne politique kurde unie sur toutes les questions, par exemple la reconduite de Jalal Talabani à son poste présidentiel.

Tout au contraire, Wayne White, ancien directeur-adjoint du département Moyen-Orient-Asie du Sud-Est au Bureau de renseignement et de recherche des États-Unis, estime que la compétition entre les deux partis kurdes n’amoindrira pas nécessairement leur position, mais que « cela pourrait diversifier et renforcer leur assise populaire au sein du GRK. » Sur la question du soutien de Gorran à la présidence de Jalal Talabani, si Wayne White croit aussi qu’une campagne électorale trop agressive entre les partisans de Talabani et ceux de Nawshirwan Mustafa peut miner le pouvoir des Kurdes à Bagdad, il souligne néanmoins qu’il serait peu judicieux de la part des Arabes, sunnites comme chiites, d’ôter le pouvoir présidentiel aux Kurdes. Rappelant que Jalal Talabani a joué un rôle indispensable pour apaiser les tensions intercommunautaires et a su se présenter aux Irakiens comme une figure d’unité nationale, Wayne White émet aussi l’hypothèse que c’est précisément son implication dans les affaires irakiennes et son éloignement du terrain kurde qui a pu contribuer à la désaffection d’une partie de son électorat kurde.

L’autre interrogation majeure autour de la campagne électorale au Kurdistan concernait de possibles violences entre les factions, surtout à Suleïmanieh, où déjà, lors des législatives de juillet dernier, les partisans de Gorran et de l’UPK s’étaient parfois affrontés vivement, mais sans effusions de sang. Les relations entre les deux partis ne s’étant pas améliorées, certains émettent à nouveau des craintes que les manifestations et les meetings tournent à l’affrontement armé. Pour prévenir ce genre de débordements, les autorités kurdes ont donc instauré un couvre-feu nocturne dans la province de Suleïmanieh, avec l’accord de la Haute Commission électorale irakienne. Cette décision est survenue après que trois supporters de Gorran aient été blessés par balles, ce parti accusant les forces de sécurité pro-UPK, selon lui, d’avoir attaqué ses propres partisans. Le couvre-feu a été immédiatement critiqué par le parti d’opposition, qui y voit une manœuvre politique de l’UPK pour l’empêcher de faire campagne.

De son côté, le Comité pour la sécurité de Suleïmanieh nie la version de Gorran sur l’incident et indique que les forces de l’UPK ont arrêté 11 personnes lors d’un meeting de Gorran, mais seulement après que trois autres ont été blessées par des coups de feu tirés en l’air par d’autres supporters. L’UPK a aussi accusé Gorran d’avoir lancé des pierres sur un convoi d’officiels qui roulait dans le centre de Suleïmanieh. Ferhad Mollah Rassoul, qui est à la tête de la liste de l’Alliance du Kurdistan a, pour sa part, déclaré qu’il respecterait le couvre-feu. Malgré cela, on dénombre pour tout le mois onze blessés par balles, des coups de feu étant souvent entendus la nuit, mais il s’agit surtout de coups de feu tirés en l’air, comme cela se produit souvent lors des meetings électoraux ou bien dans des réjouissances privées.

Le couvre-feu n’a cependant pas empêché la vie nocturne de Suleïmanieh d’être assez animée, et il semble même qu’il ait encouragé les plus jeunes supporters à défier les autorités, sans qu’il soit facile de distinguer une réelle protestation politique d’un jeu juvénile de cache-cache avec les forces de l’ordre.

De l’avis des habitants de Suleïmanieh, la tension est plus vive qu’en juillet 2009. Rebwar Karim, qui enseigne les sciences politiques à l’université de la ville, l’explique par le fait que « lors des précédentes élections, l’UPK ignorait l’importance de l’opposition. Cette fois, il sait ce qu’il doit affronter, aussi le climat est plus tendu. »

Parallèlement à la compétition des partis, la représentation des groupes minoritaires ou socialement défavorisés comme les femmes, au sein du Parlement de Bagdad, a fait l’objet de nouvelles revendications ou d’inquiétudes quant à leur poids dans la nouvelle assemblée nationale irakienne. Ainsi, les candidates féminines de la Région du Kurdistan, si elles bénéficient d’une forte représentation au Parlement d’Erbil, ont estimé leur poids politique insuffisant, voire sans grande réalité à Bagdad, malgré le quota féminin de 25% imposé par la constitution irakienne. Lors d’un forum organisé à Suleïmanieh le 20 février par l’Institut international des droits de l’homme (USA), diverses candidates kurdes ou arabes irakiennes, venues de partis laïcs et religieux, ont débattu de la représentation politique de la femme en Irak. Si toutes s’accordent sur le fait que les 25% de quota ont aidé les femmes à obtenir une visibilité politique au Parlement, la plupart souligne qu’il reste cependant beaucoup à faire en ce qui concerne l’exercice réel du pouvoir au sein de l’État irakien. « L ‘égalité ne signifie pas nous donner seulement des postes », explique Amal Jamal, candidate à Sulaïmaneh pour la liste de l’Alliance du Kurdistan. « Nous avons besoin d’être incluses dans le processus de décision. » Bushra Al-Ubaïdi, candidate à Bagdad pour la liste de l’Unité irakienne, affirme, quant à elle, que les partis politiques irakiens, dominés par les hommes, ont tendance à combler les quotas de leur liste avec des candidates non-qualifiées, ce qui leur donne ensuite l’occasion d’exploiter leur incompétence et de garder le contrôle de la gestion des questions politiques ou sociales. Ainsi, le quota des 25% est parfois utilisé contre l’intérêt des femmes. De façon générale, elle déplore une « stratégie de découragement » pour dissuader les femmes d’obtenir la reconnaissance de leurs droits. Certaines tiennent des propos plus nuancés, surtout au sein des partis religieux. Ainsi Dilxwaz Abdullah, de la liste de l’Union islamique du Kurdistan, estime que les problèmes d’égalité entre les sexes ne sont pas spécifiques à l’Irak, en soulignant que les femmes américaines ne sont représentées qu’à 17% au Congrès américain. Mais la plupart souhaite un renforcement des lois protégeant les femmes et une plus grande égalité effective dans la société.

En dehors des meeting et des campagnes d’affichage, la vie politique kurde s’est emparée d’un nouvel outil de communication, celui des plates-formes de réseaux sociaux sur Internet, comme Facebook. Des politiciens kurdes ont même leur page personnelle, comme le vétéran Mahmud Othman, qui rassemble 2000 fans sur son site. Le président du Parti socialiste kurde indique avoir eu recours à Facebook pour atteindre les électeurs vivant en dehors de l’Irak : « Nous ne pouvons voyager à l’étranger en raison du temps limité dont nous disposons pour cette campagne électorale, aussi utiliser Facebook est le moyen le plus facile et le plus rapide pour toucher les électeurs irakiens de la diaspora » a-t-il déclaré au journal Rudaw. Les listes arabes utilisant aussi Facebook, le site est ainsi le terrain de plusieurs affrontements virtuels entre partisans, qu’ils résident en Irak, au Kurdistan ou à l’étranger, ce qui, de l’aveu des internautes kurdes chevronnés, est un moindre mal : « Vous pouvez voir beaucoup de supporters de la liste du Kurdistan et du mouvement Gorran se battre entre eux sur différentes pages de Facebook en usant d’une langue obscène, résume Barzan, 24 ans, qui a observé sur une semaine les comportements des fans de chaque parti. « Mais je suis heureux qu’ils ne s’affrontent pas avec des fusils et des couteaux, ce n’est qu’une guerre électronique sur Facebook. »

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Concert de soutien à l'Institut kurde