vendredi, décembre 31, 2010

Jamal Mufti

IRAK : UN NOUVEAU GOUVERNEMENT SE FORME PROGRESSIVEMENT


Le 21 décembre, les députés irakiens ont enfin approuvé la formation d’un nouveau gouvernement, mené par le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, après 9 mois de négociations entre les différents blocs parlementaires issus des élections du 7 mars 2009, qui avaient amené au coude à coude chiites et sunnites.

Le nouveau cabinet comprendra 42 ministères dont 29 sont pour le moment pourvus et a dû composer avec tous les mouvements politiques irakiens pour maintenir une coalition viable, ce qu’a reconnu lui-même Nouri Al-Maliki : « La tâche la plus difficile au monde est de former un gouvernement d’union nationale dans un pays où il y a une telle diversité ethnique, religieuse et politique. » Ainsi le nouveau gouvernement comprend des représentants de toutes les factions politiques parmi les chiites, les sunnites (dont la liste rivale de Maliki, Al Iraqiyya) et les Kurdes.

Parmi les 13 postes non encore pourvus définitivement, la Défense, la Sécurité intérieure et extérieure, et le contrôles des forces irakiennes, seront attribués prochainement à des « personnalités indépendantes », c’est-à-dire non soupçonnées d’œuvrer pour le compte de pays voisins ou bien trop hostiles à l’une des factions irakiennes. Ainsi le camp sadriste s’est inquiété de la possible nomination de figures politiques hostiles à leur mouvement. D’autres députés auraient aussi souhaité que la totalité des 42 postes puissent être soumis au vote. En attendant, c ‘est le Premier Ministre qui en assure les fonctions, ce qui ne plaît guère aux parlementaires, comme l’explique le député kurde Mahmoud Othman : « Un accord doit être trouvé concernant tous les postes ayant en charge la sécurité. Pourquoi ceux-ci restent-ils vacants, à la charge du Premier Ministre et ce pour un temps indéterminé ? »

Les trois adjoints du Premier Ministre sont le Kurde Roj Nouri Shawis, le sunnite Saleh al Mutlaq et l’ancien ministre du Pétrole, Hussein Al-Sharistani, dont le bilan en matière de gestion des énergies et des hydrocarbures avait été pourtant souvent critiqué par l’opinion irakienne, et dont les rapports avec le gouvernement kurde, cette fois au sujet de la gestion par la Région du Kurdistan de ses propres ressources, ont toujours été plus que tendus. Enfin, ces nominations mécontentent aussi les sadristes (qui détiennent 40 sièges sur 325 au Parlement) qui espéraient ce poste pour un des leurs, bien qu’ils aient obtenu 8 des 10 autres ministères qu’ils réclamaient.

Composition provisoire du gouvernement irakien :
Nouri Al-Maliki, 60 ans, chiite, est reconduit dans ses fonctions de Premier Ministre qu’il occupe depuis 2006.
Jalal Tabalani, 77 ans, une des figures majeures de la politique kurde, est reconduit à la présidence de l’Irak.
Osama Al-Nujaifi, 54 ans, sunnite, devient président du Parlement. Avec son frère, le gouverneur de Ninive-Mossoul, il est l’un des principaux leaders sunnites du nord de l’Irak, connu pour sa ligne nationaliste et son opposition aux Kurdes.
Les 3 Vice-Premier Ministres :
– Saleh Al-Mutlaq, 64 ans, sunnite. Proche des anciens du Baath il avait été interdit de se porter candidat aux dernières élections, mais a finalement été réintégré dans la vie politique irakienne lors des accords finaux.
– Roj Nouri Shawiss, 64 ans, Kurde, issu du PDK, ancien Premier Ministre du Kurdistan ; il a exercé la vice-présidence de l’Irak sous le gouvernement Jaffari et ce poste de vice premier ministre entre 2005 et 2009. Il assure aussi, provisoirement, les fonctions de ministre du Commerce.
– Vice-premier ministre pour l’Énergie : Husseïn Al-Sharistani, 69 ans, chiite, ancien ministre du Pétrole.

Ali Al-Dabbagh reste porte-parole du gouvernement, Pour les principaux ministères, la Défense, la Sécurité nationale et l’Intérieur sont provisoirement gérés par le Premier Ministre. Aux Finances, est nommé Raffi Al-Issawi, un sunnite de la liste al-Iraqiyya. Aux Affaires Étrangères, le Kurde Hosyar Zebarî (du PDK) est reconduit à son portefeuille et assure en intérim le ministère des Affaires féminines. Le nouveau ministre du Pétrole est le chiite Abdul Karim Luabi, de la liste État de droit.

Pour les autres postes, Dindar Nejman, de l’Union islamique du Kurdistan, prend la tête du ministère de l’Immigration et des personnes déplacées. Majid Mohammed Amin, issu de l’UPK, devient ministre de la Santé. Le ministère des ONG doit revenir à un candidat de l’Alliance kurde.
Au Conseil national des stratégies politiques, nouvelle institution formée pour intégrer à la tête de l’Irak le rival d’Al-Maliki, Iyad Allawi assure la présidence.

jeudi, décembre 30, 2010

ERBIL: UN DISCOURS DU PRÉSIDENT BARZANI ENFLAMME LA PRESSE ARABE


La question du référendum sur le sort de Kirkouk et d’autres territoires disputés continue d’éroder la confiance de la population dans le gouvernement central irakien. D’autant que l’une des étapes préparatoires à la tenue du référendum, le recensement de la population, vient d’être à nouveau reportée. Initialement prévu pour le 5 décembre 2010, le Conseil des ministres a décidé en effet, le 30 novembre, de repousser le recensement général de la population irakienne, ce qui a satisfait les partis arabes et turkmène de Kirkouk qui craignent de voir ainsi entérinée la domination démographique des Kurdes dans cette province.
Ces mouvements opposés au rattachement accusent en effet les Kurdes d’avoir artificiellement gonflé leur population, que ce soit en falsifiant les registres électoraux, en installant en masse des réfugiés ou en expropriant des Arabes et des Turkmènes. Mais Turhan Al-Mufti, qui représente les Turkmènes au Conseil provincial, affirme ne pas contester le principe même du recensement, mais souhaite en faire, curieusement, un outil de « consensus » visant à satisfaire toutes les communautés dans une perspective égalitaire, ce qui sera sans doute, mathématiquement difficile à réaliser : “Nous, les Turkmènes avons combattu ces cinq derniers mois pour retarder le recensement, afin qu’il soit mené de façon plus correcte, de sorte qu’il réponde aux demandes de chacun. »

Le 14 décembre, un comité spécialement formé pour mettre en place le recensement à Kirkouk a tenu sa première réunion, à laquelle assistaient le gouverneur de Kirkouk, le président du Conseil provincial, le directeur du Bureau de recensement, le Bureau de l’Éducation de la ville, le commandant militaire de la 12ème division, le commandant de la 1ère Brigade des gardes de Kirkouk, des représentants du Bureau de la reconstruction ainsi que des responsables des forces armées américaines. Des députés de l’Alliance du Kurdistan, étaient présents mais aucun représentants des partis arabes et turkmène. Les débats ont porté sur les mesures de sécurité et l’organisation du recensement, assuré par le Bureau de recensement de Kirkouk. Les fonctionnaires chargés du recensement ont exprimé une volonté optimiste de mener à bien leur tâche. Adnan Baba, directeur du Comité, a déclaré au journal Aswat al Iraq être prêt pour cela, une fois que ses cadres auront achevé une formation spéciale dans ce domaine.

Najmaddin Karim, député au parlement irakien pour la liste de l’Alliance du Kurdistan, a accordé un entretien au même journal, dans lequel il indique que des préparatifs techniques et portant sur la sécurité ont été mis en place dans la province, en soulignant que ce recensement n’était pas une « demande kurde », mais qu’il allait servir les intérêts de tous les Irakiens. Commentant l’absence à cette réunion de la liste Al-Iraqiyya, le député kurde a indiqué que cette absence ne pouvait affecter le travail des réunions, mais qu’il espérait que les élus arabes assisteraient aux prochains débats, « puisque ni les Arabes ni les Turkmènes ne soutiennent le boycott du recensement. » Pour sa part, une autre députée kurde, Aala Talabani, a souligné que « la formation d’un comité spécial pour le recensement avait été en partie décidée en réponse aux demandes des Arabes et des Turkmènes. C’est pourquoi l’absence de nos collègues d’Al-Iraqiyya n’est pas une attitude très normale. Les blocs arabes et turkmènes, d’après leurs propres déclarations, ont souhaité participer au processus de recensement, mais les députés d’Al-Iraqiyya, qui représentent les Arabes et les Turkmènes de Kirkouk, n’ont pas assisté à la réunion, bien qu’ils eussent dû le faire. Ils représentent en effet non pas leurs propres personnes mais leur liste parlementaire, surtout qu’il y a eu un accord avec cette liste et le comité du recensement. »

Un député d’al-Iraqiya, Umar al-Jibouri, a justifié cette absence par un ‘déséquilibre’ des représentants de chaque ethnie de Kirkouk dans le Comité, même si les députés arabes et turkmènes de Kirkouk membres d’al-Iraqiyya avaient auparavant été informés de la façon dont le comité de recensement se formerait, par une ordonnance du ministère de la Planification : 3 députés de l’Alliance kurde, 2 députés arabes et un Turkmène.

Dans le même temps, le 10 décembre, se tenait le Congrès général du Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani. Devant 1300 membres et un large panel d’invités, dont le prédisent irakien Jalal Talabani, le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, le président du Parlement d’Irak, Osama Al-Nujaifi et le Président du Conseil de Sécurité, Iyad Allawi, une délégation officielle turque dirigée par Abdulkader Aksu, l’un des adjoints du Premier Ministre Erdogan, le président du Kurdisan a rappelé le droit à l’autodétermination des Kurdes au cas où leurs demandes resteraient ignorées de la capitale, notamment le référendum des régions revendiquées par les Kurdes, réaffirmant que l’identité kurde de Kirkouk n’était pas « matière à marchandage ». Massoud Barzani a par ailleurs réaffirmé que le gouvernement de Kirkouk ne pouvait être unilatéral et que toutes les communautés devaient y être représentées.

Ce rappel solennel, traduisant le sentiment général des congressistes, a été largement applaudi, et aucun des invités arabes et turcs n’y a réagi, alors que les media arabes y ont donné un large retentissement. Bien que l’évocation du droit à l’autodétermination des Kurdes ne soit pas une nouveauté dans la bouche de Massoud Barzani, et bien que les officiels irakiens présents au meeting n’aient pas semblé en prendre ombrage, ces simples mots ont en effet enflammé la presse arabe, et des mouvements politiques irakiens, qui y ont vu la menace brandie d’une future « indépendance ». « Le droit à l’autodétermination concerne les peuples vivant sous occupation, et ce n’est pas le cas du Kurdistan, qui a un statut spécial en Irak », a protesté un député de la liste Iraqiyy, Alia Nusayaf. « Je me demande donc si les Kurdes ont demandé le fédéralisme avant tout pour se séparer ensuite de l’Irak. C’est une honte que parmi tous les politiques présents aucun ne se soit levé pour protester. »

Même son de cloche chiite, surtout parmi les partisans du mouvement sadriste. Ainsi, Jawad al-Hasnawi, un député de la liste chiite, considère qu’une telle déclaration ne peut qu’attiser les tensions : « Je pense qu’un Irak qui s’étend de Zakho (ville kurde à la frontière nord) à Basra est bien mieux qu’un Irak divisé. » Mais le Premier Ministre du Kurdistan, Barham Salih, a rappelé que Massoud Barzani n’avait fait qu’exprimer le sentiment général des Kurdes, en rappelant que cela ne signifiait pas forcément une déclaration d’indépendance : « Il y a, parmi les Kurdes, un consensus sur le fait que leur droit à l’autodétermination est légal, légitime. Quand nous avons appuyé un Irak fédéral, nous avons dit que c’était une forme d’autodétermination et nous n’avons jamais renoncé à ce droit. » Deux jours après le congrès, le neveu de Massoud Barzani, l’ancien Premier ministre Nêçirvan Barzani, a expliqué que le « droit à l’auto-détermination » ne signifiait pas que les Kurdes avaient, pour le moment, la volonté de se séparer de l’Irak. « Les Kurdes ont le droit à l’auto-détermination, mais nous avons décidé de rester dans un Irak uni. La déclaration du président Barzani a été mal comprise. Si nous avions opté pour l’indépendance, nous l’aurions annoncé, mais nous n’avons rien décidé de tel. Nous voulons rester dans un Irak uni et fédéral (…) L’auto-détermination est un droit naturel du peuple kurde, mais avec ce que nous avons obtenu en 2003 dans le nouvel Irak a fait que nous avons décidé de rester dans un Irak fédéral. »

Quelques jours plus tard, Massoud Barzani est revenu lui-même sur ses déclarations, mais sans reculer d’un pouce sur ce qu’il répète depuis le début de sa présidence : le maintien de la Région kurde au sein de l’Irak dépend du respect par le gouvernement central de sa constitution et que les Kurdes « resteraient dans un Irak fédéral, mais pas dans une dictature. « Des gens ont dit : les Kurdes veulent leur indépendance, laissons-les donc partir pour de bon. Mais nous répondons ceci : L’Irak est à nous, c’est notre pays. Mon message à nos frères arabes, sunnites ou chiites, à nos amis et alliés, est le suivant : Nous nous sommes engagés envers un Irak fédéral et démocratique, envers sa constitution. Mais nous ne sommes pas prêts à rester dans un Irak dominé par le chauvinisme. Les Kurdes sont une nation et par conséquent ont le droit à l’autodétermination. Le parlement kurde a décidé de rester, mais à une condition : l’Irak doit être un État fédéral. »

mercredi, décembre 29, 2010

IRAN : L’EXÉCUTION D’UN PRISONNIER KURDE REPORTÉE, SA FAMILLE ARRÊTÉE


L’exécution d’un étudiant kurde iranien, Habibollah Latifi, qui devait avoir lieu le 26 décembre, a été reportée, après une campagne d’ONG et de journaux kurdes pour réclamer que son procès soit révisé. Peut-être, de façon plus décisive, l’intervention du président de l’Irak, le kurde Jalal Talabani, pour demander sa grâce, a-t-elle été prise en compte par le gouvernement iranien, selon le journal kurde Awene.

Mais le fait que l’exécution soit reportée ne signifie pas que le prisonnier ne puisse être exécuté ultérieurement. Habibollah Latifi a été condamné en tant que ‘moharebeh’, ennemi de Dieu, ce qui entraîne automatiquement la peine de mort, par la Cour révolutionnaire de Sanandaj (capitale de la province du Kurdistan en Iran) pour appartenance au PJAK (branche iranienne du PKK). Le 25 décembre, plus de 200 personnes, militants de partis politiques, membres d’association, journalistes, avaient manifesté dans la ville kurde de Sulaïmanieh pour protester contre l’application de la sentence.

À Paris, très tôt le 26, une vingtaine de personnes se sont rassemblées devant l’ambassade iranienne, certains s’enchaînant devant les grilles. Amnesty International et Human Rights Watch avaient appelé les autorités iraniennes à commuer la peine de mort en prison à perpétuité.

Le directeur du département d’Amnesty International pour le Moyen-Orient, Malcolm Smart, a mis en doute la régularité du procès, ainsi que Joe Stork, adjoint à la direction Moyen-Orient de Human Rights Watch : « Il est clair que Habibolah Latifi n’a pas eu un procès régulier selon les critères internationaux. Les circonstances entourant l’arrestation de Latifi, sa détention et sa condamnation suggèrent fortement que les autorités iraniennes ont violé ses droits fondamentaux. Habibollah Latifi est actuellement détenu à la prison de Sanandadj. Plusieurs sources indiquent qu’il souffre d’infection intestinale, de problèmes cardiaques et d’insuffisance rénale.

Habibollah Latifi a été arrêté le 23 Octobre 2007 et amené à la prison de Sanandadj. Les rumeurs de sa prochaine exécution courent depuis le 7 juin dernier.

Sa famille a plusieurs fois demandé sa grâce, mais en vain. Le 27 décembre, des forces de sécurité iraniennes ont même opéré un raid à leur domicile, confisquant quatre ordinateurs et plusieurs documents. Ils ont aussi arrêté trois des sœurs du condamné, trois de ses frères, son père et sa belle-sœur. La plus jeune de ses sœurs, âgée de 10 ans, a, quant à elle, reçu du gaz poivre et perdu conscience plusieurs heures. Elle n’a depuis aucune nouvelle des membres de sa famille emmenés dans un lieu de détention inconnu.

D’autres informations indiquent que des personnes ayant soutenu la famille dans leurs démarches pour sauver Habibollah Latifi ont aussi été arrêtées, dont des journalistes et des militants. Une liste provisoire de noms circule : Abbas Latifi (père de l’accusé), Iraj Latifi (frère de l’accusé), Eqbal Latifi (frère de l’accusé), Shahin Latifi (sœur de l’accusé), Elahe Latifi (sœur de l’accusé), Bahar Latifi (sœur de l’accusé), Jiyan Matapour (belle-sœur de l’accusé), Simin Chaichi (poète et écrivain), Hamid Malek Alkilany (militant pour la défense de l’environnement), Saeed Saadi (journaliste), Mahmoud Mahmoudi (journaliste), Jiyan Zafari (ancien prisonnier politique), Wahid Majidy (ancien prisonnier politique), Zahid Moradian (militant), Hashem Rostami (militant), and Pedram Nasrolahi (militant). On signale aussi la disparition d’un étudiant militant, Mokhtar Zarei.

Cette vague d’arrestations pourrait être une nouvelle tactique de la part des autorités iraniennes, visant à intimider l’entourage des condamnés afin d’empêcher les campagnes internationales pour les sauver et les informations d’être diffusées hors d’Iran. C’est en tout cas l’avis de Mahmood Amiry-Moghaddam, porte-parole d’Iran Human Rights : « Nous ne devons pas oublier que l’exécution de M. Latifi n’a été que reportée et nous ne savons pas pour combien de temps. Il est possible que les membres de sa famille aient été arrêtés afin de les faire taire quand les autorités vont procéder à l’exécution. »
Mais ces arrestations n’ont pas empêché d’autres manifestants de se rassembler devant le tribunal et la prison de Sanandadj, en demandant des nouvelles des personnes détenues. En réponse, les forces de sécurité ont cerné la ville, tandis que les communications par téléphone et Internet étaient très ralenties. De nombreux prisonniers kurdes attendent ainsi dans les couloirs de la mort, en Iran. Douze d’entre eux sont condamnés pour appartenance au PJAK. En novembre 2009, l’exécution d’un autre activiste kurde, Shirkouh Moarefi, a été annoncée, puis reportée.

lundi, décembre 27, 2010

SYRIE : RAPPORT SUR LES DEMANDES D’ASILE DES KURDES EN EUROPE


The Institute of Race Relations basé à Londres a récemment publié un rapport sur les populations refoulées de l’Union européenne. Parmi elles, le nombre des Kurdes de Syrie ne cesse de s’accroître, bien que beaucoup d’entre eux aient été forcés de fuir ce pays en raison de leurs activités politiques.

Les Kurdes de Syrie ont défrayé la chronique dès le début de l’année 2010, avec l’arrivée sur les plages corses d’une centaine d’immigrés clandestins, dont la majeure partie était kurde. Cette même année s’est conclue tragiquement sur le suicide d’un autre Kurde de Syrie, dont la demande d’asile avait été déboutée par le Danemark.

Mais entre ces deux événements médiatisés, il y a eu bon nombre de grèves de la faim, des jugements, des arrestations et des expulsions qui n’ont pas fait les gros titres des journaux. La Convention européenne des droits de l’homme (ECHR) s’engage pourtant à protéger toute personne risquant, dans son pays, d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. La Convention considère même que l’accusation ou les preuves de terrorisme pesant sur un demandeur ne justifie pas son expulsion si cela lui fait encourir le risque de mauvais traitements.

Malgré cela, les Kurdes de Syrie, ressortissants d’un pays régulièrement montré du doigt pour ses violations des droits de l’homme, et dont la lutte politique reste pacifique, sont régulièrement la cible d’arrestations et d’expulsion sans que leur situation soit prise en compte, accusent de nombreuses ONG. Or, Jawad Mella, président de la Western Kurdistan Association de Londres, rappelle qu’une personne ayant demandé l’asile et ayant, par ailleurs, milité pour les droits des Kurdes, sera fatalement condamnée, à son retour en Syrie, à un nombre d’années ‘illimité’ de prison.

Le rapport de l’ Institute of Race Relations (IRR) passe en revue plusieurs pays membres de l’UE où des Kurdes de Syrie ont déposé une demande d’asile.
En France, le 22 janvier 2010, un navire a débarqué en Corse, à Bonifacio, avec 123 passagers, la plupart des Kurdes de Syrie : il y avait en tout 57 hommes, 29 femmes dont 5 étaient enceintes et 38 enfants. Ils ont été emmenés par les autorités françaises dans 5 centres de rétention dispersés dans tout le pays : Marseille, Lyon, Rennes, Nîmes and Toulouse. Le 26 janvier, les juges saisis des dossiers ont déclaré l’un après l’autre que la détention des réfugiés était illégale et ordonné qu’ils soient relâchés afin qu’ils puissent déposer leur demande d’asile. La plupart d’entre eux ont très vite quitté la France pour l’Angleterre, ce qui a entraîné une certaine protestation de la part de politiques anglais, accusant la France de se débarrasser une fois de plus de ses clandestins en les laissant gagner la Grande-Bretagne.

En Norvège, le 19 août 2010, Abdulkarim Hussein, un Kurde syrien originaire d’Alep, né en 1959, a été expulsé de force vers la Syrie. Il avait demandé l’asile politique en 2006. Jan Erik Skretteberg, de l’association SOS Rasisme en Norvège, avait alors déclaré qu’Abdulkarim Hussein était en danger de mort, ayant à la fois travaillé pour SOS Rasisme et étant aussi le vice-président de l’Association des Kurdes de Syrie en Norvège, en plus d’avoir milité activement pour les droits de l’homme dans son pays et d’y avoir déjà été arrêté et torturé. De fait, dès son arrivée à Damas, Abdelkarim Hussein a été arrêté par les autorités syriennes et transferé à la prison Al Fayha Prison, contrôlée par une des branches de la Sécurité syrienne. Là, il a été placé en isolement, menacé, battu, a eu les testicules écrasées. Le 2 septembre, Abdelkarim Hussein a été relâché sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre lui. Moins d’une semaine plus tard, il a pu fuir la Syrie en passant en Turquie et le 8 septembre, a demandé une protection internationale auprès du Haut Commissariat aux Réfugiés. Plusieurs personnes en Norvège réclament actuellement que ce pays lui accorde enfin l’asile.

À la mi-mai 2010, la communauté kurde a mené à Chypre une campagne de protestation, en observant une grève de la faim et en dressant des tentes autour du ministère de l’Intérieur, afin d’attirer l’attention sur la situation des Kurdes en Syrie et d’obtenir l’asile politique pour les réfugiés. Au bout de 4 semaines, la police chypriote a opéré un raid sur le campement, a arrêté les manifestants et en a placés 149 en centres de détention. Sur 42 mineurs, seulement un peu plus d’une dizaine ont été relâchés avec leurs familles. 82 Kurdes étaient en séjour illégal dans l’île, après le rejet de leur demande d’asile et tombaient sous le coup d’une extradition, ce qui se produisit le 11 juin pour 37 d’entre eux. L’Organisation kurde de défense des droits de l’homme et des libertés publiques en Syrie (DAD), a rapporté en octobre dernier que les services de sécurité syriens avaient arrêté 3 de ces Kurdes renvoyés en Syrie : Rakan Elias Junbuli (arrêté 5 mois après son retour), Mohammed Sheffa Junbuli (arrêté un mois après son retour), Hassan Elias Junbuli (arrêté une semaine après son retour). Hassan Junbuli était, en octobre, toujours détenu par les services syriens, Mohammed et Rakan Junbuli étaient détenus à la prison centrale de Hassaké.

Même quand ils retournent volontairement en Syrie, ces Kurdes encourant des poursuites judiciaires. Ainsi, Faiz Adnan Osman et sa femme, revenus de leur plein gré de Chypre en août dernier, ont été arrêtés tous les deux à leur retour à Damas. Adla Osman fut rapidement libérée mais son mari était toujours en détention en novembre 2010. Les services syriens l’accusent d’avoir participé aux manifestations de Nicosie. Plusieurs informateurs indiquent que Faiz Adnan aurait été torturé.

Le 4 décembre 2010, la Direction de la Sécurité politique de Hassaké a arrêté Ciwan Yusuf Muhammad (né en 1982). Ciwan Muhammad avait été extradé de Chypre en juin 2010, avec 26 autres Kurdes. Il avait dû remettre son passeport aux autorités de l’aéroport de Damas. Il est depuis son arrestation interrogé par différents services.

Au Danemark, 28 Kurdes ont entamé une grève de la faim le 14 septembre 2010, devant le Parlement. L’un d’eux a déclaré à la presse : « Si vous aviez été dans une prison syrienne, vous feriez tout ce qui est possible pour ne plus jamais y retourner. » Au bout de trois semaines il a été mis fin à la grève, à la fois pour des raisons de santé, plusieurs des grévistes ayant dû être hospitalisés, mais aussi parce que les forces de sécurité syriennes ont commencé à harceler et menacer leurs familles restés sur place, d’après un reportage de la chaîne kurde Roj TV.

Le 22 septembre 2010, Adnan Ibrahim a été expulsé en Syrie après avoir passé 18 mois au Danemark où vivent les deux-tiers de sa famille. La sœur d’Ibrahim, Golzar, a indiqué n’avoir plus de nouvelles de son frère depuis qu’il a été remis par la police danoise à la police syrienne de l’aéroport de Damas. Le 15 novembre 2010, Abid Mohammed Atto, né en 1982, a été expulsé, bien qu’un groupe de militants danois ait tenté d’empêcher son embarquement à l’aéroport. Né en 1982, c’est un Kurde ‘sans-papier’ de Dêrik. Il a été mis en détention dès son arrivée en Syrie par une section des services de sécurité. Il avait fui ce pays en août 2009. Enfin, un des cas les plus tragiques est celui de ce Kurde de 26 ans, Ramazan Hajji Ibrahim, qui s’est suicidé au centre des demandeurs d’asile d’Auderød. Son entourage affirme qu’il craignait ce qui l’attendait en Syrie après que sa demande d’asile avait été rejetée. Paradoxalement, ce Kurde n’était extradable que de son vivant, et sa famille n’a pu récupérer le corps : le rapatriement, assuré par des organisations kurdes, a été refusé par les autorités syriennes, le défunt étant officiellement apatride ! Il a donc été inhumé à Copenhague, le 18 décembre et c’est l’Association culturelle kurde qui s’est chargé des funérailles.

En Suisse, Sarbast Kori a entamé le 22 novembre une grève de la faim dans la prison de Thum, où il était détenu, pour protester contre sa prochaine extradition. Il a été hospitalisé dix jours après, à Berne, après avoir perdu conscience. Il souffre aussi de traumatismes psychologiques, en partie dus à sa peur de retourner en Syrie.

En Allemagne, le 3 avril 2010, Anwar Daqouri, demandeur d’asile, a été arrêté par la police allemande et transféré en centre d’expulsion, devant être extradé dans un délai de trois mois. Farouk Al-Issa, un autre Kurde de Syrie, a lui aussi été arrêté en Allemagne le 21 juin 2010 et détenu au centre de Hanovre, en attendant d’être extradé. Réfugié en Allemagne depuis 2004, sa demande d’asile a été rejetée.

vendredi, décembre 24, 2010

Joyeux Noël, Eda brikha

UN DISCOURS DU PRÉSIDENT BARZANI ENFLAMME LA PRESSE ARABE


La question du référendum sur le sort de Kirkouk et d’autres territoires disputés continue d’éroder la confiance de la population dans le gouvernement central irakien. D’autant que l’une des étapes préparatoires à la tenue du référendum, le recensement de la population, vient d’être à nouveau reportée. Initialement prévu pour le 5 décembre 2010, le Conseil des ministres a décidé en effet, le 30 novembre, de repousser le recensement général de la population irakienne, ce qui a satisfait les partis arabes et turkmène de Kirkouk qui craignent de voir ainsi entérinée la domination démographique des Kurdes dans cette province.

Ces mouvements opposés au rattachement accusent en effet les Kurdes d’avoir artificiellement gonflé leur population, que ce soit en falsifiant les registres électoraux, en installant en masse des réfugiés ou en expropriant des Arabes et des Turkmènes. Mais Turhan Al-Mufti, qui représente les Turkmènes au Conseil provincial, affirme ne pas contester le principe même du recensement, mais souhaite en faire, curieusement, un outil de « consensus » visant à satisfaire toutes les communautés dans une perspective égalitaire, ce qui sera sans doute, mathématiquement difficile à réaliser : “Nous, les Turkmènes avons combattu ces cinq derniers mois pour retarder le recensement, afin qu’il soit mené de façon plus correcte, de sorte qu’il réponde aux demandes de chacun. »

Le 14 décembre, un comité spécialement formé pour mettre en place le recensement à Kirkouk a tenu sa première réunion, à laquelle assistaient le gouverneur de Kirkouk, le président du Conseil provincial, le directeur du Bureau de recensement, le Bureau de l’Éducation de la ville, le commandant militaire de la 12ème division, le commandant de la 1ère Brigade des gardes de Kirkouk, des représentants du Bureau de la reconstruction ainsi que des responsables des forces armées américaines. Des députés de l’Alliance du Kurdistan, étaient présents mais aucun représentants des partis arabes et turkmène. Les débats ont porté sur les mesures de sécurité et l’organisation du recensement, assuré par le Bureau de recensement de Kirkouk. Les fonctionnaires chargés du recensement ont exprimé une volonté optimiste de mener à bien leur tâche. Adnan Baba, directeur du Comité, a déclaré au journal Aswat al Iraq être prêt pour cela, une fois que ses cadres auront achevé une formation spéciale dans ce domaine.

Najmaddin Karim, député au parlement irakien pour la liste de l’Alliance du Kurdistan, a accordé un entretien au même journal, dans lequel il indique que des préparatifs techniques et portant sur la sécurité ont été mis en place dans la province, en soulignant que ce recensement n’était pas une « demande kurde », mais qu’il allait servir les intérêts de tous les Irakiens. Commentant l’absence à cette réunion de la liste Al-Iraqiyya, le député kurde a indiqué que cette absence ne pouvait affecter le travail des réunions, mais qu’il espérait que les élus arabes assisteraient aux prochains débats, « puisque ni les Arabes ni les Turkmènes ne soutiennent le boycott du recensement. » Pour sa part, une autre députée kurde, Aala Talabani, a souligné que « la formation d’un comité spécial pour le recensement avait été en partie décidée en réponse aux demandes des Arabes et des Turkmènes. C’est pourquoi l’absence de nos collègues d’Al-Iraqiyya n’est pas une attitude très normale. Les blocs arabes et turkmènes, d’après leurs propres déclarations, ont souhaité participer au processus de recensement, mais les députés d’Al-Iraqiyya, qui représentent les Arabes et les Turkmènes de Kirkouk, n’ont pas assisté à la réunion, bien qu’ils eussent dû le faire. Ils représentent en effet non pas leurs propres personnes mais leur liste parlementaire, surtout qu’il y a eu un accord avec cette liste et le comité du recensement. »

Un député d’al-Iraqiya, Umar al-Jibouri, a justifié cette absence par un ‘déséquilibre’ des représentants de chaque ethnie de Kirkouk dans le Comité, même si les députés arabes et turkmènes de Kirkouk membres d’al-Iraqiyya avaient auparavant été informés de la façon dont le comité de recensement se formerait, par une ordonnance du ministère de la Planification : 3 députés de l’Alliance kurde, 2 députés arabes et un Turkmène.

Dans le même temps, le 10 décembre, se tenait le Congrès général du Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani. Devant 1300 membres et un large panel d’invités, dont le prédisent irakien Jalal Talabani, le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, le président du Parlement d’Irak, Osama Al-Nujaifi et le Président du Conseil de Sécurité, Iyad Allawi, une délégation officielle turque dirigée par Abdulkader Aksu, l’un des adjoints du Premier Ministre Erdogan, le président du Kurdisan a rappelé le droit à l’autodétermination des Kurdes au cas où leurs demandes resteraient ignorées de la capitale, notamment le référendum des régions revendiquées par les Kurdes, réaffirmant que l’identité kurde de Kirkouk n’était pas « matière à marchandage ». Massoud Barzani a par ailleurs réaffirmé que le gouvernement de Kirkouk ne pouvait être unilatéral et que toutes les communautés devaient y être représentées.

Ce rappel solennel, traduisant le sentiment général des congressistes, a été largement applaudi, et aucun des invités arabes et turcs n’y a réagi, alors que les media arabes y ont donné un large retentissement. Bien que l’évocation du droit à l’autodétermination des Kurdes ne soit pas une nouveauté dans la bouche de Massoud Barzani, et bien que les officiels irakiens présents au meeting n’aient pas semblé en prendre ombrage, ces simples mots ont en effet enflammé la presse arabe, et des mouvements politiques irakiens, qui y ont vu la menace brandie d’une future « indépendance ». « Le droit à l’autodétermination concerne les peuples vivant sous occupation, et ce n’est pas le cas du Kurdistan, qui a un statut spécial en Irak », a protesté un député de la liste Iraqiyy, Alia Nusayaf. « Je me demande donc si les Kurdes ont demandé le fédéralisme avant tout pour se séparer ensuite de l’Irak. C’est une honte que parmi tous les politiques présents aucun ne se soit levé pour protester. »

Même son de cloche chiite, surtout parmi les partisans du mouvement sadriste. Ainsi, Jawad al-Hasnawi, un député de la liste chiite, considère qu’une telle déclaration ne peut qu’attiser les tensions : « Je pense qu’un Irak qui s’étend de Zakho (ville kurde à la frontière nord) à Basra est bien mieux qu’un Irak divisé. » Mais le Premier Ministre du Kurdistan, Barham Salih, a rappelé que Massoud Barzani n’avait fait qu’exprimer le sentiment général des Kurdes, en rappelant que cela ne signifiait pas forcément une déclaration d’indépendance : « Il y a, parmi les Kurdes, un consensus sur le fait que leur droit à l’autodétermination est légal, légitime. Quand nous avons appuyé un Irak fédéral, nous avons dit que c’était une forme d’autodétermination et nous n’avons jamais renoncé à ce droit. » Deux jours après le congrès, le neveu de Massoud Barzani, l’ancien Premier ministre Nêçirvan Barzani, a expliqué que le « droit à l’auto-détermination » ne signifiait pas que les Kurdes avaient, pour le moment, la volonté de se séparer de l’Irak. « Les Kurdes ont le droit à l’auto-détermination, mais nous avons décidé de rester dans un Irak uni. La déclaration du président Barzani a été mal comprise. Si nous avions opté pour l’indépendance, nous l’aurions annoncé, mais nous n’avons rien décidé de tel. Nous voulons rester dans un Irak uni et fédéral (…) L’auto-détermination est un droit naturel du peuple kurde, mais avec ce que nous avons obtenu en 2003 dans le nouvel Irak a fait que nous avons décidé de rester dans un Irak fédéral. »

Quelques jours plus tard, Massoud Barzani est revenu lui-même sur ses déclarations, mais sans reculer d’un pouce sur ce qu’il répète depuis le début de sa présidence : le maintien de la Région kurde au sein de l’Irak dépend du respect par le gouvernement central de sa constitution et que les Kurdes « resteraient dans un Irak fédéral, mais pas dans une dictature. « Des gens ont dit : les Kurdes veulent leur indépendance, laissons-les donc partir pour de bon. Mais nous répondons ceci : L’Irak est à nous, c’est notre pays. Mon message à nos frères arabes, sunnites ou chiites, à nos amis et alliés, est le suivant : Nous nous sommes engagés envers un Irak fédéral et démocratique, envers sa constitution. Mais nous ne sommes pas prêts à rester dans un Irak dominé par le chauvinisme. Les Kurdes sont une nation et par conséquent ont le droit à l’autodétermination. Le parlement kurde a décidé de rester, mais à une condition : l’Irak doit être un État fédéral. »

mercredi, décembre 22, 2010

"Pour la première fois le Kurdistan a honoré Nikos Kazantzakis"



Du 10 au 14 novembre 2010, s'est tenu à Sulaymanieh la 14ème édition du festival culturel Gelawêj. Plusieurs personnalités littéraires, kurdes ou européennes avaient été invitées dont Georges Stassinakis, le fondateur et président de la Société internationale des Amis de Nikos Kazantzakis, venu de Suisse, qui, se disant "ravi par l'accueil et l'hospitalité des organisateurs et du peuple martyr kurde" a rédigé une note sur son séjour au Kurdistan.

POUR LA PREMIÈRE FOIS LE KURDISTAN (IRAK) A HONORÉ NIKOS KAZANTZAKI
Du 10 au 14 novembre 2010, a eu lieu à Sulaymania (ville située à l'est du Kurdistan) la 14e édition du Festival Galawezh. Il comprenait des expositions de livres, de peintures et de calligraphies, de la musique et des chants traditionnels kurdes et un nombre impressionnant de conférences littéraires. Inauguré par Mme Hero Talabani, épouse du président de la République irakienne, et en présence d'un grand nombre de personnalités de la culture et de la politique, il a connu un réel succès.



Invités par le Dr. Mohsen Ahmed Omer, chef du département français à la faculté des langues de l'université d'Erbil (capitale du Kurdistan), traducteur et écrivain, ont participé des écrivains, poètes, universitaires et chercheurs francophones, tels qu'André Velter (France), Ahmad Mala (Espagne) Fawaz Hussain )France) et Georges Stassinakis (Suisse).





Georges Stassinakis, président de la Société internationale des amis de Nikos Kazantzaki (SIANK) a inauguré, le 10 novembre, le salon du livre.
Puis, le 12 novembre, il a donné en français une conférence sur "Nikos Kazantzaki et le monde", suivi d'un intéressant débat sur la nature, les femmes, la politique, la spiritualité et la position de Kazantzaki sur les Kurdes.
Dans le cadre du Festival, le président de la SIANK a rencontré plusieurs écrivains, poètes et traducteurs kurdes, arabes, iraniens et européens. Il a constaté avec une grande satisfaction leur parfaite connaissance et leur admiration pour l'œuvre de Nikos Kazantzaki. Rappelons que huit de ses romans ont été traduits en kurde (du persan, ou de l'arabe) : Alexis Zorba, La liberté ou la mort, Le Christ recrucifié, La dernière tentation, Rapport au Greco, La pauvre d'Assise, Le jardin des rochers et Les frères ennemis.



Les deux moments les plus émouvants du Festival furent la visite, le 12 novembre, de la prison de Sulaymania, aujourd'hui lieu symbolique, où des milliers de patriotes kurdes furent atrocement torturés et exécutés et le pèlerinage, le 13 novembre, du musée-monument de Halabja, village martyr bombardé aux gaz chimiques, le 16 mars 1988. Il s'en suivit, en quelques minutes, la mort de plus de 5 000 femmes, enfants et vieillards.
Ces massacres, perpétrés par Saddam Hussein et ses acolytes, resteront gravés à jamais dans la mémoire des hommes et des femmes épris de justice et de liberté.
Le 15 novembre, Georges Stassinakis a rencontré à Erbil le Dr Frédéric Tissot, Consul général de France, et Amélie Banzet, directrice du Centre culturel français. Il a offert sept romans de Nikos Kzantzaki, Le dissident, biographie de son épouse, un CD de la télévision belge francophone et le texte d'une de ses conférences sur "Kazantzaki et la France". 
À l'issue de ces rencontres fructueuses, le professeur Mohsen Ahmad Omer, responsable local depuis un an de la SIANK, procédera à la création au cours des prochains mois d'une section de la SIANK au Kurdistan.
Georges Stassinakis.
Photos ©Georges Stassinakis

Radio : Jankélévitch, Iran, Plotin

Mercredi 29 janvier à 10h00 sur France Culture : La nostalgie (3). L'irréversible et la nostalgie, de Vladimir Jankélévitch. Avec Pierre-Michel Klein. Les Chemins de la Connaissance, Raphaël Enthoven.




Jeudi 30 décembre à 9h06 sur France Culture : Le voyage à l'étranger des intellectuels, artistes et militants (4). Voyage en Iran quand la Gauche française soutenait la révolution. La Fabrique de l'Histoire, C. Guilyardi.

Vendredi 31 décembre à 10h00 sur France Culture : La nostalgie (5). Les Énnéades de Plotin. Avec Gwennaëlle Aubry. Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, Raphaël Enthoven.


mercredi, décembre 15, 2010

1998-2010 : l'évolution des rapports turco-kurdes à Mersin

Une étude intéressante de l'université de Mersin, département de sciences, lettres et psychologie (province d'Adana) reproduit plusieurs enquêtes menées dans cette ville, en 1998, 2002, 2007 et cette année, auprès de 2000 personnes : les habitants des districts d'Akdeniz et Toroslar, à fort peuplement kurde,  et ceux des districts de Yenişehir et Mezitli, à forte densité turque.

Les questions ont toujours été les mêmes et visaient à apprécier la "distance sociale" entre Kurdes et Turcs, relations, mariages, travail, etc. 

Ainsi en 1998, 12.8 % des Kurdes s'étaient dit mariés à un(e) conjoint d'origine turque. Ils n'étaient plus que  6.3 % en 2002, 0.4 %  en 2007 et 0 cette année. En 1998, 26.9% des Turcs déclaraient un conjoint kurde, 14.9 en 2002, 7 % en 2007 et 1.3 % cette année.

Concernant les "relations d'affaire" (qui induisent au Moyen-Orient des relations de confiance et des sentiments "amicaux" plus étroits qu'en Europe), 13% des Kurdes jugeaient possible d'avoir ce genre de relations avec un Turc en 1998, 16% en 2002, 15.8% en 2007 et 17.6% cette année.

Du côté turc, ils n'étaient que 1.1% à envisager d'avoir des relations d'affaire avec un Kurde en 1998, 8.7% en 2002, 15.2 % en 2007 et 22.7 % cette année.

Ainsi, les relations économiques s'accroissent en même temps que les mélanges familiaux diminuent. Cela devient presque un lien semblable à ceux qu'entretiennent les différentes communautés entre elles, par exemple à Alep où beaucoup de Kurdes font du commerce avec les Arabes et les chrétiens, entretiennent des "amitiés" masculines assez durables, mais où personne se se mélange par mariage.

Sur la citoyenneté, en 1998, seulement 2% des Kurdes jugeaient qu'ils pouvaient être citoyens du même pays que les Turcs, 6.5 % en 2002, 8.4 % en 2007 et 9.5 % cette année. 

On voit que la progression n'est pas spectaculaire, imputable peut-être à la fin de la guerre, ou au nouveau credo politique des partis kurdes. L'augmentation est plus forte chez les Turcs, 0.2 % en 1998, 0.8% en 2002, 14.6 % en 2007 et 17.2 %.

Les pourcentages sont à peu près équivalents aux "relations d'affaire". Reste à savoir que que les sujets interrogés comprennent et entendent comme "être citoyen d'un même pays", ce qu'ils sont en principe, du moins sur le papier. Le point le plus remarquable de l'étude est donc cette chute spectaculaire des mariages mixtes en parallèle avec une augmentation – dans des chiffres qui malgré tout restent modestes – des relations civiques et économiques, dans moins dans les représentations que les sujets s'en font.

Il serait bien sûr intéressant de mener les mêmes enquêtes dans d'autres lieux de Turquie et d'observer les disparités entre grandes et moyennes villes, entre les régions et les niveaux socio-économiques des groupes interrogés.


(source firat.news)

vendredi, décembre 10, 2010

Bibliothèque Numérique Kurde


Lancement sur la toile de la Bibliothèque Numérique Kurde, qui a pour objectif de proposer au public la lecture et le téléchargement de quelques milliers d'ouvrages, de photos, de cartes, de vidéos, de sons (libres de droits, pas taper)...

Bien sûr, ce fonds ne cessera d'être alimenté et peu à peu enrichi, à la mesure de la taille de la bibliothèque traditionnelle déjà existante.

mercredi, décembre 08, 2010

Concert-hommage



« LA PASSION DE JESUS CHRIST »
Église Saint-Roch - le 11 décembre 2010 à 20h30
296, rue St Honoré, Paris 1er – Métro Pyramides, Tuileries
Libre Participation - Accueil à partir de 20h


À l’initiative de l’Œuvre d’Orient, de Chrétiens de la Méditerranée et de Pax Christi France , un concert en hommage aux chrétiens d’Irak et à toutes les victimes du conflit irakien sous la présidence d’honneur de Mgr. Sako, Archevêque de Kirkouk (Irak), lauréat 2010 du prix de la paix décerné par Pax Christi International.
180 choristes, dirigés par André Gouzes et Jean François Capony, interprètent « La Passion de Jésus Christ » d’André Gouzes.
Ce concert est organisé en réponse à l’appel des évêques irakiens, suite à l’attentat sanglant du 31 octobre à Bagdad :
« Votre amitié nous encourage à rester sur notre terre, à persévérer et à espérer. Sans cela nous nous sentons seuls et isolés. »
Ce concert spirituel se présente comme une grande fresque sonore débutant par le tableau de l'entrée à Jérusalem lors des Rameaux, se poursuivant par l'institution de la Cène et le Jardin des oliviers jusqu'au récit proprement dit de la Passion selon Saint Jean.
Toutes les œuvres musicales du concert sont extraites du corpus de la « Liturgie chorale du peuple de Dieu » composé par le Père dominicain André Gouzes.
Jean-François Capony, chantre à l’Abbaye de Sylvanès, dirige les 180 choristes du chœur Saint-Ambroise, du chœur des Chantres d’Ile-de-France, et des chorales liturgiques d’Ile de France, d’Auvergne, d’Alsace, du Nord et de Belgique qui se produisent gracieusement.

Rencontre avec Pınar Selek

Jeudi 16 décembre de 19h00 à 21h00, Mairie du 10e arrondissement de Paris, l'Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT) organise une rencontre avec la sociologue Pınar Selek sur le thème :


La lutte contre la culture de la violence en Turquie


2 rue du Faubourg St-Martin 75010 PARIS Métro : Château d’Eau Informations : 01 42 01 12 60





mardi, décembre 07, 2010

Qalandars kurdes et qualandars noirs

D'après l'auteur du Qalandar-namâ de Tashkent qui écrit entre 1320-1350 et qui a adopté pour lui-même et ses disciples le modèle du majdhûb/abdâl, le fondateur de la secte islamique des Abdâl serait un certain Abû'l-Wafâ' (m. 501/1107). Les sources anciennes s'accordent sur le fait qu'Abû'l-Wafâ' était un "Kurde". De même que l'"abdalisme" et le "qalandarisme" ont été turquisés, de même ce Kurde a été turquisé. Un nombre considérable d'"Indiens" en provenance du Sind et de Transoxiane se sont installés en Arménie/Kurdistan. Contentons-nous pour l'instant de dire que la trace de ces Indiens peut être retrouvée à l'intérieur de la minorité des Kurdes yézidis, et que le dénommé Abû'l-Wafâ' a été le maître du shaykh 'Adî (m. c. 558/1162), lequel shaykh 'Adî est le chef spirituel des Kurdes yézidis. Sachant que les Yézidis ne sont pas des Turcs et qu'à cette époque Turcomans et Kurdes se vouaient une haine féroce et s'exterminaient les uns les autres, on peut se demander à quelle espèce de Kurdes Abû'l-Wafâ' appartenait et quel genre de cause il défendait. Que signifie en effet cette mystérieuse convocation chez le calife al-Qâ'im bi-amri'llâh (r. 422-467/1031-1075) ? Le calife aurait craint qu'en sa qualité de seyyed (ou de soi-disant seyyed Abû'l-Wafâ' fasse valoir ses droits au califat. Qu'il s'agisse ou non d'une fiction inventée par l'auteur de ses "Actes" pour le grandir, il semble qu'avec ses "quarante compagnons", ce Kurde devait avoir une conception suffisamment activiste de la sainteté pour figurer au rang de chef spirituel des ascètes agitateurs.

"Chef spirituel des ascètes agitateurs", ça a de la classe, quand même...

Les qalandars dâghî, büryân, "brûlés", et les Tûrlâq, Torlak ou "Torlaqui" qui seront si savoureusement décrits par les voyageurs, ne sont qu'un seul et même type d'ascètes  agitateurs. En turc ancien (dérivé du persan) le marquage au fer rouge se disait dâghlaghî. Ce mot difficile à prononcer a été transmis sous la forme "Torlaqui" par les voyageurs. Tûrlaq est par ailleurs le nom de la "fosse à charbon de bois". Cela signifie-t-il que les qalandars étaient noirs ? brûlés ? ou les deux à la fois ?
Une précision s'impose avant de continuer : les qalandars noirs étant qualifiés de "kurdes" il es tpeu probable qu'ils aient été des Africains.
Les Jalâlî détachés d'une tribu kurde qui existait depuis au moins le Xe siècle – elle est mentionnée par Mas'ûdî et par Ibn Hawqâl – étaient une bande de brigands dirigés par un certain 'Abd al-Halîm alias Qara Yâzîjî, le "Scribe noir", chef des Sagbân, des "gardiens de chiens". Le détachement des Sagbân avait été intégré à l'armée des Janissaires. Ils étaient six mille sous Bâyazîd. Avec ses vingt mille soldats pour beaucoup recrutés dans la masse des déserteurs qui avaient pris la fuite pendant la campagne de Hongrie, Qara Yâzîjî prendra Edesse et les montagnes environnantes en l'an 1008/1599. Les Jalâlî tiendront en échec l'armée du sultan pendant trente ans. Qara Yâzîjî, Qara Sa'îd et Qaraqûsh Ahmad ("le Corbeau") associés vers 1520 à un dénommé Kalender Oghlû ("Fils de qalandar"), que certaines sources ottomanes mettent en relation avec les Torlak, tous ces Qara–X avaient probablement la peau noire (qara). Dans son récit de la prise de Bitlîs (Kurdistan, sud de Van) par Malik Ahmad Pacha en 1655, Evliyâ fait le portrait d'un chef kurde du nom de Qara 'Alî. Ce brigand littéralement "noir de peau" (siyah chehre) appartenait lui-même à la division des Sagbân de la région de Van dont Mehmet IV (r. 1648-1687) avait décidé la dissolution. Les "Kurdes" qui avaient infligé de lourdes pertes aux troupes de Selim Ier envoyées contre les Perses safavides (bataille de Châldirân, 920/1514), seront assiégés dans la citadelle de Diyarbakir par l'armée du sultan. Ces "Kurdes" sont décrits comme des kafirler 'üryân-u büryân, comme des "mécréants nus et brûlés". Également "nus et brûlés" les disciples du shaykh Mahmûd d'Urmiya entrés en rébellion encore et toujours à Diyarbakir. Ce shaykh avait dû quitter l'Azerbaïjan après la conquête de Shâh 'Abbâs (1603). Actif défenseur des droits des paysans surchargés de taxes, il sera exécuté par Murâd IV. La flagellation au couteau pratiquée par ses disciples permet de placer ceux-ci dans la même catégorie que les qalandars lacérés de type Haydarî appelés "Torlaqui" par les voyageurs, et dont Badr al-dîn  de Sâmâvna et Torlak Kemâl ont été les chefs.
Connaissant l'"impureté" qui frappe le chien en islam, on peut maintenant se demander dans quel milieu les sagbân étaient recrutés. Les éleveurs, dresseurs et marchands de chiens (avec les marchands de vin) ont fait partie des exclus en Inde et en islam. Le chien, qui se charge de la voierie et se roule dans le fumier, est sale. L'entrée lui est interdite dans les temples en judaïsme et en islam, et l'impie est ordinairement traité de chien (KLB). En Inde, le contact accidentel avec le chien obligeait les brâhmanes à prendre un bain tout habillés. En islam, il faut laver la partie souillée. Dans son Langage des oiseaux et dans l'esprit malâmatî qui l'anime, 'Attâr raconte l'histoire d'un shaykh amoureux de la fille d'un sagbân, à qui la mère avait suggéré d'adopter le plus dégradant des métiers afin de lui prouver son amour. L'élevage des chiens combiné avec le commerce des boissons interdites et du haschich, apparemment aux mains des Sagbân, concorde avec ce qu'on sait des Kharafîsh supposés musulmans et des parias de la société indienne.
Des tribus kurdes localisées dans les montagnes du Sinjâr par Evliyâ – et qui sont des Yézidis – adoraient le chien noir et coupaient la tête à ceux qui lui lançaient des pierres. Sir Rycault, ambassadeur du roi d'Angleterre à Smyrne en 1662, les a décrits au même moment. Contrairement aux musulmans qui le détestent et qui en ont régulièrement organisé le massacre, les Yézidis (et les Tsiganes) soignent leurs chiens comme ils soignent leurs enfants. Les chiens remplissent le rôle de passeurs dans leur rituel funéraire. Le culte du chien est suffisamment rare pour que soit évoquée à son propos la décision prise en 724 par le calife Yazîd II d'exterminer les chiens d'Arménie, avec les pigeons et les coqs blancs. Le chien noir est l'animal fétiche des hors-castes, il est le substitut de Shiva/Bhairava, le "Noir". 
*
Ce survol des mouvements insurrectionnels de type qalandarî qui ont semé le trouble dans l'ancien Empire romain depuis (au moins) le XIIIe siècle et dans l'Empire ottoman jusqu'au XVIIe siècle nous place face à une population dont les caractéristiques croisées posent problème :
1) sur le plan ethno-religieux : redondance de l'élément kurde "noir" et de l'élément arménien chrétien.
2) sur le plan typologique : redondance de la nudité et du marquage au feu et à la lame, anachronique en islam,
3) sur le plan social : combinaison d'activités para-militaires et de performances de type "para-normal" de dimension spectaculaire.
Si l'on fait la somme des points communs qui ont existé entre les qalandars et certaines minorités hétérodoxes du Kurdistan (Turquie et Iran) comme les Ahl-i Haqq, si l'on prend en compte le fait qu'il y a eu des qalandars Jalâlî au Kurdistan et des qalandars Jalâlî dans le Sind et que les textes associatifs des Jalâlî et des Ahl-i Haqq ont un air de famille évident, et enfin si l'on mesure quel poids mort les ascètes ou les qalandars venus de l'Inde ont représenté pour les sultans ottomans, on est bien obligé d'admettre qu'il y a eu des échanges autres que commerciaux entre la Turquie et l'Inde.

Christiane Tortel, L'Ascète et le Bouffon. Qalandars, vrais et faux renonçants en islam : I. Le Paria et le Bouffon : III. Sainteté et subversion.

lundi, décembre 06, 2010

Les dessous des confréries de qalandars

La classification chaotique des qalandars en deux confréries mal distinguées l'une de l'autre au départ – à première vue induite par la quasi-homonymie qui frappe les noms de leurs fondateurs respectifs Sâwahî (ou Sâwajî) et Zâwahî, l'un et l'autre surnommés Qutb al-dîn Haydar, et le fait que ces confréries aient été infectées par le virus de l'escroquerie avant même leur création, permettent de fonder l'hypothèse de la réappropriation d'un modèle pré-existant par les soufis.
Ces deux confréries sont :
1) Les Porteurs de chaînes Haydarî à cheveux longs et sexe verrouillés par un anneau ou une broche de métal, rattachés à Jamâl al-dîn Zâwahî, alias Qutb al-dîn Haydar (m. c. 618/1221), confrérie théoriquement fondée dans l'Est iranien.
2) Les Porteurs de cilice Jawâlîqî au corps entièrement rasé, rattachés à Jamâl al-dîn Sâwahî/Sâwaj, alias Qutb al-dîn Haydar (620-630/1223-1232), confrérie fondée à Damas.
Pour al-Jawbarî, qui a consacré son œuvre unique à décrire les bas-fonds de la société islamique du XIIIe siècle, les Haydarî vus à Damas sont des faux ascètes anesthésiés au haschisch qui se donnent en spectacle au péril de leur vie en se frappant avec des couteaux, à la manière du rind de 'Attâr. À quelle confrérie précise appartenaient ces Haydarî ?
Dans le procès qu'il fait des Jawâlîqî vers 683/1284, le moraliste Kâtib Chelebî donne sur le fondateur de l'ordre et sur ses premiers disciples des précisions qui ne s'accommodent guère avec ce que dit sa biographie dorée. Sodomites et drogués, les Jawâlîqî souillent les mosquées – qu'ils comparent à des "étables" en y pénétrant avec leurs chiens et en s'y livrant à la débauche. Le très chaste Sâwajî se trouve nanti d'un giton dénommé Garûbad, totalement inconnu dans les sources arabes ou persanes. Ce garçon fait penser à l'"apprenti" qui accompagne les mendiants professionnels et qui leur sert de partenaire dans leurs tours de magie et de complice dans leurs escroqueries. Le nom de Garûbad, que l'auteur donne à ce garçon, n'est pas un nom "orthodoxe". Il s'agit d'un nom d'origine arménienne. Garabed est aussi répandu chez les Arméniens que Muhammad ou 'Alî chez les musulmans. Il signifie le "Précurseur" en arménien, et c'est l'épiclèse du prophète Jean-Baptiste. Saint Garabed fera l'objet d'un culte très développé en Arménie. Le premier monastère dédié à Jean-Baptiste sera construit à Ashtisat par Grégoire l'Illuminateur, évangélisateur de l'Arménie au début du IVe siècle. Cette ville, qui deviendra la capitale religieuse de l'Arménie et qui se trouve dans la région de Mush, était autrefois située dans la province du Tarôn (Tarôsnitis de Strabon XI, 14.5). La province sera intégrée au Kurdistan, créé par le sultan seljûqîde Sanjar au XIIe siècle. Or c'est dans le Tarôn que l'Illuminateur est réputé avoir converti une colonie d'"Indiens" (sic) installée sur place depuis cinq siècles, et sur laquelle nous reviendrons plus en détail. À l'époque où Sâwajî circule avec Garabed, des qalandars (runûd : pluriel arabe, randân : pluriel persan) dits arméniens jouent de la musique dans les tavernes de Konya.
Si l'on en croit Kâtib Chelebî, les premiers disciples de Sâwajî étaient des Kurdes : "Muhammad Kurd, Smas Kurd étaient tous les deux des Kurdes. Ils étaient des mages et des adeptes de Mazdak", et l'épicentre de leurs orgies se trouvait dans la ville de Mossoul. Mossoul, grand carrefour commercial depuis des siècles, a été un foyer "tsigane" important comme nous le verrons au chapitre VIII. "Kurde" et "arménien" désignent les mêmes populations, tout dépend à quelle époque on se place, "arménien" étant compris dans un sens aussi mal défini que "kurde". Aucun "Kurde" n'apparaît dans les "Actes" de Sâwajî rédigés cent ans plus tard. Le fait que Chelebî qualifie les Jawâlîqî de "kurdes" est plus instructif que l'anathème qu'il jette sur eux en les traitant de mages et de mazdakiyya, qui sont des termes génériques empruntés au répertoire classique de la diffamation.
Dans la littérature des siècles passés, les Kurdes ont été généralement décrits comme des bandits. Mais des bandits d'un genre très spécial en ce qu'ils s'attaquaient de préférence et avec davantage de cruauté aux musulmans descendants de Prophète. La cruauté sélective de ces "Kurdes" peut s'expliquer par la présence parmi eux de rescapés des massacres des Sindhî déportés en Irak, expulsés par les Arabes en Syrie du nord et dispersés au Kurdistan (chapitre VII).
Le territoire "barbare" où le malheureux bédouin de 'Attâr s'était fait "plumer" par les qalandars pourrait donc se situer quelque part sur les marches du Kurdistan, entre Mossoul et Hamadan.
Si l'origine "kurde" du premier qalandar "iranien" Bâbâ Tâhir et des premiers Jawâlîqî est un argument pour l'instant faible contre l'hypothèse iranienne du modèle, le caractère dégénéré du mouvement peu de temps après la création des confréries "orthodoxes" est difficile à expliquer d'un point de vue islamique.
La présence de mendiants de type qalandarî connus en islam arabe sous d'autres noms avant la création des confréries spécifiques aux qalandars va confirmer les présomptions qui pèsent sur l'origine non islamique de l'archétype.

Christiane Tortel, L'Ascète et le Bouffon. Qalandars, vrais et faux renonçants en islam : I. Le Paria et le Bouffon : chapitre 1 : "Mendiant ivrogne et débauché ou ascète ivre de Dieu ? "


vendredi, décembre 03, 2010

La "nudité de Bâbâ Tâhir" ou le premier qalandar

Le premier qalandar historique attesté en islam émerge de la littérature persane du Xe/XIe siècle. Bâbâ Tâhir 'Uryân, le "Nu" (m. c 410/1019) a été un ascète et un poète. Il a vécu à Hamadan, au Kurdistan, une ville dont le nom est également associé au poète iranien Fakhr al-dîn 'Iraqî (m. 688/1289), qui s'y éprit d'un jeune qalandar qu'il allait suivre jusqu'en Inde.
Quand Bâbâ Tâhir dit : "Je suis ce paria (rind) qu'on appelle qalandar, rien ne m'appartient, et je n'ai ni toit ni foyer ; le jour, je vagabonde de par le monde, et la nuit, j'ai une brique pour oreiller", il se définit comme un exclu qui vit dans la rue. Sans doute est-ce encore un effet pervers du syndrome du qalandar perçu exclusivement comme un musulman qui a conduit le grand iranisant Fritz Meier à traduire rind par pîr, par "maître spirituel". Cette traduction contredit le fait que Bâbâ Tâhir était solitaire en lui prêtant des disciples. Ces disciples n'apparaissent nulle part dans son œuvre et leur introduction dans le soufisme kurde relève à l'évidence de revendications d'ordre ethnique. Le dialecte lûrî dans lequel s'est exprimé le poète, très retouché par ses éditeurs iraniens (de l'avis des Kurdes), pose la question de sa proximité avec certaines minorités "kurdes" qui ont joué un rôle dans la formation du qalandarisme.
Maintenant, que faut-il comprendre dans l'épithète de "Nu" que porte Bâbâ Tâhir ? Faut-il considérer la nudité de Bâbâ Tâhir au premier degré ou l'appréhender comme une métaphore du détachement ? En dehors de l'Inde où cette coutume était répandue chez les ascètes depuis des siècles, la nudité de Bâbâ Tâhir et d'un grand nombre de qalandars pose problème. La nudité est proscrite en islam. L'islam exige en effet que les hommes se couvrent du nombril jusqu'aux genoux. Le qaladanr Sarmad Shahîd sera décapité à Dehli en 1659 pour cause (prétextée) de nudité par un roi musulman fanatique. La tolérance de la nudité corporelle de Bâbâ Tâhir pourrait se justifier s'il avait été fou – la folie suspend l'application de la Loi – mais les poèmes que le qalandar a laissés derrière lui le montrent en pleine possession de ses moyens. Mais laissons là la tentation de donner un sens subversif à cet aspect du personnage en opposant corps social vêtu et corps asocial dévêtu, spéculation que le contenu de ses poèmes n'autorise pas à défendre, et posons-nous plutôt la question : "La nudité de Bâbâ Tâhir est-elle une marque d'hétérodoxie ou la survivance d'une tradition étrangère à l'islam, perçue comme une hétérodoxie ?" Ceci équivaut à poser en d'autres termes la question de l'archétype du qalandar.
Christiane Tortel, L'Ascète et le Bouffon. Qalandars, vrais et faux renonçants en islam : I. Le Paria et le Bouffon : chapitre 1 : "Mendiant ivrogne et débauché ou ascète ivre de Dieu ? "


Prince of Assyria

TV, radio : guerre d'Irak, Tancrède le Normand, Baloutches d'Iran

TV

Lundi 6 décembre à 22h40 sur Canal + Doc : Guerre d'Irak, les dossiers secrets, Marc Sigsworth (Fr., 2010).

Radio

Samedi 4 décembre à 18h30 sur Fréquence protestante : La saga de Tancrède le Normand, avec la romancière Viviane Moore. Actuelles, C. Castelnau.

Dimanche 5 décembre à 6h10 et 22h10 sur France Culture : Chez les Baloutches d'Iran, avec Stéphane A, Dudoignon, auteur de Voyage au pays des Baloutches, Iran, début du XXIe siècle (Cartouches). Cultures d'islam, A. Meddeb.


Présentation de l'éditeur
Le voyageur auquel il prendrait la fantaisie de se rendre au Baloutchistan d'Iran aura soin de décliner les offres d'éventuels chaperons de l'escorter une kalachnikov sous le bras, n'empruntera pas les routes seul, de nuit, à bord d'un rutilant 4 x 4 et ne s'intéressera aux affaires religieuses régionales qu'avec circonspection. D'une façon générale, il se fera discret pour visiter cette zone à la pointe sud-est de l'Iran, aux frontières du Pakistan et de l'Afghanistan. Là, au carrefour délaissé des mondes persan, arabe, indien et africain, l'auteur a voyagé de déserts en palmeraies, de mosquées de style Bollywood en villes sans architecture, a tenté d'échapper à la sollicitude des sectes d'imitateurs du Prophète et a côtoyé les adorateurs de l'Esprit des Eaux...
Biographie de l'auteur
Stéphane A. Dudoignon. Historien de l'Asie centrale moderne et contemporaine, Stéphane A. Dudoignon est chercheur au CNRS et chargé de conférence à l'EHESS après avoir été, notamment, chercheur invité à l'Université de Tokyo (1998-2000). Editeur du Central Eurasian Reader, revue biennale en anglais de bibliographie critique sur l'Eurasie Centrale, il est le co-auteur de deux films documentaires, Asie Centrale, états d'urgence (1991) et Caucase : chaos d'empire (1992), et le traducteur de plusieurs œuvres des littératures modernes et contemporaines d'Asie centrale et du Caucase. En 2004, il s'est lancé dans une recherche sur l'histoire des renouveaux sunnites contemporains en Iran, depuis les années 1930.

Broché: 215 pages
Editeur : Cartouche (5 février 2009)
Collection : Voyage au pays des...
Langue : Français
ISBN-10: 291584237X
ISBN-13: 978-2915842371




mardi, novembre 30, 2010

Hommage à Ahmet Kaya



À l'occasion du 10ème anniversaire de la mort du chanteur Ahmet Kaya, décédé à l'âge de 43 ans à Paris, un hommage lui sera rendu samedi 4 décembre à la mairie du Xème arrondissement de Paris, de 15h00 à 20h00, en présence de Mme Gülten Kaya et de leur fille Melis.

Programme

15h00 : Mot de bienvenue de Rémi Féraud, maire du Xème arrondissement.

Projection d'un documentaire : « Mon cerf-volant s’est pris dans les barbelés/ Un film pour Ahmet Kaya » (« Uçurtmam tellere takıldı / Ahmet Kaya için bir film ») Gülten Kaya / GAM Production, une biographie d’Ahmet Kaya.

15h00 – 20h00 Rencontre-débat, avec : 

Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH
Hasan Cemal, journaliste-écrivain
Can Dündar, journaliste-documentariste
Perihan Magden, journaliste-écrivain
Şivan Perwer, musicien kurde en exil.
Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris


Mairie de Paris - 10ème arrondissement - 72, rue du Faubourg Saint-Martin - 75475 PARIS.
Inscription préalable obligatoire (date limite 3 décembre à 17h00) : S'inscrire en ligne.

PARIS : CONFÉRENCE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE « L’IRAN EN 2010 »


Le 27 novembre s’est tenue à l’Assemblée nationale une conférence organisée par l’Institut kurde de Paris, avec pour thème : L’Iran en 2010. Les manifestations massives qui ont suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmedinejad à la présidence de la République Islamique, ont montré l'ampleur du mécontentement des populations urbaines et celle des clivages internes qui travaillent le régime iranien depuis plusieurs années. Malgré son intensité, la crise de 2009-2010 a également démontré la capacité du « système Ahmedinejad », qui dispose du soutien du Guide de la Révolution, de contrôler la quasi-totalité des rouages de l’Etat et de mobiliser autant les Pasdaran, les Bassidj qu’une série de fondations para-étatiques. En s’éloignant des débats autour de l’enjeu nucléaire, qui occupe souvent la une de l’actualité en Europe, cette journée d’études souhaitait offrir quelques éléments pour comprendre la situation iranienne depuis le premier mandat d’Ahmedinejad (2005) et sans chercher l’exhaustivité, a tenté de répondre à une série de questions :

Quel est le rôle de l’héritage de la révolution de 1979 et de la Guerre Iran-Irak dans le tournant « millénariste » pris sous le régime d’Ahmedinejad ? Comment le Velayet-e faqih (gouvernement des jurisconsultes), organe suprême du pays, légitime-t-il son pouvoir ? Comment les structures du pouvoir ont-elles évolué depuis une demi-décennie ? Qu’en est-il des inégalités sociales et économiques entre les différentes provinces ? Comment comprendre les nouvelles formes de contestation de certaines communautés non-persanes et/ou non-sunnites du pays ? Comment peut-on cartographier les mouvements politiques et sociaux des populations persanes ? Qu’en est-il aujourd’hui des luttes féministes si importantes au tournant des années 2000 ? Qui sont les acteurs du « cyberespace » qui, dans le contexte du contrôle étroit de la presse, est devenu le principal vecteur de nombre de communications et de socialisations parallèles dans les centres urbains ?

La première table ronde modérée par Jonathan Randal, ancien correspondant du Washington Post au Proche-Orient, réunissait Hashem Ahmadzadeh, maître de conférences à l’université d’Exeter, Thierry Coville, professeur aux écoles supérieures de commerce et de management Negocia et Advancia, de Paris, Christian Bromberger, professeur d'ethnologie à l'Université de Provence, Christian Bromberger, professeur d'ethnologie à l'Université de Provence, et Ahmed Salamatian, ancien député iranien. La table ronde a débattu des dynamiques de la crise de 2009-2010.

Selon Ahmed Salamatian, s’il faut chercher un élément constant de la situation iranienne depuis la révolution islamique, c’est la « dépendance entière de l’État à l’égard du pétrole ». dépendance qui, d’ailleurs, peut être retracée dès 1926, « depuis que la compagnie BP a organisé le coup d'État de 1926 », dépendance qui lui permet par ailleurs de se passer du peuple pour faire fonctionner son économie, tout en se heurtant au même type d’opposition venue de la rue, presque inchangée depuis le début du 20ème siècle : « Cet Etat a toujours disposé de revenus fixes et importants en raison de la continuité de la demande pour le pétrole. Imaginons que Louis XVI n'ait pas eu besoin de lever de nouveaux impôts, il n'aurait pas eu besoin de convoquer les états généraux. Les dirigeants iraniens n'ont pas besoin de consulter leur peuple et de percevoir ses impôts pour prendre des décisions politiques. Mais depuis 1905, la population cherche à prendre en main son propre destin : les sujets veulent devenir des citoyens. Ainsi, en 2009, on retrouve dans les rues des grandes villes iraniennes les mêmes mots d'ordre que ceux de la révolution constitutionnelle, qui se mobilisa pour défendre le Parlement, bombardé par les soldats du chah. »

Mais un des changements spectaculaires de l’évolution de la société iranienne est l’urbanisation accélérée du pays, processus entamée à la fin du règne du dernier Chah. Aujourd’hui, la population de l'Iran est urbaine à 65 %, ce qui implique de profondes mutations dans la société iranienne. « Il y a 30 ans, l'imaginaire iranien -- incluant la perception de la religion -- était essentiellement campagnard. Maintenant c'est Téhéran, la mégalopole, qui rassemble le plus de minorités : kurdes, sunnites, azéris ! Il faut parler azéri pour faire ses courses en ville ! Il y a à Téhéran plus d'un million et demi de sunnites […] À Ispahan, il y a maintenant un quartier entier des Sanandajis ! Lors d'une visite à l'université libre de cette ville, j'ai pu voir que les dortoirs universitaires hébergent des étudiants de 17 origines différentes. »

Conséquence de l’urbanisation, l’affaiblissement des liens traditionnels, l’abaissement de l’âge du mariage se sont affaiblis, l'âge moyen du mariage (26 ans), et le « développement d'une classe moyenne si dynamique que sa sphère culturelle dépasse largement sa sphère sociale. Maintenant, le premier investissement pour une famille se fait dans l'éducation. »

Sur le caractère « religieux » prêté volontiers au régime iranien (et ostensiblement affiché par ce dernier), Ahmed Salamatian apporte une nuance en rappelant que « en 2005, l'élection d'Ahmadinejad survient huit ans après la guerre Iran-Irak. Lui et son équipe sont tous des jeunes engagés à la 25e heure de la révolution islamique et de la guerre Iran-Irak, et formés dans cette guerre : les pasdaran et bassidji des années 80 deviennent alors membres des cabinets ministériels. On est bien loin des vicaires de l'Imam caché sur terre. On assiste à la naissance d'une sorte de « religion séculière ». On n'en est même à dire comme l’a fait Khomeiny, que si le Velayat-e Fagheh l'exige, on pourra interdire le Hajj ! Dès la succession de Khomeini, on supprime la nécessité pour le Guide d'être une source d'imitation. On a quitté le champ du religieux pour considérer la capacité du guide à assurer au mieux la cohésion des différents services de renseignement, la lecture quotidienne des rapports de ses services a remplacé celle des textes théologiques ! Loin des idées de l'Imam caché etc., ce qui compte, c'est la survie de l'appareil militaire et de renseignement grâce à la rente pétrolière. »

Enfin, la donne nouvelle dans les rapports des Iraniens avec leur pouvoir est l’essor des nouvelles technologies de l’information dans un pays qui compte 27 millions d'internautes, avec des sites comme YouTube ou Facebook qui ont une audience dépassant celle des media traditionnels comme la BBC en persan. « C'est la première fois qu'une société fait l'expérience de l'utopie islamiste est arrive à la position de chercher à sortir ce qui est devenu un cauchemar -- une religion idéologisée à outrance, un véritable désenchantement. Aujourd'hui le choix n'est pas entre un pouvoir religieux et une société areligieuse, mais entre une société civile qui cherche les moyens de vivre ensemble et un pouvoir qui se rend compte qu'il ne peut survivre qu'en se militarisant. D'où l'importance de la situation géopolitique, et non pas de la question nucléaire. »

Le professeur Hashimzadeh, qui a pris ensuite la parole, a évoqué la question des minorités en Iran, en prenant principalement la question des Kurdes en exemple, et de leur participation ou non aux élections présidentielles depuis 1979. « La tendance de la périphérie est de s'intégrer quand le centre s'ouvre. Mais quand le centre se referme, la périphérie réagit par le boycott. Juste après la révolution, il y a eu des négociations entre les Kurdes et M. Radjavi, qui s'était dit prêt à accepter les 14 points de la délégation kurde. Mais Radjavi ne put finalement participer aux élections, et les autres candidats furent confrontés au boycott kurde. À noter que 80 % des Kurdes d'Iran, qui sont sunnites, ne peuvent donc être élus à la présidence.

Le Kurdistan fut le seul le lieu d'Iran ou le candidat Rafsandjani n'arriva pas avec le plus grand nombre de voix. » Ce qui a rompu la politique de boycott des mouvements kurdes fut l’attitude plus favorable des candidats Moussavi et Karroubi aux élections de 2009 concernant les droits culturels des minorités ethniques, énoncés dans les articles 15 et 19 de la constitution, le premier mentionnant les droits de l’enseignement dans une langue autre que le persan et le second « faisant référence à l’appartenance ethnique ». Beaucoup d’étudiants kurdes (ils sont 70 000 en Iran) ont ainsi soutenu la candidature de Mehdi Karroubi (lui-même appartenant à l’ethnie lur).

Cependant il faut noter une relative passivité des régions rurales lors des manifestations de la « révolution verte » contestant la réélection d’Ahamdinjejad, qui est un mouvement essentiellement urbain.

La question des minorités est poursuivie par le professeur Christian Bromberger qui rappelle que « en 2006-2007, le slogan du Guide était : « unité nationale, cohésion islamique » c’est-à-dire induisant une « répression classique de tout intérêt pour la pluralité ethnique. » Cette politique d’unification ethnique « volontariste » remonte à l’avènement de Reza Chah (1925) : « À partir de Reza Shah, l'Iran mène une politique volontariste d'unification ethnique. « Unité nationale » signifie que le persan est considéré comme la langue unique et jusqu'à la diversité vestimentaire est interdite. Le terme de « Ostan », utilisé pour désigner les provinces, provient de l'époque sassanide. Aucun Ostan ne correspond à un groupe ethnique, et c'est volontaire. »

La question minoritaire ethnique se double d’ailleurs souvent du problème des minorités religieuses puisque, hormis les Azéris, la plupart des ethnies musulmanes non persanes sont sunnites, alors que les Persans et les Azéris chiites barrent l’accès, en plus du pouvoir religieux, à la représentation politique des provinces sunnites et à leur développement économique : « : rappelons qu'il n'existe pas une mosquée sunnite à Téhéran ! De même, le gouvernement ne comprend pas un seul ministre sunnite. En faisant référence à ces zones sunnites entourant l'Iran, on a pu parler d'un « arc sunnite oriental » en partie située en Asie centrale.

À la difficulté politique vécue par ces groupes ethniques périphériques, vient s'ajouter la médiocrité de leur situation économique. » Les revendications de toutes ces minorités ethniques sont très diverses, en fonction de leur nombre démographique, de leur histoire et des mots d’ordre de leurs mouvements politiques, allant de « manifestations culturelles, radicalisation autonomiste, jusqu'à l'action violente », par exemple le PJAK kurde, face auquel l’État par des exécutions, et par le bombardement de villages kurdes situés au Kurdistan d’Irak, à l’instar de la Turquie. « Mais il existe d'autres procédés moins visibles. Ainsi, la « semaine de la défense sacrée », consiste en un défilé des minorités en habits traditionnels. Et dès qu'une association locale est créée par une minorité, le centre réagit en créant ses propres associations, officielles, le soutenant. La même technique est utilisée pour les revues. Les services culturels du Centre savent très bien récupérer les festivals locaux, ainsi que les activités qui prennent place dans la maison des groupes ethniques, à Téhéran, où on insère des discours religieux ou de soutien à l’Etat. »

Concernant la situation des Kurdes, Christian Bromberger note la vitalité culturelle et politique de la société kurde en Iran, avec une « véritable fièvre éditoriale et associative ».

Le professeur Thierry Coville se livre à une analyse poussée de la situation économique de l’Iran, qu’il qualifie d’emblée de « mauvaise », notamment avec les deux chocs de 2008 : d’une part « l'injection populiste des pétrodollars dans l'économie par le président Ahmadinejad a provoqué une inflation de 10 à 20 % puis un freinage de l'économie. Ensuite, suite à la crise financière de l'été 2008, la demande en pétrole ayant chuté en raison du ralentissement économique général, le prix du pétrole a baissé. Ainsi le FMI, après avoir calculé une croissance de 6 %, a fait une estimation à 2 % pour 2010. » Les sanctions de la communauté internationale, et notamment bancaires, ont également pesé sur l’économie.

Malgré cela, l’Iran a de quoi faire face à de telles sanctions. 65% de ses recettes proviennent des revenus pétroliers, et la hausse du baril (de 70 à 80 $) lui est évidemment favorable, permettant à ce pays d’être très peu endetté (moins de 10% du PIB), et de se constituer de grosses réserves monétaires, de 80 à 100 milliards de dollars. De plus, le secteur de l’exportation connaît un grand essor vers les pays frontaliers.

Passant en revue les maux dont souffre l’économie iranienne, Thierry Coville en pointe plusieurs : l’inflation, le mauvais état du système bancaire, le déficit budgétaire et le taux de chômage : « Le grand problème demeure l'inflation, qui a eu un impact sur la campagne électorale de 2009. La banque centrale iranienne a annoncé un ralentissement de l'inflation, de 20 % en 2009 à 10 % pour mars 2010. Mais personne n'y croit ! Les citoyens iraniens sont par exemple confrontés à une augmentation de 22 % des frais médicaux. Et c'est la classe moyenne qui souffre le plus de cette situation. Le système bancaire iranien est en très mauvais état. Le développement des prêts a été un échec total, le FMI estime que 20 % de l'actif des banques iraniennes n’a aucune valeur. Depuis deux ou trois ans, on assiste à un grand développement des banques privées. C'est peut-être pour contourner les sanctions, mais la frontière est très floue entre public et privé en Iran. Ainsi de nombreuses fondations sont très liées avec les pasdaran. Il existe un assez important déficit budgétaire : officiellement il est à 6 % du PIB en 2008 et à 4 % de 1009. Ces chiffres soulèvent des doutes […] Le taux de chômage, officiellement à 9 % de 1009 et à 14 % en 2010, doit certainement en réalité être beaucoup plus élevé. » L’effet des sanctions internationales se fait moins sentir sur « les groupes qui sont proches du régime […] car ils ont su depuis 20 ans développer les moyens de les contourner, mais le secteur privé, lui, en souffre beaucoup. Ainsi « le taux de change du marché noir s'est effondré en octobre 2010 alors que jusqu'alors il était identique au taux officiel. Ce pourrait être lié à une inquiétude par rapport aux sanctions, car les banques iraniennes ne parviennent plus à trouver de partenaires extérieurs, même aux Émirats Arabes Unis : les banques étrangères ont peur des représailles américaines si elles travaillent avec l'Iran. L'Iran travaille donc plus à présent avec l'Asie, notamment la Chine et la Russie, mais aussi avec la Turquie. »

Les mesures « populistes » prises par Ahmadinejad dans le domaine de l’économie ont eu des effets pervers : ainsi les importations massives qui ont nui aux industries locales. On peut enfin s’attendre à de grandes difficultés sociales et économiques touchant les plus pauvres avec l’adoption de la nouvelle loi supprimant les subventions pour tous les produits de première nécessité comme l’essence, l’eau, le blé, la farine, le lait. « Cette suppression doit s'étaler sur cinq ans, mais doit commencer ce mois-ci, il paraît difficile de comprendre comment le gouvernement a pu se lancer dans une telle réforme dans la situation difficile qu'il connaît. Pour les gens les plus pauvres, il est prévu que l'État compense l'augmentation de prix qui suivra cette suppression des subventions par des aides compensatoires qui seront versées directement. Le centre des statistiques a demandé aux gens de s'inscrire sur Internet pour déterminer leur droit à recevoir ces aides.

La grande inquiétude est que cette suppression pourrait mener jusqu'à 50 % de hausse des prix et provoquer un important choc inflationniste. Les conséquences sociales également sont potentiellement effrayantes. Enfin, les chiffres montrent que les aides compensatoires coûteraient à l'État plus cher que les économies qu'il réaliserait. » La dégradation économique qui toucherait les classes les plus pauvres peut amener, selon Thierre Coville, à « une alliance entre le mouvement vert et le mouvement ouvrier si la situation économique se dégrade. En ce moment, se discute le plan quinquennal 2010-2015. Ahmadinejad vient d'être exclu du comité de direction de la banque d'Iran. Le rachat récent de la plus grande entreprise de télécommunications par les pasdaran a été très critiqué, et remis en cause au parlement. Il y a une lutte des conservateurs modérés contre Ahmadinejad. Le gouvernement, quant à lui, met en avant la lutte contre la corruption, en avançant le slogan : « il y a des mafias en Iran », ce qui est bien la réalité. Ainsi l'économie est beaucoup utilisée dans le débat politique interne. »

La seconde table ronde, modérée par Marc Semo, journaliste à Libération, réunissait Hamit Bozarslan, directeur d'études à l'EHESS, Abdolkarim Lahidji, Vice-Président de la FIDH et Bernard Hourcade, directeuur de recherche au CNRS (Monde iranien). La table ronde portait sur les perspectives envisageables à la crise iranienne.

Hamit Bozarslan a tout d’abord émis deux interrogations : pourquoi l’Iran inquiète-t-il tant ? en doutant que la seule raison en soit la question nucléaire et la raison pour laquelle le « moment Khatami » n’a été qu’une « parenthèse » de la vie politique iranienne. Concernant ce second point, Hamit Bozarslan émet l’hypothèse que « Khatami n'a pas été en mesure de s'attaquer à la contradiction au coeur du système. Il a choisi la logique de la stabilité de l'État par rapport à celle de la démocratie. »

Il développe ensuite les « contradictions » de la révolution iranienne, contradictions portées, selon lui, au « paroxysme » avec l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad : « La Révolution islamique a représenté à la fois un nouvel ordre à l'intérieur du pays et une ambition d'exportation. Elle a commencé comme une révolution de gauche mais il ne faut pas sous-estimer l'impact de la guerre Iran Irak sur la direction qu’elle a prise, notamment parce que l'Irak a à l'époque été extrêmement soutenu par l'Occident […] Pour l'Iran, cette révolution s'est transformée en révolution conservatrice. Son radicalisme est directement venu des champs de bataille avec l'Irak. Le président actuel Ahmadinejad a joué à l'époque un rôle important, même si il demeura discret, dans les provinces kurdes. Nous avons peu de connaissances sur cette période de sa vie. »

N’ayant pas de « pouvoir unifié », l’Iran ne peut être qualifié d’État totalitaire. Il est, selon le chercheur, « traversé par trois rationnalités contradictoires » « : 1. Une rationalité bureaucratique. Ahmadinejad représente la génération des 20 ans au moment de la révolution. Il faut noter que lors de son arrivée au pouvoir, il a fait remplacer tous les ambassadeurs du pays et tous les gouverneurs de province. Il s'agissait réellement d’une clôture brutale de la période Khatami. 2. Une rationalité paramilitaire et para-étatique, très inquiétante. Elle a trois composantes : les bassidji, les pasdaran, qui sont des forces à la fois officielles mais agissant en dehors de l'État, auxquelles il faut ajouter les fondations pieuses ou les fondations de martyrs. On a une coexistence État – non-État ou État et para étatique particulière en Iran. 3. Une dimension millénariste. Le totalitarisme, c'est la composition d'une utopie millénariste et d'une rationalité positiviste. Le millénarisme joue un rôle dans la fondation du shiisme. Mais dans la durée, pour construire les institutions étatiques, on se trouve dans la nécessité d'ajourner ce millénarisme. Ici, on a au contraire la sensation qu'il y a volonté d'anticiper sur le millénarisme. Il y a auto-alimentation de ce millénarisme. »

Abdolkarim Lahidji, Vice-Président de la FIDH, est revenu sur cette notion d’État total ou totalitaire (en refusant, de même que Hamit Bozarslan, de l’appliquer à l’Iran) et en analysant la part du religieux et du politique dans le pouvoir actuel. Même si le pays est doté de « toutes les instances de l'État moderne : parlement, président, instances judiciaires... Mais ces trois pouvoirs sont-ils réellement fonctionnels, où y a t-il fusion entre droit divin et droit humain ? Car il y a un pouvoir au-dessus de ces instances, qui tire sa légitimité du divin. Le chef de l'État est un représentant de cet Imam caché... Alors que les titres des mollahs n'ont aucun fondement ni hiérarchique ni théologique. Mais celui qui est sans légitimité populaire détient selon la constitution 80 % du pouvoir.

La marge de manoeuvre du parlement est limitée, car les lois doivent être contrôlées par un conseil de six théologiens nommés par le Guide suprême. Si cette loi est reconnue contraire aux règles islamiques elle est déclarée caduque. Cependant les règles islamiques dont il est question ne sont définies nulle part. On se trouve donc dans l'arbitraire total. »

Sur les discriminations pratiquées en Iran, Abdolkarim Lahidji démontre qu’elles sont à la fois ethniques et religieuses, en prenant l’exemple du Baloutchistan, région sunnite, qui est la plus privée de services publics et la plus pauvre du pays. […] Dans les régions sunnites aucun préfet (ostandar), aucun sous-préfet (fermandar) n'est sunnite. » La discrimination envers les sunnites (15 à 20% de la population) concerne l’ensemble du pays : « À Téhéran, qui compte entre 20 et 25 % de sunnites, il n'existe pas de mosquée sunnite, alors qu'il y a des églises et des synagogues. » Pour les discriminations ethniques elles se traduisent par un déni culturel, linguistique et une répression politique : « En ce qui concerne les langues des minorités, elles sont théoriquement autorisées à l'enseignement, mais dans les faits, la loi n'est pas appliquée. Il y a même répression, et depuis un moment, une sorte d'état de siège, de nombreuses arrestations, les prisonniers qui sont éloignés vers Téhéran, jugé à huis clos devant les tribunaux révolutionnaires. Lors des manifestations pacifiques, des dizaines de personnes ont été assassinées. Certains avocats ont été mis en prison, dont trois femmes, incarcérées pour avoir fait leur métier en défendant des prisonniers politiques. »

Enfin, pour Bernard Hourcade, les sanctions de la communauté internationale et l’opposition au programme nucléaire de l’Iran ne font que conforter le régime et empêche l’ensemble de la société iranienne d’entretenir des contacts avec l’extérieur. « Les sanctions mènent à un retrait de l'Iran. La France interdit aux universitaires de s'y rendre. Ce retrait aboutit en fait à laisser tomber la classe moyenne iranienne. Le nucléaire est un prétexte. En particulier, l'arme iranienne justifie celle d'Israël […]Il y a 30 pays dans le monde qui ont un programme nucléaire du genre de celui de l'Iran.... »

Ainsi, pour Bernard Hourcade, « cette politique des Occidentaux ne fait que renforcer les radicaux iraniens. Les sanctions mènent aussi à l'émigration des opposants, ce qui est contre-productif […] Donner des visas aux Iraniens pour qu'ils émigrent est une solution de désespoir […] La grande crainte du gouvernement iranien n'est pas le bombardement israélien, ni les sanctions, mais les contacts avec les étrangers. »

Concert de soutien à l'Institut kurde