jeudi, décembre 31, 2009

Night's watch

Night gathers, and now my watch begins. It shall not end until my death. I shall take no wife, hold no lands, father no children. I shall wear no crowns and win no glory. I shall live and die at my post. I am the sword in the darkness. I am the watcher on the walls. I am the fire that burns against the cold, the light that brings the dawn, the horn that wakes the sleepers, the shield that guards the realms of men. I pledge my life and honor to the Night's Watch, for this night and all the nights to come.
George R. R. Martin, A Song of Ice and Fire.




L'an dernier, j'avais lu à la même date un résumé de documentaire sur la possible fin de l'univers : soit les trous noirs, la matière noire gagne et l'univers s'effondre, soit l'univers les surmonte et entre alors dans une expansion infinie... Voilà qui rappelle fort la lutte des Quarante, voilà à quoi sert le Pôle du Monde, et tous nos actes de Djavanmardî ; voilà pourquoi Sohrawardî dit que le mal c'est la ténèbre, le non-être, et si cela est vrai, voilà pourquoi les Anges de Gitta Mallasz disent :Ou nous serons sauvés avec vous ou nous serons perdus avec vous". Je ne voyais pas bien comment un Ange pouvait disparaître parce qu'un homme n'avait pas été sage. Évidemment, s'il s'agit de sauver ensemble tout l'Univers... Voilà ce qui éclaire la Djavanmardî de Corbin : ce Dieu qui a besoin de nous comme nous avons besoin de Lui, que nous devons servir et défendre, c'est le Dieu de la Création ; au-delà, il y a peut-être le Dieu-au-dessus de Plotin et la Déité d'Eckhart qui survivra, mais c'est tout.

Ainsi l'enjeu du combat de Lumière des anciens Iraniens, des Imams ou des Quarante, celui de relier les mondes, de leur garder leur cohésion, de soutenir le monde, rejoint la découverte du possible chaos final. Évidemment un matérialiste dira que ce devenir est une affaire de hasard ; un "croyant" en ce combat que c'est notre foi qui sauvera le monde et, en une certaine mesure, ce que Dieu est pour nous.

Ayant une nature solaire, cette période de l'année que je déteste par-dessus tout, physiquement et mentalement, évoque plus que jamais pour moi la pesanteur du vide, de la déréliction, le point d'agonie du monde. Et pourtant tout le long de la terre, du monde, d'autres veillent aussi en cette période critique, plus forts et plus rayonnants que moi. C'est bien l'utilité des moines et des soufis, et de toutes les "Gardes de Nuit".

mercredi, décembre 30, 2009

TURQUIE : INTERDICTION DU DTP, RAFLE POLICIÈRE DANS LES MILIEUX POLITIQUES KURDES


Les 11 juges de la Cour constitutionnelle ont statué à l’unanimité : Comme la plupart des observateurs politiques s’y attendaient, le principal parti pro-kurde de Turquie, le DTP, a été dissous par la cour constitutionnelle turque le 11 décembre, au motif d’être : « un foyer d'activités préjudiciables à l'indépendance de l'Etat et à son unité indivisible ». 37 cadres de ce parti et ses deux co-présidents, Ahmet Türk et Aysel Tugluk ont, quant à eux, été bannis pour 5 ans de toute vie politique. Ces deux derniers, députés, ont ‘té déchus d’office de leur mandat de député.

Cette décision met dans l’embarras le gouvernement AKP, tant vis-à-vis de l’Union européenne que des interlocuteurs kurdes dont il espérait un certain soutien dans sa politique de résolution du conflit, mais a été accueillie avec satisfaction par l’opposition, notamment le président du CHP, Deniz Baykal, qui a parlé de « décision juste et fondée juridiquement. » D’abord enclins à se retirer du Parlement, les 19 députés DTP ont finalement choisi de rester et de fonder un autre parti, le Parti de la démocratie et de la paix (BDP). Les débats ayant eu lieu ouvertement à l’intérieur du DTP comme du PKK, et les représentants du DTP n’ayant pas caché que c’est sur les « conseils » du leader du PKK, Abdullah Öcalan, que la décision de rester au parlement avait été finalement retenue, un autre acte d’accusation a été lancé contre Ahmet Türk, le 23 décembre.

L ‘interdiction du DTP a été critiquée par l’Union européenne, ainsi que par le gouvernement AKP, qui fait face à une opposition ferme de la part des milieux nationalistes et militaires dans ses tentatives de résoudre la question kurde en Turquie. La nouvelle de cette dissolution a d’ailleurs provoqué plusieurs incidents violents, allant de manifestations tournant à l’affrontement, notamment dans les grandes villes de l’ouest où vivent nombre de Kurdes déplacés, jusqu’à des émeutes dans les grandes villes kurdes comme Diyarbakir ou Hakkari, principaux fiefs électoraux du DTP.

Critiqué par les uns pour « complicité avec les séparatistes », par les autres pour l’insuffisance des mesures annoncées, Recep Tayyip Erdogan et son équipe soufflent le chaud et le froid sur la question kurde, tout autant que sur les milieux nationalistes, notamment par de soudains coups de filets policiers, tant dans le cas de l’affaire Ergenekon que dans les milieux kurdes, régulièrement accusés de liens avec une organisation « terroriste ». C’est ainsi que le 24 décembre, la police de Diyarbakir a arrêté plus de 80 personnes à leur domicile, toutes suspectées de « menées séparatistes » et de liens avec le PKK. Le coup de filet a eu lieu simultanément dans 11 provinces. C’est la troisième fois cette année que de telles opérations policières ont lieu, mais celle-ci a frappé et indigné particulièrement l’opinion kurde, car venant juste après la dissolution du DTP et semblant confirmer les avis sceptiques sur la réelle volonté de réformes de l’AKP. Les maires kurdes arrêtés sont Selim Sadak, le maire de Siirt ; Abdullah Demirbas, le maire de la vieille ville de Diyarbakir (Sur), qui a eu fréquemment des démêlés avec l’appareil judiciaire, en raison de ses initiatives pour la promotion des langues kurde, syiaque, arménienne et arabe dans sa ville ; Aydin Budak, le maire de Cizre ; Ethem Sahin, le maire de Suruç ; Ferhan Türk, maire de Kiziltepe ; Leyla Güyen, maire de Viransehir et NecdetAtalay, maire de Batman. 35 autres prévenus sont membres de partis kurdes ou d’ONG, de mouvements de défense des droits de l’homme.

Le président du tout nouveau parti BDP, Demir Çelik, a condamné l’opération qui ne peut, selon lui, qu’accroître les tensions et pointe l’incohérence de la politique turque à l’égard des Kurdes : « Je tiens à souligner que ces opérations témoignent d’une évolution qui ne correspond pas au processus et aux plans du gouvernement. » Dans un entretien donné au journal turc Bianet, le bâtonnier de Diyarbakir, Mehmet Emin Aktar, y voit, lui, une grave erreur de jugement de la part de l’AKP : « La position du gouvernement n’est pas claire (…) Toutes les opérations d’arrestations et de détention ne font qu’aggraver la douleur des Kurdes. Il est faux de croire que le peuple kurde perdra sa force armée une fois que tous les recours légaux auront été épuisés. En faisant cela, ils continueront d ‘affronter des jeunes qui ont grandi durant les confits des années 1990. » Plus virulent, le maire de Diyarbakir, visiblement exaspéré, a lancé aux caméras de télévision : « Je n’ai qu’une chose à dire aux personnes qui font la distinction parmi nous entre les faucons et les colombes et c’est d’aller se faire f... ! » provoquant un scandale dans des media turcs comme le journal Hurriyet, plus prompt à se scandaliser d’écarts de langage que de manquements aux droits de l’homme. Osman Baydemir a ajouté : « Après 80 ans, pour la première fois, l’État turc lançait des initiatives pour vivre ensemble avec les Kurdes. Nous y avons cru et nous l’avons soutenu. Mais une fois de plus, nous voyons que c‘était un piège pour anéantir le combat des Kurdes. »

Malgré la colère kurde, la volonté de maintenir un groupe parlementaire au parlement l’a finalement emporté et un nouveau groupe de députés s’est formé, composé des 19 ex-DTP auxquels s’est rallié un député indépendant d’Istanbul, Ufuk Uras. La nouvelle composition de l’assemblée nationale est donc la suivante, sur un total de 544 députés : Parti de la Justice et du développement (AKP) : 338 sièges ; Parti républicain du peuple (CHP) : 97 sièges ; Parti du mouvement nationaliste (MHP) : 69 sièges ; Parti de la paix et de la démocratie (BDP) : 20 sièges ; indépendants : 10 ; Parti démocratique de gauche : 8 ; Parti de la Turquie : 1. Cela n’a pas empêché la poursuite de violents affrontements dans les rues kurdes, entre manifestants et policiers, faisant une dizaine de blessés à Diyarbakir, dont deux policiers, et entrainant une dizaine d’arrestations. À Hakkari et Yuksekova, les forces de l’ordre ont à nouveau dû se heurter à des adolescents cagoulés qui leur ont jeté des pierres, bravant les jets de gaz lacrymogène et les jets d’eau.

La décision d’interdiction du DTP, outre qu’elle a suscité la désapprobation de l’Union européenne, a été également vivement condamnée par Massoud Barzani, le président de la Région du Kurdistan d’Irak et peut avoir aussi une incidence sur le devenir des réfugiés kurdes du camp de Makhmour, que le récent climat de détente relatif sur la question kurde, de la part du gouvernement AKP, avait remis sur le devant de la scène. Ayant fui le Kurdistan de Turquie et la guerre en 1996, les quelques 12 000 réfugiés du camp de Makhmour, installés par le Haut-Commissariat aux réfugiés, sont dans une situation politique et sociale difficile, à la fois très « encadrés » par les cadres du PKK, et maintenus dans une zone intermédiaire, ni tout à fait en Irak ni tout à fait au Kurdistan, puisque Makhmour fait partie des territoires revendiqués par le GRK et cités dans l’article 140. À l’automne dernier, leur rapatriement avait été accepté par Ankara, mais les conditions posées par le PKK à leur retour, ainsi que les manifestations de liesse qui avaient accompagné à la fois un groupe de civils de Makhmour et des combattants descendus de Qandil en « émissaires de paix », et qui avaient choqué l’opinion publique turque, avaient plus ou moins ralenti le calendrier de ce retour, sans toutefois l’annuler définitivement. Les dernières rafles policières dans les milieux militants kurdes en Turquie incitent donc les Kurdes de Makhmour à une certaine défiance et, alors que le ministre de l’Intérieur turc, Besir Atalay, était en visite officielle à Bagdad, ils ont défilé dans les rues de la ville pour protester, en brandissant des portraits d’Öcalan et des drapeaux du PKK. Enfin, rompant quelque peu avec le ton d’apaisement et d’optimisme qui s’était instauré ces derniers mois au sujet des relations kurdo-turques, Massoud Barzani a fait part, dans un communiqué, de sa « colère » après la dissolution du DTP, tout en approuvant les récentes initiatives du gouvernement turc :« La présidence (de la région autonome) exprime sa colère après l'interdiction par la Cour constitutionnelle turque du DTP mais en revanche salue l'ouverture du gouvernement du Parti de la justice et du développement . Elle espère que le verdict de la Cour constitutionnelle ne stoppera pas le processus et appelle toutes les factions turques à s'engager dans une politique de réconciliation pour qu'elle réussisse. »

mardi, décembre 29, 2009

"Marie retenait soigneusement toutes ces choses et elle les méditait."

Dans l'Évangile selon saint Luc, l'Ange annonce à Marie que son fils va naître d'un souffle saint, qu'il reprendra le trône de David, et ce pour un règne sans fin, etc. Elle conçoit effectivement de façon peu ordinaire, donc il y a tout lieu de croire l'Ange. Puis, il y a les paroles d'Elizabeth, la venue des bergers à la naissance, etc., et Luc dit bien que "Marie retenait soigneusement toutes ces choses et elle les méditait." (19).

Et bien après tout cela, en plus de ce qui s'est produit auparavant pour Jean-Baptiste, on peut quand même s'attendre à ce que les parents soient un peu blasés quand, lors de la présentation au Temple, Siméon se met simplement à prophétiser ce qu'on leur répète depuis plus d'un an : qu'il s'agit de l'oint du Seigneur, le Christ. Eh bien non, malgré tout, "son père et sa mère étaient étonnés de ce qu'on disait de lui." Lc, 32.

S'imaginaient-ils que Dieu aurait pu faire un tel foin sur terre juste pour y mettre un bon menuisier de plus, un qui inventerait une nouvelle façon de tourner les pieds de table et les commodes de mariage ? Ça fait un peu long à la détente, tout ça.. On dirait le jeu de Daniel Radcliff, bouche ouverte et yeux écarquillés, quand ,au début de L'Ordre du phénix, Maugrey Fol-Œil écarte deux maisons moldus d'un coup de baguette pour faire apparaître la demeure de Sirius. On a envie de lui taper sur l'épaule à ce moment-là pour lui signaler qu'il va entamer sa 5ème année de Magie à Poudlard, au cas où il aurait oublié...

Essai sur le Penser à l'Autre




photo Jahangir Ramzi
Dans le courage, en acceptant la mort, la volonté trouve son indépendance totale. Celui qui a accepté la mort se refuse jusqu'au bout à une volonté étrangère. Sauf si autrui veut cette mort même. L'acceptation de la mort ne permet donc pas de résister à coup sûr à la volonté meurtrière d'autrui. Le désaccord absolu avec une volonté étrangère n'exclut pas l'accomplissement de ses desseins. Le refus de l'autre, le vouloir décidé à la mort interrompant toute relation avec l'extérieur, ne peut empêcher que son œuvre ne s'inscrive dans cette comptabilité étrangère que la volonté défie et reconnaît par son suprême courage. La volonté, même dans le cas extrême où elle se résout à la mort, s'inscrit aussi dans les desseins d'une volonté étrangère. La volonté, par son résultat, se trouve à la merci d'une volonté étrangère.




Van Dyck, v. 1622, San Zaccaria, Venise


Le problème de l'Homme-Dieu comporte, d'une part, l'idée d'une humiliation que s'inflige l'Être suprême, d'une descente du Créateur au niveau de la Créature, c'est-à-dire d'une absorption dans la Passivité la plus passive de l'activité la plus active.

Le problème comporte, d'autre part, et comme se produisant de par cette passivité poussée dans la Passion à sa dernière limite, l'idée d'expiation pour les autres, c'est-à-dire d'une substitution : l'identique par excellence, ce qui est non interchangeable, ce qui est l'unique par excellence, serait la substitution elle-même.

(…)

Je pense que l'humilité de Dieu, jusqu'à un certain point, permet de penser la relation avec la transcendance en d'autres termes que ceux de la naïveté ou du panthéisme ; et que l'idée de substitution – selon une certaine modalité – est indispensable à la compréhension de la subjectivité.

(…)

C'est sans doute Kierkegaard qui a le mieux compris la notion philosophique de transcendance qu'apporte le thème biblique de l'humilité de Dieu. La vérité persécutée n'est pas pour lui simplement une vérité mal approchée. La persécution et l'humiliation par excellence à laquelle elle expose sont des modalités du vrai. La force de la vérité transcendante est dans son humilité. Elle se manifeste comme si elle n'osait pas dire son nom, elle ne vient pas prendre place dans le monde avec lequel elle se confondrait aussitôt comme si elle ne venait pas d'au-delà. On peut même se demander, en lisant Kierkegaard, si la Révélation qui dit son origine n'est pas contraire à l'essence de la vérité transcendante qui par là affirmerait son autorité impuissante contre le monde, on peut se demander si le vrai Dieu peut jamais lever son incognito, si la vérité qui s'est dite ne devrait pas aussitôt apparaître comme non dite, pour échapper à la sobriété et à l'objectivité d'historiens, de philologues et de sociologues qui l'affubleront de tous les noms de l'histoire, qui réduiront sa voix de fin silence aux échos des bruits qui se lèvent dans les champs de bataille et les marchés, ou à la configuration structurée d'éléments sans sens. On peut se demander si le premier mot de la Révélation ne doit pas venir de l'homme comme dans l'antique prière de la liturgie juive où le fidèle rend grâce non pas de ce qu'il reçoit mais de ce fait même de rendre grâce.

(…)

Comment attendre d'un autre qu'il se sacrifie pour moi sans exiger le sacrifice des autres ? Comment admettre sa responsabilité pour moi, sans aussitôt me trouver, de par ma condition d'otage, responsable de sa responsabilité même. Être moi, c'est toujours avoir une responsabilité de plus.
L'idée de l'otage, de l'expiation de moi pour l'Autre, où se renversent les relations fondées sur la proportion exacte entre les fautes et les peines, entre liberté et responsabilité (relations qui transforment les collectivités en sociétés à responsabilité limitée) ne peut s'étendre hors de moi. Le fait de s'exposer à la charge qu'imposent la souffrance et la faute des autres pose le soi-même du Moi. Moi seul, je peux sans cruauté être désigné comme victime. Le Moi est celui qui, avant toute décision, est élu pour porter toute la responsabilité du Monde. Le messianisme, c'est cette apogée dans l'Être – renversement de l'être "persévérant dans son être" – qui commence en moi. 



Théodule-Augustin Ribot, av. 1870, Musée des Beaux-Arts de Pau

Ce que j'appelle la non-différence du Dire est, dans sa double négation, la différence derrière laquelle rien de commun ne se lève en guise d'entité. Et, ainsi, et rapport et rupture et, ainsi, éveil : éveil de Moi par autrui, de Moi par l'étranger, de Moi par l'apatride, c'est-à-dire par le prochain qui n'est que prochain. Éveil qui n'est ni réflexion sur soi, ni universalisation ; éveil qui signifie une responsabilité pour autrui à nourrir et à vêtir, ma substitution à autrui, mon expiation pour la souffrance et, sans doute, pour la faute d'autrui. Expiation, à moi impartie sans dérobade possible et à laquelle s'exalte, irremplaçable, mon unicité de moi.

Mais dans cette rupture, et cet éveil, et cette expiation, et cette exaltation, se déroule la divine comédie d'une transcendance par-delà les positions ontologiques.


L'unité me semble prendre sens à partir de l'impermutabilité qui vient ou qui revient au moi dans la concrétude d'une responsabilité pour autrui : responsabilité qui d'emblée lui incomberait dans la perception même d'autrui, mais comme si dans cette représentation, dans cette présence, elle précédait déjà cette perception, comme si déjà elle y était plus vieille que le présent et, dès lors, responsabilité indéclinable, d'un ordre étranger au savoir ; comme si, de toute éternité, le moi était le premier appelé à cette responsabilité ; impermutable et ainsi unique, ainsi moi, otage élu, l'élu. Éthique de la rencontre, socialité. De toute éternité un homme répond d'un autre. D'unique à unique. Qu'il me regarde ou non, "il me regarde" ; j'ai à répondre de lui. J'appelle visage ainsi, en autrui, regarde le moi – me regarde – en rappelant, de derrière la contenance qu'il se donne dans son portrait, son abandon, son sans-défense et sa mortalité et son appel à mon antique responsabilité, comme s'il était unique au monde – aimé. Appel du visage du prochain qui, dans son urgence éthique ajourne ou efface les obligations que le "moi interpellé" se doit à lui-même et où le souci de la mort d'autrui peut pourtant importer au moi avant son souci de moi pour soi. L'authenticité du moi, ce serait cette écoute de premier appelé, cette attention à l'autre sans subrogation et, ainsi, la fidélité aux valeurs en dépit de sa propre mortalité. Possibilité du sacrifice comme sens de la nature humaine ! Du sensé, malgré la mort, fût-elle sans résurrection ! Sens ultime de l'amour sans concupiscence et d'un moi qui n'est plus haïssable.

J'use apparemment d'une terminologie religieuse : je parle de l'unicité du moi à partir de l'élection à laquelle il lui serait difficile de se dérober, car elle le constitue, d'une dette dans le moi, plus vieille que tout emprunt. Cette façon d'aborder une notion en faisant valoir la concrétude d'une situation où originellement elle prend sens, me semble essentiel à la phénoménologie. Elle est présupposée dans tout ce que je viens de dire.


Dans toutes ces réflexions se profile le valoir de la sainteté comme le bouleversement le plus profond de l'être et de la pensée à travers l'avènement de l'homme. À l'intéressement de l'être, à son essence primordiale qui est conatus essendi, persévérance envers et contre tout et tous, obstination à être-là, l'humain – amour de l'autre, responsabilité pour le prochain, éventuel mourir-pour-l'autre, le sacrifice jusqu'à la folle pensée où le mourir de l'autre peut me soucier bien avant, et plus, que ma propre mort – l'humain signifie le commencement d'une rationalité nouvelle et d'au-delà de l'être. Rationalité du Bien plus haute que toute essence. Intelligibilité de la bonté. Cette possibilité de prêter, dans le sacrifice, un sens à l'autre et au monde qui, sans moi, compte pour moi, et dont je réponds (malgré la grande dissolution, dans le mourir, des relations avec tout autre, que Heidegger annonce au §50 de Sein und Zeit) n'est certes pas le survivre. C'est une extase vers un futur qui compte pour le moi et dont il a à répondre : mais sans-moi futur, sensé et futur, qui n'est plus là-venir d'un présent protenu. 
Emmanuel Levinas, Entre nous, Essais sur le penser-à-l'autre .

La Pesanteur et la grâce : Les âmes mortes


L'imagination travaille continuellement à boucher toutes les fissures par où passerait la grâce.


L'imagination combleuse de vides est essentiellement menteuse. Elle exclut la troisième dimension, car ce sont seulement les objets réels qui sont dans les trois dimensions. Elle exclut les rapports multiples.


Essayer de définir les choses qui, tout en se produisant effectivement, restent en un sens imaginaire. Guerre. Crimes. Vengeances. Malheur extrême.
Les crimes en Espagne se commettaient effectivement et pourtant ressemblaient à de simples vantardises.
Dans "imagination" il faut sans doute comprendre ce que les bouddhistes ou les taoïstes ou tous les adeptes des spiritualités visant à tuer l'ego appellent le "mental", et aussi l'Illusion. Mais, grande différence avec eux, a priori, sa défense du "je", et donc de l'ego, sauf que c'est à lire ici au sens d'âme, de ce qu'il y a de plus précieux en nous, cette flamme qui est émetteur-récepteur et qui est souvent enfumée par l'illusion, ou "l'imagination".

Je crois bien, moi aussi, qu'il y a beaucoup d'âmes mortes dans ce monde, que la "résurrection" ou l'éveil du rêve de la vie ne concerne plus, qu'il y a déjà eu mort avant, et donc qu'il n'y a plus rien à sauver, ni réveiller, même dans l'autre monde. Souche morte, arbre mort, il n'est même plus question de "damnation", et donc plus même de choix.

Pour ceux dont le je est mort, on ne peut rien faire, absolument rien. Mais on ne sait jamais si. chez un être humain déterminé, le je est tout à fait mort ou seulement inanimé.



Dans The 25th Hour, Monty qui pour décider son acolyte à sauver le chien massacré par des hooligans, mais toujours menaçant envers son sauveteur, dit : "Regarde, il mord, donc il n'est pas fini, il en veut !" Donc il est sauvable et il vit.

S'il n'est pas tout à fait mort, l'amour peut le ranimer comme une simple piqûre, mais seulement l'amour tout à fait pur, sans la moindre race de condescendance, car la moindre nuance de mépris précipite vers la mort.


(…)


Il arrive aussi que chez le bienfaiteur l'amour ne soit pas pur. Alors le je, réveillé par l'amour recevant aussitôt une nouvelle blessure par le mépris, il surgit la haine la plus amère, haine légitime.
Mieux vaut être fourbe et méchant qu'endormi, certes. Sur cette idée qu'un amour "impur", c'est-à-dire intéressé, plus avide, même inconsciemment de recevoir en retour que de donner, ou bien d'exister dans les yeux du pauvre que l'on secourt, est plus néfaste que le poison : Dans Petits poèmes en prose, il y a celui où le mendiant, humble, soumis, aux yeux de chien battu, tend la main et se fait casser la gueule par le narrateur, jusqu'à ce qu'il se rebiffe, fiche une rouste à son agresseur. Celui-ci se relève, s'époussète et dit : "Tu as compris, maintenant ?" "Oui." Il faudrait le juste pendant de cette scène : celle où le pauvre qui vient de recevoir, le blessé sur qui le missionnaire, l'humanitaire, l'âme charitable – "fripouilles au grand coeur et aux fesses serrées" dirait Baldwin– a déversé son amour impur et poisseux se prenne une bonne branlée en retour : "Tu as compris, maintenant ?"

L'amour impur doit être détourné sur les âmes mortes. Là où l'on est sûr qu'il n'y a plus de dégâts à craindre.
Celui chez qui le je est tout à fait mort au contraire, n'est aucunement gêné par l'amour qu'on lui témoigne. Il se laisse faire comme les chiens et les chats qui reçoivent de la nourriture, de la chaleur et des caresses et, comme eux, il est avide d'en recevoir le plus possible. Selon les cas, il s'attache comme un chien ou se laisse faire avec une espèce d'indifférence comme les chats. Il boit sans le moindre scrupule toute l'énergie de quiconque s'occupe de lui.


Par malheur, toute œuvre charitable risque d'avoir comme clients une majorité de gens sans scrupules ou surtout des êtres dont le je est tué.

Maintenant est-ce que tout amour pur est salvafique ? À ce compte-là, quiconque voit Dieu, ante ou post-mortem est sauvé. Le problème c'est que cela fait mal :

Quand le je est blessé au-dehors, il a d'abord la révolte la plus extrême, la plus amère, comme un animal qui se débat. Mais dès que le je est à moitié mort, il désire être achevé et se laisse aller jusqu'à l'évanouissement. Si une touche d'amour le réveille, c'est une douleur extrême et qui produit la colère et parfois la haine contre celui qui a provoqué cette douleur. De là chez les êtres déchus, ces réactions en apparence inexplicables de vengeance contre le bienfaiteur.

C'est peut-être cela le choix de la damnation : choisir de cracher le pain elfique au lieu de l'avaler (espérons qu'en l'avalant ça aille mieux). Car si une touche d'amour provoque une "douleur extrême" imaginons ce que cela cuit, quand, sans préparation, blessé, rancunier, à moitié mort, on se trouve nez à nez avec peut-être même pas Dieu, peut-être une lumière moins insoutenable, comme l'Ange... Autant enfoncer une main gelée dans la braise pour se faire passer l'onglée.

Car tout contact avec le bien produit une connaissance de la distance entre le mal et le bien et un commencement d'effort pénible d'assimilation. C'est une douleur, et on a peur. Cette peur est peut-être le signe de la réalité du contact.

Si ça se trouve, se préparer à mourir, ce n'est pas du tout passer son temps à battre sa coulpe et à se repentir, à se priver et à se mépriser, mais à aimer et à s'aimer, c'est-à-dire aimer le bien en soi, au lieu d'affamer et d'assoiffer son Seigneur, comme le racontait le saint Matthieu de Sejestanî :


"Alors Dieu leur dira : vous dites vrai, mais tout ce que vous avez fait pour vous-mêmes [pour vos propres âmes], c'est pour moi que vous l'avez fait. Ensuite il dira aux pervers : comme vous avez mal agi envers moi ! J'étais affamé, vous ne m'avez pas nourri, etc. Ils diront : Seigneur ! quand donc étais-tu comme cela ? Il leur dira : vous dites vrai, mais tout ce que vous avez omis de faire pour vous-mêmes [pour vos propres âmes], c'est comme si vous aviez omis de le faire pour moi-même."
Ceci dans le cas où nous nous infligeons à nous-même nos propres privations ce qui est des plus communs, ou dans celui où nous ne défendons pas avec assez de force notre âme comme nous sommes censés défendre le Seigneur – ou l'Âme du monde, comme disent les Ismaéliens – qui en nous a été placé, voire confié (aman), mais qu'en est-il de ceux dont on a tué l'âme à force de coups ou de malheur ? Reste à savoir ce qui "tue" une âme : la tiédeur, la paresse ou l'excès de malheur ?


Si je me dis tous les matins : je suis courageuse, je n'ai pas peur, je peux devenir courageuse, mais d'un courage qui sera conforme à ce que, dans mon imperfection actuelle, je me représente sous ce nom et qui, par suite, n'ira pas au-delà de cette imperfection. Ce sera une modification sur le même plan, non un changement de plan.


La contradiction est le critérium. On ne peut pas se procurer par suggestion des choses incomparables. La grâce seule le peut. Un être tendre qui devient courageux par suggestion s'endurcit, souvent même il s'ampute lui-même de sa tendresse par une sorte de plaisir sauvage. La grâce seule peut donner du courage en laissant la tendresse intacte ou de la tendresse en laissant le courage intact.



Alexander Adriaenssen, 1639, Galerie nationale, Prague.

La grande douleur de l'homme, qui commence dès l'enfance et se poursuit jusqu'à la mort, c'est que regarder et manger sont deux opérations diférentes. La béatitude éternelle est un état où regarder c'est manger.

lundi, décembre 28, 2009

Un océan de jours



"What sort of things do you remember best ?" Alice ventured to ask.
"Oh, things that happened the week after next," the Queen replied in a careless tone. "For instance, now," she went on, sticking a large piece of plaster on her finger as she spoke, "there's the King's Messenger. He's in prison now, being punished : and the trial doesn't even begin till next Wednesday; and of course the crime comes last of all."
"Suppose he never commits the crime ?" said Alice.
"That would be all the better, wouldn't it ?"


Se souvenir que le Temps n'existe pas. Ou plutôt se souvenir de l'inexistence d'un temps linéaire, partant d'un point A vers un point B, d'un départ à une arrivée, le passé tombant dans l'inexistence, le futur y étant encore et le présent seul réel. Or, si ce temps n'existe pas (comme l'affirment par ailleurs les Anges de Gitta Mallasz, comme l'ont vu les mystiques qui ont fait ce saut hors du Temps, ou de cette impression illusoire de Temps), qu'est-ce que cela veut dire ? Que notre vie n'est pas un fleuve qui coule d'amont en aval mais un océan ; que ce qui est passé existe encore, autant que le présent, autant que le futur, non pas en cases ou lieux parallèles, vivant les uns à côté des autres au lieu de se succéder, mais que tout est rassemblé sur un même point dense, que tout converge et rayonne à la fois. Je vis déjà mon futur, je le vis parce qu'au moment où je suis là, je fais mes choix, certes ; mais on peut aussi le considérer dans l'autre sens : je fais aussi ces choix parce que le futur qui est leur conséquence est déjà là-bas.

Dès lors le problème du libre-arbitre n'est plus un problème. Nous sommes libres car nous faisons nos choix sans cesse, simultanément, comme autant de gestes reflétés dans une nultitudes de miroirs, autant devant que derrière nous. La vérité est que nous sommes dans un point où il n'y a plus ni lieu ni succession de mouvements mais où un geste est multiplié dans toutes les facettes de tous nos miroirs et sans que pourtant, il y ait, quelque part, un être plus réel que ceux des miroirs qui donnerait naissance à ces reflets. Cela n'a pas plus ni moins de sens de dire que le reflet dans le miroir lève le bras parce que je le lève, ou que je lève le bras parce que mon image-du-miroir-du-devant l'a fait.

Une fois, j'ai cru que Dieu m'avait trompé – pour mon bien, mais trompé tout de même, ce qui me déplaisait. Une fois, je lui ai demandé quelque chose, et j'ai senti que cela était accordé. Cela me fut réellement accordé. Mais ce n'est jamais survenu. Peut-être valait-il mieux qu'à ce moment-là je le crusse, mais ce n'était pas admissible un Dieu menteur. Jusqu'à ce que je comprenne qu'au moment même où cela m'était donné, même si je ne le savais pas (quoique...), il y avait aussi ce jour où des années plus tard, j'ai fait mon choix, tournant le dos à ce que j'avais si fortement et passionnément voulu. Ce n'est pas que Dieu, comme je le croyais, par une entourloupe bienveillante, m'accordait quelque chose dont Il repoussait l'accomplissement jusqu'à ce que je n'en veuille plus. Il me l'a donné et je ne l'ai pas reçu parce que je l'avais déjà refusé, des années plus tard.

Ainsi nous avons tort de nous tourmenter pour nos désirs, de nous épouvanter du Temps qui retarde leur accomplissement, de la distance entre nos cœurs et leurs buts : ils ne sont pas séparés, il y a un lieu où cela est déjà réalisé, accompli. Cela se fera puisque cela est, tout comme il y a un hiver et un printemps. Si cela ne se fait pas, c'est que cela n'est déjà pas, et il est donc inutile de se tourmenter. Dans le cas contraire, nous sommes déjà là où nous voulons être et c'est pourquoi certains rêves sont empreints de joie "par-avance", que certaines rencontres sont des retrouvailles joyeuses, et que d'autres rendez-vous serrent le cœur parce que ce sont déjà des adieux.

Ainsi rien de plus idiot que la peur de mal faire, de rater une marche ou un train, de faire un faux-pas, de tomber comme un fumnambule. Car si je devais tomber de ce fil je serais déjà à terre, et si je n'en tombe pas c'est que je suis déjà de l'autre côté, me regardant avancer.

Nous n'avançons pas sur une route en aveugle, sans voir les conséquences de nos choix. Nous sommes tout à la fois derrière nous, en nous, devant nous, et nos choix partent tous d'un seul point dense qui dit la même chose, qui n'est qu'une seule réponse, un seul oui ou un seul non comme la nuit de l'Alast, et nous décidons tout, pour tout, à tout moment, étant un seul corps dont la main, le bras, la jambe, le pied bougent tout ensemble sur une seule décision. Nous sommes une totalité, un océan de jours, d'instants simultanés.

Et pourtant, est-ce que cela signifie que tout est décidé d'avance ? Mais non ! Car :

"Suppose he never commits the crime ?" said Alice.
"That would be all the better, wouldn't it ?

Joie : crainte et espoir d'un Minuit éternel


NASA


À la "patrie de la joie" claudélienne, Blanchot nuance en rappelant ce drame de la joie, déchirante et angoissante autant que le malheur, comme un soleil noir pourtant espéré qui rappelle tellement le soleil de Minuit des soufis en veille...


Ni l'effroi, ni l'angoisse, ni le désespoir, ni la conscience du péché, ni le vertige du mal n'ont trouvé d'expressions vraiment nouvelles dans l'œuvre claudélienne. Charles Du Bos l'a désignée comme la patrie de la joie. "La joie est le premier et le dernier mot de tout Claudel." Et en effet elle est avait tout un hymne ; elle est apparentée au soleil dont elle célèbre la profusion prophétique, elle est louange, moins par ce qu'elle exprime que par ce qu'elle est, moins à cause des chants qu'elle profère et des arguments qu'elle ordonne que par sa puissance jaillissante d'affirmation, la prodigieuse et inépuisable vie qu'elle répand dans un élan glorieux qui est sa découverte et sa révélation. Mais est-ce cela la pure essence de la joie ? Claudel se demande quelque part avec surprise pourquoi si peu de gens supportent la pensée de la joie. C'est peut-être qu'elle est aussi suprême détresse et non seulement rayonnement mais obscurité et ce triomphe éclatant de Midi à quoi répondent la crainte et l'espoir d'un Minuit éternel.
Maurice Blanchot, Chroniques littéraires du Journal des Débats, avril 1941-août 1944.

samedi, décembre 26, 2009

IRAK : LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES FIXÉEES EN MARS 2010


Après maintes controverses et protestations de diverses factions politiques ou religieuses irakiennes, la loi électorale des législatives de 2010 a été adoptée par le Parlement de Bagdad. Prévues initialement pour janvier 2010, les retards successifs de cette adoption ont contraint la Commission électorale irakienne à reporter le scrutin au 7 mars prochain. Les 325 députés auront eux-mêmes en charge au printemps prochain d’élire le Premier ministre et le président irakiens. Le même jour, un référendum est aussi prévu, demandant aux Irakiens de se prononcer sur la présence des troupes américaines en Irak. L’accouchement de cette loi a été difficile et son approbation plusieurs fois rejetée. Les principaux points litigieux en ont été le nombre de sièges répartis entre les provinces, ou bien réservés aux minorités et aux Irakiens en exil ; autre source de conflit, les registres électoraux de Kirkouk, que des partis turkmènes et arabes hostiles aux Kurdes dénoncent comme étant falsifiés. La Mission d’assistance de l’ONU en Irak (UNAMI) a aussi recommandé de transformer le système électoral, afin que chaque électeur puisse voter pour des candidats particuliers aussi bien que pour des partis et non pour une seule liste fermée comme cela était le cas auparavant. Mais ce système de listes ouvertes a rencontré une opposition de la part des Irakiens, même chiites, hostiles à Maliki, comme le religieux Ali Al-Sistani, craignant que ce système nominatif n’avantage le Premier Ministre, même si la plupart des partis irakiens l’ont accepté, pour finir.

L’UNAMI, après avoir renoncé à une répartition pré-électorale « ethnique » des sièges de Kirkouk, avait tenté un compromis sur la question des listes électorales controversées de Kirkouk, en proposant de « mixer » les listes de 2004 et celles de 2009, ce qui, bien sûr, s’est heurté à l’opposition des Kurdes. Pour finir, les listes électorales de 2009 serviront à ces élections mais les résultats à Kirkouk seront « temporaires » dans un délai d’un an, la Commission électorale irakienne devant durant ce temps enquêter sur d’éventuelles irrégularités avant de les valider définitivement. Dans un premier temps, la loi électorale est passée par 141 oui contre 54 non, 80 députés, principalement les Kurdes, ayant quitté la salle pour protester contre le faible nombre de sièges supplémentaires que les trois provinces de la Région du Kurdistan se sont vus allouer, alors que le nombre de députés en Irak passe de 275 à 325, dont 16 réservés aux minorités : 5 aux chrétiens, 1 chacun pour les yézidis, les shabaks et les mandéens. Mais le vice-président, le sunnite Tariq Al-Hashimi, avait, pour sa part, exigé que 15% des sièges soient réservés aux Irakiens en exil et avait mis son veto à la loi, approuvée par le président Talabani et l’autre vice-président, un chiite. Sa position sur cette question s’explique par le grand nombre d’Irakiens sunnites, plus ou moins compromis avec l’ancien régime, qui ont dû fuir le pays après 2003.

Mais Ayad Al-Samarrai, le président du parlement irakien, a pu contourner le veto en arguant que la question de la répartition des sièges relevait de la Commission électorale mais n’était pas constitutionnelle ; or, le veto du Conseil de présidence sur les lois irakiennes ne peut s’appuyer que sur leur caractère anticonstitutionnel. La loi put ainsi repasser au Parlement. Cependant, le premier vote ayant eu lieu sans la présence des députés de l’Alliance kurdistani car la Région du Kurdistan n’avait obtenu que 3 sièges supplémentaires et le président de la Région, Massoud Barzani, avait d’abord menacé de boycotter ces élections. Finalement, le nombre de sièges alloués aux Kurdes fut augmenté, mais au détriment des régions sunnites, ce qui fut parfois compris comme une forme de « rétorsion » après le blocage manqué de Al-Hashemi, et fit dire à des analystes politiques que le vice-président sunnite avait tenté, avec son premier veto, de jouer une partie de poker au bluff, et finalement perdu. La presse irakienne a même parlé de « catastrophe » pour les sunnites arabes. Les nouvelles dispositions revotées par le parlement ne tiennent effectivement plus compte de l’augmentation de la population irakienne depuis 2005, mais haussent de 2.8% par an le nombre des sièges de chaque province, de sorte que les Kurdes sont, de l’avis des sunnites irakiens et de la presse politique en général, les seuls bénéficiaires du nouveau système. La frustration et la colère des sunnites laissent augurer un climat politique difficile après mars 2010. La faute en est cependant attribuée uniquement à Tariq Al-Hashemi, fortement critiqué par ses coreligionnaires pour avoir joué de façon hasardeuse, et quasi-personnelle, la future représentation des sunnites arabes au parlement. Les Kurdes ayant finalement accepté de participer, malgré les dispositions particulières sur Kirkouk, la rumeur a circulé, dans les milieux politiques irakiens, d’une tractation secrète entre Massoud Barzani et l’administration américaine, pressée de résoudre la question avant le retrait total des troupes. Certaines tribus sunnites de la province accusent ainsi les USA d’avoir cédé aux Kurdes sur la tenue effective du référendum prévu par l’article 140, ce qui a été plusieurs fois démenti par Nouri Al-Maliki. Quant aux partis kurdes, ils vont peut-être rompre avec leur habitude du « front uni » aux élections irakiennes, le nouveau parti Gorran, dont les relations sur le terrain avec l’UPK sont assez tendues, ayant refusé de rejoindre l’Alliance kurdistani et fera donc cavalier seul aux législatives.

Dans le même temps, les partis islamistes kurdes, déjà fortement divisés lors des élections législatives kurdes de juillet 2009, n’ont pas davantage réussi à s’unir et l’Union islamique du Kurdistan a rejeté toute alliance avec le Mouvement islamique du Kurdistan et le Groupe islamique du Kurdistan. Les sunnites arabes sont aussi divisés. Le parti sunnite le plus important a compté, lui aussi, beaucoup de démissionnaires, dont le controversé Tariq Al-Hashemi qui a fondé son propre parti, la liste du Renouveau, alliée avec le Mouvement national irakien de l’ancien Premier Ministre Iyad Allawi et le parti du Front national du dialogue irakien, de tendance baathiste. Ahmed Abu Risha, à la tête du Mouvement du réveil qui a remporté la plupart des sièges de la province sunnite d’Anbar aux élections provinciales de 2009 avait, au préalable, entamé des pourparlers avec le Premier ministre chiite Maliki pour rejoindre sa coalition État de droit, victorieuse en janvier 2009. Il a finalement opté pour une alliance avec le ministre de l’Intérieur, Jawad Al-Blani, un chiite indépendant et le sunnite Ahmed Abdul Ghafour Al-Samarrai, tous deux de la coalition Unité de l’Irak.

TV, radio : Bab 'Aziz, Ephrem-Isa Yousif, Nedim Gürsel, musique et islam, Les Chats persans




TV

Lundi 28 décembre à 20h40, sur Cinécinéma Famiz : Bab 'Aziz, le prince qui contemplait son âme ; de Nacer Khemir, 2006.







Radio

Dimanche 27 décembre à 8h00 sur France Culture : Avec Ephrem-Isa Yousif pour Les Villes étoiles de la Haute Mésopotamie. Edesse, Nisibe, Amida, Mardin, Arbil, Kirkouk, Sulaymania, Dohuk (L'Harmattan). Foi et tradition, J.P. Enkiri.



à 14h00 : Istanbul stéréo-couleurs (fin). Avec Nedim Gürsel, auteur de Les Filles d'Allah (Seuil); Nazan Ölçer, directrice du musée Sakip Sabanci; Cengiz Aktar (université Bahçehir) professeur de sciences politiques; Tahsin Yüçel, auteur de La Moustache (Actes Sud). Carnet nomade, C. Fellous.

à 8h00 sur France Musique : Musique et Islam. Le jardin des dieux, F. X. Szymczak.

à 14h05 sur France Inter : Bahman Ghobadi et Les Chats persans, Cosmopolitaine, F. Jacques.

vendredi, décembre 25, 2009

IRAN : MANIFESTATIONS ET « GUERRE DE LA TOILE »


De nombreuses manifestations ont émaillé ce mois de décembre, prouvant que l’opposition de la rue iranienne ne désarme pas, malgré la violence avec laquelle elle est réprimée. On assiste même à une radicalisation des affrontements, l’enjeu dépassant de très loin, à présent, la réélection suspecte d’Ahmadinejad : c’est le pouvoir même du Guide suprême, Ali Khamenei, qui est dénoncé et défié, même au sein des cercles religieux.

Le 7 décembre, « Journée de l’Étudiant » en Iran, s’est ainsi transformée en journée de la contestation sur les campus universitaires. La police a rapidement cerné les facultés, empêchant le reste de la population d’y rejoindre les étudiants, mais n’y parvenant pas toujours : Ainsi, à l’université Amir Kabir, la foule a forcé les portes et s’est mêlée aux étudiants. Malgré les coupures d’accès à Internet et celle des réseaux portables, le mot d’ordre a été efficacement relayé dans les milieux estudiantins, et des images video des manifestations, captées sur des portables ont, une fois de plus, fait le tour du monde sur le Web, alors que les journalistes étaient, une fois encore, interdits sur les lieux.

C’est lors de cette journée que l’on a pu observer que la contestation de la jeunesse iranienne a franchi un pas, en s’attaquant cette fois aux symboles, jusque-là tabou, du pouvoir religieux et du caractère islamique de la république. : Un drapeau iranien sans le nom d’Allah figurant dessus a été brandi à l’université Khajeh Nasir de Téhéran, un portrait d’Ali Khamenei a été brûlé aux cris de « Mort à toi ! » et même celui de l’ayatollah Khomeiny, ce qui a scandalisé les milieux proches du pouvoir, qui ont fustigé Moussavi et Karroubi, les deux principaux leaders de l’opposition en appelant à leur arrestation. Ces derniers ont parlé de « provocations » de la part de milieux bassidji (milices gouvernementales), argument relayé aussi par certains groupes d’étudiants. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas empêché le pouvoir iranien de se fissurer davantage, faisant même craindre une « désobéissance civile de l’armée ».

Ainsi, des sites Internet ont relayé un appel rédigé par des officiers et soldats des armées de Terre et de Mer, protestant contre les exactions des Gardiens de la révolution (Pasdaran). Même si ce texte n’a pas été émis de façon officielle, un certain nombre d’observateurs iraniens en exil, journalistes ou hommes politiques, le jugent authentique :

“Au nom de la pureté divine.L’armée est le refuge du peuple. Durant les années de guerre lorsque nous combattions aux côtés de nos frères des gardiens de la révolution, nous défendions la terre, la dignité, la survie et les biens du peuple iranien. La richesse de notre pays tient en la valeur de son peuple. L’arme des militaires et des gardiens de la révolution doit servir le peuple, il en va de même de leurs vies. Jamais nous n’aurions pensé, au moment où, main dans la main nous donnions notre vie pour défendre notre patrie, qu’aujourd’hui un groupe isolé parmi les honnêtes soldats des gardiens de la révolution retournerait ses armes contre le peuple. L’armée se sait être le refuge du peuple et ne se fera jamais l’outil de la répression des citoyens par les politiciens. Nous n’irons pas à l’encontre de la neutralité que notre fonction exige de nous, mais nous ne pouvons garder sous silence les souffrances et les viols que subissent notre peuple. Nous exigeons des soi-disant gardiens de la révolution d’arrêter de violer et de prendre la vie, la dignité et les biens du peuple iranien sous peine d’avoir en retour la colère des braves soldats de l’armée. L’armée est le refuge du peuple et elle défendra jusqu’à la dernière goutte de son sang ce peuple digne et pacifiste.”(traduction whereismyvote.fr).
L’Ayatollah Ali Khamenei est donc monté aux créneaux une fois de plus, tentant de discréditer l’opposition, et notamment Moussavi et Karroubi, accusés de faire le jeu des puissances occidentales, voire même de leur être inféodés : “Ils devraient s’inquiéter lorsqu’ils voient des gens corrompus, des monarchistes, des communistes, des danseurs et musiciens exilés les soutenir” Ceux qui crient ces slogans au nom de ces personnes (leaders de l’opposition), brandissent leur portrait et parlent d’eux avec respect, sont à un point qui est l’exact opposé de l’Imam (Khomeiny), de la Révolution et de l’Islam”.

Parallèlement la « guerre de la Toile » se poursuit, parfois sur le mode de l’humour. Ainsi, l’étudiant Majid Tavakoli, un des leaders du mouvement, arrêté le 7 décembre, a été photographié affublé par les Pasdaran d’un tchador féminin, afin de le ridiculiser, les Gardiens de la révolution l’accusant d’avoir tenté de fuir déguisé en femme, ce que contestent d’ailleurs les témoins de son arrestation. La photo a été publiée par l’agence Fars News, proche du gouvernement, qui en fait un parallèle avec la figure de Banisadr, le premier président de la république islamique, accusé lui aussi, en son temps, d’avoir fui sous des vêtements de femme. Mais loin de discréditer le prestige de Tavakoli, le cliché, montage ou non, a immédiatement été détourné de son but premier par des centaines d’Iraniens dans le monde, qui se sont fait tous photographier dans leur profil facebook, ou sur Twitter, ou filmés dans des vidéos diffusées sur You Tube, vêtus de tchador, avec le message : « Nous sommes tous Majid ». Parmi eux, des personnalités en vue, tels que Hamid Dabashi, professeur à l’université Columbia, ou Ahmad Batebi, le leader étudiant des révoltes de 1999, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Enfin, des portraits de Khamenei et d’Ahmadinejad ont également circulé affublés du même tchador.

En représailles dans cette « guerre de la Toile » le site Twitter a été brièvement piraté par un groupe se présentant comme la “Cyber Armée iranienne”, qui ont remplacé la page d’accueil de Twitter par un drapeau vert encadré de deux étoiles rouges, avec les mots « Vive l’Imam Hossein » suivi de : “Nous devrons frapper si le Guide l’ordonne, nous devrons perdre nos têtes si le Guide le souhaite”. “Ceux qui mènent le combat sur le chemin de Dieu l’emportent”. Selon l’opposition iranienne, il s’agirait d’un groupe de hackers (pirates) russes, employé par les Pasdaran, qui a piraté des sites dissidents.

Le 18 décembre, jour de l’Achoura, la célébration religieuse la plus solennelle pour les chiites, commémorant la mort de l’Imam Hussein, n’a pas été épargnée par les violences, ce qui rompt une fois encore un tabou, jamais violé depuis la révolution de 1979 : ce jour-là, en effet, doit être exempt de tout sang versé, même celui d’animaux. La veille, avait été organisée une « manifestation de soutien » au pouvoir, aux cris de « Mort à Moussavi ! »s’inspirant sans doute du prêche de Mohammad Hassan Rahimian, ancien représentant du Guide suprême pour la Fondation des martyrs, qui, lors de la prière du Vendredi avait réclamé l’exécution des leaders de l’opposition. Le succès de ces défilés est incertain, l’agence officielle de presse IRNA parlant de « millions de manifestants », des témoins contactés à Téhéran n’en indiquant que quelques milliers, souvent des fonctionnaires plus ou moins volontaires, ou des membres de milices. Ni Mehdi Karroubi ni Hossein Moussavi n’avaient appelé à une contre-manifestation, par crainte de violents affrontements. Le lendemain, jour de l’Achoura donc, les manifestations d’opposants ont eu lieu dans les grandes villes et ont été violemment réprimées, faisant plusieurs morts, au moins huit selon les chiffres officiels. Les jours suivants, plusieurs personnalités proches de Moussavi étaient arrêtées, tandis que la voiture de Mehdi Karroubi était attaquée.

Joyeux Noël

´Edo briko w-shato brikto


Peinture sur bois,
Catalogne, 1200-1250, anonyme
Museu Nacional d'Art de Catalunya, Barcelona


Noela we pîroz be

Shnorhavor Surb tsnund


jeudi, décembre 24, 2009

SYRIE : ARRESTATIONS ET GRÈVES DE LA FAIM


Un avocat kurde, Mustafa Ismaïl, a été arrêté et mis au secret par les autorités syriennes le 12 décembre. Amnesty International a aussitôt appelé à sa libération, en faisant état de risques de torture et de mauvais traitements encourus par le prisonnier. Mustafa Ismaïl écrivait régulièrement sur la condition des Kurdes en Syrie et en Turquie sur de nombreux sites Web étrangers. Convoqué par les services de sécurité de la Force aérienne d’Alep, il a disparu depuis. Sa famille, qui s’est rendue à Alep le 17 décembre dans ces mêmes services s’est entendue répondre que jamais Mustafa Ismaïl n’avait été vu dans leurs bureaux, et on lui a intimé l’ordre de rentrer chez elle.

Pourtant, la veille de son arrestation, le 11 décembre, l’avocat écrivait sur le site Levant News, basé à Londres, qu’il venait de recevoir une convocation pour se rendre au bureau de la sécurité de la Force aérienne d’Alep en ajoutant qu’il devrait entrer dans le Guiness des records pour le nombre de fois où il avait été appelé à se rendre dans les bureaux des services de sécurité depuis 2000. Ainsi, le 3 octobre dernier, il avait été interrogé par le bureau de la Sécurité politique, le 5 octobre par la Sécurité militaire, les 7 et 8 novembre par la Sécurité d’État. Les interrogatoires portaient toujours sur ses activités dans les media, et notamment les entretiens téléphoniques qu’il avait donnés à la chaîne Roj-TV.

Mustafa Ismaïl n’est pas le seul Kurde de Syrie à avoir « disparu » en 2009. Le 1er août, Un adolescent de 15 ans, Shahab Othman, qui vivait dans la région de Koban, a été également arrêté et emmené par la Sécurité politique et sa famille est depuis sans nouvelle. Le 17 novembre, Aziz Khalil Abdi a été arrêté par la même Sécurité politique et son sort demeure inconnu. Le 28 décembre, quatre autres Kurdes ont été arrêtés et emprisonnés à Qamishlo. Hassan Saleh, Maarouf Mala Ahmed et Muhammad Mustafa sont des responsables du parti interdit Yekitî. Anwar Nasso est un artiste militant. Les motifs précis de leur détention sont inconnus.

Par ailleurs, depuis le 30 octobre, des prisonniers kurdes qui poursuivaient une grève de la faim dans la prison d’Adra, à Damas, pour protester contre leurs conditions de détention et leur isolement, ont interrompu leur action. Mais selon le Comité exécutif du Parti de l’union démocratique, les grévistes ont été torturés et alimentés de force. Les prisonniers réclament un procès régulier, la fin de leur isolement, le droit de sortir de leur cellule, le droit de recevoir des visites de leurs proches et parents, et celui d’avoir accès, comme les prisonniers de droit commun, à la radio et aux informations télévisées. Dix jours après l’interruption de leur grève de la faim, des visites ont été autorisées pour des familles de prisonniers qui, selon elles, portaient sur eux des traces de torture. Ils ont raconté avoir été enfermés, seuls, dans des cellules étroites, où on les a forcés de s’alimenter. Le leader du mouvement, qui négociait avec les autorités de la prison, s’est fait promettre que leurs demandes seraient prises en considération, mais jusqu’à ce jour, rien n’a changé selon le Comité. Certains détenus voyaient leur famille pour la première fois depuis le début de leur emprisonnement. Les visites se sont déroulées dans le bureau du colonel de la prison, mais ont été immédiatement écourtées quand le kurde était utilisé dans les conversations ou que les prisonniers rapportaient ce qui s’était passé. Certains détenus ont particulièrement souffert des mauvais traitements et des tortures endurés : Muhammad Habash Rashi Bakr, détenu depuis 7 ans, Nuri Mustafa Hussein, et de Salah Mustafa Misto détenus depuis 6 ans.

Enfin, le 30 décembre, le parti Yekitî annonçait la libération d’Ibrahim Burro, qui avait été arrêté en avril 2009 et condamné à un an de prison en octobre dernier, pour « appartenance à une organisation clandestine ». Lors d’une réception officielle donnée par Yekitî, Ibrahim Burro a relaté en détail ce qu’il avait vu et subi en prison. Il a ainsi indiqué que de nombreux adolescents, sans grande expérience politique, se trouvaient en détention uniquement pour avoir brandi les emblèmes de partis politiques kurdes et que beaucoup d’arrestations dans les milieux kurdes étaient totalement arbitraires.

Zakho, la Jérusalem du Kurdistan





Zakho dessiné de mémoire par un des interlocuteurs sources du livre de Haya Gavish. Le quartier juif a sans doute totalement disparu de nos jours.

Intéressante aussi la reproduction du peuplement du vilayet de Mossoul en 1925 (dommage que pour alimenter la polémique, Kirkouk n'apparaisse pas). La distinction entre les groupes mêle les divisions religieuses et ethniques. On voit que les Kurdes et les Yézidis sont distingués, les Kurdes voulant dire uniquement les musulmans, mais ils sont par contre distingués ethniquement des Arabes et des Turkmènes ; les chrétiens assyriens et chaldéens ne sont, par contre, pas distingués, pas plus que les Arméniens qui étaient arrivés à Zakho après le génocide. C'est donc un mélange de registres ottomans (millet religieux) et de recensement ethnique sur lequel avait dû aussi se pencher la Société des Nations et les Britanniques.



Amadiyya : 22 627

- Kurdes 15 249
- Chrétiens 6 886
- Juifs 492

Aqra : 16 569

- Kurdes 14 975
- Chrétiens 1044
- Juifs 550

Arbil : 73 774 (si l'on fait le total il y a un pékin dans la population qui n'est ni kurde, ni arabe, ni chrétien, ni turcoman ni juif)

- Kurdes 53 915
- Arabes : 11 682
- Chrétiens : 2 822
- Turcomans : 2574
- Juifs 2180

Dohuk : 29 458 (les x = chiffre indécis)

- Kurdes 18 307
- Chrétiens 5 794
- Arabes 2 068
- Yézidis 2x70
- Juifs 829

Mossoul : 166 658

- Arabes 99 461
- Chrétiens 38 240
- Kurdes 14 188
- Yézidis 6 991
- Juifs 4000
- Turcomans 3 778

Sindjar : 25 279

- Yézidis 16 374
- Kurdes 4 057
- Arabes 3 528
- Turcomans 455
- Juifs 05

Tall 'Afar : 2557x

-Arabes 14 440
- Kurdes 5578
- Turcomans 5 524
- Chrétiens 27
- Juifs 7

Zakho : 19 848

- Kurdes 15 546
- Chrétiens 2103
- Juifs 1732
- Yézidis 422
- Arabes 45

En tant que centre religieux, Zakho paraît avoir supplanté Amadiyya, selon certains chercheurs, au milieu du 19ème siècle. L'exemple est donné d'un certain Hakham Eliyahu, ordonné Shohet (abatteur rituel) par les rabbins d'Amadiyya, mais qui envoya son fils à Zakho pour y recevoir à son tour l'ordination, parce que les rabbins de Zakho semblaient l'avoir emporter en importance religieuse. De fait, avec ses 492 juifs, la population d'Amadiyya semble très réduite par rapport à Zakho en 1925, alors que les Kurdes musulmans ont un nombre à peu près équivalent et les chrétiens sont 3 fois plus nombreux à Amadiyya qu'à Zakho, il serait donc intéressant de comprendre ce déclin des juifs d'Amadiyya, qui ne semble pas correspondre à une baisse générale de la population par rapport à sa voisine occidentale.


Unwitting Zionists: The Jewish Community of Zakho in Iraqi Kurdistan, Haya Gavish.

samedi, décembre 19, 2009

Radio : photographies d'Iran, les Camondo, Reza, Les Chats persans





Samedi 19 décembre à 6h00 et 22h11 sur France Culture : Photographies d'Iran et d'autres lieux. Les expositions Photoquai et 165 ans de photographie iranienne au musée du Quai Branly et 1979/2009, Iran, entre l'espoir et le chaos, trente ans de photo-journalisme iranien, à la Monnaie de Paris. Avec Anahita Ghabaïan-Etahedieh, directrice artistique de Photoquai, galeriste à Téhéran ; Yves Le Fur, conservateur au musée Quai Branly. Cultures d'islam, A. Meddeb.

à 14h00 : Istanbul stéréo-couleurs (2) : Autour de l'histoire des Camondo. Avec Nora Seni (Institut français d'études anatoliennes, Istanbul); Rosie Pinhas Delpuech, auteur de Suites byzantines (Bleu autour); Pierre Assouline, préfacier deLa splendeur des Camondo : De Constantinople à Paris 1806-1945 (Skira-Flammarion/Musée d'art et d'histoire du judaïsme); Betül Tanbay (université de Bogaziçi), mathématicienne. Carnet nomade, C. Fellous.

Mardi 22 décembre sur France Culture à 16h00 : Reza pour Chemins parallèles,(Hoëbeke) et Sindbad. Vers l'Orient (Glénat). À plus d'un titre, T. Hakem.



Mercredi 23 décembre à 12h02 sur France Culture : Les Chats persans de Bahman Ghobadi. En direct du forum des images, Tout arrive, L. Touret.




Concert de soutien à l'Institut kurde