mercredi, septembre 30, 2009

Valse avec Bachir



Film magnifique, d'une élégance sidérante qui, comme la musique songeuse et triste, atténuent, tout le long, la cruauté brute des combats, comme le font, en somme, l'amnésie, le rêve, les souvenirs morcelés – jusqu'à l'éclatement final, quand les images recomposées se fracassent sur le réel, sur ce qui n'est pas souvenir mais choc enkysté dans la mémoire et qui est, pour toujours et à jamais, le présent – ; y figurent aussi la splendeur hideuse – ou son hideur splendide, si l'on veut – de la guerre, en ce que son épouvante brouille le regard, le temps, fait surgir un autre monde, "un rêve vérace et décevant", fait illusion d'un aéroport intact, et parfois l'illusion marche et porte : la mer se fait amicale, la valse sous les balles est invincible, on peut marcher dans la rue entre les sifflements des lance-roquette, ou regarder de son balcon ; parfois l'illusion trébuche et c'est souvent, curieusement, sur l'animal mourant que l'horreur hante : les chevaux agonisants, le regard des chiens abattus. La scène onirique du bain de mer a toute la beauté mélancolique d'une scène originelle, à la fois voile et déchirement.

IRAK : LA QUESTION DE KIRKOUK BLOQUE LES INSTITUTIONS IRAKIENNES


Le président du Gouvernement régional du Kurdistan, Massoud Barzani, recevant le 6 septembre le nouvel représentant des Nations Unies en Irak, Ad Melkert, accompagné d’une délégation du bureau des Nations Unies de Bagdad, a réitéré son refus de toute alternative à l’article 140 de la Constitution irakienne pour résoudre le problème de Kirkouk : « Nous apprécions le rôle des Nations Unies dans cette question et espérons que ses efforts avec toutes les parties aboutiront à une solution. Nous insistons sur le fait que cette résolution doit se faire en accord avec l’article 140 de la Constitution car nous ne voulons pas que notre peuple passe à nouveau par des épreuves et des tragédies. Nous sommes prêts à coopérer avec les Nations Unies, mais ce problème concerne une nation toute entière et quoiqu’il arrive nous ne ferons aucune concession là-dessus… » Le président a ajouté que les Kurdes avaient déjà fait preuve d’une « grande flexibilité » au sujet de l’article 58 de la Loi d’Administration provisoire et de l’article 140 lui-même. L’article 58 de la Loi d’Administration provisoire avait été en effet adopté par toutes les parties après de longues négociations entre Arabes et Kurdes, et l’administration Bremer, au sujet de Kirkouk et des districts kurdes détachés par l’ancien régime des autres gouvernorats du Kurdistan. Il énonçait que : « Le gouvernement intérimaire, et tout spécialement la Commission des Réclamations sur la Propriété et les autres corps de l’État concerné, doivent prendre des mesures pour remédier à l’injustice causée par les pratiques du régime précédent, celles qui visaient à altérer le caractère ethnique de certaines régions, y compris Kirkouk, par la déportation et l’expulsion des individus de leurs lieux de résidence, pratiques qui avaient pour but de produire des migrations forcées, dans et à l’extérieur de la zone, d’y installer des étrangers à la région, en privant les habitants d’y travailler et les obligeant à modifier leur nationalité. »

Les mesures proposées par l’article 58 étaient de faciliter le retour chez eux des colons installés dans Kirkouk après compensation financière et faciliter leur recherche d’emploi, tout en réintégrant dans leurs anciens postes les fonctionnaires kurdes qui avaient été mutés dans le sud irakien. Il prévoyait aussi de permettre à chaque habitant de Kirkouk de choisir librement son appartenance ethnique, puisque l’ancien régime avait contraint les habitants de Kirkouk à se déclarer arabes pour ne pas être déportés. La question des limites géographiques du Kurdistan devait être résolue soit par un « comité d’arbitrage neutre » nommé par le Conseil de présidence, soit par le Secrétaire général de l’ONU. Mais ces dispositions n’ont jamais été appliquées, tant en raison du chaos sécuritaire et politique dans lequel a plongé l’Irak sous l’administration Bremer que d’une certaine inertie politique de la part du gouvernement central.
Aussi la constitution irakienne de 2005 avait tenté une autre solution en proposant un référendum dans les zones à majorité kurde hors Région kurde, après un recensement de la population revenue depuis 2003 dans leurs villes d’origine. Là encore, le recensement n’a pas été mis en place et la solution du référendum, toujours fermement soutenue par les Kurdes, rencontre à la fois l’opposition du gouvernement irakien, de la Turquie, ainsi que des États-Unis et de l’ONU qui ne cesse de présenter des plans alternatifs, tout aussi peu applicables. En attendant, la question de Kirkouk bloque l’Irak dans toutes ses institutions électorales, et même économiques, puisque le recensement de la population irakienne, qui n’a pas été fait depuis les années 60 et devait avoir lieu en octobre prochain, a été reporté en octobre 2010, par décision du cabinet du Premier Ministre irakien. En effet, un tel recensement à Kirkouk, entérinerait la supériorité démographique des Kurdes et mettrait définitivement à mal les chiffres avancés par le Front turkmène (soutenu par Ankara) sur les « millions de Turkmènes » qui, selon lui, composent la population de Kirkouk. Cela donnerait aussi une première base de données pour déterminer l’historique de la population actuelle de Kirkouk (qui a été déporté, qui vient d’une installation de colons, etc.).

Ce recensement cependant ne peut être reporté indéfiniment, d’autant qu’il déterminera aussi la répartition du budget alloué par Bagdad à chaque province. En effet, l’accord sur la gestion des revenus pétroliers et des ressources naturelles dans chaque province prévoit que la totalité du budget aille au gouvernement central qui a à charge de le redistribuer équitablement dans les régions irakiennes, selon leur démographie et leurs besoins économiques. Il est à noter que la décision de ce report provient essentiellement de Maliki et de son cabinet, à l’exception du ministre de la Planification qui y était opposé, ainsi que le Parlement irakien et même l’ONU.
Le 18 septembre, c’était au tour du Vice-président des États-Unis, Joe Binden, de rencontrer Massoud Barzani pour discuter des relations entre Erbil et Bagdad, et tout particulièrement de l’article 140, en plus de la conflictuelle loi sur les hydrocarbures et d’éventuels amendements de la Constitution irakienne. Mais pour une fois, Américains et Kurdes étaient d’accord sur le maintien indispensable des élections irakiennes pour janvier 2010. Recevant un peu plus tard Christopher Hill, l’ambassadeur des États-Unis en Irak, la question des futures élections législatives en Irak, prévues pour janvier 2010 a de nouveau été abordée, d’autant plus que là encore Kirkouk risque de bloquer toute nouvelle loi électorale. Mais en vue du prochain retrait américain d’Irak prévu pour 2011, la question d’une force de sécurité tripartite, kurde, irakienne et américaine a de nouveau été abordée. Cela pourrait s’appliquer tout aussi bien à Kirkouk qu’à Mossoul, voire les zones de la Diyala où Peshmergas et armée irakienne avaient frôlé l’affrontement en 2008.

Ziryab et la cuisine des califes


Le luxe et le raffinement se propagèrent ensuite de Bagdad à tous les territoires de l'Islam jusqu'aux plus extrêmes marches occidentales : Le Bilâd al-Andalus, c'est-à-dire l'Espagne des Omeyyades, où les nouvelles modes orientales furent introduites par Ziryâb, un musicien d'origine kurde.

Ziryâb (v. 790-852) fut le pseudonyme d'Abu al-'Alî ibn Nâfi, natif de Mossoul, célèbre musicien et arbitre du bon goût. Il fut introduit auprès de Harûn al-Rashîd (786-809) qui très impressionné par le jeune musicien, qui dût quitter Bagdad [en raison de la jalousie de son maître, Ishaq al-Mawsilî, dit-on, n.d.t]. Quelques années plus tard, on le retrouve à Cordoue où il servit avec succès à la cour de 'Abd al-Rahmân, qui le témoignait la plus haute considération. Très versé en poésie comme en histoire et en astronomie, Ziryâb était considéré comme le parfait "bon compagnon" :

Il fut incité à venir à Cordoue par les dirigeants omeyyades qui lui firent de somptueux présents. On ne lui doit pas seulement d'y avoir amélioré le niveau des musiciens et des chanteurs, mais il devint aussi un arbitre de la mode et du bon goût en général, du même calibre qu'un Pétrone ou un Beau Brumell. On dit ainsi qu'il introduisit un ordre spécifique pour faire servir différents plats dans un banquet. En fait, il semble très probable que l'ordre des services que nous suivons de nos jours dans les occasions les plus formelles nous vient de Ziryâb. Il s'intéressa aussi à la préparation de différents plats et amena beaucoup de recettes orientales. Il montra aux gens que la fine verrerie pouvait être plus élégante que les gobelets d'or et d'argent. Il prêta une grande attention à la coiffure et à d'autres formes de cette culture de la beauté. (William Montgomery Watt, The Influence of Islam on Medieval Europe, Edinbrugh, University Press, 1972, p. 24.).
Ziryâb conquit la cour par son élégance, ses bonnes manières et son goût pour la cuisine raffinée. Il importa la cuisine abbasside en Andalousie et reproduisit le goût des mets qu'il avait mangés aux banquets des califes de Bagdad. Nous lui devons des innovations dans l'art de dresser la table : il introduisit l'usage des petites tables basses, des nappes en cuir fin, des gobelets de verre, et un ordre défini pour servir les entrées, ce qui rompait avec la coutume de tout servir en même temps. Un repas devait commencer avec les soupes, suivies des plats de viande et puis des desserts. Il introduisit de nouveaux plats, des recettes orientales à base de riz, de sucre et d'épices, de confitures, de massepain et de noisettes. Dans ce domaine, l'Occident apprit de l'Orientm avec l'Espagne pour intermédiaire.
La grande tradition arabo-persane a contribué d'une façon décisive à la fondation de la nouvelle cuisine européenne qui se développa à la cour des Normands de Sicile. Les grands plats de la tradition iranienne, qui avaient été repris par les Arabes et s'étaient répandus dans les vastes territoires qu'il contrôlait, formaient la base des emprunts. Il est bien connu que le riz devint largement répandu en Italie avec la domination arabe et ce sont les Arabes qui introduisirent le sucre en Sicile et en Espagne. Le sucre, originaire d'Orient, était raffiné en Inde et en Iran, avant d'être d'exporter en Europe d'Égypte, de Syrie et d'Afrique du nord. Le café fut le dernier produit à être importé. Originaire des régions de la mer Rouge, probablement d'Éthiopie et de Moka au Yémen, il fut introduit dans les régions méditerranéennes au XVIº siècle et, de là, se répandit en Europe.
Les Turkmènes, qui venaient des steppes du Turkestan, commencèrent à pénétrer dans l'Empire abbasside au milieu du Xº siècle et contribuèrent à introduire les saveurs acides-aigres dans la cuisine du Moyen-Orient. En 1055, les Turcs Seldjoukides occupèrent Bagdad et devinrent le troisième élément ethnique de l'Islam médiéval. Ils s'établirent dans la capitale du Califat, supplantant les Arabes et les Iraniens et assumèrent les fonctions de gouvernement des peuples du Proche-Orient.
Les grandes traditions culinaires arabo-persanes furent de plus en plus exposées aux influences de l'Est. Les habitudes alimentaires des nomades de la steppe sont semblables à celles des peuples nomades arabes dans l'importance accordée au lait et à tous ses dérivés dans le régime alimentaire, et la simplicité de la cuisine est leur préoccupation. L'Irak fut un lieu de symbiose par excellence entre cultures nomade, rurale et urbaine, un point de rencontre pour la ville, le désert et les steppes, la fusion de la douceur et de la rugosité, du raffinement et de la barbarie.
Il semble que la littérature culinaire ait vu le jour à Bagdad, vers le début du IXº siècle et fut très prolifique jusqu'au XIIIº siècle. La richesse de cette littérature est attestée par les œuvres de Muhammad ibn al-Hassan ibn Muhammad al-Karîm al-Kâtib al-Baghdadî, auteur du Kitâb al-Tabîkh (Livre des plats), un livre de recettes écrit à Bagdad en 1226 et qui témoigne d'un état d'apogée de la grande tradition gastronomique arabo-persane.
La cuisine de cour est surchargée d'ingrédients et d'arômes, tandis que la cuisine populaire comprend de simples plats de légumes, des céréales bouillies avec des apports de viande.
Les livres de recettes écrits durant cette période contiennent aussi des plats et des boissons "ethniques" comme le "vin indien", le "plat kurde aux pistaches", une "recette turkmène", une "recette de Basra", et ainsi de suite, qui prouvent l'intégration de cultures différentes dans la société islamique. Les habitudes alimentaires ont été un facteur d'identification, révélant le degré de cohésion des groupes ethniques, religieux et sociaux. S'y ajoutent, dans la société islamique, d'importantes communautés chrétiennes et juives, avec des règles alimentaires différentes, mais qui suivaient aussi les tendances gastronomiques de leur époque.
Les arts culinaires dans toutes les régions du Kurdistan ont évolué selon diverses tendances et préférences. Les modèles culinaires ont circulé avec les guerres et les migrations saisonnières des populations nomades en quête de nouvelles pâtures.
La vie nomade fut prédominante parmi les Kurdes. Des compte-rendus de la vie et des banquets des émirs kurdes aux XVIº et XVIIº siècles furent fournies par des poètes, en particulier Ahmedê Khanî (1651-1707) qui dans son long poème masnawi Mem et Zîn, a chanté la vie à la cour du Botan et décrivit les banquets et les mets des émirs :
Saki ! Verse dans cette coupe de la couleur du ciel
Le vin semblable à l'esprit éternel,
Afin que pour un instant mon esprit se rafraîchisse
Avec ce vin qui cultive l'esprit.
Saki ! Verse dans ta coupe ornée
Le vin qui fait les cœurs clairvoyants,
Et par quoi les cœurs attristés s'égaient,
Et qui enivre les têtes folles.
Saki ! Verse cette coupe de velours,
Cette eau, la pure substance du fouloir,
Rubis dissous, carmin fluide,
Cette perle, suave confiture,
– Et verse tes propres perles aussi !
Ce vin pareil à une liqueur de rose.
Mem et Zîn, (286-292, trad. S. Alexie & A. Hasan)

Il y a eu aussi des influences réciproques entre la culture kurde et les civilisations avec lesquelles elle était en contact, comme la Mésopotamie arabe, la Perse sassanide, la Syrie byzantine et son héritage hellénistique, et la Turquie ottomane.
Les recettes traditionnelles kurdes reflètent les aspects les plus importants de la société; elles représentent des sources précieuses pour l'histoire culinaire et par-dessus tout, pour l'histoire économique et sociale du peuple kurde. La littérature kurde (poésie, prose et proverbes) et la littérature de voyage occidentale regorgent d'anecdotes se rapportant à la gastronomie, de descriptions détaillées de banquets, de repas et de plats, de règles de bonnes manières à table, etc.




Mirella Galletti, Cuisine and customs of the Kurds and their Neighbors, JAAS, 23, nº1, 2009.

Les éléments à la source d'une nouvelle iconographie

Ce sont les métaux qui donnent la première iconographie astrologique connue, avant celle conservée dans de rares manuscrits du XIIIº siècle. On trouve de nombreux objets de cuivre ou de bronze, d'une grande variété, depuis les pièces de monnaie, les ustensiles et vaisselles (vases, chaudrons, plateaux de balance), jusqu'aux objets décoratifs et précieux, incrustés d'argent (miroir, écritoire, encrier). Leur origine est localisée dans une aire relativement bien identifiée, qui s'étend de l'est de l'Anatolie à la Haute Mésopotamie et de Baghdad au Khurâsân en Iran oriental, donc dans une sorte de croissant, de Siwâs à Herât, en passant par Mossoul. La plupart des pièces connues datent de l'époque saljûqide, ayyûbide et ilkhânide. Certains princes ou dignitaires furent les commanditaires de ces objets, tels l'atabeg zenguide Badr al-Dîn Lû'lû à Mossoul, ou le sultan Kay Khusraw à Siwâs. La relative homogénéité des thèmes permet de penser que le modèle de base fut le même; mais existait-il un centre initiateur ?

Les plus anciennes miniatures astrologiques sont saljûqides ou artuqides, et elles illustrent certains manuscrits d'al-Jazarî, un recueil talismanique, le Daqâ'iq al-haqâ'iq (vers 1272), la première copie des 'Ajâ'ib al-makhlûqat (1280). Le pont de Jazîra ibn 'Umar sur le Tigre, en Haute Mésopotamie, présente également d'impressionnants médaillons sculptés et décorés de figures astrologiques.

(…)

Avant d'être "doctrinalement" redéfinis par les astrologues persans tels Abû Ma'shar, l'iconographie du zodiaque astrologique abritant les planètes mais surtout l'iconographie des planètes elles-mêmes, semblent redevables pour une grande part à la survie de ces cultes astraux, sans doute très dénaturés, perpétués de diverses manières (populaires et savantes), dans la cité d'Harrân.

Il est certes impossible de tout ramener à Harrân, iconographie et doctrines astrologiques; aux éléments examinés plus haut s'ajoute le rôle de certaines communautés autochtones encore actives au Proche-Orient du VIIIº au XIº siècle : adeptes du Zoroastrisme, mais aussi de quelques communautés de gnostiques mandéens, de Kurdes yazîdîs, de Syriens nusayrîs. En fait, les sectes gnostiques paraissent assez nombreuses et, au fond, très proches les unes des autres, certaines hermétistes, d'autres néoplatoniciennes.

(…)

En dehors des Sabéens de Harrân, la Mésopotamie était encore habitée au début de l'islam par d'autres sectes astrolâtres, dont on ne peut établir avec certitude qu'elles jouèrent un rôle dans la constitution d'une iconographie astrologique, mais qui sont à signaler pour leur dévotion aux astres, y compris au zodiaque. Entre autres, les yazîdîs, secte kurde de la région de Mossoul; adorateurs de sept divinités dont le Soleil et la Lune et les étoiles, connus à l'époque islamique pour leur dévotion au chef de leur panthéon, al-Malik al-Tâwûs; les nusayrîs, d ela côte syro-libanaise, dont la religion messianique possède des pratiques proches de celles des adorateurs des planètes et surtout les mandéens de l'Euphrate, ou mandéens des marais, mentionnés par al-Shahrastânî sous le nom de "sabéens" qui auraient eu des croyances proches de celles des Harraniens.

Images du ciel d'Orient au Moyen Age ; Anna Caiozzo.

mardi, septembre 29, 2009

Apprendre l'araméen en région parisienne


The Schøyen Collection MS 574. Manuscrit syriaque en écriture estrangela.
Mt. Sinai, Égypte, IXºs. *Saint Jean Chrysostome, 'Homélie sur l'Évangile de Jean'. *velin, 4 ff., 25x16 cm.


Pour ceux qui seraient intéressés par l'apprentissage de la langue araméenne, signalons qu'une association vient d'être créée à Gonesse, au centre socio-culturel Ingrid Bettencourt. L'inauguration de l'ALAL a eu lieu samedi dernier et pour tout renseignements sur les conditions d'adhésion et de participation aux cours, vous pouvez essayer de vous adresser par là.

IRAN : MYSTÉRIEUX ASSASSINATS POLITIQUES À SANANDADJ


Plusieurs assassinats visant des personnalités religieuses et politiques ont semé un certain trouble à Sanandadj, capitale de la province du Koudestan en Iran. Le 17 septembre, Mamosta Sheikholeslam, qui représentait la province du Kurdistan à l’Assemblée des Experts, a été tué de deux coups de revolver, par un tireur non identifié, dans une mosquée de Sanadadj. Quelques jours auparavant, un autre imam de la ville, Ali Borhan Mamoste, partisan du président iranien, avait été tué de la même façon, cette fois par trois tireurs, toujours inconnus. Enfin, deux juges locaux ont échappé à des tentatives d’assassinats similaires.

L’agence gouvernementale ISNA a accusé immédiatement le PJAK, la branche iranienne du PKK, qui n’a pourtant pas revendiqué l’action, pas plus qu’aucune autre organisation kurde, et qui n’est pas coutumier de ce genre d’action sur des fonctionnaires ou des religieux, ses attaques visant surtout les militaires et les forces de sécurité. Par ailleurs, les victimes n’étaient pas des personnalités politiques de premier plan, ni très dangereuses pour les activistes kurdes. Aussi, la plupart des mouvements politiques kurdes ont condamné ces assassinats. Enfin, tout en accusant les partis clandestins kurdes ainsi que des « agents étrangers », le gouvernement a relié également ces actions à des groupes sunnites proches d’al-Qaeda, et a mené une série de coups de filet contre des milieux sunnites « extrémistes », à l’issue desquels 4 personnes ont été tuées et 14 arrêtées.
Mais des partis kurdes, comme le Parti démocratique du Kurdistan, dénoncent une série d’arrestations arbitraires au Kurdistan et alertent sur la volonté du régime d’exécuter des prisonniers politiques kurdes en instance de jugement. Pour Loghman H. Ahmedi, le représentant du PDK-Iran pour le Royaume-Uni, al-Qaeda est peut-être derrière ces assassinats, mais certainement pas les mouvements kurdes qui les ont largement condamnés. Quant aux réseaux d’al-Qaeda qui opéreraient en Iran, Loqman H. Amedi affirme qu’un bon nombre de ces groups sont en fait soutenus, financés et parfois même mis en place par l’Iran lui-même, afin d’être utilisés contre les mouvements kurdes au Kurdistan, en Irak comme en Iran.

Il est vrai qu’entre les années 1990 et jusqu’en 2003, ces groupes sunnites extrémistes contrôlaient de larges territoires dans les districts de Halabja et Penjwin, au Kurdistan d’Irak, jusqu’à ce qu’une opération conjointe des forces américaines spéciales et des Peshmergas « nettoient » ces bastions islamistes et les refoulent en Iran. Selon le représentant du PDK-Iran à Londres, après leur repli en Iran, ces groupes auraient été réorganisés avec le soutien de l’Iran et réinstallés dans des villes kurdes comme Mariwan, Sanandadj et Paveh, et leur cible a jusque là toujours été les militants kurdes laïques et non le régime chiite. Ces récents assassinats, tous dirigés contre des figures kurdes travaillant officiellement pour le gouvernement, mais sans grande envergure politique, pourraient servir de prétexte à des exécutions massives de détenus kurdes et un alourdissement de la répression contre les mouvements kurdes ou les associations de défense des droits de l’homme.

Les origines de la cuisine kurde


Pour en revenir au dicton kurde "au printemps, le mouton, à l'automne le raisin et en hiver, moi", nous pouvons dire que cela est tout aussi vrai pour la période néolithique. Les aliments qui forment la base de la cuisine kurde de nos jours étaient, de fait, déjà présent dans le régime alimentaire des peuples vivant dans cette région depuis les temps les plus reculés.

Le Kurdistan est connu pour avoir été peuplé dès la nuit des temps, comme faisant partie du "Croissant fertile", qui a été le foyer d'une avancée culturelle exceptionnelle entre les périodes du Paléolithique et du Néolithique. Archéologues et anthropologues ont cherché une explication à ce saut fondamental dans les modes de vie, qui a amené une population de chasseurs cueilleurs à se tourner vers une économie d'agriculture et d'élevage.

Cette zone géographique est l'une des plus anciennes à avoir expérimenté la Révolution néolithique. En 1948, Robert Braidwood a suggéré que l'agriculture a débuté dans les flancs de collines des montagnes du Zagros et du Taurus, où le climat n'était pas très sec, et où la fertilité du pays permettait une variété de plantes et d'animaux qui pouvaient être domestiqués, et a donné lieu aux premières implantations agricoles connues, auxquelles se réfère la période du Néolithique précéramique A (PPNA), datée d'environ 9 000 ans avant J.C. Ce fut la première révolution agricole.

Cette transition dans le Néolithique semble associée à un passage d'un mode de vie largement nomade de chasseurs-cueilleurs à un mode de vie plus sédentaire et agraire, avec l'adoption de techniques agricoles primitives, la culture de végétaux, et la domestication animale. Il en résulta que le Croissant fertile comporte un palmarès dans les activités humaines passées et est célèbre pour ses sites liés à la naissance de l'agriculture.

En cultivant des plantes et en domestiquant des animaux, l'être humain fut à l'origine d'une révolution extraordinaire. À partir de ce moment, des possibilités incomparables furent ouvertes à la fois par la capacité de l'humanité à créer des excédents alimentaires consistant en espèces végétales et en animaux domestiques qui pouvaient être augmentés et renouvelés par l'initiative humaine, au gré des besoins, et par l'essor des techniques de préservation des aliments. La plupart des espèces botaniques et zoologiques que les hommes ont domestiquées au Néolithique étaient présents dans le Croissant fertile, comme les céréales (comme l'orge et le seigle sauvage, deux espèces de blé – l'engrain et le blé ammidonnier –, les légumineuses (pois, lentille sauvage, fève, vesce amère et pois chiche), plusieurs espèces animales (chèvre, mouton, auroch et sanglier) qui furent modifiées par le processus de domestication et ont formé la base de notre régime carné depuis lors.

Zawi Chemi Shanidar est le plus ancien site où ont été retrouvés des restes de moutons que l'on présume avoir vécu sous contrôle humain, à défaut d'avoir été réellement domestiqués. Ce site, au nord-ouest de Rawanduz, est daté de la transition entre le 10ème-9ème millénaire avant J.C., et est classifié comme appartenant au Néolithique précéramique. Il atteste que ces peuples premiers avaient dépassé la simple recherche de nourriture et d'un mode de production de chasse-cueillette pour parvenir à une domestication des plantes et des animaux.

Des éléments attestant un début de l'agriculture, de la domestication animale et de l'implantation de communautés villageoises sédentaires ont été trouvées à Jarmo, entre Kirkouk et Suleïmanieh. À dire vrai, le site de Jéricho en Palestine est plus ancien que Jarmo. Le site de Jarmo se trouve dans l'une des vallées les plus agréables et les mieux irriguées qui s'échelonnent le long des flancs de colline du "Croissant fertile". De telles vallées, comme celle de Chemchemal, où se situe Jarmo, ont pu offrir un terrain favorable aux premiers essais d'agriculture et de domestication animale.

Les fouilles à Jarmo ont révélé un village à un stade précéramique. Les habitants vivaient dans des maisons aux murs d'argile, munies de fours et de cheminées. Les grains et les ossements d'animaux, des outils qui servaient à la culture et à la préparation des céréales ainsi que des aliments retrouvés sur le site attestent qu'ils avaient atteint un stade avancé d'économie agricole. Ils prouvent aussi que les peuples antiques qui vivaient là avaient assez de loisirs en dehors de la quête exclusive de nourriture, comme le laisse supposer les traces de technologie retrouvées sur place. Jarmo possédait deux variétés de blé, une d'orge, certaines légumineuses, des chèvres, des moutons, des chiens et des porcs. On a retrouvé des pistaches, des noisettes et des glands, ainsi que des ossements d'animaux qui devaient certainement appartenir à des espèces sauvages.

Les ossements de porcs retrouvés à Jarmo montrent la transition entre des espèces sauvages et domestiques. Il est probable que les premiers fermiers sédentaires ont commencé par élever des cochons sauvages en même temps qu'ils débutaient l'élevage de moutons et de chèvres.

Les sites de Palegawra, Karim Shabir et Jarmo montrent les preuves d'un changement culturel qui va de la fin de la période des habitations troglodytes à celle d'une vie villageoise pleinement sédentaire. À Karim Shahir les hommes se sont probablement livrés à leurs premiers essais d'agriculture, de domestication animale et de vie villageoise. Il y a eu une accélération dans l'expérimentation technologique et une avancée qui n'ont pas eu d'égales avant notre époque.

En 1964, les fouilles de Çayönü, à 40 kilomètres de Diyarnakir, majoritairement peuplée de Kurdes, ont constitué le point culminant des recherches remarquables et de longue haleine de Braidwood sur les origines de l'agriculture et de l'élevage au Proche-Orient. Parmi les résultats les plus notables figurent la découverte d'une métallurgie primitive du cuivre et d'une technique de terrassement, l'usage d'une bio-technologie de pointe pour extraire les cristaux sanguins des outils de pierre et l'identification récente des plus anciens textiles. Il découvrit ainsi un fragment de vêtement semi-fossilisé qui avait été tissé vers 7000 avant J.C. Cette découverte fournit la preuve que le lin était domestiqué à cette époque dans la région.

Le site de Çayünü a été occupé de 7200 à 6000 avant J.C. Des lentilles et des vesces ont été d'abord les cultures prédominantes et furent graduellement remplacées par du blé et de l'ammidonnier. Sur le site, les archéologues ont trouvé aussi des figurines d'argile représentant principalement des taureaux, des animaux à cornes et des chiens. Plus de soixante-dix squelettes humains ont été retrouvés dans un vaste bâtiment à usage cultuel.

Au cours des sixième et cinquième millénaires, les cultures néolithiques à leur apogée se sont étendues vers la Haute Mésopotamie et le plateau du Nord. Elles ont fabriqué des poteries (et parmi elles des pièces très raffinées) et construit des systèmes d'irrigation artificielle pour faire pousser l'orge et le blé. Les endroits qui ont donné leur nom aux plus grandes cultures céramiques du Néolithique sont Jarmo puis Hassuna, Pelegawra, Arpatchiya, Ninive et Tell Halaf. Cette dernière, en Djezireh (Syrie), est le lieu prédominant d'une vaste koinè culturelle couvrant le haut Tigre jusqu'au plateau au sud du lac d'Ourmia. Bien qu'il n'y ait aucune donnée concrète qui nous permette d'identifier ces cultures comme étant les ancêtres de celle des Kurdes d'aujourd'hui, on ne peut qu'être frappé par l'uniformité culturelle de la zone qui est aujourd'hui largement recouverte par le Kurdistan.

Les vignes ont sans doute été cultivées pour la première fois dans cette région. Des résidus de vin ont été trouvés au fond d'une jarre en terre datant de 5400-5000 avant J.C. sur le site néolithique de Haji Firuz Tepe, à Ourmia, au nord-ouest de l'Iran. Ces six jarres de neuf litres étaient enfouies dans le sol d'un bâtiment aux murs de terre. Cette vaisselle ne contenait pas seulement des résidus de jus de raisin mais aussi des dépôts de résine. La résine provenant du térébinthe, arbre qui pousse à l'état sauvage dans la région, a été largement utilisée pour conserver les vins antiques, en raisons de ses propriétés bactéricides.

Nous ne savons pas si les vins résinés trouvés à Haji Firuz Tepe ont été produits à partir de vignes domestiques (Vitis vinifera vinifera) ou sauvages (Vitis vinifera sylvestris). Il y a toujours des vignes sauvages dans cette région. Ces découvertes ont montré que le vin était aussi important que la bière d'orge dans les premiers stades de la civilisation mésopotamienne, et qu'il était souvent mélangé avec de la bière, du miel, des herbes et des épices comme dans beaucoup d'autres civilisations du monde antique.

Les données archéologiques, linguistiques, botaniques et autres, désignent la Turquie orientale comme la zone des premiers peuplements humains basés sur la domestication, fondateurs de la culture du Néolithique. Une étude de l'ADN de l'ammidonnier font remonter les origines de cette céréale à la région de Karacadag dans le Taurus (Sud-Est de la Turquie) et l'on pense que la vesce comme le pois chiche ont été domestiqué dans cette région, qui va, au nord, jusqu'au mont Ararat et aux sources du Tigre et de l'Euphrate. Les formes dominantes de l'élevage et de l'agriculture préhistoriques ont persisté dans les civilisations historiques postérieures des Assyriens, des Ourartiens et des Scythes.

En 1947 à Ziwiye, près de Saqqez (Iran, province du Kurdistan), les archéologues ont trouvé l'image d'un cerf avec de longs bois entortillés, gravée sur une plaque d'or. Cette découverte fait partie d'un trésor contenant de l'or, de l'argent et de l'ivoire datant du 9ème siècle avant J.C., qui était renfermé dans un sarcophage retrouvé sur le site funéraire d'un roi scythe. De nombreux objets ont été également trouvés sur une colline de la ville de Ziwiye et dans les environs, dont un vase en terre cuite rouge avec un bec en forme de canard et un vase en terre cuite peint, en forme de canard.

Le site archéologique de Hasanlu, au sud du lac d'Ourmia, contemporain du site de Ziwiye, a livre une fameuse coupe d'or massif avec un décor gravé figurant deux serviteurs menant des béliers.

La nourriture est un élément essentiel dans le mythe fondateur du peuple kurde. Le tyran Zahhâk Tazi (l'Arabe) renversa Djamshid, le cinquième roi de la dynastie mythique des Pichdadides. Zahhâk, cependant, était affligé de deux excroissances sur ses épaules, qui avaient la forme de serpents. Satan lui-même intervint et pour soulager son mal recommanda que chaque jour on applique sur chacune d'elle la cervelle d'une jeune personne pour nourrir les serpents. Ainsi, un grand nombre de jeunes gens furent sacrifiés jusqu'à ce que le cuisinier cherche à épargner des vies innocentes et remplaça les cervelles humaines par celles de mouton. Les survivants, mâles et femelles, trouvèrent refuge dans la montagne et avec le temps se mêlèrent par mariage aux habitants locaux, devenant les ancêtres des Kurdes. Ils restèrent dans les montagnes et se consacrèrent à l'élevage et à l'agriculture. Zahhâk fut plus tard défait par Feridoun et, comme Prométhée, fut enchaîné au sommet du mont Demavend où il mourut. C'est ainsi, du moins, que Firdousî relate dans son Shâhnahmeh ou "Histoire des rois de Perse".

Le Proche-Orient a été pénétré par les cultures hellénistique et perse depuis l'Antiquité. Les mélanges culinaires entre Arabes, Persans et Byzantins ont accentué cet humus culturel complexe, qui a servi de substrat à la cuisine islamique après l'établissement de l'Islam. La nouvelle civilisation arabo-persane a cultivé l'art du bien-vivre et un goût pour des banquets raffinés et copieux. C'est ainsi que le monde islamique, et donc la société kurde, s'est approprié une cuisine élaborée et complexe, qui avait conservé très peu des traditions bédouines, comme nous pouvons le voir dans les recettes codifiées à Bagdad au 9ème siècle, où les goûts arabes et persans coexistaient.

Mirella Galletti, Cuisine and customs of the Kurds and their Neighbors, JAAS, 23, nº1, 2009.

lundi, septembre 28, 2009

TURQUIE : APPELS À LA PAIX ET POURSUITE DES COMBATS


Alors que durant l’été, les annonces de « plans de paix »s’étaient succédés, tant de la part du gouvernement turc que du PKK, pour finalement n’aboutir qu’à de vagues propositions ou ébauches de règlement de la question kurde, le mois de septembre a été plutôt fluctuant, à l’image de ces perspectives politiques incertaines, les gestes de détentes alternant avec la poursuite des violences armées dans les régions kurdes, malgré la « trêve du Ramadan » décidée jusqu’au 22 septembre par le PKK.

C’est également sous le signe de la paix qu’a fait campagne le DTP, dès le 1er septembre, pour sa « Journée de la Paix », s’inspirant initialement de la Journée internationale de la Paix instaurée par les Nations Unies le 21 septembre. Plusieurs milliers de Kurdes ont ainsi manifesté à Diyarbakir en scandant « oui à une paix honorable ». Mais le 25 septembre, c’est un autre slogan qui était lancé, à l’occasion d’une autre manifestation, organisée dans la même ville, survenant après plusieurs accrochages sanglants entre l’armée et le PKK : « Les martyrs ne meurent jamais ».

Malgré les annonces de « plan de paix » des uns et des autres et la « trêve du Ramadan », ce mois-ci a été de fait assez meurtrier, avec 9 soldats turcs tués, de source militaire, et treize autres blessés. Le 8 septembre, des affrontements dans la ville d’Eruh, province de Siirt, ont en effet opposé le PKK à des soldats, tuant cinq Turcs et en blessant quatre autres, selon une source anonyme s’adressant à l’AFP. Le même jour, à Cukurca, province de Hakkari, deux autres soldats étaient tués et un blessé. Le lendemain, 9 septembre, une mine posée par le PKK, selon l’armée, faisait deux victimes parmi les soldats turcs et huit blessés près de Baskale, province de Van. Le 13 septembre, toujours à Cukurca, l’armée annonçait la mort de trois combattants du PKK alors que la veille un civil avait été tué et un autre blessé par l’explosion d’une mine à Kulp, près de Diyarbakir. Enfin, le 18 septembre, l’armée turque a demandé officiellement au Parlement d’Ankara de renouveler son autorisation d’effectuer des opérations au Kurdistan d’ Irak pour y pourchasser le PKK, autorisation qui doit expirer le 17 octobre prochain. Cette autorisation, votée en 2007, avait été renouvelée en 2008.

Après les annonces de réformes visant à résoudre le conflit kurde, certaines voix dans la presse turque avaient émis l’hypothèse que, cette fois-ci, le feu vert du parlement, en majorité AKP, n’était pas forcément acquis, d’autant plus qu’une détente incontestable a contribué à assouplir la position de la Turquie sur le statut du Kurdistan d’Irak. Mais le Premier Ministre, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré finalement, le 27 septembre, de New York, alors qu’il participait à l'assemblée générale de l'ONU, qu’il y était favorable : « Nous en parlerons lors d'un conseil des ministres et enverrons (la demande) immédiatement au parlement. » 3 jours plus tard, le général Ilker Basbug, chef de l’état-major, alors en déplacement dans la province de Mardin, a fait, depuis le poste militaire de Sinirtepe, une déclaration ambiguë, dans laquelle il appelait à la fois le PKK à se rendre, avec des accents relativement pacifistes, « il n'y a aucune autre solution. On ne peut parvenir à rien avec les armes et le sang », tout en indiquant aussitôt avoir l’intention de lutter « jusqu'au bout pour mettre fin au terrorisme ». Sur la question de la reddition et de l’amnistie, Ilker Basbug a cité des chiffres émanant du ministère de la Justice, affirmant que sur 870 membres du PKK qui s’étaient rendus, en vertu de dispositions déjà existantes, 638 avaient été libérés entre 2005 et 2008, car n’ayant pas pris les armes contre les forces de sécurité. Reprenant la version officielle de l’AKP selon laquelle le problème kurde en Turquie est essentiellement économique, le général a pointé le chômage dans les régions kurdes et l’analphabétisme (20% au Kurdistan de Turquie contre 7% dans les régions de l’Ouest).

Al-Jazarî, le Léonard de Vinci du monde islamique médiéval



"Au premier étage sont disposées deux loges. Dans la première loge est disposé un trône d'eau, sur lequel siège un personnage dont la nature l'incline vers l'humide." Sohrawardî, Le Vade-mecum des Fidèles d'Amour, 2.





"Dans les cosmographies ou les anthologies d'Iskandar Sultân le zodiaque avait une vocation astronomique prononcée. Mais une nouvelle application lui est attribuée dans un ouvrage d'automates écrit au XIIIº siècle par l'ingénieur al-Jazarî.

Dans cet ouvrage, la section consacrée à l'horloge à eau utilise le zodiaque, afin de rythmer les heures d'une horloge à eau composée d'automates et d'un zodiaque dans la lignée de celui inventé par al-Sûfî. En réalité, l'ouvrage fut réalisé par des dynastes locaux de Haute Mésopotamie et il est impossible de ne pas voir dans cette application du zodiaque un monument ou tout simplement un instrument à la gloire du prince.

I. Al-Jazarî, un ingénieur au service des princes artuqides.

Ibn al-Razzaz al-Jazarî appartient en effet à une lignée de concepteurs et d'inventeurs de machine (et d'inventions mécaniques) de toutes sortes. La source principale des inventions techniques et technologiques fut la science hellénistique, en particulier Archimède et Philon de Byzance (IIIº siècle av. J.C.), dont les travaux sur les automates, les horloges hydrauliques étaient connus et diffusés dans le monde byzantin et sassanide. Ces travaux furent largement améliorés par deux frères, les Banû Mûsâ, dont le Livre des inventions mécaniques, écrit à Bagdad au milieu du Xº siècle, inspira al-Jazarî, ou encore par Muhammad al-Sa'âtî qui aurait construit une horloge monumentale à la porte de Jayrûn à Damas vers le milieu du XIIº siècle.

Jazarî fut le "Léonard de Vinci" du monde islamique médiéval, le promoteur de nombreuses inventions, toutes destinées à être construites.

Son œuvre principale, al-Kitâb fî ma'rifat al-hiyal al-handasiyya, ou Le Livre des inventions mécaniques fut écrit en 1206 à Diyâr Bakr et dédié à son maître, le souverain artuqide al-Malik al-Sâlih Niasir al-Dîn Abû-l-Fath Mahmûd ibn Muhammad Qara Arslân ibn Dâ'ûd ibn Suqmân ibn Urtuq (597H/1200) au service duquel il entra en 577H/1181. Cette dédicace inscrite sur la première copie de 1206 est reproduite dans un manuscrit en partie dispersé, conservé à la Bibliothèque Süleymaniyye (ex-Aya Sofia 3606, 755H/1354).

Le Livre des inventions mécaniques se divise en plusieurs chapitres : les horloges à eau, les vases mécaniques et autres becs verseurs, les fontaines aux automates musicaux, les élévateurs d'eau, et diverses machines." Images du Ciel d'Orient, Anna Caiozzo.



"… dans la seconde loge est disposé un trône de feu, sur lequel siège un personnage dont la nature incline vers le sec." Sohrawardî, Le Vade-mecum des Fidèles d'Amour, 2.

J'ai toujours été frappée, de retrouver, dans certains petits traités mystiques de Shihâb od-Dîn Yahyâ Sohrawradî, des descriptions de château mystique ou de Cité de l'Âme (Shahrestân-e Djân) dans le Vade-mecum des Fidèles d'Amour (Mu'nis al-'oshâq) ou dans L'Épitre des hautes tours (Risâlat al- Abrâj) d'horloge cosmique, et même celle de la Coupe de Djâmshîd dans La Langue des fourmis (Loghât-e Mûrân), avec des détails mécaniques pseudo-réalistes curieux, qui évoquaient de façon assez frappante, par petites touches, les automates et les horloges à eau d'al-Jazarî, même s'il est parfois difficile de se représenter exactement le dessin des constructions imaginales du Sohrawardî :

32. Je vis une lampe dans laquelle il y avait de l'huile ; il en jaillissait une lumière qui se propageait dans les différentes parties de la maison. Là même la niche de la lampe s'allumait et les habitants s'embrasaient sous l'effet de la lumière du soleil se levant sur eux.
33. Je plaçai la lampe dans la bouche d'un Dragon qui habitait dans le château de la roue hydraulique ; au-dessous se trouvait certaine Mer Rouge ; au-dessus il y avait des astres dont personne ne connaît les lieux d'irradiation hormis leur Créateur et " ceux qui ont une ferme expérience" (3/5). Le Récit de l'exil occidental (Qissat al-ghorbat al-gharbîya)
3. Je vis un grand bol renversé sur la surface terrestre. (Sa concavité) comportait onze compartiments ou étages (emboîtés les uns dans les autres). Au centre il y avait une certaine quantité d'eau, et au centre de l'eau une petite quantité de sable immobile. Un certain nombre d'animaux faisaient le tour de cette étendue de sable. À chacun des neuf étages supérieurs de ce bol aux onze compartiments, était fixée une agrafe lumineuse, exception faite cependant pour le deuxième étage (deuxième à partir d'en haut, huitième à partir du bas), où il y avait une multitude d'agrafes lumineuses, disposées à la façon de ces cordons de turban du Maghreb, dont se coiffent les soufis. Le Bruissement des ailes de Gabriel (Awâz-e Parr-e Jabrâ'yêl).


"Et l'âme charnelle est une vache qui cause des ravages dans cette Cité. Elle a deux cornes, l'une est avidité et l'autre l'espoir."Sohrawardî, Le Vade-mecum des Fidèles d'Amour, XII.

À dire vrai, il n'est guère probable que le philosophe, qui était également brillant mathématicien et auteur de traités de physique, dont l'ensemble de l'œuvre allait bien donc au-delà de la mystique mais avait pour but toute une épistémologie de ce monde et de l'outre-monde, ne se soit jamais intéressé à ces ouvrages, d'autant plus qu'il vivait à la même époque qu'al-Jazarî, à la cour de ces mêmes Artuqides, et qu'il est impossible qu'il n'en ait jamais vus, que ce soit en œuvre aboutie, en maquette ou même en plan.


"Cette quatrième tour attire à elle depuis les horizons les sonorités agréables. Y sont rassemblés toutes sortes de mélodies et d'accords délectables. Là encore, efforce-toi de passer outre." Sohrawardî, L'Épitre des hautes tours.

Si Sohrawardî utilise des représentations d'ingénierie pour décrire les rouages et arcanes de l'outre-monde, les instruments d'al-Jazarî ne sont pas non plus imperméables à cet ésotérisme. Par ailleurs, le monde des sphères, mobiles ou fixes, est relié, chez Sohrawardî comme chez Ibn Sinâ, à toute une angélologie, et, plus encore chez Sohrawardî, un système des Lumières angéliques qui l'amènera à composer une "Liturgie angélique", composée, entre autres, d'hymnes aux Intelligences ou Âmes ou Anges des sphères astrales, qui fleurète fortement avec le culte des astres des Sabéens, en plus de ses accents manichéens ou zoroastriens.

Je célèbre la liturgie des Anges des astres fixes, Lumières victoriales, les Très Purs, les Parfaits, les Très Proches de Dieu, et je célèbre la liturgie des astres fixes, leur haute et noble demeure.
Je célèbre la liturgie en l'honneur du Dieu Lumière victoriale, le Fort, le Très Beau, le Très Grand investi de la domination, archange seigneur de Saturne qui est sa théurgie, etc.
Strophes liturgiques et offices divins (Wâridât wa-Taqdîsât).


"celui qui se dresse d'un élan victorieux sur les têtes des dragons des ténèbres..." Sohrawardî, Le Livre des temples de la Lumière.

Autre idée très présente dans la mystique persane de ce temps, le souverain du monde qui détient à la fois la connaissance exotérique et ésotérique, symbolisé par Key Khosrow détenteur de la Coupe de Djâmshîd. Nous retrouvons cette idée de trône cosmique lié à Khosrow dans la clepsydre d'al-Jazarî dont le portique

montre de façon symbolique une sorte d'arc de triomphe surmonté d'un zodiaque et animé par des musiciens. Ferait-il référence à une sorte de cour princière, dont l'arc symboliserait à la fois la salle du trône et un trône monumental doté d'un ciel, à l'image du trône mythique de Khosrow ?

En effet, dans le premier art islamique, l'influence conjuguée de l'art grec et de l'art sassanide tend à établir une image du souverain cosmocrator. Les formes architecturales (alcôves, arcs, coupoles) et les thèmes de décoration (les constellations notamment) soulignent de façon implicite l'association des cieux à l'exercice du pouvoir temporel.

Dans les palais contemporains des miniatures d'al-Jazarî, celui de la citadelle ayyûbide d'Alep par exemple, on retrouve le même plan cruciforme à iwân et à coupole.

Aidé des cieux pour gouverner les hommes, et régnant symboliquement jusque dans les cieux, le souverain musulman est guidé par un cortège de signes divins associant temporalité et éternité : les constellations célestes repères qui situent son empire dans le monde, les signes du zodiaque rythmant les heures, les jours et les années. Tous l'accompagnent comme autant de serviteurs à la gloire permanente de Dieu et de son propre pouvoir transitoire sur les hommes.

La miniature de la clepsydre pourrait être alors une vision du trône idéalisée, sous le regard des étoiles, rappelant la royauté cosmique du prince, les aigles apotropaïques veillant sur la cour égayée par des musiciens.
Images du Ciel d'Orient, Anna Caiozzo.

Autres sources évoquées pour cette représentation du portique, le trône de Key Khosrow, tel qu'il est décrit par Nezamî ou avant cela, par Firdawsî. Le personnage de Key Khosrow est, en fait, un programme politique et philosophique idéal, conciliant pouvoir et sagesse, tel que l'appelait de ses vœux Sohrawardî, qui espérait, en instruisant les princes, "restaurer la sagesse de l'ancienne Perse" sur le monde. Il dédia ainsi son Livre des Tablettes (Kitâb al-Alwâh al-'Imâdiyah) à l'Artuqide Malik 'Imad ad-Dîn Artuq, prince de Kharput, et eut aussi le fils de Saladin pour disciple, ce qui lui coûta la vie.

Il y a donc, dans ces représentations sublimées du trône et des astres, plusieurs degrés de lecture, exotériques et ésotériques, ce qui était fort courant : l'hommage au pouvoir d'un prince temporel peut se lire, pour un initié, en un système philosophique et mystique imagé, comme plus tard, le Théâtre (L'Idea del Theatro) de Giulio Camillo, usant d'images mythiques et de symboles pour représenter les Intelligences ou Intellects et leurs relations entre eux. Oui, il est bien vu de voir en al-Jazarî, cet illustre citoyen de la ville de Djezireh ibn Umar (Cizîr) un "Léonard de Vinci", car la Djézireh médiévale, émiettée en de petites principautés souvent rivales, mais dirigées par des dynastes éclairés et mécènes, ressemble beaucoup à l'Italie de la Première Renaissance, passionnée de techniques tout autant que de néoplatonisme, et dont les représentations artistiques sont également codées.



Il Ideal del Theatro ou Théâtre de la Mémoire.


Livres cités :

Images du ciel d'Orient au Moyen Age ; Anna Caiozzo.
L'archange empourpré: Quinze traités et récits mystiques de Sohravardî, trad. Henry Corbin.
Le théâtre de la mémoire ; Giulio Camillo, trad. E. Cantavenera & B. Scheffer.

dimanche, septembre 27, 2009

IRAK : UN FOSSÉ LINGUISTIQUE SE CREUSE ENTRE KURDES ET ARABES


Un rapport de l'Institute for War and Peace Reporting ( IWPR) se penche sur les questions linguistiques au Kurdistan et en Irak comme source ou facteur ou facteur aggravant de tension et d'instabilité. Cette étude interrogeant des journalistes ou des hommes politiques, ou bien des gens de la rue, tant arabes que kurdes, à la fois en Irak et dans la Région du Kurdistan, montre que les deux populations tendent à ignorer de plus en plus la langue de l’autre et que les cours d’arabe ou de kurde sont délaissés de part et d’autre, au profit d’autres langues étrangères. Le rapport conclut à un nombre infime de jeunes Arabes sachant le kurde et, dans la population kurde, un nombre de plus en plus grandissant au fur et à mesure que les générations rajeunissent, de Kurdes ne parlant pas l’arabe, contrairement aux générations plus âgées qui, sous l’ancien régime avaient été scolarisés avec l’arabe comme langue principale, même si le kurde était aussi enseigné. Depuis 1991, dans la Région du Kurdistan, l’apprentissage de l’arabe n’a cessé de décliner, au profit de l’anglais.

Le rapport mentionne ainsi qu’au-delà de 35 ans, beaucoup de Kurdes ne maîtrisent plus l’arabe. Abdullah Qirgaiy, un écrivain kurde âgé de soixante ans, marié à une Arabe, explique que le service militaire et les mariages mixtes favorisaient le bilinguisme, plus encore qu’une scolarisation pas toujours suivie en temps de conflit. Lui-même indique avoir appris l’arabe durant son service militaire. Selon lui, le désintérêt des Kurdes pour la langue arabe s’est manifesté dès 1991, quand 3 provinces kurdes sont devenues zones autonomes et n’ont plus eu de relations avec Bagdad : "Après le Soulèvement de 1991, les Kurdes se sont considérés comme indépendants. Ils ne se sont plus sentis obligés d’apprendre l’arabe et n’ont fait aucun effort pour le maîtriser. "

Naznaz Mohammed, qui dirige la commission de l’enseignement supérieur au parlement d’Erbil, décrit la période d’autonomie du Kurdistan irakien après 1991, comme une expérience pour renforcer le poids de la langue kurde. Elle reconnaît aussi la baisse du niveau d’études dans les universités, qui affecte aussi le département d’arabe, si bien que les diplômés de langue arabe ne sont pas toujours à même de le parler couramment. Selon elle, cette baisse de niveau s’explique par la démocratisation de l’enseignement supérieur au Kurdistan, qui n’est plus réservé de facto aux couches sociales supérieures, Avant le soulèvement la plupart des Kurdes qui accédaient à l’enseignement supérieur venaient ainsi de familles aisées, pour la plupart. "Après le soulèvement, les portes ont été largement ouvertes et il y a eu un afflux dans les écoles. La qualité de l’enseignement a chuté." Naznaz Mohammed précise que le gouvernement a l'intention de mettre à jour les programmes scolaires, ainsi que de construire plus d'écoles et d’améliorer la formation des enseignants.

Le Dr Othman Amin Salih, un professeur assistant du département d’arabe de l’université de Salahaddin à Erbil, confirme que beaucoup de diplômés d’arabe ne le parlent pas couramment. À côté des tensions politiques, il pointe aussi des programmes d’apprentissages dépassés, qui ne permettent pas aux étudiants de connaître bien l’arabe dialectal. Mais pour Aso Hardi, rédacteur du journal kurde Hawlati, pourtant peu suspect d'indulgence envers le gouvernement kurde, il est injuste de reporter toute la faute sur le système éducatif. Selon lui, la cause en est surtout l'indifférence ou le rejet des Kurdes envers la langue arabe, en rappelant que les générations plus âgées avaient eu affaire à ces mêmes manuels et méthodes et parlaient couramment l'arabe."La nouvelle génération ne ressent pas le besoin d'apprendre l'arabe, cela n'a rien à voir avec les programmes."

Dilshad Abdulrahman, le ministre de l’Éducation au Kurdistan assure que de nouveaux programmes sont à l’étude, même si aucune date n’est donnée pour leur instauration dans les écoles : "Le plan sera appliqué dans les années à venir." Mais pour lui aussi, l'insuffisance des programmes n'est pas non plus fondamentalement en cause :"Apprendre une langue ne dépend pas uniquement de l'enseignement. Avant le Soulèvement, les émissions de télévision et de radio étaient principalement en arabe, aussi le public devait l'apprendre pour les comprendre."

Cependant, au Kurdistan, l'afflux des réfugiés venus d'Irak, avec une majorité de chrétiens ou d'autres minorités religieuses comme les Mandéens, ou bien de Kurdes immigrés de longue date, et ne parlant plus leur langue, mais uniquement l'arabe, a redopé légèrement l'ouverture de cours en arabe. Actuellement, sur un total de 21 635 écoles dans la Région du Kurdistan, 44 d'entre elles fournissent un enseignement en langue arabe. Mais en-dehors des réfugiés, la plupart des Kurdes choisissent une langue occidentale comme seconde langue. Les cours privés prolifèrent et l'anglais est évidemment la langue la plus populaire. Un libraire d'Erbil indique ainsi que les ventes de livres en arabe baissent, la clientèle étant invariablement au-dessus de 40 ans : "Je vends maintenant plus de dictionnaires d'anglais que d'arabe."

L'institut OSA, une école de langues fondée à Erbil en 1992, a 240 étudiants dans ses classes d'anglais contre 40 pour l'arabe. Le succès de l'anglais est lié à l'espoir d'accéder à des emplois lucratifs, par exemple dans les domaines de l'informatique ou des télécommunications. "La technologie européenne de pointe propage son vocabulaire", confirme Hakim Kaka Wais, un écrivain et linguiste que le déclin de l'arabe au Kurdistan ne semble guère affecter : "Il est normal que les jeunes Kurdes ne parlent plus l'arabe. Ils vivent dans un pays différent. Il n'est pas obligatoire d'apprendre une autre langue si vous n'en avez pas envie."

Mais selon Aso Hardi, la prochaine génération de politiciens kurdes pourra être défavorisée si elle ignore l’arabe : "Politiquement, il est dangereux pour un officiel de ne pouvoir parler ou argumenter en arabe s’il est au milieu d’Arabes. Un officiel kurde connaissant bien l’arabe est dix fois plus avantagé qu’un autre ne connaissant pas cette langue." Pour Fareed Asasard, qui dirige le Kurdistan Centre for Strategic Studies, les futures leaders politiques de la Région du Kurdistan ont intérêt à bien maîtriser l’arabe s’ils veulent défendre les intérêts des Kurdes à Bagdad. Actuellement, le président irakien, le ministre des Affaires étrangères d’Irak, et l’ancien Vice-Premier Ministre sont des Kurdes parlant couramment arabe. Quant au bloc parlementaire kurde à Bagdad, il s’est fait une réputation de "faiseur de roi" dominant par son unité les coalitions arabes très divisées. À l’inverse, l’indifférence des Arabes pour la langue kurde est aussi notable, comme le reconnait Dhia Al-Shakarchi, un politicien chiite indépendant, pour qui les Arabes devraient prendre eux-mêmes l’initiative de "rassurer les Kurdes sur leur statut de partenaires réels et égaux dans le nouvel Irak", en tant que groupe ethnique majoritaire. "Il est dommage que si peu d’Arabes irakiens ont envie d’apprendre le kurde, et cela résulte de deux politiques erronées, à la fois celle du gouvernement fédéral et celle des autorités kurdes."

Dans tout le pays, sur les routes et les bâtiments officiels, les panneaux et la signalisation sont soit en arabe soit en kurde, rarement dans les deux langues, alors que l’anglais est plus souvent adopté sur les annonces bilingues. Narmin Othman, ministre de l’Environnement irakien, elle-même kurde, se dit attristée de voir que les panneaux de signalisation en kurde ne se voient pas ailleurs que dans la Région du Kurdistan. Utiliser le kurde dans la signalisation à Bagdad l’aiderait, selon la ministre, à ne pas se sentir une "citoyenne de seconde classe". De même, les touristes venant d’Irak pour visiter la Région du Kurdistan se plaignent que peu de gens, sur place, hormis les réfugiés, peuvent dialoguer en arabe. La majorité des Kurdes vivant à Bagdad parlent couramment l’arabe et s’expriment uniquement en cette langue avec leurs amis arabes. Nazdar Muhammad, une Kurde de Kirkouk qui a épousé un Arabe ne parle plus sa langue qu’avec sa mère et n’a pas jugé utile de l’apprendre à ses enfants : "Je ne vois pas de raisons d’apprendre à mes enfants une langue qu’aucun de leurs camarades n’utilisera à l’école ou nulle part ailleurs." L’histoire du Kurdistan est également ignorée dans les manuels scolaires d’Irak et les cours de kurde dans les écoles arabes sont quasi-absents, car facultatifs, alors que le gouvernement central insiste sur l’importance d’apprendre l’arabe aux étudiants kurdes. Il est à noter que l’arabe est tout aussi facultatif dans les programmes scolaires de la Région du Kurdistan. Mais Hussein Jaff, le directeur général du département de kurde au ministère de l’éducation irakien, nie tout ostracisme de la langue kurde dans l’enseignement irakien et indique que de plus en plus de professeurs de kurde sont nommés dans les écoles supérieures de Bagdad et des autres provinces. Traditionnellement, jusqu’ici, les seuls Arabes à apprendre le kurde étaient ceux qui vivaient au contact des Kurdes, dans des régions mixtes, comme Kirkouk, par exemple, où la connaissance du kurde était essentielle pour commercer, ou bien à Sadriyah, un district de Bagdad où vivent beaucoup de Kurdes, même si, selon Najah Salman, un résident de Sadriyah, ses voisins arabes se limitaient à apprendre quelques mots de kurde, "pour montrer leur amitié envers leurs voisins et qu’ils se sentent bienvenus à Bagdad." Ali Abd al-Sada, un journaliste de Baghdad a appris le kurde lors d’un séjour de deux années au Kurdistan. Selon lui, la méconnaissance de la langue kurde par les Arabes va de pair avec une ignorance de la culture kurde : "Apprendre le kurde, c’est faire de la diversité culturelle de l’Irak quelque chose de plus qu’un slogan, mais une expérience vivante."

Pour Saad Sallum, un analyste politique, le fossé entre Arabes et Kurdes ne pourra être comblé que si les deux peuples apprennent mutuellement leurs langues. Selon lui, les solutions politiques adoptées par le gouvernement central au sujet du bilinguisme ne sont, pour le moment, que des mesures culturelles décoratives. Certains s’inquiètent ainsi des sources de conflits croissants entre Kurdes et Arabes, renforcés par une incompréhension mutuelles. Ainsi, Mufid Al-Jezairy, un député arabe souligne qu'"une ignorance linguistique mutuelle peut sérieusement saper tout effort de bâtir des relations solides entre les deux groupes ethniques, alors qu’en apprenant la langue des uns et des autres, les Arabes et les Kurdes peuvent améliorer leurs relations." La question des langues s’est d’ailleurs envenimée avec le conflit qui oppose Kurdes et Arabes au sujet des districts kurdes hors de la Région du Kurdistan, qui doivent faire l’objet d’un référendum selon l’article 140 de la constitution irakienne.

Ainsi, visitant récemment la ville de Bashiqah, dans la province de Ninive, une ville de 5 000 habitants peuplée de chaldéens de langue syriaque et de Kurdes, yézidis et musulmans, Khasro Goran, un officiel kurde, ancien vice-gouverneur de Ninive, a insisté sur la nécessité d’enseigner le kurde dans ces districts où Saddam en avait interdit l’enseignement, tout comme celui du syriaque : "Les Kurdes, ou toute autre nation, ne doivent pas oublier leur langue maternelle. La plupart des Kurdes [de Bashiqah] ne parlent pas kurde." Critiqué aussitôt par des leaders sunnites arabes de Mossoul, qui l’ont accusé de vouloir "imposer le kurde à des minorités non kurdes", Khasri Goran a nié toute arrière-pensée politique en souhaitant instaurer des cours de kurde dans les écoles, et a indiqué souhaiter aussi que les Kurdes apprennent l’arabe. "Les tensions entre les deux nations n’ont rien à voir avec l’éducation."

samedi, septembre 26, 2009

Radio : littérature turque, Latins et Arabes, Nedim Gürsel, Mehmet Yashin, Asli Erdogan, musique d'Iran

Du lundi 28 au jeudi 1er octobre à 16h sur France Culture : La littérature turque. À plus d'un titre, T. Hakem.

- lundi : Eli Shafak, pour Lait noir, éd. Phébus.

Présentation de l'éditeur
Maternité et écriture ne font pas toujours bon ménage. L'une paraît menacer l'autre. et vice-versa. Comment marier la blancheur du lait à la noirceur de l'encre ? Comment préserver son indépendance tout en berçant sa progéniture '! ainsi lorsque Elif Shafak. à la naissance de sa fille, sombre dans une dépression, six petites créatures têtues et véhémentes l'accompagnent. Ces dames, voix intérieures de l'auteur - et l'on pourrait dire de toute femme -, exposent avec détermination, intelligence et humour leur conception du monde et de la féminité. De Miss Cynique lntello à Miss Ego Ambition, de Miss Intelligence Pratique à Darne Derviche, de Maman Gâteau à Miss Satin Volupté. la femme d'hier. d'aujourd'hui et de demain s'exprime dans ses contradictions et ses rêves. Elif Shafak témoigne ici avec brio de la crise d'identité à laquelle peuvent être confrontées les femmes lorsqu'elles veulent à la fois être mères et créatrices. Evoquant ces hautes figures de la littérature que sont Virginia Woolf. Simone de Beauvoir et Doris Lessing. Lait noir est aussi un portrait de la société turque dans sa double dimension : orientale et occidentale. Tout autant roman qu'autobiographie, voici le livre le plus grave et le plus drôle, le plus iconoclaste et le plus intime de l'auteur, qui réinvente la femme, pour nous dire que tout lui est possible.

Biographie de l'auteur
Fille de diplomate, Elif Shafak est née à Strasbourg en 1971. Elle a passé son adolescence en Espagne avant de revenir en Turquie. Après des études en " Gender and Women's Studies " et un doctorat en sciences politiques, elle a un temps enseigné aux Etats-Unis. Elle vit aujourd'hui à Istanbul. Internationalement reconnue, elle est l'auteur de dix livres, dont La Bâtarde d'Istanbul (Phébus, 2007) et Bonbon Palace (Phébus, 2008).
Broché: 345 pages
Editeur : Editions Phébus (27 août 2009)
Collection : LITT.ETR.
Langue : Français
ISBN-10: 2752903782
ISBN-13: 978-2752903785





à 16h30 : John Tolan pour L'Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge. Cultures en conflit et en convergence (P.U. Rennes), par J. Munier.


Présentation de l'éditeur
Les douze essais de ce livre explorent les diverses manières dont des auteurs chrétiens d'Europe, entre le IXe et le XIVe siècle, percevaient ceux qu'ils appelaient les " Sarrasins ". A une époque où le monde arabe était plus riche. plus puissant et plus lettré que l'Europe latine, les " Sarrasins " provoquaient à la fois la fascination, l'envie et la peur. Nous verrons dans certains des essais comment divers auteurs chrétiens composèrent des traités polémiques, dont le but était d'attaquer ou de réfuter les doctrines et rites de l'islam. Ils s'attaquaient parfois aux bases mêmes de la religion rivale : le texte du Coran, la vie du prophète Mahomet. Certains de ces auteurs font état de tensions quotidiennes dans les sociétés où musulmans et chrétiens cohabitaient : dégoût ou mépris provoqué par le tintement des cloches ou la voix du muezzin ; incompréhensions causées par des barrières linguistiques. Mais pour d'autres auteurs latins, l'orient sarrasin était un espace onirique où chrétiens et musulmans partageaient des sites consacrés à la Vierge Marie et où se trouvaient des princes qui étaient des modèles de la chevalerie et de la largesse (tel Saladin). Ces essais montrent toute l'ambivalence du regard européen envers la civilisation arabe et envers la religion musulmane.

Biographie de l'auteur
John V.Tolan est Professeur d'histoire à l'université de Nantes et directeur de la maison des Sciences de l'Homme Ange Guépin. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont Le Saint chez le Sultan : la rencontre de François d'Assise et de l'islam (Seuil, 2007, lauréat du Prix Diane Potier-Boès 2008 de l'Académie Française); Les Sarrasins : l'Islam dans l'imaginaire européen au Moyen Age (Aubier, 2003); et (avec Philippe Josserand) Les Relations entre les pays d'Islam et le monde latin du milieu du Xe siècle au milieu du XIIIe siècle (Bréal, 2000).
Broché: 229 pages
Editeur : PU Rennes (2 juillet 2009)
Collection : Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2753508224
ISBN-13: 978-2753508224




- mardi : Avec Nedim Gürsel, pour Les Filles d'Allah, Seuil.
Broché
Editeur : Seuil (1 octobre 2009)
Collection : CADRE VERT
Langue : Français
ISBN-10: 202097861X
ISBN-13: 978-2020978613




- mercredi : Avec Mehmet Yashin pour Constantinople n'attend plus personne : Poèmes et essais, Bleu Autour.

Présentation de l'éditeur
Constantinople n'attend plus personne. Dans la cabine d'interprète il y a une femme aux yeux bleus. Nous parlerions avec d'anciennes voix si nous devions parler. Maintenant langue étroite et obscure. Mon turc intérieur se détricote, à chaque approximation je me défais maille après maille. Les pêcheurs de la Mer Noire vont me ramasser je crains qu'on ne lise dans ma paume : plus d'Istanbul pour vous, ni de Constantinople, ni même d'amis Turcs qui aient une icône de Byzance accrochée chez eux.

Biographie de l'auteur
Considéré comme l'un des poètes majeurs de langue turque de sa génération, Mehmet Yashin a grandi à Chypre, où il est né en 1958. Son œuvre est marquée par les conflits auxquels est liée l'histoire de l'île.

Broché: 121 pages
Editeur : Bleu autour (3 novembre 2008)
Collection : POETES PAPIERS
Langue : Français
ISBN-10: 2912019923
ISBN-13: 978-2912019929



- jeudi : Avec Asli Erdogan pour Je t'interpelle dans la nuit, MEET.


Broché
Editeur : Verdier
Collection : MEET
Langue : Français
ISBN-10: 2911686608
ISBN-13: 978-2911686603



Mardi 29 octobre à 22h30 sur France Musique : La jeune génération iranienne. Le 28 septembre au théâtre des Abbesses : Mohammad Motamedi, chant; Sinâ Jahânâbâdî, kemençe; Hamed Fakouri, târ; Ali Rahimî, tombak. Avec Bruce Wannel, spécialiste de la poésie persane. Couleurs du monde, F. Degeorges.

vendredi, septembre 25, 2009

Nourriture et territoire

photo : Sandrine Alexie
"Au printemps, du mouton; en automne, du raisin; en hiver, moi."* Ce dicton kurde résume l'opinion des femmes sur les plaisirs, tout autant que les relations des gens avec les nourritures saisonnières. Selon un autre dicton, " fortune rapide : vignes et moutons", ce qui signifie que les bonnes années, la culture de la vigne et l'élevage peuvent amener de grands profits. Du Néolithique à nos jours, l'économie régionale et le régime alimentaire se sont fondées sur l'élevage des moutons et la culture de la vigne.

Les Kurdes vivent dans une aire qui va des montagnes du Zagros au plateau du désert Syrien. À la fin du 19ème siècle, beaucoup étaient encore nomades ou semi-nomades, mais leur mode de vie allait connaître de grands changements. Aujourd'hui les Kurdes vivent pour la plupart dans des villes et des villages, et pratiquent l'agriculture et l'élevage. Dans l'économie traditionnelle, les hommes s'occupent de l'élevage et de la tonte des moutons, tandis que les femmes ont en charge la traite des brebis comme des vaches, et toutes les différentes étapes dans la fabrication de beurre et de fromage.

Les Kurdes sont en interaction avec les populations non kurdes, comme les Arméniens, les Assyro-Chaldéens, les Turkmènes (et, dans le passé, les Juifs), et ces influences réciproques ont eu un grand impact sur la société, la culture, ainsi que sur la cuisine. Les mets kurdes sont très semblables à ceux que l'on trouve dans les cuisines arabe, persane, assyrienne et turque, et souvent les différentes traditions gastronomiques subissent des révisions particulières et originales. Les mets kurdes, bien que portant le même nom dans les différentes régions du Kurdistan, varient entre eux dans leurs méthodes de préparation et de cuisson et dans les ingrédients utilisés. Des plats sont reliés à des lieux spécifiques ou des fêtes.

Les tentatives d'assimilation du peuple kurde (violentes ou non) dans les parties irakienne et turque en particulier, sont les facteurs les plus importants à affecter actuellement la société kurde, et, par extension, leur régime alimentaire. La destruction de l'économie agricole et de l'élevage dans les années 1980 ont provoqué un amoindrissement des savoir, et quelquefois une perte pure et simple des technologies traditionnelles.

Mirella Galletti, Cuisine and customs of the Kurds and their Neighbors, JAAS, 23, nº1, 2009.
*Joyce Blau, Mémoire du Kurdistan, p. 22, Findakly, 1984.

Concert de soutien à l'Institut kurde