jeudi, août 20, 2009

Shirkouh, le Lion de la Montagne, fils des djinns et fier de l'être


Quant à moi, je ne suis pas arabe, mais j'appartiens à une lignée ni moins sauvage ni moins guerrière. Sache, chevalier au léopard, que je suis Shirkouh, le Lion de la Montagne, et que le Kurdistan d'où provient mon parage, ne s'honore pas d'une famille plus noble que celle de Seldjûq.
(...)
– Ne parle pas ainsi des génies, ami chrétien, car, sache-le, tu t'adresses à un homme dont la lignée et la nation tirent leur origine de cette race immortelle que ta secte craint et vitupère.
– Je pensais bien que ta race aveuglée descendait de l'odieux démon ! Auriez-vous pu, sans son aide, défendre cette terre bénie de Palestine contre tant de vaillants soldats de Dieu ? Je ne veux pas parler de toi en particulier, Sarrasin, mais de ton peuple et de ta religion en général. Cependant, ce que je trouve si singulier, ce n'est pas que tu descendes de l'Esprit du Mal, c'est de t'entendre en tirer vanité.
– De qui donc se vanteraient de descendre les plus braves, sinon de celui qui est le plus brave ? À qui d'autre qu'à l'Esprit des ténèbres les plus fiers feraient-ils remonter leur race, lui qui a préféré être précipité par la force plutôt que de fléchir le genoux de plein gré ? On peut détester Iblis, étranger, mais on doit le craindre et c'est à lui que ressemble ses descendants du Kurdistan.
(...)
– Sache, vaillant étranger, que lorsque le cruel Zahhak, l'un des descendants de Jamschid siégeait sur le trône de Perse, il conclut un pacte avec les Puissances des ténèbres dans les souterrains secrets d'Istakhar,ces souterrains que les mains des esprits primitifs avaient taillé dans la roche vive bien avant la naissance d'Adam. C'est là qu'il nourrissait, au moyen d'offrandes journalières de chair humaine, deux serpents affamés qui étaient devenus, si l'on en croit les poètes, des parts de lui-même. Pour avoir de quoi les sustenter, il prélevait chaque jour un tribut de sang, ce qui finit par pousser à bout la patience de ses sujets, dont certains se révoltèrent en levant l'épée contre lui, tel le vaillant Forgeron et le victorieux Feridoun, par qui le tyran finit par être détrôné et enfermé à jamais dans les sinistres grottes du mont Damavend. Mais, avant qu'intervint cette délivrance, quand le tyran exerçait encore une puissance sanguinaire inentamée, la horde de ses féroces affidés envoyés en mission pour le pourvoir en victimes et alimenter son sacrifice quotidien ramena sous les voûtes du palais d'Istakhar sept sœurs si belles qu'on eût dit sept houris. Ces sept vierges étaient les filles d'un sage qui n'avait pour trésor que sa sagesse et ses beautés. La première avait été incapable de l'avertir de la calamité qui l'attendait, les autres n'avaient su la parer. L'aînée avait vingt ans au plus, et c'est à peine si la plus jeune allait sur ses treize. Elles se ressemblaient tant qu'on n'aurait pu les distinguer, excepté par leur différence de taille, qui les faisaient s'échelonner graduellement les unes par rapport aux autres, tout comme la montée qui mène aux portes du paradis. Si ravissantes étaient ces sept sœurs qu'accueillit l'obscurité de ses voûtes, ayant pour tout vêtement une simarre de soie blanche, que leurs appas touchèrent les cœurs de ces êtres qui n'étaient pas mortels. Le tonnerre gronda, la terre trembla, la muraille des voûtes se fendit pour livrer passage à un être habillé en chasseur, armé d';un arc et de flèches, accompagné de six autres, ses frères. C'étaient des hommes de grande taille et, quoique basané, agréables à regarder, mais leurs yeux brillaient d'un éclat plus semblable à celui des morts qu'à la lumière qui vit sous la paupière des vivants.
"– Zaynab, lança le chef du groupe – et, ce disant, il avait saisi la sœur aînée par la main et sa voix était douce, grave et mélancolique –, je suis Cothrob, roi du monde souterrain et chef suprême du Djinnistan. Nous sommes, mes frères et moi, de ceux qui, créés du feu élémentaire, dédaignèrent, même sur ordre du Tout-Puissant, de rendre hommage à une motte de terre parce qu'elle portait le nom d'homme. Peut-être t'a-t-on dit que nous étions cruels, impitoyables, persécuteurs. C'est faux. Nous sommes, par nature, bons et généreux, ne cherchons la vengeance qu'après avoir subi l'offense, ne nous montrons cruels que pour répondre à l'attaque. Nous sommes fidèles à ceux qui nous accordent leur confiance, et nous avons entendu les supplications de ton père, le sage Mithrasp, qui dans sa sagesse adore non seulement l'Origine du bien mais ce qu'on nomme la Source du mal. Toi et tes sœurs avez un pied dans la tombe. Mais que chacune nous donne un cheveux de ses belles tresses en gage de loyauté, et nous vous emporterons à des milles d'ici dans un lieu abrité d'où vous pourrez défier Zahhak et ses ministres.
"La crainte d'une mort imminente, dit le poète, est pareille à la verge du prophète Aaron, qui dévora toutes les autres quand elles furent transformées en serpents devant Pharaon"; et les filles du sage persan craignaient moins que les autres les paroles d'un esprit. Elles n'eurent pas plus tôt offert le tribut réclamé par Cothrob qu'elles se trouvèrent transportées dans un château enchante des monts Tugrut au Turkestan, et jamais nul œil mortel ne les revit. Mais quand il se fut écoulé du temps, sept jeunes gens que distinguaient leur prouesse guerrière et leurs exploits de chasseurs vinrent à se montrer dans les environs du château des démons. Ils étaient plus hâlés, plus grands, plus féroces et plus déterminés qu'aucun de ceux qui vivent au long des vallées du Kurdistan. Ils prirent femme et devinrent les pères des sept tribus du Kurdistan dont la vaillance est connue dans le monde entier.
Le chevalier chrétien écouta, abasourdi, ce récit extraordinaire dont le Kurdistan garde encore les traces, réfléchit un moment, puis répondit :
(à suivre)



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