lundi, août 31, 2009
IRAN : BRAS DE FER ENTRE KARROUBI ET LE POUVOIR AU SUJET DES TORTURES DE PRISONNIERS
Abdallah el-Hadji, sayyid, trois fois hadji, émissaire de Saladin et joyeux luron
Ce nouvel émissaire était un émir fort apprécié du sultan qui répondait au nom d'Abdallah el-Hadji. Il descendait de la famille du Prophète et de la tribu des Hashim, et pour attester de sa généalogie, portait un turban vert de belle dimension. Il avait également accompli, par trois fois, le pèlerinage à La Mecque, ce qui lui avait valu son surnom d'el-Hadji, "le Pèlerin". Malgré ses diverses prétentions à la sainteté, Abdallah était – pour un Arabe – un joyeux luron qui appréciait les histoires lestes et mettait de côté son grave maintien jusqu'à vider un flacon avec plaisir, quand le secret le garantissait des médisances. Il était aussi homme d'État et Saladin avait utilisé ses talents dans diverses négociations avec les princes chrétiens, et notamment Richard qui connaissait personnellement el-Hadji et l'estimait. Ravi d'avoir obtenu de l'envoyé son accord enthousiaste pour le choix d'un terrain neutre en prévision du combat, un sauf-conduit pour tous ceux qui voudraient y assister, et l'offre de servir lui-même d'otage en garantie de la bonne foi du sultan, Richard oublia vite ses espoirs déçus et l'imminente dissolution de la ligue croisée pour se livrer avec passion aux débats qui précèdent un combat en champ clos.(...)Une fois tous ces préliminaires réglés et communiqués à l'accusé et à tous ses témoins, Abdallah el-Hadji fut convié à une entrevue plus intime où il eut le plaisir d'entendre les mélodies de Blondel. S'étant d'abord débarrassé de son turban qu'il dissimula aux regards pour le remplacer par un bonnet grec, il remercia le ménestrel normand pour sa musique en entonnant une chanson bachique traduite du persan et but avec entrain un flacon de vin de Chypre pour prouver qu'il joignait la pratique à la théorie. Le lendemain, aussi grave et à jeun que le buveur d'eau Mirglip, il courba le front jusqu'à terre devant le repose-pied de Saladin et rendit compte au sultan de son ambassade.
Walter Scott, Le Talisman
Colloque : Turko-Mongol Rulers, Cities and City-Life in Iran and the neighboring countries’
Si jamais vous passez par ou vivez à Tokyo :
Institute of Oriental Culture, University of Tokyo
For nearly a millennium, Iran was ruled by Turkish or Mongol dynasties of nomadic origin. It is well known that the Mongol Ilkhans remained true to their nomadic ways, moving from one camp to another and living under tents. But elements of a nomadic way of life are also to be found, to various degrees, among all the other dynasties. The Saljuqs, the first Turkish dynasty of nomadic origin to have ruled over Iran, were not the Iranized kings sometimes described and they lived very far away from the cities they controlled. At the other end of the period, the Qajars, which cannot be considered as a nomadic dynasty, nonetheless used to leave Tehran in summer for greener places near Damavand.
To what extent the Turkish and Mongol princes who ruled the Middle East and Central Asia lived – or not – like their subjects? Some important research has already been done on this topic, in particular on the Ilkhans and the Safavids, but it remains sparse and isolated. This conference aims to give a more global view of the various types of relationship that the Turko-Mongol rulers had with cities and city life by bringing together specialists in various periods and of various disciplines (history, archaeology, history of art).
Among the themes of the conference that we wish to explore are: the type of lifestyle (itinerant or sedentary?) of the Turko-Mongol rulers and the role and importance of their ‘capital’; a place of power (palaces, gardens, mausoleums, fortresses, ordo, etc.); the changing relationship of the rulers towards cities and city-life.
The main area dealt with will be Iran (in the broader sense), but special consideration will also be given to the neighboring areas in Central Asia, Anatolia and the Arab world.
The conference is open to the public. The language of the conference is English. The proceedings will be published.
dimanche, août 30, 2009
L'acte d'être de la chauve-souris
À quoi cela ressemble-t-il d'être une chauve-souris ? Nagel suggère qu'avant de pouvoir répondre à une telle question, nous devons pouvoir ressentir la vie d'une chauve-souris à travers les modalités sensorielles d'une chauve-souris. Mais il a tort ; ou du moins il nous engage sur une fausse piste. Être une chauve-souris vivante consiste à être empli d'être. Être chauve-souris, dans le premier cas, être humain dans le second, peut-être; mais ce sont là des considérations secondaires. Être empli d'être, cela consiste à vivre comme un corps-âme. Un autre nom pour désigner cette expérience du plein-être est la joie.
"Être vivant c'est être une âme vivante. Un animal – et nous sommes tous des animaux – est une âme incarnée. C'est précisément ce que Descartes a vu et que, pour des raisons qui lui appartiennent, il a choisi de nier. Un animal vit, disait Descartes, de même qu'une machine vit. Un animal n'est rien que le mécanisme qui le constitue; s'il a une âme, c'est de la même façon qu'une machine a une pile, pour lui fournir l'étincelle qui la met en marche; mais l'animal n'est pas une âme incarnée, et la qualité de son être n'est pas la joie.
"Et puis il y a le fameux Cogito ergo sum. C'est une formule qui m'a toujours mise mal à l'aise. Elle implique qu'un être vivant qui ne fait pas ce que nous appelons penser est d'une façon ou d'une autre un être inférieur. À la pensée, à la cogitation, j'oppose la plénitude, le fait de s'incarner pleinement, la sensation d'être – non pas une conscience de soi comme une sorte de fantomatique machine à raisonner qui génère des pensées, mais au contraire la sensation – une sensation fortement affective – d'être un corps avec des membres qui se prolongent dans l'espace, bref d'être vivant au monde."
J.M. Coetzee, Elizabeth Costello : Huit leçons.
Sadrâ ne cache pas sa profonde affection à l'égard des animaux, le souci qu'il a de leur réserver un destin dans le cadre du retour à Dieu de toutes les créatures. Nous le voyons proposer une analyse remarquable de l'âme animale, qui est, aussi bien, l'âme des hommes quand ils n'exercent pas leur puissance intellective. Le vivant animal reste identique à soi, il possède une individualité permanente en tous ses états. En outre, les bêtes ont une certaine conscience d'elles-mêmes. Elles fuient ce qui leur cause du déplaisir, et elles recherchent ce qui leur procure du plaisir, elles fuient les douleurs dont elles savent qu'elles sont pour elles une douleur, ce qui implique une certaine connaissance qu'elles ont d'elles-mêmes.L'Acte d'être : La Philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, Christian Jambet.
Or, qui dit connaissance ('ilm) dit nécessairement séparation d'avec la matière. En effet, la connaissance que l'animal a de son propre soi est permanente, et elle n'est pas acquise par les sens. Il s'agit d'un savoir immédiat, qui n'a besoin ni d'une preuve par une certaine pensée réflexive, ni d'un témoignage des sens. Cette connaissance antéprédicative de soi, cette présence à soi et à son acte individuel d'exister, l'animal n'en est pas privé. Il témoigne ainsi de l'immétarialité de ce soi.
TURQUIE : RENCONTRE ENTRE RECEP TAYYIP ERDOGAN ET AHMET TÜRK
Elizabeth Costello
"Permettez-moi de vous raconter ce que les singes de Tenerife apprirent de leur maître Wolfgang Köhler, en particulier Sultan, le meilleur de ses élèves, dans un certain sens le prototype de Peter le Rouge.
"Sultan est seul dans sa cage. Il a faim : la nourriture qui arrivait d'habitude a soudain inexplicablement cessé de venir.
"L'homme qui d'habitude lui donnait à manger et qui a maintenant arrêté de le faire tend un fil au-dessus de la cage, à trois mètres au-dessus du sol, et y suspend un régime de bananes. Il traîne dans la cage trois caisses de bois. Ensuite il disparaît, fermant la porte derrière lui, même s'il est toujours dans les parages, puisqu'on sent son odeur.
"Sultan sait ce qu'il est censé faire : maintenant on est censé penser. Voilà ce dont il s'agit avec ces bananes placées là-haut. Les bananes sont là pour mener à penser, pour nous inciter à aller jusqu'au bout de l'acte de penser. Mais que doit-on penser ? On pense : Pourquoi m'affame-t-il ? On pense : Qu'ai-je fait ? Pourquoi ne m'aime-t-il plus ? On pense : Pourquoi ne veut-il plus de ces caisses ? Mais aucune de ces pensées n'est la bonne. Même avec une pensée plus compliquée – par exemple : Qu'est-ce qu'il a donc ? Quelle idée fausse se fait-il de moi pour croire qu'il m'est plus facile d'atteindre une banane accrochée à un fil de fer plutôt que de ramasser une banane par terre ? – il fait encore fausse route. La pensée juste est : Comment utiliser ces caisses pour atteindre les bananes.
"Sultan traîne les caisses au-dessous des bananes, les empile les unes sur les autres, escalade l'échafaudage qu'il vient de bâtir et s'empare des bananes. Il pense : Maintenant va-t-il cesser de me punir ?
"La réponse est : Non. Le lendemain l'homme suspend un régime frais de banane au fil de fer, mais il remplit aussi les caisses de pierres, si bien qu'elles sont trop lourdes pour qu'on les traîne. On n'est pas censé penser : Pourquoi a-t-il rempli les caisses de pierres ? On est censé penser : Comment va-t-on utiliser les caisses pour se saisir des bananes en dépit du fait qu'elles sont remplies de pierres ?
"On commence à voir comment fonctionne l'esprit de l'homme.
"Sultan vide les caisses de leurs pierres, bâtit un échafaudage à l'aide des caisses, escalade l'échafaudage, s'empare des bananes.
"Aussi longtemps que Sultan continue de penser faux, on l'affame. On l'affame jusqu'à ce que les tiraillements d'estomac deviennent si intenses, si incoercibles qu'il est forcé de penser juste, à savoir, comment faire pour s'emparer des bananes. Et c'est ainsi que les capacités mentales du chimpanzé sont testés jusqu'à leur extrême limite.
"L'homme laisse tomber un régime de bananes à un mètre de la cage toujours équipée du fil de fer. À l'intérieur, il jette un bâton. La pensée fausse est : Pourquoi a-t-il arrêté de suspendre les bananes au fil ? La pensée fausse (la pensée fausse correcte, toute fois) est : Comment utiliser le bâton pour atteindre les bananes ?
"À chaque étape, Sultan est poussé à penser la pensée la moins intéressante. Il est impitoyablement écarté de la pureté de la spéculation (Pourquoi les hommes se comportent-ils de la sorte ?) et poussé vers une forme de raison plus basse, pratique et instrumentale (Comment utilise-t-on ceci pour obtenir cela ?), et donc vers une acceptation de soi comme un organisme primordialement doté d'un appétit qui doit être satisfait. Bien que toute son histoire, depuis le moment où sa mère fut tuée et qu'il fut capturé, en passant par son voyage dans une cage, jusqu'à son emprisonnement dans ce camp de prisonniers sur cette île et aux jeux auxquels on se livre à propos de la nourriture, le mène à se poser des questions sur la justice de l'univers et sur la place qu'y occupe cette colonie pénitentiaire, un régime psychologiquement soigneusement élaboré le détourne de l'éthique et de la métaphysique vers les plus humbles niveaux de la raison pratique. Et, tandis qu'il progresse tant bien que mal dans ce dédale de contraintes, de manipulations et de mensonges, il doit se rendre compte qu'il ne saurait en aucun cas abandonner la partie, car sur ses épaules repose la responsabilité de représenter la gent simienne. Il se peut que le sort de ses frères et sœurs soit déterminé par la qualité de sa performance.
"Wolfgang Köhler était probablement un brave homme. Un brave homme, mais non pas un poète. Un poète aurait tiré quelque chose de l'instant où les chimpanzés tournent en rond dans leur enclos, exactement comme une fanfare militaire, certains aussi nus que le jour où ils sont nés, certains drapés de toile ou de vieux lambeaux de tissu qu'ils ont ramassés ici ou là, certains portant des morceaux de détritus."
J.M. Coetzee, Elizabeth Costello.
samedi, août 29, 2009
PREMIERE VISITE DE NOURI AL-MALIKI AU KURDISTAN D’IRAK DEPUIS QU'IL EST PREMIER MINISTRE
vendredi, août 28, 2009
Adonbec el-Hakim, médecin de Saladin
"L'adversité est comme l'époque des premières et des dernières pluies : froide, sans consolation, ennemie de l'homme et de l'animal; et pourtant c'est en cette saison que naissent la fleur et le fruit, la datte, la rose et la grenade."
Walter Scott, Le Talisman
jeudi, août 27, 2009
radio : Bani Sadr, Mûllâ Sâdrâ,
Présentation de l'éditeur
Délices du jardin ou feux de l'enfer, les promesses ou les menaces coraniques concernant l'au-delà sont sans doute les plus saisissantes parmi celles des monothéismes. Mais doivent-elles être prises au pied de la lettre ? Christian Jambet retrace ici le fil du scénario interprétatif que constitua Mulla Sadrâ, penseur de l'islam shiite, dans l'Iran safavide du XVIIe siècle. Avec ce voyage vers les contrées des fins dernières, du retour à Dieu et de la résurrection, c'est en définitive à une ample réflexion que nous convie cet ouvrage, réflexion sur le sens que nous donnons aujourd'hui à la mort, et donc à la vie. La mort des modernes est indifférente, inoffensive, elle n'ouvre plus sur cette question qui était jadis essentielle : la destinée de l'âme après la mort, événement qui donnait précisément à la vie son importance. Mulla Sadrâ, par la voix de Christian Jambet, se propose de nous en rappeler la portée.
Biographie de l'auteur
Christian Jambet est philosophe et orientaliste. Il est l'auteur, entre autres ouvrages, de La Logique des Orientaux. Henry Corbin et la science des formes, Le Seuil, 1983, et L'Acte d'être. La philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, Fayard, 2002.
Broché: 305 pages
Editeur : Albin Michel Spiritualités (30 janvier 2008)
Collection : SPIRITUALITE
Langue : Français
ISBN-10: 2226182705
mercredi, août 26, 2009
Merci, je suis merveilleux...
...Oh ta merveilleuse compréhension de moi
Hauteur
que je n'atteindrai jamais
Où aller loin de ton souffle ?
Où partir
loin de ta face ?
Si je monte au ciel tu es là
Si je m'étends chez les morts
tu es déjà là
Je prends les ailes de l'aurore
Je me pose à l'extrémité des mers
Même là c'est ta main qui m'emmène
Ta poigne
me tient
Si je dis oh les ombres m'emportent
Même la nuit
c'est la lumière autour de moi
Pour toi les ombres n'ont pas d'ombres
La nuit éclaire comme le jour
Comme l'ombre
comme la lumière
C'est toi qui as fabriqué mes reins
Tu m'as tissé
au cœur de ma mère
Merci je suis merveilleux
et de manière très étonnante...
Psaume 139 (138) 6-14. trad. O. Cadiot, M. Sevin.
La Bible - Nouvelle traduction.
lundi, août 24, 2009
Dans la grotte de l'ermite
Quand on avait traversé le premier espace, on passait par une petite ouverture que fermait une porte aux planches grossières, dans la chambre de l'ermite, moins rudimentaire. Il avait sué sang et eau pour en niveler le sol avant d'y répandre un sable blanc, qu'il mouillait tous les jours grâce à l'eau que déversait une petite fontaine jaillissant d'un rocher dans un coin et offrant, dans ce climat étouffant, un rafraîchissement pour l'oreille et pour le palais. Des matelas, faits de fibres d'alfa tressées, jonchaient le sol au pied des parois, qu'on avait à peu près aplanies comme le sol, et décorées de fleurs et d'herbes odoriférantes. Deux flambeaux de cire, que l'ermite alluma, apportèrent un air de gaieté en parfumant l'air frais qui circulait là et contribuèrent à l'atmosphère de bien-être.
Dans un coin étaient posés des instruments aratoires, et, dans un autre, une niche abritait une statue de la Vierge de facture grossière. Sur une table qui, comme les deux chaises, était visiblement de la fabrication de l'anachorète, tant ce mobilier avait peu à voir avec le style oriental, et où s'étalaient des roseaux et des légumes secs, Théodoric disposa avec soin de la viande séchée, de manière à éveiller l'appétit de ses hôtes. Cette démonstration de courtoisie, même si elle ne s'accompagna d'aucun discours et se réduisit à une suite de gestes, dépassait l'entendement de Sir Kenneth, qui la trouvait en totale contradiction avec ce qu'il avait constaté de violence et de déraison : les mouvements de l'ermite s'étaient pacifiés et, apparemment, seul un sentiment d'humilité religieuse empêchait ses traits, qu'avait creusés une vie austère, d'afficher noblesse et gravité. Il arpentait sa cellule en homme qui semblait né pour commander mais qui avait renoncé à son empire pour se faire le serviteur du ciel. Il faut cependant reconnaître qu'une taille gigantesque, des boucles et une barbe longues et incultes, des yeux caves et égarés jetant des flammes signalaient le guerrier plutôt que le reclus.
Le Sarrasin lui-même semblait considérer avec une certaine vénération l'anachorète vaquant à cette tâche, et il murmurait à l'oreille de Sir Kenneth :
– Le hamako a retrouvé ses esprits, mais il ne parlera que lorsque nous aurons mangé : tel est son vœu.
Ce fut donc d'un signe muet que Théodoric invita l'Écossais à prendre place sur l'une des chaises basses cependant que Shirkouh s'installait à la mode orientale sur un coussin fait de nattes. L'ermite leva alors les deux mains comme pour bénir la collation qu'il destinait à ses hôtes, qui attaquèrent leur repas en imitant le profond silence qu'il gardait. Si pour le Sarrasin cette gravité était naturelle, le chrétien, du coup tout aussi taciturne, en profita pour méditer sur l'étrangeté des circonstances, et mesurer le contraste entre les manifestations bruyantes de sauvagerie et les gestes de dément de Théodoric, lors de leur première rencontre, et l'empressement discret, mêlé de solennité et de componction avec lequel il s'acquittait désormais des devoirs de l'hospitalité.
Le repas terminé, l'ermite, qui n'avait pas porté quant à lui la moindre nourriture à sa bouche, débarrassa la table de ses reliefs et, plaçant devant le Sarrasin une cruche de jus de fruits, attribua à l'Écossais un flacon de vin.
– Buvez, mes fils – c'étaient les premiers mots qu'il prononçait. Les dons de Dieu sont faits pour qu'on en jouisse, pour peu qu'on se souvienne de qui les donne.
À suivre...
samedi, août 22, 2009
Théodoric d'Engaddi, l'arpenteur et le flambeau du désert, ami de la croix et fléau des infidèles
(...)– Tu es un ami bien tiède et hésitant ! Imagine que le hamako ait poussé sa folie plus loin, to compagnon était tué sous tes yeux, à ta honte éternelle, toi qui, à cheval et en armes, n'avais pas remué le petit doigt pour le défendre !– Sarrasin, je n'irai pas par quatre chemins : j'ai pris l'olibrius pour le diable, et, comme il est de ton lignage, j'ignorais quel secret de famille vous pouviez vous murmurer à vous rouler avec cette intimité sur le sable.– Tes quolibets ne font pas une réponse, frère Kenneth ! Car, sache-le, mon assaillant eût-il été en réalité le Prince des ténèbres lui-même, tu n'en étais pas moins requis de l'attaquer pour secourir ton camarade. Qui plus est, ce qu'il peut avoir de dément ou de démoniaque chez ce hamako regarde davantage ta lignée que la mienne puisque, pour tout te dire, il est l'ermite que tu recherches.– Ah çà ! s'exclama Sir Kenneth, les yeux fixés sur la silhouette athlétique mais décharnée qu'il avait en face de lui, tu te moques, Sarrasin, il ne peut s'agir du véritable Théodoric !– Pose-lui la question si tu ne veux pas me croire.Il n'avait pas fini que l'ermite confirmait ses dires.– Je suis Théodoric d'Engaddi. Je suis l'arpenteur du désert. L'ami de la croix et le fléau de tous les infidèles, hérétiques et adorateurs du diable. Arrière, arrière ! À bas Mohammed, Termagant et tous leurs sectateurs !Là-dessus, il tira de dessous la toison velue dont il se vêtait une sorte de fléau ou de massue, faite de deux bras de métal articulé et avec une remarquable dextérité la fit tournoyer comme une fronde au-dessus de sa tête.– Contemple ton saint ! dit le Sarrasin.Pour la première fois, il riait : Sir Kenneth ouvrait de grands yeux en suivant la gesticulation forcenée, accompagnée d'opiniâtres marmonnements, de Théodoric qui, après avoir projeté son fléau dans toutes les directions, apparemment sans s'inquiéter de savoir s'il heurtait l'un ou l'autre crâne au passage, termina par une démonstration et de sa force et de la puissance de son arme, en en pulvérisant d'un coup bien appliqué une grosse pierre à sa portée.– Mais c'est un fou ! dit Sir Kenneth.– Il n'en est pas moins saint, répliqua le musulman, qui s'appuyait sur la célèbre croyance selon laquelle les fous sont directement inspirés par Dieu. Rappelle-toi, chrétien, que, lorsqu'un œil est éteint, l'autre devient plus perçant ; que lorsqu'une main est coupée, l'autre n'en acquiert que plus de force ; il en va de même lorsque notre raison touchant les choses d'ici-bas est dérangée ou détruite : notre vision des choses célestes se fait plus aiguë et plus parfaite.À ce moment, la voix de l'ermite couvrit celle du Sarrasin : il avait entrepris de psalmodier, s'égosillant sans retenue :– Je suis Théodoric d'Engaddi ! Je suis le flambeau du désert, le fléau des infidèles ! Le lion et le léopard me tiendront compagnie, ils viendront s'abriter dans ma cellule et la chèvre n'aura plus peur de leurs crocs. Je suis la torche et la lanterne : Kyrie eleison !Son chant se termina sur une brève ronde, laquelle fut suivie d'un triple saut qui l'aurait fait remarquer dans un gymnase, mais qui s'accordait si mal à sa qualité d'ermite que le chevalier écossais, troublé, en resta confondu.Le Sarrasin semblait mieux le comprendre :– Tu le vois bien : il attend de nous que nous le suivions jusqu'à sa cellule, qui est du reste notre seul refuge pour la nuit. Le léopard c'est toi, à en croire le blason qui orne ton écu ; par mon nom, je suis le lion ; pour la chèvre, il y a lieu d'entendre lui-même et sa vêture animale. Mais ne le perdons pas de vue : il file tel le dromadaire !(à suivre...)
jeudi, août 20, 2009
Chant de Ahriman
– Assurément, sire chevalier, tu as dit vrai : On peut craindre ou détester tes ancêtres, on ne peut les mépriser. Et je ne m'étonne plus de trouver en toi un homme qui s'obstine dans une croyance fallacieuse : il ne fait aucun doute qu'elle te vient en droite ligne d'un trait démoniaque qu'avaient déjà tes aïeux, ces chasseurs infernaux, pour reprendre à peu près tes termes, qui fait que vous préférez l'erreur à la vérité. Pas davantage je ne suis surpris de voir quel enthousiasme et quelle exaltations sont les tiens, au moment de t'approcher des lieux hantés par les esprits malins, au point de les traduire en vers et en chansons : n'est-ce pas la même gaieté que tout un chacun ressent d'ordinaire en retrouvant le pays de ses ancêtres humains ?
– Par la barbe de mon père, je crois que tu as raison ! repartit le Sarrasin, que réjouissait plutôt que ne le blessait la franchise qu'avait cru bon d'adopter le chrétien pour lui adresser ses remarques. Bien que le Prophète – béni soit son nom ! – ait semé en nous les graines d'une meilleure religion que celle enseignée à nos ancêtres dans les salles hantées par les esprits de Tikrit, nous ne tenons pas, comme certains musulmans, à condamner hâtivement les nobles et puissants génies primitifs auxquels nous sommes rattachés. Ces démons – nous le croyons et l'espérons – ne sont pas entièrement réprouvés mais sont toujours mis à l'épreuve et seront peut-être, dans l'autre vie, punis ou récompensés. Laissons en décider les mollahs ou les imams. Il suffit que chez nous les respect porté à ces esprits ne soit pas totalement effacé par ce que nous savons du Coran, et que nombre d'entre nous chantent encore, en souvenir de nos pères et de leur foi plus ancienne, des poèmes comme celui-ci.
Il se mit alors à réciter des strophes, de langue et de forme très anciennes qui, selon certains, dateraient des adorateurs d'Ahriman, le principe mauvais.
AHRIMANSombre Ahriman, ô toi que l'Irak tient encorePour la source des maux que les hommes déplorent,Quand, prosternés à ton autel,D'un oeil troublé nous observons le monde,Où voyons-nous un empire à la rondeComparable au tien sous le ciel ?Si la Dignité bienveillante est capableDe faire jaillir l'eau dans un désert de sableOù le pèlerin las trouve un breuvage,La vague vient de toi qui les rochers fouetteEt le brutal assaut mené par la tempêteQuand des bateaux sans nombre font naufrage !Ou bien s'Il peut ordonner au sol de produireDes baumes pour celui qui va s'évanouir;Il ne saurait guérir que quelquefoisSouffrance vive ou douleur qui s'installe,Fièvre ardente ou bubon de fièvre fatale,Ces traits tirés de ton carquois !Au cœur de l'homme c'est ta force qui opèreEt fréquemment, lorsque s'élèvent nos prièresDevant un autre trône que le tien,Quelle que soit cette forme trompeuse,Notre louange, à sa façon mystérieuse,C'est à toi Ahriman, qu'elle revient.Es-tu sensible, as-tu des sens ou une image ?La foudre, est-ce ta voix, et ton habit l'orageComme les mages d'Orient le croient ?As-tu une âme qui ressent haine et fureur,Des ailes pour glisser sur ta voie de terreur,Des crocs pour déchirer ta proie ?Ou bien de la nature es-tu la source vive,Force sans cesse en mouvement, toujours active,Changeant le bien en mal odieux,Un principe de malveillance innéeLuttant contre le bien de notre destinée,Hélas, toujours victorieux ?Quoi qu'il en soit, que sert de raisonner ?Sur le monde extérieur tu as toujours régnéNon moins que sur le monde intérieur.La ronde déchaînée des mortelles passions,Amour, haine, terreur, joie ou ambitionSont aiguillons pour damner le pêcheur.Chaque fois qu'au soleil jaillit une lueurPour éclairer notre vallée de pleurs,C'est que tu hantes les parages.Au cœur des brefs répits qu'offre notre destin,Aiguisant jusqu'aux couleurs de nos festinsTu en fais des outils de mort et de carnage.Ainsi, depuis notre heure de naissance,Tant qu'ici-bas dure notre existence,Tu régis le sort des humains.À toi le dernier râle où notre souffle expireEt ton pouvoir – qui oserait le dire ? –Sombre esprit, alors prend-il fin ?Peut-être ces strophes n'étaient-elles que la production, somme toute assez attendue, de quelque philosophe peu éclairé qui n'avait vu dans cette divinité mythique, Ahriman, que l'omniprésence du mal moral et physique, mais aux oreilles du chevalier au léopard elles sonnèrent tout autrement : chantées par un homme qui venait de se glorifier d'être un descendant des démons, elles lui parurent étrangement ressembler à une prière au chef des démons en personne. Aussi balançait-il : ouïr pareil blasphème dans le désert même où Satan avait été repoussé pour avoir exigé allégeance impliquait-il qu'il signifiât sa réprobation en prenant simplement mais brutalement congé, ou fallait-il aller plus loin et se sentir contraint par son vœu de croisé de défier sur le champ l'infidèle en combat singulier, en abandonnant aux bêtes sauvages pour finir ? Il en était là lorsque son attention fut soudain attirée par une apparition inattendue.(à suivre)
Shirkouh, le Lion de la Montagne, fils des djinns et fier de l'être
Quant à moi, je ne suis pas arabe, mais j'appartiens à une lignée ni moins sauvage ni moins guerrière. Sache, chevalier au léopard, que je suis Shirkouh, le Lion de la Montagne, et que le Kurdistan d'où provient mon parage, ne s'honore pas d'une famille plus noble que celle de Seldjûq.
(...)
– Ne parle pas ainsi des génies, ami chrétien, car, sache-le, tu t'adresses à un homme dont la lignée et la nation tirent leur origine de cette race immortelle que ta secte craint et vitupère.
– Je pensais bien que ta race aveuglée descendait de l'odieux démon ! Auriez-vous pu, sans son aide, défendre cette terre bénie de Palestine contre tant de vaillants soldats de Dieu ? Je ne veux pas parler de toi en particulier, Sarrasin, mais de ton peuple et de ta religion en général. Cependant, ce que je trouve si singulier, ce n'est pas que tu descendes de l'Esprit du Mal, c'est de t'entendre en tirer vanité.
– De qui donc se vanteraient de descendre les plus braves, sinon de celui qui est le plus brave ? À qui d'autre qu'à l'Esprit des ténèbres les plus fiers feraient-ils remonter leur race, lui qui a préféré être précipité par la force plutôt que de fléchir le genoux de plein gré ? On peut détester Iblis, étranger, mais on doit le craindre et c'est à lui que ressemble ses descendants du Kurdistan.
(...)
– Sache, vaillant étranger, que lorsque le cruel Zahhak, l'un des descendants de Jamschid siégeait sur le trône de Perse, il conclut un pacte avec les Puissances des ténèbres dans les souterrains secrets d'Istakhar,ces souterrains que les mains des esprits primitifs avaient taillé dans la roche vive bien avant la naissance d'Adam. C'est là qu'il nourrissait, au moyen d'offrandes journalières de chair humaine, deux serpents affamés qui étaient devenus, si l'on en croit les poètes, des parts de lui-même. Pour avoir de quoi les sustenter, il prélevait chaque jour un tribut de sang, ce qui finit par pousser à bout la patience de ses sujets, dont certains se révoltèrent en levant l'épée contre lui, tel le vaillant Forgeron et le victorieux Feridoun, par qui le tyran finit par être détrôné et enfermé à jamais dans les sinistres grottes du mont Damavend. Mais, avant qu'intervint cette délivrance, quand le tyran exerçait encore une puissance sanguinaire inentamée, la horde de ses féroces affidés envoyés en mission pour le pourvoir en victimes et alimenter son sacrifice quotidien ramena sous les voûtes du palais d'Istakhar sept sœurs si belles qu'on eût dit sept houris. Ces sept vierges étaient les filles d'un sage qui n'avait pour trésor que sa sagesse et ses beautés. La première avait été incapable de l'avertir de la calamité qui l'attendait, les autres n'avaient su la parer. L'aînée avait vingt ans au plus, et c'est à peine si la plus jeune allait sur ses treize. Elles se ressemblaient tant qu'on n'aurait pu les distinguer, excepté par leur différence de taille, qui les faisaient s'échelonner graduellement les unes par rapport aux autres, tout comme la montée qui mène aux portes du paradis. Si ravissantes étaient ces sept sœurs qu'accueillit l'obscurité de ses voûtes, ayant pour tout vêtement une simarre de soie blanche, que leurs appas touchèrent les cœurs de ces êtres qui n'étaient pas mortels. Le tonnerre gronda, la terre trembla, la muraille des voûtes se fendit pour livrer passage à un être habillé en chasseur, armé d';un arc et de flèches, accompagné de six autres, ses frères. C'étaient des hommes de grande taille et, quoique basané, agréables à regarder, mais leurs yeux brillaient d'un éclat plus semblable à celui des morts qu'à la lumière qui vit sous la paupière des vivants.
"– Zaynab, lança le chef du groupe – et, ce disant, il avait saisi la sœur aînée par la main et sa voix était douce, grave et mélancolique –, je suis Cothrob, roi du monde souterrain et chef suprême du Djinnistan. Nous sommes, mes frères et moi, de ceux qui, créés du feu élémentaire, dédaignèrent, même sur ordre du Tout-Puissant, de rendre hommage à une motte de terre parce qu'elle portait le nom d'homme. Peut-être t'a-t-on dit que nous étions cruels, impitoyables, persécuteurs. C'est faux. Nous sommes, par nature, bons et généreux, ne cherchons la vengeance qu'après avoir subi l'offense, ne nous montrons cruels que pour répondre à l'attaque. Nous sommes fidèles à ceux qui nous accordent leur confiance, et nous avons entendu les supplications de ton père, le sage Mithrasp, qui dans sa sagesse adore non seulement l'Origine du bien mais ce qu'on nomme la Source du mal. Toi et tes sœurs avez un pied dans la tombe. Mais que chacune nous donne un cheveux de ses belles tresses en gage de loyauté, et nous vous emporterons à des milles d'ici dans un lieu abrité d'où vous pourrez défier Zahhak et ses ministres.
"La crainte d'une mort imminente, dit le poète, est pareille à la verge du prophète Aaron, qui dévora toutes les autres quand elles furent transformées en serpents devant Pharaon"; et les filles du sage persan craignaient moins que les autres les paroles d'un esprit. Elles n'eurent pas plus tôt offert le tribut réclamé par Cothrob qu'elles se trouvèrent transportées dans un château enchante des monts Tugrut au Turkestan, et jamais nul œil mortel ne les revit. Mais quand il se fut écoulé du temps, sept jeunes gens que distinguaient leur prouesse guerrière et leurs exploits de chasseurs vinrent à se montrer dans les environs du château des démons. Ils étaient plus hâlés, plus grands, plus féroces et plus déterminés qu'aucun de ceux qui vivent au long des vallées du Kurdistan. Ils prirent femme et devinrent les pères des sept tribus du Kurdistan dont la vaillance est connue dans le monde entier.
Le chevalier chrétien écouta, abasourdi, ce récit extraordinaire dont le Kurdistan garde encore les traces, réfléchit un moment, puis répondit :
(à suivre)
Écrire
C'est dans une maison qu'on est seul.
Mon écriture, je l'ai toujours emmenée avec moi, où que j'aille.
Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres.
Écrire, c'était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait.
On ne trouve pas la solitude, on la fait.
Du moment qu'on est perdu et qu'on n'a donc plus rien à écrire, à perdre, on écrit. Tandis que le livre il est là et qu'il crie et qu'il exige d'être terminé, on écrit. On est obligé de se mettre à son rang. C'est impossible de jeter un livre pour toujours avant qu'il ne soit tout à fait écrit – c'est-à-dire : seul et libre de vous qui l'avez écrit. C'est aussi insupportable qu'un crime. Je ne crois pas les gens qui disent : "J'ai déchiré mon manuscrit, j'ai tout jeté." Je n'y crois pas. Ou bien ça n'existait pas pour les autres, ce qui était écrit, ou bien ce n'était pas un livre. Et quand ce n'est pas un livre, on le sait toujours. Quand ce ne sera jamais un livre, non, on ne le sait pas. Jamais.
On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l'écriture, il faut être plus fort que ce qu'on écrit. C'est une drôle de chose, oui. C'est pas seulement l'écriture, l'écrit, c'est les cris des bêtes de la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. C'est la vulgarité massive, désespérante, de la société.
Certains écrivains sont épouvantés. Ils ont peur d'écrire. Ce qui a joué dans mon cas, c'est peut-être que je n'ai jamais eu peur de cette peur-là.
L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
Longtemps le mot "pur" a été récupéré dans le commerce des huiles de table. Longtemps l'huile d'olive a été garantie pure et jamais les autres huiles, qu'elles soient d'arachide ou de noix.
Ce mot ne fonctionne que lorsqu'il est seul. Par lui-même, de son seul fait, il ne qualifie rien ni personne.
Marguerite Duras : Ecrire.
mercredi, août 19, 2009
TV, radio : islam, les gardiens du mont Ararat, Hâfez, Guillaume de Rubrouck, les Hachémites, Sébastien de Courtois
samedi, août 15, 2009
Radio : Rûmî
vendredi, août 14, 2009
Une mosaïque musulmane volée par les Byzantins
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