vendredi, juillet 31, 2009

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES ET LÉGISLATIVES AU KURDISTAN D'IRAK


Le 25 juillet, des élections législatives et présidentielles se sont tenues dans les trois gouvernorats formant la Région fédérée du Kurdistan d'Irak. La campagne électorale qui s’est déroulée sur plus d’un mois a été très festive, avec de grandes réunions publiques, des concerts ainsi que des débats à la télévision. Toutes les sensibilités politiques, ethniques, religieuses et linguistiques ont pu, à travers les partis les représentant, s’exprimer librement, et mener campagne pour convaincre les électeurs de voter en leur faveur.

Dans l’ensemble, on n’a noté aucun incident pendant la campagne, malgré le climat passionnel dans lequel les supporters du parti de Jalal Talabani et ceux de Nawshirwan Mustafa avaient fait campagne pour leur candidat respectif, surtout à Suleïmanieh. Les élections, suivies par environ 17 000 observateurs dont ceux de l’Union européenne et de la Ligue arabe, se sont déroulées pacifiquement et, de l’avis général des observateurs, elles ont été transparentes et sincères, même si ça et là, il y a pu avoir quelques suspicions d’irrégularités. Mais la Haute Commission électorale irakienne, qui a diligenté des enquêtes sur 300 bureaux de vote (sur un total de 5300) a déclaré que le nombre de ces infractions, à un niveau très local, s'est finalement avéré minime et ne peut en aucun cas avoir influé sur les résultats finaux. Le représentant de la Ligue arabe, sur place a loué lui aussi le bon déroulement des élections, en les présentant comme "les plus transparentes d'Irak".

Les résultats officiels, tels qu’ils ont été rendus publiques, par la Haute Commission électoale, sont comme suit :

La participation a été de 78.5 %. Aux législatives, la liste Kurdistanî (PDK de Barzani + UPK de Talabani) remporte la majorité à 57.34% des voix. La liste du Changement (Gorran) de Nawshirwan Mustafa obtient 23.75%. La Liste du Service et de la Réforme (une coalition de 2 petits partis de gauche et d'islamistes) : 12.8%. La Liste turkmène : 0.99 % Le Parti communiste du Kurdistan : 0.82%. Le Mouvement islamique : 1.45%.

Le président sortant, Massoud Barzani, est réélu avec 69.57%. Le Dr. Kamal Mirawdali, un candidat indépendant résidant à Londres, et soutenu par la liste Gorran, obtient 25.32%. Halo Ibrahim Ahmed (beau-frère de Talabani, dissident de l'UPK) : 1.4% et HuseinGarmiyani, un homme d’affaires : 0.59 %.

Les islamistes sont en recul par rapport aux dernières élections, n'obtenant que 12 sièges tout en étant alliés avec des partis d'extrême-gauche (Liste du Service et de la réforme). En 2005, l'Union islamique du Kurdistan avait obtenu 9 sièges et la Ligue islamique 6. S'étant coalisés avec deux partis de gauche, ils n'obtiennent que 12 sièges, alors que si l'on additionne tous les sièges que détenaient les 4 partis (qui n'étaient pas alliés alors) en 2005, on arrivait à un total de 18. Par ailleurs, étant donné le caractère hétéroclite de cette coalition, il n'est pas du tout sûr que ces députés aient un vote unanime par la suite sur les questions sociales, juridiques et civiles.

La liste Kurdistani garde 63 sièges et Goran 23 sièges. Les sièges restant (sur 111) sont réservés aux minorités chrétiennes et turkmènes, comme prévu. Si l'on regarde les scores locaux, on voit que Gorran fait une grosse percée dans la province de Suleymanieh avec 42% des votes, contre 36% pour la Liste Kurdistani (c'est-à-dire l'UPK dans cette ville où le PDK a très peu d'influence) et le Service et la Réforme 15%. Le parti de Jalal Talabani essuie donc une sérieuse défaite dans son fief.

A Erbil (Hewlêr) province mixte PDK-UPK, les Kurdistani font 65%, Gorran 17 %, le Service et la Réforme 10%. Par contre, dans la province de Duhok, traditionnellement PDK, la Liste Kurdistani rafle 78% des votes et Gorran arrive derrière le Service et la Réforme avec respectivement 3% et 9%, ce qui confirme bien que la montée de Gorran est essentiellement une opposition interne à l'UPK qui ne touche pas, pour le moment, les votes du PDK.

Pour les présidentielles, Massoud Barzani est réélu à 93% à Duhok, à 68% à Erbil (Hewlêr) un chiffre très proche, à 3% près, des résultats de sa liste législative dans cette province, ce qui indique que les électeurs d'Erbil qui ont voté Gorran ou le Service et la Réforme ont dû reporter leur voix, probablement sur le candidat alternatif Kamal Mirawdeli qui reçoit pour la totalité de la Région 27% des voix).

À Suleymanieh, il est à noter que Massoud Barzani fait 46%, alors que c'est dans cette province que l'opposition à la liste Kurdistani a été la plus forte. Cela signifie que 10% d'électeurs qui n'ont pas voté Kurdistani pour les législatives ont cependant voté pour Massoud Barzani, sans doute les électeurs des petits partis religieux ou de gauche.

À peine réélu, Massoud Barzani a annoncé, après la venue du Secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, que le Premier ministre d'Irak Nouri al-Maliki avait été invité au Kurdistan "pour discuter et régler tous les problèmes entre nous et Bagdad. Nous avons dit aux Américains qu'il fallait régler les problèmes en suspens avec Bagdad selon la Constitution." En effet, les dernières propositions de l'ONU sur un partage du pouvoir à Kirkouk, sans tenir compte des futures élections du conseil provincial, a essuyé un refus de la part du président kurde qui a qualifié les solutions onusiennes "d'irréalistes", bien qu'appuyées par les Etats-Unis :"Nous n'accepterons aucune alternative à l'article 140, que cela vienne des Nations Unies ou de quiconque", a répété le président Barzani. Au sujet du report dans le temps du référendum kurde sur la nouvelle constitution, initialement prévu le 25 juillet, le même jour que les élections, Massoud Barzani a indiqué l'avoir accepté à la requête du vice-président des USA Joseph R. Biden Jr. "et d'autres responsables américains", pour cause de "calendrier inapproprié".

GRK : l'après-élections

Pas le temps de respirer : à peine réélu Massoud Barzani doit remonter sur le ring et négocier tenir tête aux Américains comme à Bagdad à propos de Kirkouk. Il a ainsi annoncé, après la venue du Secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, que le Premier ministre d'Irak Nouri al-Maliki avait été invité au Kurdistan "pour discuter et régler tous les problèmes entre nous et Bagdad. Nous avons dit aux Américains qu'il fallait régler les problèmes en suspens avec Bagdad selon la Constitution."

En effet, toujours - hélas - infatigable en solutions impossibles à appliquer, l'ONU a essuyé dun refus de la part du président kurde qui qualifie les solutions onusiennes "d'irréalistes", bien qu'appuyées par les Etats-Unis.

"Nous n'accepterons aucune alternative à l'article 140, que cela vienne des Nations Unies ou de quiconque", a répété le président Barzani, qui confirme ainsi que l'entêtement kurde est une valeur qui perdure.

Au sujet du report dans le temps du référendum kurde sur la nouvelle constitution, Massoud Barzani a expliqué qu'il l'a accepté à la requête du vice-président des USA Joseph R. Biden Jr. "et d'autres responsables américains", pour cause de "calendrier inapproprié".

Le bon score électoral de la liste Gorran semble perturber quelque peu leur bon sens politique puisque Shaho Saïd, une des têtes de liste de ce mouvement a indiqué qu'ils avaient porté plainte auprès de la Cour fédérale de Bagdad en contestant l'approbation par vote de la constitution kurde, vote qui avait eu lieu au Parlement en juin dernier, après le 4, date à laquelle officiellement la validité du parlement aurait dû expirer, car les élections avaient été initialement prévues le 19 mai. Sept députés avaient alors protesté, estimant que ce vote aurait dû avoir lieu après les élections. Argument invoqué par Shaho Saïd, "le pouvoir trop important de la présidence par rapport à ceux du Parlement", et il demande la réécriture de la constitution kurde. Massoud Barzani a rejeté cette proposition, indiquant qu'il fallait une majorité des deux-tiers du Parlement pour réécrire cette constitution.

Que Gorran soit contre un pouvoir présidentiel fort et prône un fort régime parlementaire est dans ses droits, mais vu le bras de fer à venir entre Erbil et Bagdad, ça ne me paraît pas très pertinent de contester maintenant l'actuelle constitution qui fâche si fort les Arabes. En faire un texte avorté apparaîtrait comme un recul, ou bien indiquerait une influence de Bagdad sur les partis d'opposition. Le président Barzani ne s'y est pas trompé. Tout en saluant l'émergence d'une force d'opposition dans la Région, il a ainsi mis en garde d'éventuelles "tentations" du gouvernement central d'interférer dans les affaires internes kurdes : "Si un quelconque pays de la région, voire même Bagdad ou tout autre élément à l'intérieur de la Région conspire contre la sécurité de la Région et son bien-être, des actions seront prises en accord avec la loi contre ceux qui veulent miner l'unité de la maison kurde." (source NY).

Mise en garde qui vise plus particulièrement Gorran puisque les islamistes sont en recul par rapport aux dernières élections, n'obtenant que 12 sièges tout en étant allié avec des partis d'extrême-gauche (Liste du Service et de la réforme). En 2005, l'Union islamique du Kurdistan avait obtenu 9 sièges et la Ligue islamique 6. S'étant allié avec deux partis de gauche, ils n'obtiennent que 12 sièges, alors que si l'on additionne tous les sièges que détenaient les 4 parties (qui n'étaient pas alliés alors) en 2005, on arrivait à un total de 18. Par ailleurs, étant donné l'hétéréoclité de cette coalition, il n'est pas du tout sûr que ces députés aient un vote unanime par la suite sur les questions sociales, juridiques et civiles.

La liste Kurdistani garde 63 sièges et Goran 23 sièges. Les sièges restant (sur 111) sont réservés aux minorités chrétiennes et turkmènes, comme prévu.

Si l'on regarde les scores locaux, on voit que Gorran fait une grosse percée dans la province de Suleymanieh avec 42% des votes, contre 36% pour la Liste Kurdistani (c'est-à-dire l'UPK dans cette ville où le PDK a très peu d'influence) et le Service et la Réforme 15%. Le parti de Jalal Talabani essuie donc une grosse claque dans son fief. A Erbil (Hewlêr) province mixte PDK-UPK, les Kurdistani font 65%, Gorran 17 %, le Service et la Réforme 10%. Par contre, dans la province de Duhok, traditionnellement et à fond PDK, la Liste Kurdistani rafle 78% des votes et Gorran arrive derrière le Service et la Réforme avec respectivement 3% et 9%. Ce qui confirme bien que la montée de Gorran est essentiellement une opposition interne à l'UPK qui ne touche pas, pour le moment, les votes PDK.

Pour les présidentielles, Massoud Barzani est réélu à 93% à Duhok, à 68% à Erbil (Hewlêr) un chiffre très proche, à 3% près, des résultats de sa liste législative dans cette province, ce qui indique que les électeurs d'Erbil qui ont voté Gorran ou le Service et la Réforme ont dû reporter leur voix, probablement sur le candidat alternatif Kamal Mirawdeli qui reçoit pour la totalité de la Région 27% des voix).

Curieusement, à Suleymanieh, Massoud Barzani fait 46%, alors que c'est dans cette province que l'opposition à la liste Kurdistani a été la plus forte. Cela veut dire que 10% d'électeurs qui n'ont pas voté Kurdistani ont cependant voté pour Massoud Barzani.


jeudi, juillet 30, 2009

TURQUIE : DÉSISTEMENT GÉNERAL DES SOCIÉTÉS EUROPÉENNES FINANÇANT LE BARRAGE D’ILISU


La Suisse, l’Allemagne et l’Autriche avaient déjà annoncé l’abandon définitif de leur soutien financier à la construction du barrage d’Ilisu, devant noyer cette vallée ainsi que la ville de Hasankeyf, riche en vestiges antiques et médiévaux. Au début du mois, l’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (SERV) qui s’est définitivement retirée. Au total, c’est un apport de 225 millions de francs que les sociétés suisses Alstom Suisse, Maggia, Stucki et Colenco retirent du projet, et les 531 millions qui devaient être alloués par tous les investisseurs européens font maintenant défaut au projet de barrage.

Ce retrait de la SERV n’est pas une surprise, après l’ultimatum de six mois que l’Assurance suisse avait signifié à la Turquie, afin que cette dernière apporte des garanties suffisantes pour que les conséquences du barrage, sur les populations déplacées, qui devaient être dédommagées et relogées de façon équitable, ainsi que les perturbations écologiques, répondent aux critères internationaux (150) de façon satisfaisante. La SERV a reconnu des « progrès », mais insuffisants pour se maintenir dans le projet. Le délai a expiré le 6 juillet à minuit. Cette décision a été saluée comme une grande victoire par des ONG et des élus suisses comme Marlies Bänziger (Verts) : « Ce non à Ilisu est un oui à la protection de l’environnement, un oui au respect des minorités et aux standards sociaux.» Doris Leuthard, qui dirige le département fédéral de l’Économie, a parlé de « décision très difficile » en indiquant que le ministre turc des Affaires étrangères, Ali Baba Can, avait été quelques mois auparavant averti de l’issue la plus probable du dossier Malgré le manque à gagner les entreprises suisses impliquées n’ont pas critiqué une telle décision, qu’ils jugent eux-mêmes inévitable.

Au sein de la Commission de l’économie et des redevances, Christophe Darbellay avance des arguments de principe : «La Suisse s’est beaucoup engagée pour rendre ce projet possible mais il était impossible de faire autrement. L’économie sans morale et sans éthique n’est pas défendable.» Bien évidemment, la Turquie a exprimé officiellement sa désapprobation, en affirmant poursuivre coûte que coûte la construction du barrage. Certains avancent l’hypothèse que des entreprises chinoises ou russes, venant de pays moins scrupuleux en matière d’écologie et de dommages humains, pourraient reprendre le projet. Le ministre turc de l’Environnement a ainsi déclaré : « La Turquie considère le projet de barrage d'Ilisu comme une pièce maîtresse de ses projets en Anatolie et comme un fer de lance du développement social, et nous aimerions souligner que notre détermination à construire le barrage d'Ilisu ne faiblit pas. »

En décembre dernier, les travaux commencés en août 2008 avaient été gelés lorsque les assureurs Euler Hermes, Österreichische Kontrollbank et Schweizerische Exportrisikoversicherung – avaient déclaré, dans un communiqué commun, que « Les conditions contractuelles convenues concernant l'environnement, le patrimoine culturel et des relogements n'ont pu être remplies.

Au sein même de la société turque, des voix diverses se font entendre pour la préservation du site de Hasankeyf, comme les deux écrivains Yaşar Kemal et Orhan Pamuk.

L’Irak, qui souffre déjà d’une grave sécheresse, avait lui aussi demandé aux sociétés européennes de se retirer du projet. Le gouvernement de Bagdad a par ailleurs demandé la tenue d’ « une réunion urgente en présence des ministres et des experts des trois pays concernés en août prochain pour discuter du partage de l'eau et de la fluctuation des débits en Irak », en raison du débit dramatiquement bas de l'Euphrate, notamment dans les régions frontalières avec la Syrie, où l’on enregistre une chute de 250 m3/s, malgré l’ouverture, en juin dernier, des vannes des barrages turcs, pour faire remonter le débit à 570 m3/s, en promettant qu’en juillet, il s’élèverait jusqu’à 715 m3/seconde. Le ministre des Ressources hydrauliques de l’Irak a indiqué pour sa part que son pays avait besoin d’un débit « d’au moins 500 m3/s pour couvrir 50% des besoins d'eau pour l'irrigation » à partir de l’Euphrate. Depuis deux ans, une sécheresse importante, ayant pour cause l’insuffisance des précipitations annuelles provoque un exode rural en Irak, notamment celui des « Arabes des marais », au sud : « Quatre-vingt familles ont récemment quitté le marais de Abou Zark à l'est de Nassiriyah, dans le sud du pays », a ainsi déclaré à l'AFP Ali Radad, responsable des projets agricoles dans la province de Dhi Qar. Jamal Al-Batikh, membre de la Commission parlementaire irakienne de l'Eau et de l'Agriculture, y voit aussi le traditionnel moyen de pression qu’utilise la Turquie contre les pays voisins qu’elle accuse d’abriter le PKK, la Syrie jusqu’en 1999 et maintenant l’Irak. En représailles, les députés irakiens ont refusé de ratifier un accord commercial qui avait été conclu avec le président turc, Abdullah Gül en avril 2009, comme l’a expliqué un député irakien du parti Fadila, Karim al-Yaacoubi : « Les députés refusent de ratifier cet accord tant qu'une clause n'est pas ajoutée pour assurer à l'Irak sa part de l'eau. »

Elections au Kurdistan : Résultats

On les attendait hier à 14h heure locale, mais bon, ils n'ont presque pas été en retard. PUK Media donne les premières estimations. Il y a des enquêtes diligentées sur 300 bureaux de vote (sur un total de 5300) qui ont fait l'objet de plaintes pour irrégularités mais ça ne va pas influer sur le nombre de sièges , selon la Haute Commission électorale irakienne. Le représentant de la Ligue arabe, sur place a loué le bon déroulement des élections, présentées par lui comme les plus transparentes d'Irak (source Transnational Middle-East Observer) :

Pour le Parlement, la liste Kurdistanî (PDK de Barzani + UPK de Talabani) remporte la majorité à 57.34% des voix.

La liste du Changement (Gorran) de Nawshirwan Mustafa obtient 23.75%.

La Liste du service et de la Réforme (une coalition de gauches et d'islamistes) : 12.8%.

La Liste turkmène : 0.99 %, les communistes : 0.82%.

Rappel : Cette liste est une coalition de 4 partis politiques, un peu hétéroclite. Deux partis islamistes, l'Union islamique du Kurdistan (proche des Frères musulmans) et le Groupe islamique du Kurdistan (anciennement lié au groupe terroriste Ansar al-Islam mais assagi depuis en ce qui concerne le terrorisme mais toujours soupçonné de liens étroits avec l'Iran), et deux partis de gauche laïcs, le Parti social-démocrate du Kurdistan, anciennement lié à la liste Kurdistani, et le parti du Futur, qui résulte d'une scission avec le parti des Travailleurs (proche de l'UPK).

Le Mouvement islamique : 1.45% on nous bassine depuis 1992 avec la montée de l'islamisme au Kurdistan).

Rappel : Fondé en 1979 par Sheïkh Uthman Abdul-Aziz et d'autres mollahs sunnites, le Mouvement a été très implanté à Halabja et dans la région autour de la ville, faisant de leur fief un petit Islamistan (nettoyé par l'UPK en 2003), sans tout de même appliquer la charia dans toute sa rigueur.)

Pour les élections présidentielles :

Massoud Barzani, est réélu président avec 69.57%.

Le Dr. Kamal Mirawdali obtient 25.32%.

Halo Ibrahim Ahmed (beau-frère de Talabani, dissident de l'UPK) : 1.4%

Husein Garmiyani : 0.59 % (un homme d'affaire).

Que dire de ces résultats ? Qu'ils sont parfaits. Après une campagne sans violence, un scrutin où les seules victimes le furent d'imbéciles tirant en l'air pour fêter ça (une manie au Moyen-Orient, même les noces aboutissent à des enterrements comme ça), ce qui amena Massoud et Nêçirvan Barzani à pousser une gueulante à la télévision : "Ce n'est pas COMME CELA que l'on montre qu'on est content, bande de sauvages !" ; quelques échauffourées à Erbil (bureaux des islamistes et de Gorran investis et saccagés par des supporters du PDK de Barzani), des résultats qui ne font pas république bananière : une vraie force d'opposition au Parlement, même pas issue des islamistes, et rompant avec le statu-quo qui n'était qu'un compromis figé depuis la fin de la guerre civile ; un président qui ne fait pas les scores de Saddam. Kamal Mirawdali n'a plus qu'à fonder à son tour un parti, ou rejoindre Gorran. Cela dit, heureusement tout de même que Massoud Barzani a été confortablement réélu, car j'imagine mal cet intellectuel vivant depuis des années à Londres commander aux Peshmergas et entamer un bras de fer avec Maliki, Obama et de Mistura sur la question de Kirkouk...

Le seul point d'interrogation reste la réaction à Sulaymanieh : soit les partisans de Gorran vont hurler à la fraude en estimant trop peu le nombre de leurs sièges, et dans ce cas, Nawshirwan Mustafa a intérêt à les canaliser, sous peine d'irresponsabilité totale ; soit ils se réjouissent de leur bon score et alors on verra plus tard, dans quelques mois, comment va se passer la cohabitation sur place, avec les nouvelles élites politiques et les gens en place. Après la guerre civile n'a éclaté que 2 ans après les élections de 1992...

mercredi, juillet 29, 2009

IRAN : LE POUVOIR DÉSAVOUÉ PAR LES RELIGIEUX DE QOM


En Iran, la contestation ne faiblit pas, les manifestations se succédant à la fois pour dénoncer les élections de juin et maintenant aussi pour célébrer la mémoire des victimes ou réclamer la libération des prisonniers. Ainsi, le 15 juillet, 3000 personnes ont ainsi défilé à Saadat Abad. Mais le mouvement s’étend bien au-delà de la capitale puisque le même jour, dans la ville kurde de Kermanchah, 6000 personnes ont rendu hommage à un étudiant kurde, Kianoosh Assa, originaire de la ville, qui a succombé sous la torture. La foule a été violemment malmenée par les forces de l’ordre.

Les régions kurdes connaissent ainsi un redoublement des persécutions, la répression des manifestations venant s’ajouter aux emprisonnements et exécutions habituelles pour opinions politiques ou religieuses, et activisme en faveur des droits de l’homme et du féminisme. Le 15 juillet, un Ahl-é Haqq (minorité religieuse kurde non musulmane) a été ainsi exécuté dans la prison principale d’Ourmiah. Younes Aghayan, originaire de Miandoab, avait été accusé d’être un « ennemi de Dieu », chef d’accusation qui fait encourir la peine capitale, ce qui a finalement été le cas pour ce prisonnier, qui était détenu depuis cinq ans. Un autre prisonnier kurde condamné à mort, le journaliste Adnan Hassanpour, après que la première sentence a été cassée l’année dernière, a été rejugé et condamné à dix ans de prison par le tribunal de Sanandadj. Reporters sans frontières dénonce « le jugement comme étant absurde et sans fondement » et réclame sa libération immédiate. Le 16 juillet 2007, Adnan Hassanpour avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de Mariwan, pour « actions subversives contre la sécurité nationale, espionnage et propagande séparatiste ». Après la confirmation de cette sentence en appel le 22 octobre 2007, la Cour suprême de Téhéran a cassé le jugement en août dernier pour vice de procédure, considérant que Hassanpour n’était pas un « ennemi de Dieu » (mohareb), ce qui lui évitait donc la peine capitale. Le détenu a donc été rejugé par le tribunal ordinaire de Sanandadj. Après avoir été entendu deux fois par les juges, le 6 septembre 2008 et le 30 janvier 2009, il vient donc d’être condamné à dix ans de prison. Adnan Hassanpour est actuellement toujours détenu à Sanandadj. Un autre journaliste kurde, Hiwa Botimar, arrêté pour « détention et vente d’armes » a été condamné à onze ans de prison. Leur avocat dénonce la disproportion des peines et va faire appel.

Pendant ce temps, à Téhéran, les dirigeants et les leaders de la contestation s’affrontent verbalement. Mir Hossein Moussavi est ainsi qualifié d’agent des USA et de « crimes contre la nation » par l’entourage du Guide suprême. « On doit se demander si ces actions sont une réponse aux instructions des autorités américaines » a ainsi déclaré Hossein Shariatmadari, dans un éditorial du journal conservateur Kayhan. Ce conseiller proche de l’ayatollah Khamenei accuse Mousavi du « meurtre d’innocents, d’avoir incité aux émeutes, de coopérer avec des étrangers et d’agir comme une cinquième colonne dans le pays pour le compte des Américains. Il réclame son jugement ainsi que celui de l’ex-président Mohammad Khatami pour « crimes horribles et trahison » en affirmant détenir des « documents irréfutables » étayant ses accusations. Àprès l’arrestation et le procès de Mohammad Ali Abtahi, un proche du candidat malheureux à l’élection présidentielle, Mehdi Karroubi, qui s’est publiquement livré, comme beaucoup de prisonniers politiques à des « aveux et une repentance publiques » digne des grands procès staliniens, d’autres personnalités politiques ou des journalistes sont détenus et menacés de procès à leur tour pour « atteinte à la sécurité nationale ». L’avocat du journaliste Maziar Bahari, Saleh Nikbakht, dénonce les conditions de ces arrestations et l’impossibilité pour la défense de voir ses clients : « Bahari est accusé d’agir contre la sécurité nationale et je n’ai pas encore pu le rencontrer, bien que m’étant rendu plusieurs fois au bureau du procureur. »

Ce même avocat défend un certain nombre de réformistes, anciens responsables au gouvernement de Khatami, emprisonnés depuis le 12 juin dernier, faisant tous face au même chef d’accusation : l’ancien adjoint du ministère des Affaires étrangères, Mohsen Amizadeh, l’ancien porte-parole du gouvernement Abdollah Ramezanzadeh, l’acien adjoint au ministère de l’Économie, Mohsen Safai-Farahani, l’ancien vice-président Mohammad Ali Abtahi et Behzad Nabavi, ancien adjoint à la présidence du parlement entre 2000 et 2004. « Je n’ai pu voir aucun d’entre eux et ni Safai-Farahani ni Nabavi ont pu avoir des contacts avec leurs familles » déplore Saleh Nikbakht. En plus de Maziar Bahari, de nationalité irano-canadienne, détenu depuis le 21 juin, les autorités ont arrêté Jason Fowden, de nationalité gréco-britannique, du Washington Times et expulsé Jon Leyne de la BBC. Mais la répression au sein des réformistes n’empêche pas la contestation de s’étendre dans les cercles les plus inattendus du pouvoir iranien.

Ainsi, le 5 juillet, le groupe le plus important des dirigeants religieux en Iran, l’Association des chercheurs et enseignants de Qom, a qualifié les élections de juin et le gouvernement d’ « illégitimes », dans une déclaration commune, ce qui constitue un acte de défiance et un camouflet envers le Guide suprême, Ali Khamenei qui, dès le début, a soutenu le président sortant Mahmoud Ahmadinejad. « Cette fissure dans l’establishment clérical et le fait qu’ils se rangent aux côtés du peuple et de Moussavi et, de mon point de vue, la plus grande fissure historique au cours des trente années de pouvoir de la République islamique », estime Abbas Milani, directeur du département des Études iraniennes de l’université de Stanford. « Rappelons qu’ils s’opposent à une élection validée et sanctifiée par Khamenei. » Cette déclaration est survenue un jour après que Hossein Moussavi a publié sur son site Web des documents détaillant une campagne frauduleuse par les partisans du président et notamment d’avoir imprimé plus de 20 millions de bulletins avant le vote et d’en avoir bourré les urnes. Jusqu’ici, les puissants clercs de Qom étaient restés silencieux sur le conflit opposant la rue iranienne au gouvernement. Leur prise de position peut être vue comme un soutien ouvert à Moussavi, Khatami et Karroubi, tous trois accusés de trahison par les milieux du pouvoir et menacés d’arrestations, alors que cette association n’avait soutenu officiellement aucun candidat aux élections, s’étant simplement borné à réclamer leur annulation en raison de la contestation des électeurs.

"La Nuit kurde", une histoire de l'antisémitisme européen

Soupe d'anguille, toujours : Cherchant sur la toile s'il n'existait pas, à défaut de vidéo, de photographie de ce ballet kurde, je tombe sur la mention d'un opéra, drame en trois actes et un prologue, datant de 1927, intitulé La Nuit kurde, d'Alexandre Tansman, tiré du roman éponyme de Jean-Pierre Bloch (qui écrivit lui-même le livret). Avant cela, en 1926, il est mentionné dans ses oeuvres une suite symphonique La Nuit kurde, que dirigea Pierre Monteux.

Alexandre Tansman est né à Lodz en 1897, dans une famille juive polonaise (cela peut avoir son importance pour La Nuit kurde, on verra pourquoi). En tout cas, il raconte lui-même, dans Une voie lyrique dans un siècle bouleversé (éd. L'Harmattan, 2005), sa lecture du roman et l'émotion qu'il en tira, le décidant à écrire cet opéra :




Vers 1925, lorsque j'ai lu le bel et émouvant roman de Jean-Richard Bloch, La Nuit kurde, j'ai été séduit par le côté de large humanité qui se dégageait de cette oeuvre, par ses potentialités d'action dramatique, par ses rebondissements lyriques se prêtant à de vastes fresques musicales, par le caractère général de l'idée dont la situation ethnique n'imposait aucune nécessité de couleur locale déterminée. Je me suis lié d'une grande amitié avec Jean-Richard Bloch, dont la vibrante sensibilité musicale et la profondeur des vues esthétiques étaient extrêmement attachantes. Sur ma demande, il tira un livret de son roman, et ainsi naquit mon drame musical, La Nuit kurde, [dont la réalisation en Allemagne a été empêchée par l'avènement de Hitler et qu'on a entendu jusqu'ici qu'à la radio]
Il n'existe pas, à ma connaissance, d'enregistrement ultérieur de cet opéra, qui ne semble pas avoir été joué, sauf par Pierre Monteux en Suite symphonique, et celle-ci ne semble pas avoir été enregistrée (Mais que fait le ministre de la Culture du GRK ?????). Décidément, Hitler nous emmerde encore aujourd'hui. Sur sa musique, que je ne connais pas, puisque Vladimir Jankélévitch l'admirait et fut un ami fidèle, c'est forcément un bon compositeur. Alexandre Tansman écrivit d'ailleurs lui aussi sur le philosophe, En lisant Vladimir Jankélévitch (texte publié dans le recueil cité ci-dessus).

Mais c'est un autre texte, tiré d'un cours ou d'une conférence, Y a-t-il une musique juive ? qui fait le lien avec la naissance du roman La Nuit kurde. Face à l'antisémitisme français et l'étonnante question d'alors, "pouvait-on être écrivain juif et écrivain français ?" Michel Trebitsch dans son étude De la situation faite à l'écrivain juif dans le monde moderne : Jean-Richard Bloch, entre identité, littérature et engagement raconte ainsi la naissance de l'écrivain Bloch :

« Je suis Juif, je suis Français » : l’affirmation civique et patriotique qui traversera toute sa vie est aussi une affirmation littéraire. C’est un refus délibéré d’assignation face aux clichés de la « littérature juive » (notamment du « théâtre juif ») sous lesquels vient se nicher un antisémitisme implicite, du moins un mélange ambigu de philo et d’antisémitisme. Gide, qui est obstinément intervenu pour faire publier « Lévy » dans la NRF, découvre « avec désespoir » que « Jean Richard », le pseudonyme de Bloch, « sont les prénoms d’un Weil ou d’un Kohn ». Romain Rolland, soulignant l’atmosphère d’étrangeté qui exsude d’Et Compagnie, ajoute : « Votre œuvre doit être lue par tous les Juifs, en jargon juif ». Cette idée du « jargon » (mais s’agit-il de l’hébreu, du yiddish, du judéo-alsacien ?), même Bloch l’intériorise, constatant que les Juifs de France l’ont oublié ou marquant sa différence avec les Juifs orientaux, « qui, jusqu’ici, n’ont rien voulu savoir, même pas la langue française ». La question centrale de la langue est la clé de la distinction entre « littérature juive » et « littérature française » fondée sur l’opposition entre l’acquis et l’inné. « Je ne nie point, certes, le grand mérite de quelques œuvres juives », note Gide dans son Journal de janvier 1914, « mais combien les admirerais-je de cœur plus léger si elles ne venaient à nous que traduites».
Et dire que toute une frange d'intellectuels contemporains n'a de cesse de nous rebattre les oreilles avec l'antisémitisme, supposé essentiel, de l'islam... Cela dit, aujourd'hui, il ne semble nullement gênant de se demander sur la voie publique : "Peut-on être musulman et français ?" )En tous cas, La Nuit kurde serait née de cette déchirure :

C’est en ce sens qu’il faut faire une place à part à La Nuit kurde, commencé en 1920, publié en 1925. Cet étrange conte oriental, au rythme de verset biblique, est l’histoire, dans une Asie mineure mythique et ancienne, d’une bande de pillards kurdes attaquant un village de chrétiens grecs nestoriens. Le héros, Saad, lui-même fils d’un chef kurde et d’une esclave chrétienne, tombe amoureux d’une jeune fille du village, mais c’est la mère de celle-ci qu’il viole et tue, dans un acte symbolique de cannibalisme et d’inceste. Lévy disait l’assimilation, au prix de la perte d’identité ; Et Compagnie, et l’amour impossible de Joseph Simler et d’Hélène Le Pleynier, introduisait la faille entre identité et assimilation ; La Nuit kurde, dans un ailleurs mythique, est le constat tragique de l’identité impossible. Si le livre fait figure d’OVNI, alors qu’il résume à lui seul cette expérience ultime de métaphorisation et de subversion des genres que révèle son sous-titre de « poème romanesque », c’est parce qu’il est littérairement sans descendance. Et parce qu’il est aussi le constat de l’altérité irréductible.
Si nous devons vraiment La Nuit kurde à l'antisémitisme français, il y a décidément un destin funeste sur cette oeuvre, dont l'opéra, nous l'avons vu, ne put être monté dans l'Allemagne devenue nazie (un juif français et un juif polonais comme co-auteur, cela devait évidemment faire beaucoup).

Quant au canevas du roman, il est apparemment peu flatteur pour les Kurdes, mais il fut écrit en 1925, dix ans après le génocide des Arméniens et des Syriaques et l'histoire doit s'en inspirer largement. Est-ce un roman de plus dans le genre "aventures exotiques et coloniales" qui vise à déplacer sur "l'autre", "l'indigène", ses propres tourments et fantasmes, comme le laisse supposer cette histoire "symbolique de cannibalisme et d’inceste" , qui, "dans un ailleurs mythique, est le constat tragique de l’identité impossible", celle de l'auteur ? En fait, cet Orient mythique paraît rêvé comme une patrie perdue pour l'apatride, et dans une longue lettre à la France et aux Français, Jean-Richard Bloch explique pourquoi, irrésistiblement :

Mon esprit, brusquement délivré de ses liens, m’entraîne vers d’autres pays et d’autres climats, là où trempent les origines de ma race, où mon cœur réside en secret, où m’appelle ma nostalgie.

Ah ! France que j’aime tant, Français au milieu desquels j’ai, si volontiers, si ardemment, vécu et combattu, je voudrais me dire né de vous et semblable à vous. Mais le langage des affinités parle plus haut que ma volonté.


et que

quand sir Kenneth, le chevalier du Léopard Couchant, s’entretenait avec l’émir Kurde, mon assentiment n’allait pas au baron chrétien.

Autre queue de poisson tirée de la soupe d'anguille, en effet, le chevalier du Léopard couchant et l'émir kurde sont les héros du Talisman de Walter Scott, un roman des Croisades dont Saladin n'est pas la figure la plus insignifiante, (je ne manquerai pas de vous en faire part quand je l'aurais reçu et lu). En attendant, entamons la lecture de La Nuit kurde, et voici tout d'abord le prélude complet de ce qui devait s'appeler tout d'abord La Journée kurde et devint La Nuit (je ne sais pourquoi ce changement, mais cet assombrissement est peut-être lui aussi très" symbolique") :


Prélude à la « Journée Kurde »

Europe, 15 avril 1923

Quelle forte émotion m’a accueilli ce matin dans l’enclos ? Toutes les senteurs de l’été m’y attendaient. Juillet est un maître architecte ; il sait disposer les parfums en grands édifices, comparables à ces charpentes de fêtes publiques qu’il faut replier sitôt montées.

Aujourd’hui la cathédrale des odeurs a pour pavé la terre mouillée qui sent le pain. Il pleut depuis deux jours. Le calcaire se fendillait déjà sous le soleil ; la pluie est enfin venue ; et la terre s’est gorgée d’eau, rendant à la fois une odeur de four chaud et d’aisselle heureuse.

Je suis sorti, et je l’ai sentie molle sous mon poids. Une brise semeuse de pollens caresse son épiderme. C’est à cette hauteur que l’herbe se dresse ; elle enfonce ses baïonnettes dans l’air bas et tiède ; chacune d’elles porte à sa pointe extrême une goutte d’eau, goutte de sang ; par chacune de ces petites blessures la matinée humide laisse couler un peu de sa vie et de son arome.

Puis vient l’encens du temple : l’œillet étend à mi-hauteur son nuage de vanille flottante. Un degré plus haut se développe le chèvrefeuille, qui a la charge de jeter dans cette atmosphère la couleur et l’éclat du vitrail. Et maintenant, Sybilles qui vous tordez dans les pénombres de la voûte et des coupoles, c’est pour le fard de vos quarante ans et pour la vapeur de vos trépieds que mes dernières roses exhalent leurs magnificences monstrueuses de beautés mûres ; elles soutiennent de leur incantation l’atmosphère magique que vous faites régner dans les hautes parties de ma cathédrale.

Mais il manque le couronnement de l’édifice. La longue allée de tilleuls blancs est en fleurs. Elle m’appelle. Voici le faîte, voici la nef, voici les tours et les flèches. Je reconnais à présent ce qui m’a fait sortir de la maison ; c’est l’harmonie du tilleul jetée sur le jardin comme un dôme. J’obéis à cet ordre, je m’avance, je ne m’étonne pas de sentir l’air qui entre en vibration au ronflement du grand orgue ; je lève les yeux ; mais en ai-je besoin ? Est-ce que je ne sais pas que toutes les abeilles de la ruche tourbillonnent autour de ma tête ? Chaque corolle d’argent contient à la fois l’épice suprême du désir et ce désir en personne, petite vie brune et bourdonnante dont l’ivresse comblée ne dépasse pas la mienne.

A ce moment j’ai tourné le regard vers l’horizon, là où la grande épaule du plateau arrête la vue. Une nuée semble naître de la terre elle-même ; elle s’élève verticalement et envahit le ciel ; sa couleur est ce bleu noir où s’amassent les violets déchirants de la foudre. Le vent d’Ouest, le vent qui vient de l’Océan, la pousse sur nous. Je prévois l’ondée fouettante que réclame encore le guéret. Mon esprit, brusquement délivré de ses liens, m’entraîne vers d’autres pays et d’autres climats, là où trempent les origines de ma race, où mon cœur réside en secret, où m’appelle ma nostalgie.

Ah ! France que j’aime tant, Français au milieu desquels j’ai, si volontiers, si ardemment, vécu et combattu, je voudrais me dire né de vous et semblable à vous. Mais le langage des affinités parle plus haut que ma volonté.

Regardez-moi pourtant. Je suis un homme de chez vous. J’ai été élevé dans l’amour de vos vertus et dans la tendresse pour vos défauts. Mon père, qu’on prend pour un général en retraite et que les gendarmes saluent sur les routes, mon père s’est enfui de la maison paternelle pour devenir le petit moblot de l’Yonne. Ses premières leçons nous ont été données devant la maison des Jardies, où il nous racontait la légende de Gambetta avec sa bonne foi d’honnête homme ; ma mémoire ne les sépare pas de ces matinées de mai où il nous menait voir les beaux cuirassiers manœuvrer sur le champ d’entraînement de Bagatelle, comme de ces matinées de septembre non plus, où nous arpentions à ses côtés la glaise de la Brie afin de ressusciter, lieue par lieue, les heures sanglantes de Champigny.

France, j’ai aspiré avec passion la science que vous distribuez à vos fils dans vos lycées J’ai été formé par les écrivains que nos maîtres offraient alors au respect de nos camarades. Daudet, ce Murillo de votre littérature, a bercé mes quinze ans avec ses sentimentalités ; Anatole France m’a secrètement initié à l’ironie de l’intelligence qui juge ; Maupassant m’a été donné pour le modèle de la parole nette et juste.

Vous m’avez assigné, comme à tous vos autres enfants, le but moral qui est celui de vos honnêtes gens ; vous m’avez proposé la vertu de Sénèque tempérée par la douceur que Renan attribue au Galiléen. Vous avez eu soin de placer dans, mon esprit Pascal auprès de Voltaire, et Rabelais à côté de Calvin. J’ai su de vous qu’il faut mourir pour la liberté, sans jamais oublier que la tolérance est la première des vertus et l’élégance la première des qualités.

Et quand arrivaient les vacances, tout votre territoire, ô ma France, s’étendait comme une confirmation vivante de cette loi. Des falaises bretonnes jusqu’aux lacs noirs des Vosges, depuis les grands alignements mélancoliques des Landes jusqu’aux vigueurs du Dauphiné, j’ai entendu et vénéré la voix de votre unité.

J’ai écouté vos paysans, causé avec vos ouvriers, ri avec vos commis-voyageurs. Les vieux murs de vos parcs d’Ile-de-France, les horizons mouillés de Chantilly, les plateaux tristes de Palaiseau, les meulières ardentes de Triel sont inextricablement mêlés à tous mes souvenirs.

D’où vient donc qu’à mon insu mes premières préférences m’aient toutes entraîné loin de vous ?

Les premiers hôtes spontanés de mon cœur ont été le petit roi de Galice et Lorenzaccio. A son tour Fabrice del Dongo y a pénétré. Et quand sir Kenneth, le chevalier du Léopard Couchant, s’entretenait avec l’émir Kurde, mon assentiment n’allait pas au baron chrétien.

Mais le jour où j’ai trouvé sur les quais et acheté pour quelques sous le Livre de la Jungle, ma destinée m’a été révélée. Il manquait à mon toit un signe qui marquât où soufflait le vent. J’ai reconnu ce jour-là que le vent ne cessait de me désigner l’Orient.

Ne croyez pas que je n’aie pas lutté. Je ne me suis pas borné à me nourrir de vos classiques, avec enthousiasme et gravité. Je me suis plié à tous vos caprices. Quand la fantaisie vous en est venue, j’ai, moi aussi, cru vivre avec Raskolnikoff et me prendre de passion pour le Prince André. Mes premiers voyages hors de votre sol ont été conformes aux leçons que vous donniez à vos jeunes gens d’alors ; ils ont été pour Van Eyck et pour Rembrandt, pour les musées de Berlin, les orchestres de Munich, les docks de Hambourg, et je suis allé à Copenhague admirer une capitale où Rodin était déjà tenu pour un maître.

Mais, un jour, celle qui me connaissait mieux que je ne me connais m’a dit en souriant : Quand songerez-vous à aller en Italie ? Pourquoi aurais-je eu cette idée ? La Lumière ne nous venait-elle pas du Nord, de compagnie avec la Bonté ?

Pourtant ma seule qualité est peut-être de ne pas nourrir de méfiance envers ceux qui m’aiment. Qu’ajouterai-je de plus ? Qu’un soir de la fin de l’été, le dôme de Milan m’est apparu à l’horizon comme un grand voilier transparent au-dessus d’une mer de maïs ? Qu’une autre fois la pleine lumière du printemps toscan m’a assailli au débouché de ce tunnel qui perce la crête des Apennins ? Il suffit de quelques détails heureux pour convertir des inclinations en actes.

Ces gestes ou ces passions, un de mes camarades les discernait quand, remontant à notre cantonnement des Berici, après quelque conférence au service cartographique de Vicence, il me disait, sur ce ton d’humour charmant qui peut être le sien : Vraiment, cher ami, vous exagérez ; vous êtes plus Italien qu’eux.

Le jour où j’ai connu l’Italie, a commencé ma grande infidélité française. Car ce jour-là j’ai appris qu’il existait un pays où les villes, la rue, la foule, l’expression des visages, le sourire des femmes, l’air du temps et la couleur des choses étaient conformes à mon vœu. C’est ainsi que j’ai découvert trop tard le pays où mes quinze ans auraient eu la liberté de se consumer de passion sans être en même temps consumés par la honte. J’ai découvert que mon bonheur commençait où commence le soleil, et que ma destinée ne pouvait être qu’une destinée méditerranéenne.

Mais l’Italie elle-même ne m’est jamais apparue qu’à la façon d’un seuil. Sans l’avoir encore dépassé, je sais sur quoi il ouvre. Il donne sur les seules parties du monde où je cesserais de me sentir un étranger. L’Italie est le parvis du continent de la passion.

Affirmation peu scientifique, les esprits scrupuleux auront le droit de me demander compte des sources de ma conviction.

Je leur avouerai sans pudeur qu’elles sont parfaitement imaginaires. D’excellents artistes y ont avant tout contribué, de Stendhal à Kipling, en passant par Delacroix, Gobineau et Loti. Je concéderai même un fort avantage à ces esprits scrupuleux en leur racontant ce qui m’est advenu avec un de ces écrivains-là. Il n’y a pas tant d’années de cela, je ne connaissais Gobineau que de nom. Si le reproche en doit aller à quelqu’un, qu’il retombe sur mes compatriotes, qui n’ont pas encore distingué en lui un des meilleurs esprits et des plus excellents prosateurs du siècle dernier. Et si ces pages trouvent encore un lecteur dans un siècle, nos petits enfants apprendront avec surprise qu’un Français moyennement cultivé de notre époque a été redevable au hasard de connaître les Nouvelles Asiatiques.

Un ami m’avait prêté le volume dans la journée. A trois heures du matin j’achevais la lecture de l’Illustre Magicien. L’agitation où cette lecture peut jeter un homme doit être expliquée aux Français de 1920. Il viendra un temps où nulle personne lettrée n’ignorera plus que ce conte exalte un des instincts les plus profonds de l’humanité, encore qu’un des plus étrangers à l’occident chrétien. C’est l’instinct de départ que je veux dire.

La grandeur de l’Orient vient de ce qu’il ose conseiller au croyant, une fois au moins dans sa vie, le dépouillement absolu. Pas de musulman dévot qui ne sache que sa foi lui commandera un jour de trancher avec ses aises et de renoncer à ses biens. Il sait qu’il devra, ce jour-là, plonger à son tour dans les bas-fonds de la société ; il deviendra l’égal du dernier mendiant ; il abandonnera son pays natal, les gens qui l’ont vu riche et heureux ; il prendra la route, il « marchera la route », sans escorte, sans argent, sans bagages, sans honneurs, privé même du nom qui rappellerait sa famille et ses alliances, réduit à la compassion de son prochain, uniquement tendu vers le but d’un pèlerinage que les conditions de la vie mettaient souvent à des années de distance. S’il meurt en chemin, il sera enterré là où il se sera couché ; un tertre anonyme abritera ses restes. Mais il sait aussi que, toute misérable qu’elle apparaisse, cette agonie lui ouvrira le paradis avec plus de certitude que s’il achevait ses jours dans sa maison, entouré du parfum des plus éclatantes charités. L’Occident n’a jamais demandé à ses fidèles de courages aussi terribles ni aussi efficaces.

L’Occident se contente du capitonnage, des libéralités prudentes. Il ne touche ni au rang social ni au bien-être du foyer. Il ne force jamais l’homme à revêtir physiquement sa propre nudité. Il ne le pousse jamais sur la route. Il n’ose en faire ni un vagabond ni un anonyme. Il ne l’expose qu’avec modération aux hasards de la bienveillance d’autrui. Il ne le dépouille jamais, si ce n’est en esprit, des attributs de sa fausse grandeur. Du moins il fait de cet arrachement le privilège de quelques moines. L’Occident n’enseigne pas que tout être humain est digne de ce sacrifice, et qu’il y est même obligé. Il ignore que le moindre laïc peut devenir à ce prix un saint homme, lui aussi.

Un occidental aura donc quelque peine à comprendre l’espèce de délire qui m’a saisi au récit de Gobineau. A quoi a-t-il tenu que je ne me lève de mon lit et ne quitte furtivement le logis confortable où je menais, à l’abri des neiges de mars, mon existence de bourgeois français ?

Les Italiens, peuple au quart africain et au quart asiatique, sont les seuls occidentaux au milieu desquels il serait loisible de mener la vie errante. Leur ardeur, leur désintéressement et leur simplicité les préservent de la méfiance. Quel accueil la grand’route de chez nous réserverait-elle à un vagabond d’idéal, sans papiers, sans argent, sans but positivement avouable ? Quel écho un nomade éveillerait-il dans la conscience d’un maire ou d’un gendarme français si, répondant à leur interrogatoire, il leur déclarait qu’il ne poursuit d’autre objet que d’accomplir un vœu de sagesse et d’humilité, qu’il ne désire d’autre bonheur que de se perdre dans l’immense anonymat tendre de l’humanité ?

Quand un homme a été ébranlé à plusieurs reprises par des secousses de ce genre, alors il se prend à examiner les liens qui l’unissent à la civilisation environnante. Dès ce moment il est voué au départ éternel.

J’imagine qu’avec tout leur talent ou leur génie Rimbaud, Gauguin ou Stevenson ont été, à leur façon, des Wanderer mordus par le même besoin. J’imagine aussi, sans preuve certaine, que c’est dans cet instinct qu’il faut chercher la raison qui pousse les explorateurs des régions polaires à s’enfouir sauvagement, pendant des années, hors des atteintes des mœurs, de la société et de l’homme. Les Franklin, les James Ross, les Shackleton, les Nansen et les Nordenskjold recrutent sans doute leurs équipages parmi des nomades et des saints hommes de cette espèce secrète.

Partir, s’enfouir ; - la route et le cloître ; - le pèlerinage à la Mecque ou l’hivernage dans la banquise, - termes extrêmes d’une aspiration identique, qui est à la base de la purification.

Les esprits superficiels ne trouveront peut-être qu’un rapport froid et allégorique entre les différents éléments qui composent ces pages. D’autres, plus subtils, auront saisi leur unité intime. La nouvelle de Gobineau n’a si violemment agi sur ma nature que parce qu’elle éveillait précisément des résonances anciennes. Que je ne doive mon penchant pour l’Orient qu’à des œuvres d’imagination, je n’en ai cure ; elles ne pouvaient me communiquer un entraînement qui n’existât pas en moi. Si, à de certaines lectures, mon esprit chasse sur ses ancres comme fait, sous un coup de typhon, un navire ancré en rade, c’est que, par cette déchirure de la nuée, je reconnais au loin les falaises de ma terre natale, - ce continent de la passion dont je parlais en commençant.

… Pendant que j’écrivais ces lignes, le matin est devenu le soir ; la brise semeuse de pollens, qui caressait tout à l’heure la terre moite, est devenue tempête de surroi ; le rocher sur lequel ma petite maison s’accroche s’est enveloppé à plusieurs reprises du sanglot des rafales ; les abeilles ont depuis longtemps regagné la ruche, et les senteurs, dont la symphonie savante m’avait appelé dehors se sont, depuis longtemps aussi, fondues en une seule articulation, l’odeur rnâle du vent de mer.

Mais l’ébranlement de mon réveil n’a pas pris fin. La tempête a continué en force le travail que l’édifice minutieux du matin avait si bien préparé. J’ai perdu pied sous le vent qui me pousse. J’ai passé une journée de plus infidèle à ma France chérie, dans le pays fabuleux de mes origines. J’ai vécu toutes ces heures-ci dans un autre monde que le vôtre, hors de vos coutumes, loin de votre douceur, dans un univers qui ne connaît ni le scepticisme ni l’ironie, et accepte de mourir pour sa liberté, dès lors que c’est la liberté de sa passion. Et telle a été l’intensité de ce rêve éveillé, qu’il restera maître de moi aussi longtemps que je ne m’en serai pas délivré par le moyen dont la femme s’affranchit de l’enfant qu’elle porte. Qu’on sache bien tout d’abord qu’il ne doit être question, dans le récit qui suit, d’exactitude, de couleur locale ni de mœurs fidèlement observées. Simple équipée d’une âme séparée de ses attaches, qui a jailli hors du temps et de l’espace à la rencontre de ses semblables (1).

JEAN-RICHARD BLOCH.

(1) Alors commence le récit appelé la Journée Kurde (à paraître aux éditions de la Nouvelle Revue française).



mardi, juillet 28, 2009

TURQUIE : LE GOUVERNEMENT ANNONCE UN « PLAN » POUR RÉSOUDRE LA QUESTION KURDE


Le 22 juillet, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé vouloir mettre en place un « processus d’ouverture » afin de résoudre la question kurde, avec la mise en place d’un « plan » dont on ne connaît pour le moment que les grandes lignes. Les partis de l’opposition nationaliste, comme le CHP et le MHP ont bien sûr critiqué la déclaration qui a eu un accueil plus favorable du DTP, le parti pro-kurde, qui a jugé ce pas « tardif, mais prometteur », ainsi que d’autres acteurs politiques et militants comme certains syndicats et ONG. L’opposition nationaliste a accru ses critiques au fur et à mesure que les intentions du gouvernement se précisaient. Le leader du parti d’extrême-droite (MHP), Devlet Bahceli a accusé les dirigeants AKP de « légitimer le séparatisme ethnique du PKK » et de menacer « l’existence nationale de la Turquie ». Le CHP, parti de gauche laïque dont la ligne politique est devenue de plus en plus nationaliste sous la direction de Deniz Baykal, a lui aussi averti que de telles avancées pouvaient « nuire à l’unité de l’État ». Ce plan prévoit des propositions déjà faites par le gouvernement AKP et relativement consensuelles, comme le développement économique des régions kurdes mais aussi d’autres plus polémique, comme l’enseignement du kurde en option dès l’école primaire ou la remise en cause de l’identité ethnique turque comme partie intégrante de la citoyenneté (art. 66 de la Constitution).

Parallèlement, le leader du PKK, Abdullah Öcalan avait annoncé également préparer un plan de résolution de la question kurde, devant être révélé le 15 août prochain date anniversaire du début des combats du PKK, ce qui fait dire à des observateurs politiques qu’Erdogan a peut-être eu l’intention de prendre de vitesse le PKK. Murat Karayilan est en tout cas resté prudent dans ses déclarations, réaffirmant, sans surprise, que la question kurde ne pouvait être séparée de la libération d’Öcalan et que le parti attendait le plan de son dirigeant. Au sein du DTP et de ses sympathisants, les réactions ont été plus variées. Certains députés, comme Ahmet Türk, le chef du groupe DTP au Parlement, ou Akin Birdal, ancien président de la Ligue des droits de l’homme en Turquie ou Aysel Tugluk, ancienne avocate d’Öcalan, jugent que le « geste » d’Erdogan peut être une chance à saisir pour un règlement pacifique du conflit. Une aile plus radicale de ce parti, avec des voix telles que celle de Selahattin Demirtas, se modèle plus sur la position du PKK en refusant de dissocier la paix du sort d’Öcalan.

Dans le même temps, Ahmet Türk a appelé le gouvernement à cesser les opérations militaires contre le PKK afin de « prouver sa sincérité » dans sa volonté de négocier, alors que la Turquie a réitéré sa demande auprès de l’Irak et des États-Unis d’obtenir des « résultats concrets » pour éradiquer le PKK de ses bases de Qandil, lors d’une réunion tripartite. Le 15 juillet, les forces armées du PKK ont annoncé qu’ils prolongeaient leur cessez-le-feu jusqu’au 1er septembre.

La Toison d'or, l'opérette et le ballet kurde





En cette période de vacances, on va pas se la jouer sérieux et faire un petit tour du côté de ... l'opérette. En effet, si l'on dit "Polovtsiens" aux amateurs d'opéra, ils pensent immédiatement aux danses polvotsiennes du Prince Igor. Qui sait si les amateurs d'opérettes, lorsqu'ils entendent "Kurdes" n'ont pas immédiatement à l'esprit La Toison d'or ? Créé au théâtre du Châtelet le 18 décembre 1954, ce spectacle en 2 actes et 20 tableaux de Raymond Vincy, d'après le roman de Pierre Benoit, mis en musique par Francis Lopez avec les arrangements de Paul Bonneau, a une chorégraphie et des ballets qualifiés de "très réussis" par Florian Bruyas dans son ouvrage Histoire de l'opérette en France. Cela fait regretter de n'avoir pas de vidéo du spectacle car un de ces ballets est intitulé "Ballet kurde".

Voici l'argument trouvé sur ce site qui en plus vous donnera tous les détails sur l'histoire de l'opérette :

Acte I

En 1895, en Suisse, Stanislas Monestier et Brigitte Holtzer font connaissance. Coup de foudre réciproque. Au moment où il allait se déclarer, le jeune homme apprend qu'il est ruiné. Il estime devoir renoncer à Brigitte et, accompagné de son ami Ernest, rejoint Paris, sans donner à la jeune fille les véritables raisons de son départ. Celle-ci n'est pas satisfaite des explications fournies et rejoint Stanislas. Les deux jeunes gens se déclarent leur amour.

Deux riches banquiers contactent Stanislas pour lui acheter une concession de terrains qu'il possède en Perse dans la Principauté d'Astérabad. Stanislas ignore que ces terrains renferment du pétrole. Heureusement, il plait à Valentine, la fille de l’un des deux hommes de finance. Elle lui conseille d'être ferme en affaires. Effectivement, Stanislas obtient un prix intéressant, quoique bien inférieur à la valeur réelle de ses biens. Lorsque Brigitte apprend l'histoire, elle estime que Stanislas s'est fait voler. La jeune fille, qui semble bien au courant de la situation en Perse, conseille à son amoureux de ne pas encaisser le chèque et d'aller sur place faire valoir ses droits.

Voilà donc tous nos héros en route pour la Principauté d'Astérabad, à la conquête du pétrole, cette nouvelle Toison d'or.

Acte II

Dans la Principauté d'Astérabad, la situation est confuse. La Princesse Atalide est la souveraine, mais la régence est en fait exercée par le Prince Xipharès. Le pétrole attire les convoitises et notamment celles du Grand Prêtre du Culte du Feu, le vénérable Khaled-al-Mansour. En arrivant dans la Principauté, Brigitte annonce qu'il lui faut rejoindre d'urgence la Suisse.

Elle part, non sans remettre à Stanislas une lettre de recommandation pour la Princesse Atalide, qui est, paraît-il, l’une de ses anciennes amies de pension. À Astérabad, Khaled et Xipharès intriguent. Ils sont furieux d'apprendre que la Princesse a décidé d'accorder une audience à Stanislas. Le jeune homme est introduit. Quelle n'est pas sa surprise de constater que la souveraine n'est autre que Brigitte ! Celle-ci est prête à abandonner sa couronne pour suivre Stanislas. Mais ce dernier refuse et se retire.

Les événements se précipitent. Le peuple exige qu'Atalide prenne réellement le pouvoir. Pour se venger, Xipharès et Khaled décident de mettre le feu aux puits de pétrole. Au péril de sa vie, Stanislas empêche le désastre. Sous les acclamations du peuple, il épouse Atalide, tandis qu'Ernest s'unit à Valentine, dont il a su se faire aimer.

Comme on le voit, entre Suisse fin de siècle, Perse baroco-antique, Toison d'or et pétrole, Grand Prêtre avec un nom et des allures de méchant vizir tout sorti des Mille et une Nuits version Disney, le ballet kurde ne dépareille rien dans le patchwork. Pourquoi avoir choisi les Kurdes ? Peut-être en pensant justement aux danses polovtsiennes du Prince Igor (le rythme et la musique sonnent d'ailleurs plus tataro-slaves que kurdes) : il fallait trouver un peuple bien exotique et haut en couleurs sous le Soleil soleil soleil d'Orieeeeeent au ciel vermeeeeeeil (chanson de Stanislas) pour remplacer les superbes Polovtsiens de Borodine.







lundi, juillet 27, 2009

Le chanteur mystère

Concours de l'été : quel est ce chanteur aux côtés de Mohammad Lofti, à la voix de rossignol et au look si sérieux, qui ressemble plus à un étudiant bien sage qu'à un baladin ?



A la demande de lecteurs vivant - hélas pour eux ! - au Yasakstan, voici le lien youtube :

http://www.youtube.com/watch?v=2hWS3gvvLJI

samedi, juillet 25, 2009

Radio : Marco Polo

Dimanche 26 juillet à 19h00 : Avec Philippe Ménard, essayiste et historien qui a dirigé jusqu'à cette année les six volumes du Devisement du monde, de Marco Polo (Droz). For intérieur, Olivier Germain-Thomas.

vendredi, juillet 24, 2009

Michael M. Gunter : "Je suis prudemment optimiste sur l'avenir des Kurdes"

Interview de Michael Gunter sur l'avenir des Kurdes d'Irak et de Turquie. Professeur à la Tennessee Technological University. Michael Gunter est notamment l'auteur de The Kurds of Iraq : Tragedy and Hope (1992), The Kurds and the Future in Turkey (1997), The Kurdish Predicament in Iraq: A Political Analysis (1999), The Historical Dictionnary of the Kurds (2004) et The Kurds ascending (2007).

De votre point de vue, quels sont la situation et le poids politique actuels des Kurdes en Irak et au Moyen-Orient ?

Les Kurdes irakiens sont devenus des "acteurs" en Irak et au Moyen-Orient au sens où ils sont sont plus forts qu'ils ne l'ont jamais été. Cependant, leur position reste périlleuse, en raison de l'hostilité de leurs voisins régionaux et du prochain retrait américain d'Irak. Les menaces plus immédiates sont le pouvoir accru du gouvernement de Bagdad avec le Premier ministre Nouri al-Maliki, qui semble résolu à centraliser le gouvernement irakien aux dépens du GRK Pour dire vrai, le président du GRK Massoud Barzani n'a même plus de contacts verbaux avec al-Maliki depuis que Barzani a dit à al-Maliki qu'il commençait à avoir les relents d'un dictateur. Si l'on considère l'histoire horrible [des rapports ] entre Bagdad et les Kurdes, Barzani était parfaitement en droit de dire cela.

Quels ont été les pièges principaux pour les hommes politiques kurdes irakiens après 2003 et l'occupation américaine ?

Le piège principal pour les hommes politiques kurdes après 2003 est d'avoir été trop loin dans leur tentative d'annexer Kirkouk et les régions environnant le GRK. Car Kirkouk n'est pas seulement habité par des Kurdes, les besoins de ses Arabes, Turkmènes et chrétiens doivent être aussi considérés. Mais surtout les Arabes d'Irak ont graduellement recouvert leur pouvoir et ne sont tout simplement par enclins à laisser Kirkouk aux Kurdes. Même si les Kurdes s'en emparaient d'une façon ou d'une autre, il en résulterait une victoire à la Pyrrhus, car jamais les Arabes ne l'accepteront. Les politiciens kurdes doivent comprendre cette situation et l'expliquer de façon adéquate à leur peuple.

Pourquoi la plupart du temps, les Kurdes n'ont jamais eu d'autres amis que leurs montagnes ?

Les Kurdes n'ont d'ordinaire d'autres amis que leurs montagnes parce que les buts kurdes d'autonomie ou d'indépendance menacent l'intégrité territorial d'es Etats existants (Turquie, Irak, Iran et Syrie), ceux où ils vivent. Par ailleurs, mêmes les Etats les plus amicaux envers les Kurdes, comme les Etats-Unis ne soutiendront pas le démantèlement d'autres Etats en raison de la menace dangereuse pour leur propre sécurité qu'une telle doctrine induirait.

Est-ce que les Kurdes irakiens doivent combattre les Kurdes d'iran et de Turquie afin de rpéserver le Gouvernement régional du Kurdistan et ses acquis ?

Ce serait la plus grande des folies et une trahison de la part des Kurdes d'Irak de combattre les Kurdes d'Iran et de Turquie dans une tentative erronée de préserver le GRK . Les Kurdes d'Irak ont en fait essayé cela quand ils ont soutenu la Turquie contre le PKK en 1992 [en fait, le PDK et la Turquie s'opposaient au PKK et à l'UPK soutenus par l'Iran ; avant cela il y avait eu une alliance assez brève entre Saddam et le PKK] et le résultat a été désastreux sur le moral kurde dans le monde. D'un autre côté, le GRK ne peut apparaître comme un soutien direct du PKK ou au PJAK. Une diplomatie astucieuse et un compromis sont nécessaire sur cette question. Le GRK doit expliquer et exposer que le problème n'est pas de sa responsabilité, mais de celle de la Turquie et de l''Iran qui ont échoué à donner à leurs populations kurdes leurs droits élémentaires.

Personnellement, voyez-vous le PKK comme une organisation terroriste ?

Je ne vois pas le PKK comme une organisation terroriste. Dans le cas du PKK, c'est un terme de propagande largement utilisé pour stigmatiser les opposants comme illégaux. Quand j'ai rencontré et interviewé Abdullah (Apo) Öcalan en mars 1998, il a admis qu'en certaines occasions le PKK avait utilisé des tactiques terroristes, mais déclaré à juste titre que si l'on étudie l'histoire, l'on peut voir que les véritables terroristes ont été les Etats qui ont maltraité de façon insigne les Kurdes pendant des années. Toutes les parties concernées par le problème kurde devraient dépasser le stade des insultes et sérieusement entamer des négociations ouvertes afin de satsifaire les demandes légitimes des Kurdes vivant à l'intérieur de leurs frontières. Cela implique une démocratie réelle dans les Etats où vivent les Kurdes.

Est-ce que les Kurdes doivent dépendre de la politique américaine en Irak ? Et avant cela, pensez-vous que l'on asiste actuellement à une alliance américano-kurde en Irak ?

Les Kurdes d'Irak n'ont d'autre choix que de coopérer avec la politique des USA en Irak. Les Kurdes n'auraient jamais obtenu tous les acquis du GRK dont ils jouissent acutellement sans les Etats-Unis. Bien sûr, cela ne signifie pas que les Kurdes ne peuvent, diplomatiquement et discrètement, débattre et argumenter en coulisses quand la politique américaine semble sacrifier un des buts essentiels du GRK qui est le fédéralisme pour l'Irak. Si l'on considère l'admiration de longue date que portent les Américains aux Kurdes et la reconnaissance qu'ils éprouvent plus spécialement pour le soutien des Kurdes lors de la guerre de 2003 pour chasser Saddam du pouvoir, il y a, de facto, une alliance USA-GRK, dont les Kurdes peuvent se prévaloir. Cependant, comme je l'ai déjà dit, les Kurdes doit user de cette alliance de facto d'une façon discrète et diplomatique, sous peine de la perdre. Après tout, en termes géopolitiques, la Turquie et l'Irak sont plus importants pour les Etats-Unis que le GRK.

Selon vous, parmi les hommes politiques kurdes, qui a le plus de chance de jouer ce rôle ?

Bien qu'il y ait un grand nombre d'hommes politiques kurdes capables de réussir, Barham Salih [membre de l'UPK de Jalal Talabani, Vice-Premier ministre de l'Irak, pressenti pour succéder à Nêçirvan Barzanî comme Premier ministre du GRK] pourrait celui qui aurait le plus de chances, car il combine un sens du gouvernement à la fois intelligent et moderne pour la population, mais avec le soutien des dirigeants actuellement en place, lesquels sont actuellement défiés par la liste du Changement de Nawshirwan Mustafa. En ce sens, Barham Salih n'a pas seulement joué un rôle important et intelligent à Bagdad tout comme au GRK, mais il l'a également fait sans paraître s'opposer à ceux que l'on peut considérer comme les pères fondateurs du GRK. Bien sûr, je dis cela avant les résultats des élections du 25 juillet 2009, que nous devons attendre pour voir ce qu'il en sera de l'avenir de Barham Salih.

Comment voyez-vous l'avenir kurde ?

De façon globale, je suis prudemment optimiste sur l'avenir des Kurdes en général Pour la première fois dans leur histoire moderne, les Kurdes en Irak et en Turquie connaissent une ascension prudente, ce qui est le titre de mon dernier livre sur les Kurdes [v. Bibliographie au début]! Il y a deux raisons fondamentales à mon optimisme prudent : 1/ La création du GRK en Irak et 2/ la candidature de la Turquie à l'Union européenne qui aura pour effet collatéral heureux de gratifier les Kurdes de cet Etat de tous leurs droits démocratiques.

(source Kurdistanica Network, 20/7/2009)

jeudi, juillet 23, 2009

"Toutes les questions qui ont été confiées à l'ONU pour qu'il les résolve sont devenues plus complexes et ont duré plus longtemps"

Dans une interview donnée l'année dernière au journal kurde Hawlati, Nawshirwan Mustafa exprimait déjà son scepticisme, voire son hostilité, envers toute action possible de l'ONU sur la question de Kirkouk, comme il l'expliquait en ne mâchant pas ses mots comme à l'habitude :

Toutes les questions [internationales] qui ont été confiées à l'ONU pour qu'il les résolve sont devenues plus complexes et ont duré plus longtemps. Ce ne sera pas différent pour Kirkouk. Si une mission est donnée à l'ONU, alors cela prendra longtemps, peut-être des années. Et il n'est pas du tout évident que l'issue soit dans l'intérêt des Kurdes, parce que les Kurdes n'ont aucune influence au sein des Nations Unies, tandis que les lobbies des Arabes et des Turcs sont très puissants, plus puissants que les amitiés kurdes dans cet organisme.
En avril dernier, le rapport délivré par le représentant de l'ONU en Irak et ses "recommandations" pour régler la question de Kirkouk donnait raison au futur leader de la liste Goran. Staffan de Mistura, l'envoyé de l'ONU, préconisait en effet toutes les solutions possibles sauf celle-là même réclamée par les Kurdes et surtout prévue par la Constitution irakienne : à savoir un référendum pour que les habitants de la province de Kirkouk choisissent ou non d'intégrer la Région du Kurdistan.

Certes, l'ONU ne pourra éviter qu'un recensement de la population ait lieu un jour ou un autre (cela fait bien des décennies qu'aucun recensement démographique n'a été fait en Irak et même Nouri Al-Maliki a récemment déclaré son intention d'en lancer un prochainement), ainsi qu'un référendum pour que les Kirkoukis décident enfin de leur sort. Le problème est que les choix proposés par l'ONU, une fois écartée l'application de l'article 140 sur la réintégration au GRK (solution qui a pour elle les voeux des Kurdes), se limitent à faire de Kirkouk soit une province d'Irak comme une autre, ce qui tente peu les Kurdes qui y vivent, mais a la faveur des Arabes ; ou bien faire de Kirkouk un gouvernorat avec des "liens" à la fois avec Bagdad et Erbil (on peut prévoir là une grosse embrouille administrative et juridique, et même budgétaire) ou bien jouissant d'une forme d'autonomie, solution qui, apparemment a la faveur des Turkmènes, lesquels ne semblent pas réaliser qu'étant en infériorité démographique, une autonomie à Kirkouk ne serait pas forcément à leur avantage très longtemps, sauf à adopter les anciennes méthodes de Saddam qui avait renvoyé tous les Kurdes des postes-clefs et des emplois officiels de la province en y mettant des Arabes.

L'ONU se dit plus favorable à la solution du gouvernorat, ce qui est normal, car c'est celle qui comporte en germe le plus de complications juridiques, administratives, luttes de pouvoir, etc. A présent, ce même organisme enjoint les Kurdes de renoncer à leur idée de référendum pour la réintégration de Kirkouk dans le Kurdistan d'Irak, afin de ne pas déclencher un conflit "explosif", qualifiant même les récents propos de Massoud Barzani "d'extrêmement provocateurs" et "dangereux", attribuant la "frustration" du président kurde au fait que les leaders arabes n'ont jamais réellement reconnu l'ampleur des crimes commis par Saddam Hussein, sans paraître réaliser que l'on peut reprocher cela aux sunnites, mais certainement pas aux chiites qui ont été également massacrés en nombre par les Baathistes.

La "frustration" ou l'exaspération kurde, vient plutôt du fait qu'on ne cesse de leur demander de respecter la légalité de l'Irak, de l'Etat irakien, de rester de "bons Irakiens", sauf quand ils 'agit d'exercer des droits qui sont pourtant inscrits dans la constitution irakienne, comme le rappelait récemment (sur un ton tout aussi frustré ou exaspéré) Jay Gardner aux Américains.

Et même si le référendum à Kirkouk reste bloqué ad vitam aeternam par Bagdad et les USA, il y aura bientôt, à Kirkouk, un autre référendum, un référendum alternatif si l'on veut, comme celui qui a déjà eu lieu, lors des élections des conseils provinciaux dans le reste de l'Irak, où les districts revendiqués par les Kurdes et également compris dans l'article 140 ont voté majoritairement pour la liste pro-Kurdistani, que leurs électeurs soient Kurdes musulmans, Kurdes yézidis ou Syriaques chrétiens.

Les élections à Kirkouk ne pourront être indéfiniment reportées. Elles auront lieu soit cette année soit l'année prochaine. Si une fois de plus Kirkouk vote en majorité pour la liste kurdistani (comme ce fut le cas en 2005) la question du partage du pouvoir à Kirkouk se reposera : soit on ne tient pas compte des résultats électoraux et l'on partage les sièges du gouvernorats à parts égales entre Kurdes, Arabes et Turkmènes, sans aucune considération pour la démographie et les voeux des électeurs, ce qui ne donnera pas de la "démocratie irakienne" une image bien convaincante, et fait par avance de ces élections une mascarade inutile ; soit l'on reste dans cette situation bancale, avec un conseil où siègent majoritairement des Kurdes favorables au référendum, lequel sera de nouveau reporté sine die ; soit on applique les "solutions" de l'ONU, sans égard à leur viabilité vu la démographie réelle de Kirkouk : une solution qui mécontente et bafoue les droits des 3/4 d'un groupe ne semble guère assurée. de succès.. De plus, cela reviendrait à remettre en cause bien d'autres dispositions de la constitution irakienne sur le fédéralisme, par exemple le droit de tous les districts irakiens à se réunir en Région (à l'instar de la Région kurde). Autant, pour le coup, réécrire toute la constitution irakienne et la faire approuver, non par les Irakiens, mais par l'ONU, les USA et pourquoi pas les Turcs, on irait plus vite...

Cela étant, la solution de l'article 140, si elle est imposée par les Kurdes est-elle viable ou sera-t-elle plus néfaste que bénéfique aux Kurdes ? Michael Gunter, dans un entretien publié à Kurdistanica Network (et qui paraîtra demain sur ce blog en français), qualifie assez justement une telle solution de "victoire à la Pyrrhus, car jamais les Arabes ne l'accepteront. " c'est sans doute vrai pour le moment. La question est de savoir quelle solution est possible pour Kirkouk qui, en fait, depuis la chute de la monarchie en Irak, a été à la fois le coeur du conflit arabo-kurde en Irak et la pierre d'achoppement à toute résolution de ce conflit. La ville et sa question impossible à résoudre est peut-être l'image même de l'impossibilité pour l'Etat irakien, cet Etat "arabo-kurde", d'exister politiquement sans dictature des premiers sur les derniers.

Certainement la question de Kirkouk perdurera tant qu'un Irak fédéral et démocratique n'aura pas vu le jour. Mais il se peut qu'elle perdure justement parce que cet Etat-là n'a pas plus d'assise solide que l'ex-Yougoslavie, ou voire même l'ancienne Thécoslovaquie. Kirkouk peut s'avérer être le symptôme d'une viabilité ou d'une non-viabilité de l'Etat irakien.

mercredi, juillet 22, 2009

Sur le Bien ou l'Un

Aucun prophète juif, à ma connaissance, ni le Christ, ni Muhammad n'ont enseigné la recherche de l'union et la connaissance extatique de soi par le divin. Plotin est peut-être le père de toute la mystique occidentale.

Plotin souligne avec insistance combien tout discours sur l'Un se révèle être d'abord un discours sur nous-mêmes : parlant de l'Un, ce n'est pas lui que nous désignons mais bien plutôt nos propres affections, que nous cherchons à exprimer en paroles lorsque nous percevons les effets de son action. Il ne s'agit donc pas d'une véritable "description" de l'Un, mais bien plutôt d'une "exhortation" qui doit en quelque sorte conduire jusqu'à lui, d'un "enseignement" qui doit "indiquer la route et le chemin" qui y remontent.

Sur l'âme amoureuse de sa source, plus encore que de sa moitié perdue comme dans le Banquet, et sur le fait que l'amour absolu, l'extrême pointe de la passion ne se soucie plus d'acte (et évidemment encore moins de possession) et que tout n'est plus queregard (ce qui permettra à Ruzbehan d'écrire des pages saissantes sur Dieu jaloux du regard de l'Esprit (et des créatures) sur Lui-même).

C'est la raison pour laquelle, quand elle parvient finalement au premier principe, l'âme est d'abord confuse, car, au lieu d'un "objet" de contemplation au sens propre, elle ne rencontre qu'elle-même, sa réalité la plus intime et la plus authentique qui coïncide avec l'origine et la source d'où elle est née. Libérée de tout "poids" sensible et de tout obstacle corporel, elle fait alors l'expérience véritable de l'"omniprésence" de l'Un, qui lui est "présent" et qui est "présent" partout et en toute chose, sauf en celles qui, en restant dans la multiplicité et dans la dispersion du monde sensible, ne se préparent pas à le reconnaître ; l'âme retrouve ainsi "la condition où l'on était quand on est venu de lui", c'est-à-dire l'unité originelle, simple et absolue, du tout. Cette expérience, qui n'est plus connaissance, peut être comparée à la passion amoureuse de l'amant qui, "en regardant l'objet de son amour, trouve son repos en lui".

Enfin, assez curieuse comparaison de l'âme perdue dans le monde vue comme une vierge "détournée du père" par de vaines promesses de mariage. C'est, d'une certaine façon, le total opposé du "tu quitteras ton père et la mère" pour te mettre en ménage, mais ça peut aussi expliquer cette parole peu claire (soit goguenarde, soit pudique, ou bien les deux à la fois) de Jésus sur les eunuques volontaires, dans ce passage assez drôle (le Christ n'est jamais pris en train de rire, mais peut-être était-il porté sur l'humour pince sans-rire justement) : "Ce que je viens de dire, tous ne peuvent le comprendre, mais uniquement ceux à qui la chose est donnée. Car certains sortent châtrés du ventre de leur mère. D'autres le sont par la main de l'homme. D'autres enfin choisissent cet état, à cause du règne des cieux. Que comprenne celui qui peut comprendre."(Matt. 19:12).

C'est pourquoi, quand elle est "en contact" de son être avec l'Un, l'âme en est "fécondée" : elle conçoit alors les choses les plus divines, elle jouit du bien suprême, parce qu'elle est proche de l'objet le plus digne d'amour. Plotin évoque cette condition de l'âme au moyen de deux images : celle d'Aphrodite qui est conduite par son amour naturel et pur vers son principe, mais qui, si elle se perd parmi les choses d'ici-bas, devient la proie d'un amour "vulgaire" qui la pousse vers les objets les plus bas ; et celle de la vierge qui aime son père d'un amour pur, mais qui, si elle est "trompée par de vaines promesses de mariage", en s'éloignant de lui, tombe dans les violences d'ici-bas. L'âme doit donc s'en tenir à un équilibre délicat, car la renommée vers le principe est parsemée de plusieurs obstacles qu'il lui revient d'éviter : comme le rappelle le chapitre 10, l'âme est en effet mélangée au corps, et elle ne peut en sortir entièrement durant la vie mortelle ; de plus, sa nature la fait raisonner "par démonstrations et preuves", tandis que la contemplation de l'Un se situe au-delà de toute forme de connaissance, y compris intellectuelle. Ce sont là des difficultés remarquables pour celui qui veut entreprendre le chemin vers son principe, car il s'agit d'une expérience à la fois "visuelle" et "unitive", qui suppose l'abandon définitif de tout ce qui est sensible et corporel et la fuite du monde d'ici-bas ; ce n'est qu'à ces conditions que l'on pourra se découvrir uni à l'Un, "enflammé" par sa lumière et transformé en lumière pure, et pour ainsi dire "transfiguré", au point de ne plus pouvoir distinguer le sujet et l'objet de la contemplation, désormais identiques. Et comment, dans de telles conditions, peut-on encore "parler de la contemplation si, contemplant ainsi l'Un, on se voit devenu la même chose que lui"? La seule comparaison qui en donne une idée est celle de la passion amoureuse de l'amant, qui tend à l'union avec l'objet de son amour et qui n'aspire qu'à faire qu'un seul être avec lui.

Mais quand l'âme veut voir par elle-même, alors, parce qu'elle ne peut voir qu'en s'unissant avec ce qu'elle pense, et qu'elle est une si elle est une avec lui, elle ne croit pas encore avoir ce qu'elle cherche, car elle n'est pas différente de lui. Cependant, c'est bien ainsi que doit faire celui qui entend philosopher sur l'unité.

Comment Le voir ? A l'opposé de l'anéantissement de soi (le fan'a des soufis) il s'agit de se rassembler, de retrouver son unité éparpillée, en se délestant au cours de son ascension de tout ce qui n'est pas Lui, et la Beauté, faisant partie des sensibles, en fait partie. Contrairement à Ruzbehan (et bien d'autres) la Beauté vient de l'Un mais n'y ramène pas, pas plus que la raison ou la "science". Elle ne guide même pas.

L'aporie naît surtout parce que notre saisie de l'Un ne se fait ni au moyen de la science ni au moyen de l'intellection, comme c'est le cas pour les autres intelligibles, mais qu'elle résulte d'une présence qui est supérieure à la science. Or, l'âme fait l'expérience de son manque d'unité et elle n'est plus totalement une, lorsqu'elle acquiert la science de quelque chose ; car la science est un discours, et le discours est multiple. Elle abandonne donc l'unité et tombe dans le nombre et la multiplicité. Il fait alors s'élancer au-delà de la science et ne sortir d'aucune manière de l'unité ; il faut aussi s'éloigner de la science et de ses objets, comme de tout autre objet de contemplation, même du beau. Car tout ce qui est beau et postérieur à l'Un et vient de lui, comme toute la lumière du jour vient du soleil.

L'enseignement de ce qui ne peut se dire : l'enseignement ouvre le chemin et guide jusqu'à ce qu'il ne peut enseigner ; l'expérience incommunicable de celui qui est arrivé ne sert à rien aux disciples en chemin. Les mots (discours) qui enseignent sur le chemin n'enseignent que les étapes. Ils ne sont plus là quand surgit le but (imagine-t-on une contemplation "bavarde" ?)Et toujours cette expérience indicible, improuvable, de l'extase : si tu n'y es pas, là où tout se tait, tu n'en peux rien savoir. On ne parle pas d'amour à celui qui n'a jamais été amoureux.

C'est pourquoi Platon dit que l'on ne peut ni "parler" ni "écrire" à propos de lui, mais que, si nous parlons et écrivons, c'est pour conduire à lui et pour éveiller à la contemplation à partir des discours comme si nous indiquions le chemin à celui qui veut parvenir à la contemplation. Car l'enseignement ne peut indiquer que la route et le chemin ; la contemplation elle-même, c'est à celui qui veut contempler qu'il revient désormais de la mettre en oeuvre. Mais si quelqu'un n'est pas parvenu à la contemplation, si son âme n'a pas pris conscience de la splendeur de là-bas, s'il n'a pas éprouvé ni fait en lui-même une expérience semblable à la passion amoureuse de l'amant qui, en regardant l'objet de son amour, trouve son repos en lui, parce qu'il a reçu une lumière véritable qui illumine de toutes parts l'âme toute entière, ce qui s'explique parce qu'elle s'en est approchée, même s'il est encore retenu dans sa montée par un poids qui fait obstacle à la contemplation, car il ne monte pas seul, mais porte encore avec lui ce qui le sépare de l'Un, et il ne s'est pas encore rassemblé en une unité (certes, l'Un n'est absent de rien et il est absent de toutes choses, de sorte que, présent, il n'est pas présent, sauf chez ceux qui peuvent et qui sont préparés à le recevoir de façon à s'ajuster à lui, et, pour ainsi dire, à le toucher et à l'étreindre en vertu de la ressemblance qu'ils ont avec lui, c'est-à-dire de la puissance que chacun possède et qui est du même genre que celle qui vient de lui : quand on se trouve dans la condition où l'on était quand on est venu de lui, on peut désormais le voir, de la façon dont, par nature, il peut être contemplé) ; si celui qui veut contempler n'est donc pas encore là-bas, mais qu'il reste à l'extérieur, soit pour les raisons précédentes soit à cause de l'insuffisance du raisonnement qui le guide et lui donne confiance, il faut que l'on s'en prenne à soi-même pour cela, et que l'on essaie de rester seul, en s'éloignant de toutes choses;

Plotin, Traités 7-21 : 9, VI, 9 4-5 : Sur le Bien ou l'Un


Plotin, Traités 7-21, Sur le Bien ou l'Un, trad. et présentation Francesco Fronterotta.

Disparition d'un journaliste syrien

La Société pour les peuples menacés (Gesellschaft für bedrohte Völker), avait félicité les Kurdes d'Irak pour leur constitution, "modèle pour la politique envers les minorités" au Moyen-Orient. Il faut dire que les "Chaldéens Assyriens Syriaques" ont dû tellement casser les couilles des Kurdes avec leurs histoires de triple nom sans virgule que rien que pour cela, tous les députés non-syriaques d'Erbil méritent de leur part une médaille en chocolat pour avoir gardé patience.

photo avestakurd.net

La même ONG alerte sur le sort d'un Kurde de Syrie, qui a évidemment tout pour déplaire au Baath (Kurde, journaliste et militant des droits de l'Homme, ça fait beaucoup).

La famille d'Emjad Othman a lancé un appel à la Société pour les peuples menacés (la branche allemande de Göttingen), en expliquant que depuis le 17 mai dernier, ses proches étaient sans nouvelle d'Emjad, qui a apparemment disparu sans laisser de trace. Etant donné que le jeune homme était le rédacteur d'une revue kurde (interdite) dans la ville de Qamishlo (nord-est de
la Syrie), et que cette ville est assez dans le collimateur des autorités pour son agitation kurde, ils craignent le pire. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'Emjad Othman avait été arrêté par les forces syriennes.

La Gesellschaft für bedrohte Völker (GfbV) se dit très inquiète sur le sort du jeune journaliste et rappelle la mort tragique du cheikh Kahznavi enlevé il y a 4 ans, en mai 2005, et torturé à mort.

Dans la foulée, l'ONG rappelle que 150 Kurdes sont détenus en Syrie pour raisons politiques et qu'elle détient personnellement les noms de 122 prisonniers kurdes d'opinion. Elle rappelle aussi que les Kurdes de Syrie, autour de 2 millions, souffrent de discrimination et de déni de leurs droits culturels et même de citoyens puisqu'en 1962, 300 000 Kurdes ont été déchu de leur nationalité syrienne et vivent aujourd'hui en apatrides sur leurs propres terres, à la faveur d'une campagne d'arabisation de la frontière turco-syrienne. La GfbV réclame également que ces Kurdes et leurs descendants recouvrent pleinement leur citoyenneté.

Pour envoyer un mail de protestation au gouvernement syrien, cliquez ici.

Sinon, nous signalons au passage que la Société pour les peuples menacés a, en plus des branches allemande, suisse, italienne, etc, un bureau kurde dans la Région du Kurdistan dont voici les coordonnées :


GfbV-Kurdistan/Irak
Dr. Masud Siany
Tel. 00964 750 46 799 13
Masaud_siany@yahoo.com

Concert de soutien à l'Institut kurde