mardi, juin 30, 2009

Une mosquée datant de 397 ap. J.C. volée par les Syriaques (suite) : finalement, la forêt est bien islamique

L'invraisemblable feuilleton tragi-comique qui oppose les moines du monastère de Mar Gabriel aux élus AKP de Mardin, ces derniers prétendant qu'un monastère bâti en 397 a été "volé à l'islam", continue dans la même réécriture grandiose de l'histoire, un sport national en Turquie où il est évident que sur tout le territoire de la République, les Syriaques, les Arméniens, les Grecs, sont venus APRES, mais alors bien après les musulmans bon teint installés dans la région depuis l'époque de Sumer (au moins).

Pour le rappel complet des faits, se reporter au post de février, qui vous explique tout ça, ou comment une poignée de moines spolient de braves gardiens de village, en plus de l'Etat, des Eaux et Forêt et d'Allah lui-même...

Derrière cette cupidité et cette hostilité religieuse (les deux ont toujours marché de pair dans la région), s'est en plus greffé un bras de fer politique entre les élus AKP (parti au gouvernement) et ceux du DTP (pro-kurde). Les élus AKP soutiennent les revendications des villageois (et d'Allah) et le DTP défend les Syriaques contre la spoliation et la répression. Ainsi, le député AKP de Mardin Süleyman Çelebi affirme : "Nous sommes les propriétaires légitimes du monastère et les Syriaques sont sous la protection de la République."

Or, c'est faux. Les Syriaques ne sont justement pas sous la protection de la République, en tant que tels. Qu'ils soient orthodoxes ou catholiques, ils partagent avec les Alevis l'inconvénient de ne pas figurer en tant que minorité religieuse dans le Traité de Lausanne. On ne peut spolier (en principe, parce que sur le terrain, c'est autre chose) des bâtiments grecs ou arméniens, ou juifs, mais les Syriaques de Turquie n'ont aucune espèce de protection légale prévue, ni religieuse, ni nationale.

Le DTP ayant épousé la cause de toutes les minorités du Kurdistan de Turquie, ses représentants défendent, eux, les droits des chrétiens. "Il n'y a ni or, argent, pétrole dans la région, mais des plants de chêne que les villageois voudraient utiliser. Je crois que le jugement sera rendu en faveur des Syriaques, à qui ces terres appartiennent", a déclaré à Hürriyet Ainsi, Metin Kutlu, adjoint au maire du Midyat, qui accuse le parti au pouvoir de mener toute cette bataille juridique.

De fait, Süleyman Çelebi, le maire AKP de Mardin, n'apparaît pas comme un grand ami des chrétiens. Au sujet de sa ville qui comptait une importante population syriaque jusqu'au début des années 1990, et ce malgré le génocide, il a par exemple affirmé que les Suryani avaient quitté la région de leur plein gré dès les années 1980 (en fait chassés par la guerre). En tout cas, s'il nie soutenir les villageois dans leur action en justice, il ne cache pas ses opinions sur la question : "Les villageois sont conscients de leurs droits." Et sur la question des minorités opprimées, posées par ces gêneurs de représentants de l'Union européenne, on a bien sûr le droit au couplet habituel concernant tout aussi bien les Kurdes : "On ne fait aucune différence, ils ont les mêmes droits que nous" (ajouter in petto : à condition qu'ils soient comme nous...)

Autre argument comique, des responsables locaux se seraient plaints que ce monastère pêchait décidément par trop d'arrogance mégalomaniaque. Ce serait, à les en croire, "le plus grand bâtiment cultuel du monde" (apparemment les élus de Midyat ne voyagent pas beaucoup). Une nuisance architecturale qui bouche la vue des splendides montagnes verdoyantes et le no man's land de la frontière, quoi...

Bref, le 24 juin, le verdict devait être rendu par le tribunal de Midyat, qui devait décider si oui ou non le monastère était bien propriétaire des terres qui entouraient les bâtiments, convoitées par les villageois alentour. Le tribunal a donc rendu son jugement concernant la "forêt" entourant les bâtiments : comme c'est une forêt, elle doit être déclarée publique et donc revenir à l'Etat. Le monastère perd ainsi 34 hectares de terre, que le Département forestier récupère, pouvant en faire ce qu'il voulait, a tranché le juge.



L'autre plainte concernait le mur que les moines avaient élevé autour des bâtiments pour se protéger lors des affrontements de l'armée avec le PKK. Accusés d'avoir violé la loi en bâtissant ce mur, leur procès est reporté au 30 septembre.

Petite consolation, l'Autorité du trésor d'Etat perd contre Mar Gabriel. Cette institution réclamait, on ne sait pourquoi, 12 parcelles de terrain, dans et hors le mur controversé, le tout faisant 24 hectares. Il a été jugé que ces terres resteraient aux moines. Mais le Trésor a fait appel, tout comme les avocats du monastère qui veulent porter l'affaire à Ankara et puis, s'il le faut, devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Si les juges d'Ankara sont du même acabit que ceux qui ont confirmé l'acquittement des meurtriers d'Ahmet et Ughur Kaymaz, on gagnerait peut-être du temps à porter l'affaire à Strasbourg.


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.




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