mercredi, avril 22, 2009

Duhok : HIV, HC, HBs... ou pas ?

Déjà le retour obligé à Duhok, rien que pour cette histoire de visa, nous gonflait un peu. Mais nous n'avions pas encore tâté des joies de la bureaucratie sanitaire kurde. Le chauffeur de taxi qui nous avait amenées, via le centre Lalesh, a à peine présenté les deux passeports par la fenêtre de la guérite-guichet qui s'occupe des premiers formulaires, qu'il se tourne vers nous et explique qu'il faut aller à l'hôpital pour des examens sanguins. Hein ??? De leurs explications confuses je comprends qu'il faut faire des dépistages sanguins, pour avoir un visa d'un mois. Pas dur de deviner de quel dépistage il s'agit et je me demande quel est l'abruti de ministre ou de député qui a eu cette idée géniale à faire passer... Déjà, l'idée que le SIDA ne viendrait que des ressortissants étrangers (en fait des Natacha importées, qui ne sont JAMAIS Kurdes, comme chacun se doute)et pas du tout des Kurdes mâles qui, c'est bien évident, ne vont jamais aux putes quand ils sortent du pays... Mais en plus, c'est complètement absurde d'imposer ce genre de formalités au bout de dix jours, c'est à dire presque à la moitié d'un séjour ! En gros, on peut avoir le SIDA, la syphillis, toutes les hépatites en cours et l'herpès en prime, coucher avec tout le Kurdistan pendant dix jours, ce n'est qu'ensuite que l'on se fera reconduire à la frontière. "Ah, les bourrins !" ne cesse de répéter Roxane. Brillante idée pour encourager le tourisme, pas à dire, d'imposer à une brouettée de vacanciers la visite obligatoire et prise de sang à l'hôpital... On ne décolère pas devant tant de connerie, qui va tellement à l'encontre de l'intérêt du pays... et contre Saywan, même pas fichu de se renseigner sur les règlements sanitaires du pays dont il exerce tout de même les fonctions consulaires. Si encore ils demandaient le certificat à l'entrée du territoire, passe encore. Après tout, on a toujours le choix de dire oui ou non à un séjour. Mais en plein milieu de voyage, c'est d'une bêtise affligeante. Ils ne sont pas près de voir arriver Nouvelles Frontières...

Le centre de prévention-dépistage est un peu difficile à trouver pour le taxi (peu de Kurdes de Duhok ont dû le fréquenter, puisque le SIDA c'est seulement une spécialité étrangère, comme chacun sait). On finit par arriver dans une petite salle d'examen, où une femme, assise devant une table, avec des bocaux remplies de seringues pas du tout sous emballage stérile, juste couvertes de leur capuchon, nous attend. Roxane fait remarquer que si on n'a pas encore le SIDA, c'est peut-être un bon moyen de l'attraper avec leurs aiguilles. Au moins l'hépatite ou une quelconque saloperie nosocomiale, ou bien le tétanos ou la septicémie. Bref, on refuse tout net en expliquant qu'on veut des aiguilles "propres" (ne sachant pas dire "stérile" en kurde, j'ai dit paqij et ils ont très bien pigé). Un interne arrive, peut-être alerté par la discussion, et dûment averti par la dame piqueuse de nos réticences d'Occidentales effarouchées pour un rien, lui fait sortir d'un tiroir des seringues sous emballage stérile, que l'on réserve visiblement pour les patients les plus râleurs ou les plus au fait des normes d'hygiène. Evidemment que l'illettré de base n'a guère les moyens de se défendre. L'égalité des soins, n'est-ce pas...

Vu l'absence de compréhension de la "piqueuse" (j'ignore si elle est infirmière ou non) devant nos réactions un peu dégoûtées à la vue de ses rassurantes aiguilles, je m'attends à une brute qui va louper six fois la veine. C'est presque tentant de la faire moi-même cette prise de sang, et de me charger de Roxane aussi. Vaillamment j'y vais la première et Roxane s'amuse à tout prendre en photo, les bocaux, moi, bras tendu et oeil mauvais braqué sur la dame, guettant le moindre faux pas qui va déstériliser l'aiguille qu'elle est en train de sortir. Garrot passé autour du bras, à peine serré, ce qui m'étonne, car je ne vois guère l'efficacité d'un garrot pas serré., d'autant plus qu'elle me demande de desserrer le poing. Elle fait remarquer d'un air rassurant que ma veine est très visible, ce qui n'augure rien de bon car les veines sûres à piquer sont celles que l'on sent sous les doigts, pas forcément celles que l'on voit... M'enfin, j'avais tort de m'en faire car, lorsqu'elle enfonce l'aiguille, je suis étonnée de ne rien sentir... à peine une piqure de moustique, et lorsqu'elle retire l'aiguille et me tamponne la pointe rouge avec un tampon d'alcool (envie de lui dire que l'alcool ne sert à rien, j'aurais préféré un bon vieux coup de DAKIN), je m'aperçois qu'en fait elle n'a pas piqué dans la veine. Seulement à côté. Prendre du sang par une une sous-cutanée, bizarre, j'avais jamais vu ça, mais après tout, je ne suis pas assez versée en virologie pour savoir si c'est aussi fiable qu'une intraveineuse.

Roxane, qui en photographiant tout ça, se sent les jambes flageoler, y passe à son tour. Même aspiration sanguine par sous-cutanée. On paye je ne sais plus combien, mais c'est pas donné, et dans le bureau, je regarde de quoi il est question : HIV, rien d'étonnant, HBs et HC. HC ça doit être l'hépatite C, HBs c'est quoi ? (plus tard, en vérifiant, je vois qu'il doit s'agir de l'hépatite B. Donc, il est parfaitement légal de refiler la syphilis à tout le Kurdistan, mais pas l'hépatite).

On ressort de là pas très jouasses, en nous interrogeant en plus sur la fiabilité des résultats, promis le lendemain matin. Tous les scénarios possibles sont passés en revue : résultats négatifs mais, si ça se trouve, pas du tout fiables, résultats positifs,qui imposeront une reconduite à la frontière, et quelques semaines de suspens en France pour bien revérifier les résultats, qui, si ça se trouve, s'avéreront ensuite négatifs, donc un séjour manqué pour rien, bref, de quoi mettre de bonne humeur en vacances. Je n'aimerais vraiment pas apprendre au Kurdistan que j'ai le SIDA. Ce n'est pas mourir qui m'embête, plus tôt ou plus tard, on n'est jamais que suspendu entre deux éternités, mais pas maintenant, pas pour me voir priver de plus de deux semaines encore de Kurdistan ! Là oui, je l'aurais mauvaise. D'ailleurs, qui aimerait apprendre ça à l'étranger ? Des bourrins, on vous dit, dénués de toute psychologie... Et puis, comme jusqu'ici, hormis l'hôtel, nous n'avons créché que chez des évêques, si c'est pour nous prévenir des activités de sex-workers à risque, on se demande lequel des deux fait figure de maquereau aux yeux des autorités : Monseigneur Rabban ou Mar Patros ?

Enfin, le lendemain, il a fallu retrouver le centre. Parce que bien sûr, ces neuneus ne nous avaient pas donné de papier avec l'adresse, ni même de reçu pour le paiement. Cette fois-ci, c'est un peshmerga de Lalesh, obligeant et de très bonne humeur, qui se colle une enquête dans toute la ville, d'hôpital en hôpital, pour savoir à quel endroit nous attendent les résultats. Il finit par trouver, après avoir été promené de centre en centre. On retrouve enfin le bon, on attend devant le bureau (encore fermé). Puis à 11h il s'ouvre et le peshmerga, confiant dans les passe-droits que lui confère et son uniforme et notre statut de Françaises (à moralité douteuse, peut-être, mais tout de même), grille la file et nous fait entrer dans le bureau, où le bureaucrate de la veille est en train de gribouiller quelques notes sur nos formulaires, oublie de me réclamer la photo que je lui avais promise la veille (ou bien ce n'était plus utile) et ferme les papiers dans une enveloppe cachetée tamponnée, que seule la préfecture aura le droit d'ouvrir je suppose. Je laisse un temps, pour être sûre qu'ils sont bien aussi débiles que je suppose. Hé oui, pas de déception. Je claironne donc à la cantonnade (parce qu'ils étaient au moins dix dans ce bureau, histoire de bien garantir la confidentialité des dossiers médicaux ) : "Bon alors, on est malade, ou pas ?" Il relève la tête, étonné, puis éclate de rire, comme tout le bureau, en assurant que non, non, pas de problème. Les deux ? Pour les deux, tout va bien. Je me demande quand même si, au cas où un touriste serait positif de quelque chose, ils ne seraient pas capables de l'envoyer à la préfecture, pour lui faire apprendre de la bouche d'un policier que non on ne lui donne pas le visa, après ouverture de l'enveloppe, car il y a un problème, voyez-vous... Décidément de grands psychologues...

Enfin munies d'un certificat de bonne santé qui nous donne le droit de nous prostituer dans tout le Kurdistan, nous repartons vers la préfecture. Encore deux bonnes heures de formalités, surtout d'attente, de formulaires remplies de façon très fantaisiste, car les policiers et fonctionnaires kurdes déchiffrent les passeports européens aussi mal que les Turcs, cherchant toujours, perplexe, le nom du père dans tout ce galimatia... Pour finir on a nos visa prolongés... jusqu'au 22, ce que nous ne demandions pas, allez comprendre. Voilà, nous pouvons donc nous lancer jusqu'au 22 mai dans des activités torrides.

Ayant, avec tout ça, loupé le défilé festif des yézidis de Sharra, qui devait avoir lieu dans la matinée, nous sommes tout de même conviées à déjeuner chez un Sheikh. Nous pouvions nous en passer, mais les Kurdes se feraient hara-kiri s'ils ne vous avaient pas au moins une fois à déjeuner ou à dîner. Va pour le déjeuner. Naturellement, arrivées au village, avec le peshmerga, tout le monde a déjà mangé, et on nous attable pour 4, avec le peshmerga et le chauffeur du Pîr, venu de je ne sais où. Devant la table bien garnie, je reste debout un moment, semblant vaguement attendre quelque chose, et croise soudain le regard de Roxane qui, de même, ne s'assoit pas immédiatement. On comprend alors instantanément, dans un fou rire, que, bien dressées par nos évêques, nous attendions, par habitude, le benedicite ! Décidément, ça s'attrape vite, la piété, Roxane ferait bien de se méfier.

Après déjeuner, retour au Sham Otel, qui ne s'étonne plus de nous voir partir le matin avec tous nos bagages pour revenir le soir. Passage à l'Internet Café, ponctué de coups de fil du Pîr qui, nous ayant loupées à la fête, tient à ce que nous dînions, avec sa femme, dans un restaurant de Duhok. Je connais trop ces dîners un peu emmerdants avec bobonne, donc moraux, donc arrosés d'eau ou de soda, où il ne s'agit que d'enfourner un kebab en silence, les Kurdes ne pratiquant guère la conversation à table. Tout de même dégusté un très bon poisson, nommé chopra. A part ça, le Pîr nous a fait un running-gag quand, à chacune de nos questions, par exemple sur l'existence ou non de motels à Sersing, il répondait invariablement : "Je ne sais pas.... Mais je peux demander !" Le clou fut quand Roxane lui a demandé s'il y avait encore des fêtes yézidies ce mois-ci. "Je ne sais pas; Mais je peux demander !" répète-t-il d'un air tout aussi zélé et entendu. Difficile de réprimer un fou-rire. Il est quand même Pîr ! Un peu comme si nous avions interrogé Rabban sur les dates de Pâques et qu'il nous avait dit, du même air peu concerné : "Je ne sais pas, mais je peux demander !"

Enfin, le Pîr appelle un ami "juge" de Sersing pour se renseigner sur les motels de Duhok. On lui assure qu'il y en a. A vrai dire, je me méfie un peu des renseignements des locaux sur des infrastructures touristiques qui ne les concernent pas du tout, eux n'allant jamais à l'hôtel dans leur ville. On verra bien demain. Mais vraiment, tout plutôt que de rester à Duhok, et puis nous nous rapprochons d'Amedî, bien que sans nouvelles de Rabban, mais là-dessus, les promesses d'évêques kurdes, hein...

Petite nouveauté, au cours de la nuit : réveil à 4h par l'appel à la prière. Jusqu'ici, c'était les cloches de la messe qui nous tiraient du sommeil à l'aube.

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