jeudi, avril 30, 2009

"Demain, 10 heures, Saint-Joseph, Ankawa"

Shaqlawa, on connait. Pas grand-chose de neuf à voir, même si tout s'est spectaculairement construit, là encore, et que les boutiques du bazar se sont transformées en galeries commerciales un peu prétentieuses, un peu clinquantes, tout ça pour vendre les mêmes loukoums mais en plus cher, sans doute. Bon, je ne vais pas m'épancher sur la mort du vieux bazar ou Monseigneur va encore se moquer en tendant sa boite de mouchoirs même à distance...

Le lendemain de notre arrivée à Shaqlawa, pas grand-chose à faire, sinon profiter de l'internet café-bar du Khanzat, avec un réceptionniste très sympathique. A cette heure de l'après-midi, on a la salle pour nous seules, bien climatisée, avec bières fraiches apportées sur un plateau. Que demande le peuple ? Il est trop tard pour l'excursion prévue à Salahaddin, et le Medya Palace est en bas du quartier chrétien, nous dit-on (décidément on est poursuivie...). On décide d'y aller faire un tour, au moins jusqu'à l'église. Le quartier chrétien et ses nouveaux réfugiés est situé sur une des hauteurs, ainsi que l'église. ça grimpe bien mais la promenade est agréable. Moyen sûr de reconnaître un quartier chrétien : une épicerie avec des enseignes Tuborg et Absolut tous les cinq mètres.

On finit par trouver l'église avec des lacis et des grimpettes et en demandant toutes les cinq minutes aux chrétiens qu'on croisait où était l'église.




Au passage, photo d'un éminent clerc qui écrivit sur l'histoire de son peuple, et parlait, nous dit la plaque en anglais, parlait nombre de langues, dont l'arabe, le syriaque, et le "parisian" (sic). Mort en 1915, comme tant d'autres.




Plus loin l'église, qui s'appelle Eglise des Martyrs. Pas déplaisante à regarder, sans grande originalité, la statue que l'on voit dans le jardin est plus... hum ! ... étonnante.



Le personnage figuré a une drôle de tête un mix d'homme de Cro-Magnon et de l'incroyable Hulk, je trouve. Comme il tient dans la main un rouleau déployé ça pourrait être Moïse. Quoi qu'il en soit, Frankestein à côté, c'est Dorian Gray...




Le lendemain, on se bouge un peu et on part à Salahaddin, rendre visite à Ibrahim Hassan, toujours charmant, qui nous trouve un taxi pour revoir la Citadelle. Hélas, cette année, les chauffeurs fournis par le PDK, ce n'est pas ça... Le type qui me claironne aux oreilles toutes les 5 minutes qu'il s'appelle Osman (retenez ce nom et méfiez-vous), qu'il a été peshmerga, qu'il est pro-Barzani etc, a été taxi à Téhéran aussi. C'est peut-être de là qu'il a appris à être aussi menteur et arnaqueur qu'un taxi stambouliot. Alors que la location du taxi était convenu pour au moins une heure et demi, il se dépêche de nous amener au village au bas de la Citadelle, un nom comme Dwuîne, et prétend ensuite qu'on ne peut accéder plus haut, qu'il faut y aller en 4/4 que la route est coupée, etc. Bizarre qu'il y a deux ans c'était accessible en voiture normale et qu'Ibrahim Hassan ne nous ait rien dit à ce sujet. En fait, il commence à regarder sa montre au bout d'une demi-heure et n'arrête pas de me faire de lourdes allusions à chaque coups de fil qu'il reçoit, sur le fait que sa famille l'attend à 13h pour déjeuner. Il fait assez moche, il y a quelques photos de villages à faire, pas grand-chose, et ce truand me fatigue. Les truands sont toujours bavards, en plus d'être malhonnêtes, c'est ce qui les rend deux fois plus pénibles. Non seulement on doit se faire rouler par eux, mais en plus il faut subir leur bagoût et leurs grandes protestations de patriotisme et de barzanisme et de kurdistanisme la main sur le coeur... Déjà j'avais observé que dans les restaurants affichant ostensiblement un propriétaire hadji, c'est là où en général on bouffe mal et où il faut recompter l'addition. Hé ben pour les taxis, c'est aussi une règle : éviter les "patriotes" auto-proclamés.


On finit par le lâcher dans Salahaddin, je feins encore une surdité galopante quand il me faire remarquer que ça fait 2 heures qu'il nous promène (au cas où le coeur fendu, je déciderai un supplément aux 50 000 dinars convenus) et on déjeune dans un restaurant en bord de route avant de tenter de prendre un taxi. Il est 16 h et je me dis que c'est l'heure de pointe, car tous les taxis qui passent sont pris. Un passant nous informe alors qu'à Salahaddin on ne "prend" pas un taxi comme ailleurs, au passage. Il faut aller au "garaj" où attendent tous les taxis libres, et en trouver un, après discussion sur la destination et le tarif. ça va assez vite, alors, et le jeune qui nous conduit à Salahaddin, arrive juste derrière le quartier chrétien. Ne sachant pas où est le Medya Palace, il se fait guider par tibi, qui le fait naviguer avec la sûreté d'un skipper dans les lacis et petites routes du quartier chrétien, avant de le faire stopper pile au bas de la colline, devant l'hôtel. Je vois bien à son regard un peu ahuri qu'il ne s'attendait pas à être piloté comme ça par une étrangère, dans son propre pays. La même chose s'est produite à Zakho pour trouver l'évêché, à Amedî pour le bureau du PDK : comme on va dans des endroits où eux ne se rendent jamais, le fait de savoir un tel chemin les laisse supposer qu'on connaît tous les itinéraires par coeur.

Le soir, de retour à l'internet café, mail de Monseigneur qui nous apprend que le synode du 26 au 5 bla bla bla (merci, on était au courant par ton collègue) et puis le pape en Jordanie donc déplacement du 7 au 11 et hop, après de retour au Kurdistan, on se voit à bientôt. Ben non, vu qu'on part le 8. Décidément, avec Rabban c'est la tragédie des chassés-croisés. On répond qu'on essaiera de passer le 6 mais nous avons peu d'espoir de le revoir avant le départ.

Sauf que le 30 au soir, coup de théâtre, ou deus ex machina, comme on veut : Mar Patros appelle (car il sait appeler, LUI) et délivre à Roxane un message quelque peu concis et sybillin, après de banals propos : "Demain. 10 heures. Eglise Saint-Joseph." "Quoi ?" demande Roxane. "Demain, 10 heures, Eglise Saint-Joseph à Ankawa. AN-KA-WA." "Oui mais QUOI demain 10 heures Saint-Joseph Ankawa ???" s'époumone Roxane. "Euh l'intronisation des évêques." "C'est déjà fini ?" "Quoi ? Qu'est-ce qui est fini ?" " Le SYNODE ! (et non la fête de la Bière à Münich, ballot !) C'est déjà fini le synode ?" "Non, non, ça continue... mais demain, 10 heures, Saint-Joseph..." OK, OK, ça va on a compris. Sauf qu'on ne voit pas en quoi ça nous concerne et pourquoi on devrait cavaler demain dare-dare de Shaqklawa à Ankawa pour être à l'heure. Grand Conseil de guerre : pourquoi Patros tient-il absolument à ce qu'on voit encore une messe ? Il s'ennuit tant que ça à son synode ? Ou y a-t-il là-dessous un message subliminal de l'autre matran qui, après avoir constaté amèrement que la communication par la prière ça ne marche pas toujours très fort, a résolu d'employer des ruses de guerres, moins élevées spirituellement, certes, mais plus efficaces (car appeler lui-même semble décidément hors de ses compétences) ? Bof, comme NOUS sommes ouvertes à l'aventure et à l'imprévu, les bagages sont faits, et l'ordre de lever le camp est donné : Demain, à 10 heures, nous serons à Saint-Joseph, Ankawa... et qui vivra verra.

ARRESTATIONS MASSIVES AU SEIN DU DTP


rès de cent personnes, en majorité membres du parti kurde DTP ont été arrêtées lors d’une vaste opération policière, conduite dans 90 endroits compris dans 13 villes de Turquie : Diyarbakır, Adana, Ankara, Aydın, Elazığ, Gaziantep, İstanbul, Mardin, Şanlıurfa, Şırnak, Bingöl et Hakkari. Selon les forces de l’ordre, ils sont accusés d’appartenance au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), ou bien d’apologie du mouvement ou d’être liés aux incendies de véhicules qui avaient eu lieu dans plusieurs villes, en guise de protestation.

Plusieurs figures politiques ou militantes ont été arrêtées dans le coup de filet policier: Seracettin Irmak, un avocat d’Öcalan, ou des responsables du DTP comme Kamuran Yüksek, Bayram Altun, Selma Irmak, ou faisant partie des équipes municipales du DTP de Tunceli ou de Diyarbakır. A Ankara, personne n’a été arrêté mais plusieurs raids ont été menés aux domiciles de membres du DTP, et des documents ont été saisis. Dans la capitale turque, des manifestations ont eu lieu pour soutenir le DTP.

Quelques jours après, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, a été condamné par la 4ème chambre de la Haute Cour de Diyarbakir, ainsi que le maire nouvellement élu de Batman, Necdet Atalay, à 10 mois que prison pour « propagande en faveur du PKK. » Ces accusations se fondaient sur des faits remontant au 25 février 2008, quand l’armée turque avait lancé une opération militaire contre des bases du PKK situées au Kurdistan d’Irak, violant ainsi la frontière. Osman Baydemir, comme beaucoup d’élus du DTP, avait condamné l’incursion militaire et appelé à une résolution pacifique de la question kurde, en déclarant qu’aucun soldat ni aucun membre de la guérilla ne méritait de mourir. Pour avoir nommé les combattants du PKK « membres de la guérilla » et non « terroristes », il a été accusé de propagande en faveur du PKK et d’incitation au séparatisme. Ces deux maires ont remporté les récentes élections municipales en obtenant tous deux des résultats sans appel contre les candidats du parti de l’AKP, lequel était pourtant décidé à contrer l’influence du DTP dans les grandes villes kurdes : plus de 65% des voix pour Osman Baydemir Aucun des deux ne s’est présenté au tribunal, leurs avocats seuls étant présents. Ali Simsek, le président du DTP pour la province de Diyarbakir, comparaissait aussi devant un tribunal, pour un discours prononcé lors de funérailles d’un combattant du PKK, connu sous le nom de Zilan Amed. Il a été condamné à un an de prison pour propagande en faveur du PK, tandis que deux autres accusés étaient acquittés pour la même affaire.

Réagissant à ces arrestations et aux condamnations, le DTP y voit une riposte détournée du parti au gouvernement, lequel n’accepterait pas sa défaite électorale. Le chef de file des députés DTP au parlement, Ahmet Türk, a ainsi accusé l’AKP de vouloir écarter son parti du jeu démocratique : « De telles opérations et de telles pressions sont le signe d’une ère nouvelle, durant laquelle notre parti est repoussé en dehors du combat démocratique ? Mais tous doivent savoir que nous n’abandonnerons pas. ». Ahmet Türk a également suggéré que des « forces » en Turquie essayaient de faire basculer le pays dans une phase de violence, par de telles provocations. « S’ils persistent dans les affrontements, ce sera pire que par le passé. Si le navire coule, nous coulons tous.» Bien que les forces de sécurité affirment que l’opération policière était prévue « de longue date », des observateurs soulignent que le coup de filet survient peu après que le DTP ait appelé l’Etat turc à reconnaître le PKK comme interlocuteur pour résoudre enfin le conflit kurde. Les maires nouvellement élus s’étaient en effet réunis à Ankara pour discuter de la nouvelle ligne politique du parti. A l’issue de ce meeting, le DTP avait fait une déclaration dans laquelle il suggérait que le PKK et son leader, Abdullah Öcalan, emprisonné à Imrali, soient considérés comme interlocuteurs par la Turquie pour résoudre la question kurde, se refusant ainsi à céder aux recommandations de l’Union européenne et des Etats-Unis enjoignent fréquemment au DTP de se distancier du PKK. Jusqu’ici, le DTP s’est toujours refusé à qualifier le Parti des travailleurs du Kurdistan d’organisation terroriste. De plus, les responsables du DTP considèrent que leur campagne électorale, fondée sur l’identité et les revendications des Kurdes a été fructueuse. Cela peut expliquer la position ferme que semble avoir adopté le parti après les élections : « Le monde prendra le temps d’analyser les résultats des élections municipales. Nous ne changerons pas, mais le monde doit nous accepter tels que nous sommes. Notre parti pense que les élections municipales donneront une direction nouvelle à la politique en Turquie, et dans cette période nouvelle, la mission de notre parti sera plus importante que jamais » a ainsi déclaré un des responsables, avec une certaine emphase.

Cette position aux accents triomphalistes a été relayée par une déclaration officielle du PKK, qui voit dans ce succès électoral, la preuve que le conflit kurde ne peut être résolu sans le DTP, ni le PKK, et, bien sûr, Abdullah Öcalan. Un des résultats immédiats que pouvait attendre le DTP était, en plus des amendements réclamés à la loi anti-terroriste, très restrictive sur la liberté d’expression, l’abandon des procédures d’interdiction le concernant. Le DTP est en effet menacé de dissolution et 221 membres de ce parti encourent une peine d’inéligibilité. « Si nous prenons en considération le résultat des élections, nous ne pensons pas que le DTP pourra être interdit politiquement » a déclaré ce même responsable au journal Zaman. Aussi l’arrestation de ces membres élus du DTP a pu faire l’effet d’une douche froide, ou tout au moins ressembler à un démenti cinglant aux déclarations confiantes émises par le parti kurde. A moins que ce ne soit, comme c’est souvent le cas dans la politique louvoyante de l’AKP, un coup d’éclat spectaculaire et médiatique, destiné à assurer l’opinion publique et les cercles politiques nationalistes de la fermeté gouvernementale à l’égard des « terroristes », avant de s’apprêter, peut-être, à des démarches politiques plus conciliantes.

Le chef de file des députés du DTP au parlement turc, Ahmet Türk, a déclaré, de passage à Londres, lors d’une rencontre au Centre de la communauté kurde, que la Turquie avait atteint un stade où « elle se retirait dans sa propre coquille », en comparaison avec ces dernières années. Il a réfuté les prises de position de l’Union européenne, qui avait jugé que ce pays avait accompli des avancées notables en matière de démocratie. Il fait lui-même l’objet d’une enquête lancée par le procureur de Diyarbakir, après un discours qu’il a tenu dans cette même ville le mois dernier, dans lequel il avait comparé Abdullah Öcalan, le président du PKK, à Nelson Mandela (une comparaison qui est un lieu commun dans la mouvance de ce parti) en indiquant que le conflit racial en Afrique du sud avait pris fin avec la libération du leader de l’ANC, et que, de même, la question kurde pourrait être résolue par la libération d’Abdullah Öcalan. Il fallait s’attendre à ce que de tels propos fassent l’objet d’une enquête judiciaire, des prises de position bien plus anodines ayant déjà été condamnées comme « propagande terroriste et séparatiste ». La question de la levée de son immunité parlementaire doit être aussi examinée.

La réaction du DTP à ces arrestations a pris la forme, dans la nuit du 23 au 24 avril, d’un sit-in à l’intérieur du parlement turc, auquel ont participé les 21 députés de ce parti. Du côté des milieux réputés conservateurs et nationalistes, on observe les mêmes attitudes contrastées, entre déclarations intransigeantes vis-à-vis du PKK et des prises de position publiques inattendues, visant à briser les tabous de la république turque. Ainsi, le 14 avril, le chef de l’état-major turc, Ilker Başbuğ, qui prononçait son discours annuel à l’Académie de guerre, a créé un effet de surprise en revenant sur le credo kémaliste du « peuple turc » unique composante de la république de Turquie (hormis les minorités religieuses, chrétiens et juifs, toujours désignées officiellement comme « étrangers de l’intérieur » ou « citoyen turc de nationalité étrangère »).

Le général a ainsi prôné des aménagements à la citoyenneté turque, déjà recommandés par Baskin Oran et Ibrahim Kaboğlu en 2006, dans le rapport sur les minorités que leur avait commandé le gouvernement AKP, mais qui leur avait valu d’être traînés en justice, avant d’être finalement acquittés : Türkiyeli (de Turquie) et non plus « Turcs » pourrait désigner des citoyens non turcs qui ne sont pas mentionnés comme minorités par le traité de Lausanne. Niant, de façon paradoxale, le caractère « ethnique » du conflit kurde, niant aussi la politique d’assimilation de l’Etat, il recommande que la spécificité de l’identité kurde soit officiellement reconnue, n’hésitant pas à invoquer les mânes d’Atatürk pour appuyer ses dires : « «Laissez-moi vous rappeler qu’Atatürk a dit : c’est le peuple de Turquie –Türk Halkı- qui a fondé la République de Turquie. Si vous dites que ce sont les Turcs -Türkler-, cette considération perd de son sens profond. Qui a fondé la République de Turquie ? Le peuple de Turquie. Atatürk désigne ici tous les éléments de la nation. Sans distinction ethnique ou religieuse. S’il avait utilisé le mot «Turc» au lieu de «peuple de Turquie», il y aurait eu une distinction ethnique.» D’aucuns pensent aussi que l’effet-choc de ce discours avait aussi pour but de détourner l’attention du public sur l’affaire Ergenekon qui secoue les milieux proches de l’armée.

mercredi, avril 29, 2009

IRAK : PERIODE POST-ELECTORALE DIFFICILE


Les tensions entre le gouvernement de la Région du Kurdistan et celui de Bagdad ne se sont pas apaisées, loin de là, après les élections des conseils provinciaux. De plus, la question de Kirkouk reste toujours en suspens, dans l’attente incertaine d’élections reportées indéfiniment, voire annulées, et la publication d’un rapport de l’ONU qui doit proposer des solutions alternatives au référendum prévu par la constitution irakienne. Les solutions les plus probables qu’a à proposer l’ONU sont de donner un statut « spécial » à Kirkouk, pour une durée de 10 ans. Ce statut prévoirait un « haut degré d’autonomie » à la province, mais sans lui donner le droit de rejoindre la Région du Kurdistan, et son financement dépendrait toujours du gouvernement central. Les Kurdes n’y voient ainsi qu’une façon de reporter à une date hypothétique la question de Kirkouk et d’évincer l’influence et la présence des forces de sécurité kurdes dans la région, ce qui rentre précisément dans les ambitions du Premier ministre irakien actuel, le chiite Nouri al-Maliki. Ainsi, le 26 mars dernier, des troupes de la 12ème division de l’armée irakienne, majoritairement arabes, se sont déployées sur les routes autour de la capitale provinciale, cherchant, selon les Peshmergas et les services de renseignements kurdes, à les contraindre à abandonner la ville. La réaction de Massoud Barzani ne s’était pas faire attendre et dès le 30 mars, il réclamait une fois de plus la tenue du référendum, tandis qu’une délégation de leaders kurdes, venus de Kirkouk, appuyaient cette demande. Le président de l’Irak lui-même, le Kurde Jalal Talabani avait déclaré, le 1er avril, que l’article 140 faisait partie de la constitution et que « personne n’y pouvait rien changer. »

Dans les provinces de Ninive, Sindjar et de la Diyala, où les élections ont pu se dérouler, le climat politique s’est également envenimé. Ces districts ayant massivement voté pour la Fraternité kurde alliée à des partis chrétiens et yézidis, beaucoup considèrent que les résultats de ce scrutin valent pour un référendum. Ainsi, des centaines de Kurdes, habitant surtout les villes de Sheikhan et de Sindjar (peuplées majoritairement de yézidis mais aussi de chrétiens et de Kurdes musulmans) ont défilé dans les rues de Mossoul, en réclamant leur rattachement à la Région du Kurdistan. La liste nationaliste arabe l’ayant emporté à Mossoul, après, il faut le dire, une épuration ethnique et religieuse qui, en quelques années, a vidé la ville de la majeure partie de ses Kurdes et de ses chrétiens, les composantes non arabes et non musulmanes de la province se plaignent à présent d’une sous-représentation dans l’administration du conseil provincial, dominé par les nationalistes et des partis islamistes qui auraient accaparé les fonctions dirigeantes. Avant les élections de 2009, les Kurdes avaient largement dominé les conseils provinciaux, en raison du boycott sunnite de 2005. Mais depuis le 31 janvier, la liste Al-Hadba détient 19 sièges sur 37 au conseil provincial de Ninive-Mossoul, contre 12 pour la liste kurde Fraternité.

« Nous venons en seconde position pour le nombre des sièges et nous méritons d’occuper des fonctions dans l’exécutif, explique Darman Khatari, le porte-parole de la liste Fraternité. Mais les élus du parti vainqueur al-Hadba ont rejeté ces demandes, qu’ils ont qualifiées de « déraisonnables. » Aussi, plusieurs responsables politiques kurdes locaux ont-ils appelé au boycott du conseil, en se retirant à l’issue de la première session. Hissou Narmo, le maire du district de Sheikhan, a déclaré à la presse kurde d’Erbil : « Nous, les représentants des trois districts, avons décidé de boycotter le conseil provincial de Ninive ; cela sera suivi d’autres mesures, dont la soumission d’un mémorandum aux trois membres du conseil de présidence à Bagdad. Si nos demandes ne sont pas entendues, nous soumettrons un mémorandum au parlement kurde (d’Erbil) demandant notre annexion par la Région kurde. » Quelques heures après cette annonce, Qassim Dakheel, le maire de Sindjar, district qui compte environ 70% de yézidis, a déclaré à l’AFP : « La liste Al-Hadhba (nationaliste arabe) a pris toutes les positions administratives importantes et écarté le reste des listes, surtout celle de la Fraternité (kurde). Ce qui se passe est une injustice et une marginalisation, ainsi qu’un retour au parti unique. Le boycott résulte d’une pression populaire, venant des habitants du district, qui sont descendus dans la rue pour réclamer que le nouveau conseil de Ninive soit boycotté. Les manifestants ont aussi appelé à la transformation de leur district en un gouvernorat indépendant, qui ferait partie du Kurdistan. » Le maire yézidi de Sindjar a affirmé qu’il ne reconnaissait plus l’autorité de Mossoul mais reconnaissait celle de Massoud Barzani, le président du Gouvernement régional du Kurdistan, et que Sindjar resterait détaché de Mossoul aussi longtemps qu’Al-Nujaifi en serait gouverneur.

Pour sa part, Atheel al-Nujaifi, le gouverneur sunnite nouvellement élu de Mossoul a rejeté ces allégations, qu’il voit comme un refus de sa victoire électorale : « Un tel comportement, de la part de ces petits leaders kurdes, n’est pas en accord ave les grands leaders kurdes. La constitution irakienne est la loi et elle dit que Sindjar dépend de Mossoul », rétorque-t-il, en oubliant cependant que l’article 140 de cette même constitution nomme justement Sindjar comme un des districts ayant vocation à se prononcer par référendum sur son rattachement à la Région du Kurdistan. Al-Nujaifi a aussi qualifié ce boycott d’illégal : « Ce sont des employés administratifs sous l’autorité de la province de Ninive... Les gouverneurs de ces trois districts ne sont qu’une équipe administrative de l’Etat irakien, ils n’ont pas le droit de politiser leurs fonctions et leur pouvoir de façon partisane ou pour les intérêts d’un parti spécifique. Leur devoir est de calmer les choses, afin d’appliquer la loi et d’entamer un dialogue avec les responsables officiels » Insistant pour que les absents réintègrent le conseil provincial, le nouveau gouverneur de Mossoul les a également menacés d’être personnellement radiés de ce conseil, mais en ajoutant que cette radiation, purement personnelle, ne s’appliquait pas à la liste Fraternité en elle-même. De l’avis d’un avocat arabe sunnite, appartenant au parti nationaliste, ces désaccords sont inquiétants, par leur précocité à émerger après les élections : « Ce n’est qu’un début. Nous pouvons nous attendre à ce que cela empire. »

De fait, à Zummar, l’une des 16 villes à majorité kurde qui ont rejoint le mouvement de boycott, une attaque suicide à la voiture piégée a eu lieu contre un check-point surveillé par des peshmergas, tandis qu’un commandant de ces mêmes forces échappait, à un autre endroit, à un attentat, également à la voiture piégée. «La situation va devenir plus tendue s’il n’y a pas d’accord politique », estime Ahmed Qassim, âgé de 35 ans, un boutiquer arabe de la ville. Il y a des groupes armés, comme al-Qaïda, qui vont essayer d’exploiter ces disputes. Il va y avoir bientôt d’autres explosions, dans des zones arabes, en riposte aux bombes qui ont explosé aujourd’hui à Zummar. »

Dans la province de Diyala, qui comprend des districts kurdes rattachés arbitrairement par Saddam Hussein à une province arabe, les tensions n’ont pas faibli depuis l’été dernier, notamment entre les forces kurdes et irakiennes et les élections, là aussi, semblent avoir empiré les choses. Des soldats américains ont même été appelés pour escorter des membres du conseil provincial après que la police irakienne ait tenté d’investir le bâtiment, en affirmant que des mandats d’arrêt avaient été délivrés envers quelques-uns des membres du nouveau conseil. Un gouverneur a tout de même pu être élu mais là encore, beaucoup d’élus ont finalement appelé au boycott.

Dans le reste de l’Irak, des désaccords graves se font sentir également. Ainsi, dans la province de Wasit, à majorité chiite, toutes les factions politiques ont décidé de boycotter la dernière réunion du conseil, qui devait élire un gouverneur, alors que la veille, des manifestations de rue ont protesté contre le principal candidat en lice. A Basra, le Premier ministre Nouri Al-Maliki a dû intervenir personnellement pour arbitrer des querelles au sein de sa propre coalition, concernant également l’élection d’un gouverneur.

mardi, avril 28, 2009

SYRIE : LOURDES CONDAMNATIONS POUR PLUSIEURS MILITANTS KURDES


Le 5 avril, à Damas, la Haute Cour de sûreté de l'Etat a condamné dimanche douze personnes, dont cinq Kurdes et une femme, à des peines allant de cinq à quinze ans de prison, comme l’a annoncé l'Organisation nationale des droits de l'Homme de Syrie (ONDHS). Le plus lourdement condamné, Jamal Abdel-Wahab Hafez, était accusé d’avoir commis « des actes non autorisés par l'Etat et avoir pris contact avec l'ennemi ». Rasmi Mohammad Bakr, Ahmad Maasoum, Mouaouia Qatranji, et Mirvat Mohammad Midani ont été condamnés à huit ans d'emprisonnement, Ahmad al-Atrache et Ali Arslane à cinq ans de prison pour « des actes de violence contre la sécurité publique et pour avoir hébergé des personnes ayant commis des actes de violence. » Les cinq Kurdes étaient tous membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ils ont été également reconnus d’avoir « tenté par des actes, des plans ou des écrits d'amputer une partie du territoire syrien pour l'annexer à un pays étranger. Ezzat Abdel Hanane Horo, Khalil Sido, Wahid Rachid Horo, ont été condamnés à huit ans de prison, Adnane Ali Hussein et Hussein Salim Mohammad à sept ans.
Le président de l'ONDHS, Ammar Qorabi, a dénoncé ces « jugements arbitraires et sans appel ». Il a aussi appelé la Syrie à supprimer la Haute-Cour de Sûreté, qui n’est qu’un tribunal d’exception, et à libérer tous les prisonniers d’opinion que ce tribunal a fait condamner. Il a exprimé sa « profonde inquiétude » et appelé les autorités syriennes à « supprimer la Haute Cour de sûreté de l'Etat et à libérer tous les détenus politiques condamnés par ce tribunal. »

Quelques jours auparavant, le 30 mars, la même cour avait condamné quatre Kurdes pour « appartenance à un groupe politique interdit qui vise à amputer une partie du territoire syrien pour l'annexer à un Etat étranger. » Jihad Saleh Abdo (42 ans) et Abdel Qader Ben Sido Ahmad (35 ans), également accusés d'avoir « affaibli le sentiment national et incité à des dissensions raciales » ont écopé de cinq ans de prison. Saleh ben Mohammad Abdo (32 ans) et Hussein ben Hamid Mohammad (29 ans) ont été condamnés à quatre ans d'emprisonnement. Tous étaient membres du parti kurde Azadî (Liberté) interdit en Syrie. Ils avaient été arrêtés en septembre 2007 à Afrin, une ville kurde comprise dans le gouvernorat d’Alep et emprisonné à Damas, dans la prison de Saïdnaya, qui vient récemment d’être agitée par des révoltes de détenus. Comme la majeure partie des prisonniers condamnés par ce tribunal échouent dans ce centre d’incarcération, les activités de la Haute Cour avaient été suspendues pendant sept mois. . Le président de la Ligue syrienne des droits de l’homme, Abdel Karim Rihaoui, a lui aussi réclamé la supression de ce tribunal : « La Haute cour de sûreté de l'Etat qui ne permet pas aux détenus de faire appel, représente une violation du droit à un procès juste. Nous appelons le gouvernement syrien à sa suppression, à l'annulation de tous ses jugements et à prendre des mesures rapides pour faire respecter tous les droits. » (source AFP).

lundi, avril 27, 2009

Barzan-Rêzan


Nous partons d'Amedî après une ultime visite au PDK d'Amedî, décidément toujours très gentil et serviable, pas avare de renseignements, même s'ils ne sont pas toujours très fiables, notamment, nous le verrons sur l'existence d'hôtels hors de leur zone. Yasin nous assure en effet qu'il y a des hôtels à Diyana, mais pas à Rawanduz. Via pour Diyana, par la route de Barzan, et un passage au village même, pour que Roxane puisse reprendre les tombes de Mollah Mustafa et d'Idris, qu'elle a déjà vues en 2005. Quant à moi, mon dernier (et unique) passage là-bas remonte à 1994. Nous constatons avec amusement que peu pressés de nous voir partir, le staff PDK a soudain la mémoire un peu floue quand il s'agit de localiser Barzan sur une carte, et semble assez indifférent à ces histoires de tombes. C'est vrai que pour un PDK, Barzan et Molla Mustafa ça ne doit pas dire grand-chose, n'est-ce pas ? Bon, quand il voit que décidément, il n'y a plus moyen de nous retenir, il nous trouve un taxi, après avoir appelé tous les taxis libres estampillés PDK, qui, par hasard, se trouvaient tous à Duhok ce jour-là, sauf un qui a voulu se distinguer en partant à Suleïmanieh. Finalement on en ramène un quand même, mais dans l'agitation du départ, on oublie de demander son prix d'avance ce qui est toujours une erreur. Il faut dire que les adieux, comme toujours, étaient prenants. Yasin, rouge d'émotion et l'oeil humide, serre la main à broyer et fait la bise. Heureusement qu'on revient...

La route de Barzan traverse les montagnes de Barzan qui sont, objectivement, les plus belles. Brève halte au village de Barzan où la tombe, toujours simple, de Mollah Mustafa est envahie par l'herbe et les coquelicots. Quand j'y étais en 1994, c'était l'été et tout était sec : juste des stèles sur de la terre sèche et de l'herbe grillée. La simplicité des deux stèles (celle de Mustafa et celle de son fils Idriss) m'avait étonnée et j'avais trouvé cela plein de grandeur. Le peshermerga qui était avec nous, un vieux de la vieille qui avait dû se battre dès les années 60 s'était mis au garde-à-vous devant. Il pleurait, pleurait...




Aujourd'hui, le village de Barzan, que j'avais connu détruit hormis quelques maisons vite bâties et le miwankhane, a bien changé. C'est même un boum dans la construction. Roxane, qui y est passé en 2005, me dit que ce n'était pas le cas alors. Le gigantesque complexe centre mémorial mosquée qui se bâtit juste derrière les tombes me laisse plus dubitative. Veulent-ils en faire une espèce de mausolée ataturtesque ? Heureusmement que l'esprit kurde semble résister à cette idolâtrie, car jusqu'ici, je n'ai pas trouvé chez les PDK une vénération excessive pour ces reliques. Le chauffeur qui nous accompagnait, guère politisé, ne savait même pas, entre les deux tombes, laquelle était celle de Mustafa, ni même qui était la seconde ! Même chez les Sheikhs de Barzan, ce n'est pas le culte des morts qui prime, comme nous le verrons plus tard...



En redescendant, arrêt sur un restaurant de bord de route, qui sert du poisson grillé (hélas, il faudrait des écoles hôtelières pour leur apprendre à préparer le poisson). Le nom du village, Rêzan, me frappe. C'est là que j'ai dormi trois jours, il y a 15 ans. Tout s'est bien reconstruit, mais je reconnais le pont, où les peshmergas tiraient à la mitraillette sur les truites. Il faut dire que le chef, Rûbar, n'avait que 18 ans, et que leur principal boulot de la journée, en attendant une invasion de l'Iran ou de la Turquie, était de contrôler le tracteur du voisin qui, matin et soir, allait et revenait sur ses champs. J'avais aussi vu le plus jeune survivant de la rafle des Barzani, quand en 1983, Saddam avait fait massacrer tous les hommes, à partir de 12 ans, 8000 d'un coup... Le gamin, dont je ne sais plus le nom, était tout juste né et avait donc échappé à la rafle. Comme il n'y avait plus d'hommes au village, c'était donc le dernier enfant né. Il avait onze ans, avait un beau visage, paisible, souriant, des cheveux blonds et des yeux noisette. Toutes les femmes avaient la tenue noire des veuves mais elles ne pouvaient l'être officiellement, leurs maris, fils, frères, cousins, étant "disparus" et non "décédés".



Repassant dans le village, je reconnais la rive du Zab, où l'on buvait à même l'eau du fleuve, qui était plein de grenouilles... et la tête horrifiée des Kurdes quand je leur disais qu'en France on les mangeait... Ils s'étaient rattrapé en servant la tête du chevreau tué pour l'occasion, dont il fallait bouffer la cervelle à l'intérieur... Morceau de choix réservé aux invités, merveilleux.

L'un d'eux apprenait l'anglais et avait voulu que je contrôle son manuel de conversation (un bouquin catastrophique publié en Iran, bourré de fautes, que j'avais corrigées un peu). Il y avait eu une soirée de cours, et tous les peshmergas de la troupe (ils avaient tous à peu près l'âge de leur chef) avaient voulu apprendre eux aussi. Alors, sur le toit, environnée de tous ces grands gamins, qui se séparaient rarement de leur fusil, je leur faisais répéter les phrases qu'ils souhaitaient. "Comment dit-on "ez ji te hez dikim" ? "I love you." Et la dizaine de terribles guerriers de répéter consciencieusement, jambes croisées et mains autour des genoux : "I-Love-You".



Il y avait eu aussi la visite à leur check-point, une cabane d'où ils contrôlaient, comme j'ai dit, LE tracteur du matin et du soir et guettaient l'arrivée des troupes touraniennes ou iraniennes, comme Giovanni Drogo les Tartares. C'était l'heure du déjeuner et deux d'entre eux avaient apporté une ENORME marmite de riz et de viande. "Sandrine ! Les hommes t'ont fait la cuisine !" avait annoncé fièrement Rûbar. Déjà, à l'époque, j'avais compris que l'ambition du Kurde est de vous engraisser jusqu'à ce qu'on ne puisse plus se déplacer qu'en brouette... On avait mangé donc tous en rond, eux mitraillettes entre les jambes, dont les canons pointaient pas mal sur moi, ce que j'avais fait remarquer avec amusement : "ça risque pas de partir, là ?" Ah non, non ! et tous, avec un beau zèle m'avaient montré comment monter et démonter un FM. J'avais rien compris, bien sûr, toujours été nulle au test psycho-cognitif des engrenages et des poulies.

Bref, en passant par Rêzan je reconnais la rive, mais quant à savoir quelle maison... A l'époque ils arrivaient tous d'Iran, où ils avaient passé sept ans dans les camps de réfugiés, et les maisons étaient tous juste bâties, en parpaing. Aujourd'hui, c'est plus coquet.

A Diyana, l'unique hôtel annoncé s'avère finalement transformé depuis peu en hôpital. On pousse à Rawanduz, très belle ville cernée de montagnes, dont l'unique hôtele st un grand complexe touristique luxueux, avec Luna Park, cottages, et un hôtel dont les prix sont ceux du Sheraton d'Erbil. Pour finir, je demande au chauffeur de nous conduire à Shaqlawa, où les hôtels ne manquent pas. Arrivée de nuit au Medya Palace, prix correct, le taxi nous coûte 250 000 dianrs ce que Roxane trouve trop cher. Moi, étant complètement autiste en chiffre, mesure et prix, je n'en ai aucune idée. On verra demain quoi faire à Shaqkawa, que nous avons déjà visité il y a deux ans.

KIRGIZSTAN : EMEUTES ANTI-KURDES A L’INSTIGATION DE L’OPPOSITION POLITIQUE


Depuis la fin des années 1980, les quelques 8 000 Kurdes vivant au Kirghizstan, ainsi qu’au Tadjikistan, en Ouzbekistan et au Kazakhstan, à la suite des déplacements forcés de population imposés par les soviets de Géorgie et d’Azerbaïdjan dans les années 1930 et 1940, sont régulièrement la cible d’actes d’hostilité de la part des nationalistes locaux. Près de 30.000 Kurdes vivent au Kirgizstan après leur déportation par Staline en 1937 et 1944.

Ce mois-ci, les Kurdes de Petrovka, une ville à 40 kilomètres de la capitale kirghize Bishkek, ont eu à faire face à des émeutes qui ont ravagé et pillé leurs habitations. Peuplée de Russes, d’Ukrainiens, de Kirghizes, la ville accueille, depuis les années 1990 une centaine de Kurdes. Les autorités kirghizes affirment que la situation est maintenant sous leur contrôle, mais une radio locale indépendante a sommé tous les habitants kurdes de la région, de quitter les lieux sous 24 heures. « Plusieurs centaines de résidents ont détruit des habitations kurdes. Près de vingt maisons ont été touchés dans plusieurs rues et une dizaine de voitures détruites », a déclaré l’adjoint du ministre de l’Intérieur Talantbek Isayev à la presse. Plus de cent émeutiers ont été arrêtés, dont la moitié relâchée assez rapidement. Ils affirment qu’ils voulaient « venger » le viol d’une fillette de 4 ans par un Kurde. Près de 200 Russes et Kirghizes de Petrovka ont ainsi réclamé l’expulsion des Kurdes, selon la radio Azatyk, qui a aussi fait état de deux personnes blessées par balles par des Kurdes tirant sur les émeutiers.

Les autorités kirghizes enquêtent à présent afin de déterminer si les incidents ont pour origine une « haine ethnique, raciale ou interrégionale » et le procureur de la région a lancé des poursuites pour « incitation à la haine raciale » a indiqué le porte-parole du ministre de l’Intérieur, bien que des officiels aient auparavant catégoriquement nié tout caractère ethnique au conflit. La thèse d’origine qui motivait ces émeutes par le viol d’une fillette de 4 ans par un Kurde, initialement avancée par le ministre de l’Intérieur, a été démentie finalement par les enquêteurs, qui ont indiqué qu’aucun cas de viol n’a été enregistré dans la région et que cette rumeur semble avoir été lancée par un groupe politique proche du leader de l’opposition, candidat aux présidentielles, Almazbek Atambayev, dans un discours qu’il aurait lui-même tenu aux manifestants, dans la ville de Petrovka, afin de stigmatiser les autorités locales et la gestion sécuritaire du pouvoir en place : « Nos enfants sont violés et la police reporte le blâme sur l’opposition » a déclaré Atambayev à la presse, persistant dans ses allégations. Almazbek Atambayev est considéré comme le principal rival du président en place, Kurmanbek Bakiyev, pour les élections qui doivent avoir lieu en juillet.

L’opposition ne relâche donc pas sa pression politique en prenant les Kurdes pour cible. La police a dû disperser quelques jours plus tard près de 500 personnes qui bloquaient l’autoroute de Bishkek-Osh, reliant le nord et le sud du pays. Les manifestants demandaient à nouveau l’expulsion des Kurdes. Cette affaire rappelle les émeutes antikurdes qui avaient secoué le Kazakhstan en janvier dernier, et qui avaient eu pour point de départ, ou prétexte, les mêmes allégations, ou rumeurs d’agressions sexuelles sur enfant. Un adolescent kurde avait été accusé d’agression sexuelle sur un jeune garçon kazakh. Des groupes de représailles s’en étaient alors pris de même à des maisons kurdes, qui avaient été incendiées, et leurs habitants molestés. La violence s’était ensuite étendue à toute la région habitée par les Kurdes.

dimanche, avril 26, 2009

Amedî



Nous devions aujourd'hui partir d'Amedî par la route de Barzan, mais le temps assez gris dissuade Roxane de prendre les plus belles montagnes du Sud sous un ciel nuageux. Aussi nous décidons de remonter à Amedî pour rendre visite à Yasin et au PDK, des fois qu'il aurait des idées d'excursion locale.

Comme d'habitude, le covoiturage fonctionne à merveille. Une voiture s'arrête assez vite et dès que nous montons, le passager, sans que nous ayons ouvert la bouche, informe le conducteur que nous sommes "les invitées du Matran". "Ah"... fait le conducteur d'un air approbateur. Mais attention, se croit obligé de préciser le passager : "Les invitées du Matran, mais de Kwane !" "Voulait-il ainsi souligner qu'être invité par le Matran à Kwane ne fait pas de vous de la gnognotte d'invitées (pas comme si, par exemple, on était resté uniquement les invitées d'Ankawa) ? Ou bien qu'être invitées par le Matran de Kwane, ce n'était vraiment pas du tout comme être invitées par celui d'Amedî ou celui d'Erbil ? Mystère...

En tout cas, le conducteur a l'air frappé de respect à l'annonce des hôtes de marque qu'il a à l'arrière de sa voiture, car il croise mon regard et répète : "Invitées du Matran..." J'opine, et c'est là qu'il précise à son tour : "De notre Matran !" Des fois, évidemment, qu'il y aurait un autre évêque que Monseigneur Rabban dans la région, une sorte de Matran alternatif ou dissident à Amedî et Kwane, qui prétendrait, en plus, voler les deux seules touristes françaises de la région à leur évêque légitime... Je le rassure : Oui, il s'agit bien de leur Matran, celui de Kwane, oui... Incroyable comme ils sont prompts à vous imposer leur marque tribale sur le front. On peut se balader autant que l'on veut le nez en l'air et mains dans les poches à Amedî et aux alentours, avec ou sans Sayyid (ce dernier invisible et muet, visiblement absorbé par le synode qui ouvre aujourd'hui et ne daignant pas répondre à un simple sms), fréquenter tout le PDK, on est visiblement estampillé "propriété du Matran" ; encore heureux que la mode des tatouages tribaux est passée, on finirait déguisées en bande dessinée...

Mais bon, ils doivent bien nous lâcher au PDK. Là, Yasin nous parle d'un vieux moulin, le plus vieux moulin de la région et d'un très vieux pont, qui serait, en plus petit, la réplique du pont Delal à Zaxo. Le tout au bas de la ville, dans une vallée. On s'y rend avec un guide alloué par le Parti et on manque s'étouffer (moi, de rire) en voyant le soi-disant moulin traditionnel, qui semble en plus filtrer tous les détritus de la rivière, et le pont qui est en tout point semblable à n'importe quel petit pont enjambant un rû dans nos campagnes. La réplique du pont Delal, c'est ça... Certains ont une imagination...




Mais bon, il fait subitement beau, avec des nuages passagers, et l'on décide de poursuivre la balade avec le chauffeur, qui a la bonne idée de nous amener d'un côté des montagnes que nous n'avions pas encore vu, avec des paysages vraiment superbes. Arrêt dans une maison unique, presque un camp d'été, avec des paysans qui élèvent vaches, moutons et chèvres. Chevreaux et agneaux ont des oreilles si longues qu'on croirait qu'ils les ont empruntées à un basset-hound. Du coup, on les mitraille parce que, c'est comme pour les orangers, non, on n'en a pas des comme ça à Paris. Il y a aussi de ces superbes chiens à loups qui abondent dans la région (les chiens autant que les loups, sans doute).




Puis le chauffeur, qui se nomme Saleh, nous emmène boire un thé chez son père (qui a lui aussi le Matran pour ami, nous informe-t-il, comme ça on est cerné), lequel réside en bas d'une grotte visible de notre motel, transformée en poulailler...




et gardée par une sentinelle en armes, allez comprendre, à moins que le PKK ne vienne en douce leur voler des poulets...


En plus de la sentinelle, nous sommes accueillies par les gémissements affectueux et les câlins frénétiques de trois féroces exemplaires de ces chiens à loups, qui semblent nous avoir adoptées tout de suite. On se jure, du coup, que lorsqu'on s'installe à Amedî, on en emmène un pour de bon.



Finalement, comme il est impossible aux Kurdes de ne pas vous faire manger, Saleh nous emmène à Sulav où une fois de plus on se gave de qozî (mouton + riz et soupe de haricots et ratatouille etc). Là, on recroise Yasin, accompagné de trois bambins. Puis on redescend au motel, profitant du soleil de cinq heures qui dore les montagnes et la ville. Allez, demain, il fera beau très tôt et ce sera bon pour prendre la route de Barzan.




amedî




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Amedî




samedi, avril 25, 2009

Amedî : la Madrassa de Sheikh Nishanî



Visite à la petite madrassa seldjoukide au pied de la ville, celle dont on dit (légende ou non) que Meayê Cizirî y serait venu étudier ou enseigner. Le temps était gris, avec un scintillement argenté sur le vert tendre des montagnes qui leur donnait une lumière d'extrême-orient. Roxane rale toujours sur les temps nuageux à cause des photos mais moi j'aime beaucoup les ciels gris, tourmentés au-dessus des montagnes et les nuages qui font des ombres chinoises dessus. Le lieu est beau, apaisant, presque encore habité.





Il y avait des petites cellules, étroites, avec seules des niches à livres taillés dans les murs. C'est peut-être toutes ces générations de soufis énonçant leur zikr dans leur retraite qui donnent une bénédiction à ces lieux.


Assises sur les mastaba de pierre dans le vestibule du seuil, nous nous plaisions à imaginer que le Sheikh Nishanî s'y était assis, des siècles plus tôt. Je parlais à Roxane du voyage, intérieur ou non, du soufi, du murîd en route jusqu'au murshid arrivé. De cette errance alternée de longues retraites immobiles et méditatives qu'ont pratiquée tant de derviches ou de gnostiques. Au bout du voyage, soi-même. Qui se connaît, connaît son Seigneur, mais le maître mot de tout cela est bien l'inattendu ou, comme le dit Jambet, le "réel ignoré", c'est-à-dire le surgissement du soi caché, ne pouvant survenir que dans l'insouciance sans but fixe de l'inattendu. Mais si quêter l'inttendu amenait, sur le chemin, à buter sur un maître de l'Attendu ? En refusant l'enseignement de l'Attendu et du Vouloir, je refuserais aussi cette station singulière de mon parcours, et donc je trahirais la règle de l'inattendu. Si j'accepte ce surprenant maqam, je prends donc la voie qui est le plus éloignée de mes pas initiaux. Ainsi, par acceptation de l'inattendu je me plierais à l'attendu, lui-même soumis soudainement au jeu de l'inattendu. Oui, je sais, par étonnant que parfois, rêvassant à tout ça, je me prenne les pieds dans les cages à perdrix du réel...



Amedî



vendredi, avril 24, 2009

Amedî

Pourquoi Amedî


En juillet 1994, je débarquais pour la première fois à Amedî, avec d'amusantes pérégrinations dans un Kurdistan d'Irak tout juste libre, sous embargo et en pleine guerre civile (disons que là c'était officiellement la trêve mais ça se battait encore, à Erbil ou Shaqlawa). Après des tas de pierres (villages en ruines) ou des villes sans beauté (Erbil, Duhok, presque un village à l'époque ou Salahaddin), Amedî joyau couleur de perle dans un écrin d'émeraude. Une ville magique, tout de suite. ça ne s'explique pas, les coups de foudre. Déambulant dans ces ruelles pavées, entre ces maisons intactes, j'ai eu comme une vision : j'étais arrivée chez moi. Enfin non, pas encore arrivée, mais je savais que j'y arriverai, c'était là, dans un temps proche ou lointain, mais déjà là, simplement en aval. Le fait qu'ensuite j'ai attendu 2007 pour y retourner, après avoir aimé Alep, Afrin, Cizîr, Diyabakir, etc., n'a pas changé cet état. J'ai eu, depuis d'autres visions de moi à Amedî, sous la neige, par exemple, je ne sais quand ça arrivera, mais ça arrivera, c'est ça le vrai voyage, avancer vers une arrivée qui existe déjà.




Je me souviens de mon extase devant la porte de la Citadelle. Alors en pleine période seldjoukide à l'Ecole du Louvre, j'étais scotchée devant les dragons ou queues de dragon de toute la Djézireh. Le panneau sculpté dans la roche, sur la gauche était beaucoup plus visible alors, j'y avais clairement vu, je crois, un guerrier, avec tunique assez longue, fourreau d'épée, affronter je ne sais quoi, sans doute un dragon.

Je me souviens aussi d'une scène assez comique quand, devant la moquée, photographiant consciencieusement tous les détails du minaret de l'extérieur, j'avais voulu entrer dans la cour, mais exceptionnellement j'avais oublié le foulard acheté à Diyarbakir deux ans plus tôt, que je promenais toujours dans mon sac, à l'usage des visites de mosquées, justement. Là, le bâtiment ne m'intéressait pas, je savais qu'il n'y avait sans doute rien dedans. Il y avait un imam à l'entrée et je m'étais soudain avancée vers lui, pour lui expliquer, dans mon kurde un peu guindé de l'INALCO, c'est-à-dire très "prince Kamuran Bedir Khan", que j'avais oublié mon foulard, mais que je demandais seulement la permission d'entrer juste de quelques pas dans la cour, pour photographier l'autre face du minaret, que je ressortais tout de suite après. Il avait eu un air si stupéfait, que je ne sais même plus s'il avait répondu quelque chose d'articulé, seulement opiné en me laissant passer. Plus tard, en y resongeant, je m'étais dit que l'apparition d'une ado visiblement occidentale (à l'époque où les étudiants de l'INALCO mis à part, comme Occidentaux civils, on ne voyait guère que des ONG, des journalistes, le personnel de l'ONU et des espions en tous genres) vêtue en jean et chaussée de tennis (j'avais 29 ans mais les Kurdes m'en donnaient 13 de moins), débarquée de nulle part dans la cour de sa mosquée, et s'adressant à lui poliment en kurde, un apapreil jetable à la main, avait quelque chose d'ébahissant... J'ignore si sa mâchoire s'est raccrochée après mon passage.

Bref Amedî, j'ai pris mon temps pour y revenir, mais j'y reviens et ce n'est pas moins qui m'obstine, c'est le vent dans mes voiles.

Balade toute la journée, cette fois au grand soleil et sous le vent de printemps. Pris plein de photos en espérant en choisir une qui remplacera celle de 2007, dont je commence sérieusement à me lasser. La porte de la Citadelle se dégrade terriblement, par contre. C'est aussi le rendez-vous des ados venus consommer tranquillement glaces et sodas, mais hélas, la culture du "on ne salit pas un bel endroit derrière soi" touche très peu les Kurdes, de sorte que le porche a des relents de latrines. Certains, de nuit, ne doivent pas venir y consommer que des pepsi...

Il y a trois monuments qu'en 15 ans j'ai vu s'abîmer à la vitesse grand V : Les sculptures artoukides de la muraille de Diyarbakir, Mardin et ses belles maisons syriennes, et la porte de la Citadelle à Amedî.


jeudi, avril 23, 2009

Amedî

Départ le matin pour Sersing, parce que, au vu de ce que nous avions constaté en 2007, les hôtels à Amedî, c'est pas ça... J'avais la vague idée que Sersing pouvait avoir quelques établissements et, après l'enquête du Pîr qui "ne savait pas mais pouvait demander" nous avions eu confirmation qu'à Sersing il y avait des motels. Dans quel état de crasse ou non et à quel prix, telle était la question... Déjà que les nuits passés contre notre gré au Sham ont bien lessivé notre budget...

Nous quittons donc Duhok sous un ciel gris et avec de la poussière qui se forme déjà. La poussière, cette année, c'est quelque chose. Déjà à Duhok nous avons vu la ville disparaître sous un brouillard jaune à ne pas voir à 10 mètres devant soi.

A Sersing, les motels indiqués par le juge ami du Pîr au Pîr existent bel et bien mais sont fermés. Super. On en découvre un autre en ville, pas fermé celui-ci, mais dans les 100 000 dinars, pas très net avec une odeur d'humidité et de crasse pas très engageante. On décide de tenter le coup à Amedî, avec ce motel dégueulasse que Roxane avait testé en 2005. Pour le même prix et la même saleté, autant être sur les lieux.

Arrivée à Amedî, Roxane veut aller au PDK, qui semble être un bureau touristique assez fiable. Nous sommes alors accueillies par un responsable qui n'était pas là en 2007, Yasin, très gentil et qui nous trouve par téléphone un motel en bas. Après les bavardages d'usage, le café servi "parce que les Français aiment le café", et une discussion sur les vins de France et leur bon usage, nous descendons au motel avec un de leur chauffeur. De prix raisonnable, 65000 dinars, grand, propre, pas mal. La seule difficulté est que c'est au bas d'Amedî, alors pour les transports... Mais nous découvrons très vite que le covoiturage marche très bien ici. Il suffit d'agiter la main devant une voiture vide pour qu'elle vous charge obligeamment, avec les inévitables questions de gens curieux qui ont peu l'habitude de voir des touristes.

Remontant donc en ville, on se promène le reste de la journée dans un fog jaune, qui fait très gaz moutarde. Bientôt on ne voit plus du tout les montagnes. Le taxi du PDK nous remonte, on ne sait pourquoi, au quartier chrétien, ce qui nous fait un point de départ pour visiter. L'église du Matran est toute petite par rapport à la grande, certes inachevée, de Kwane. Pas de 4/4 blanc en vue, donc on suppose que le maître des lieux est à Erbil ou en vadrouille. La poussière épaissit, on se croirait dans une ville-fantôme du Far-West, mais nous réussissons, presque à l'aveuglette à dégotter en deux heures non pas le saloon mais LA boutique d'Amedî où on vend de l'alcool. C'est-à-dire que faisant nos courses dans une épicerie, et bavardant avec un des garçons qui tient la caisse, celui-ci nous informe qu'il vient d'Allemagne. Alors là, aucune hésitation, on va se comprendre : "On peut acheter de la bière ici ?" Il opine tout de suite et nous conduit devant une enseigne Tuborg, puis dans un couloir, une petite échope qui propose pas mal de bière, du vin français, des apéros, des alcools plus durs. Ben voilà, fallait juste demander. On prend 4 canettes et on refait du stop jusqu'en bas. L'électricité se coupe dans la nuit, et va redémarrer assez tard le lendemain. Amedî, ça va être très peu d'écriture, pas d'Internet, et de la lecture tant qu'on a de la lumière. La vie sauvage ou presque, mais tout ce qu'il faut espérer, c'est que la poussière se lève demain.

mercredi, avril 22, 2009

Duhok : HIV, HC, HBs... ou pas ?

Déjà le retour obligé à Duhok, rien que pour cette histoire de visa, nous gonflait un peu. Mais nous n'avions pas encore tâté des joies de la bureaucratie sanitaire kurde. Le chauffeur de taxi qui nous avait amenées, via le centre Lalesh, a à peine présenté les deux passeports par la fenêtre de la guérite-guichet qui s'occupe des premiers formulaires, qu'il se tourne vers nous et explique qu'il faut aller à l'hôpital pour des examens sanguins. Hein ??? De leurs explications confuses je comprends qu'il faut faire des dépistages sanguins, pour avoir un visa d'un mois. Pas dur de deviner de quel dépistage il s'agit et je me demande quel est l'abruti de ministre ou de député qui a eu cette idée géniale à faire passer... Déjà, l'idée que le SIDA ne viendrait que des ressortissants étrangers (en fait des Natacha importées, qui ne sont JAMAIS Kurdes, comme chacun se doute)et pas du tout des Kurdes mâles qui, c'est bien évident, ne vont jamais aux putes quand ils sortent du pays... Mais en plus, c'est complètement absurde d'imposer ce genre de formalités au bout de dix jours, c'est à dire presque à la moitié d'un séjour ! En gros, on peut avoir le SIDA, la syphillis, toutes les hépatites en cours et l'herpès en prime, coucher avec tout le Kurdistan pendant dix jours, ce n'est qu'ensuite que l'on se fera reconduire à la frontière. "Ah, les bourrins !" ne cesse de répéter Roxane. Brillante idée pour encourager le tourisme, pas à dire, d'imposer à une brouettée de vacanciers la visite obligatoire et prise de sang à l'hôpital... On ne décolère pas devant tant de connerie, qui va tellement à l'encontre de l'intérêt du pays... et contre Saywan, même pas fichu de se renseigner sur les règlements sanitaires du pays dont il exerce tout de même les fonctions consulaires. Si encore ils demandaient le certificat à l'entrée du territoire, passe encore. Après tout, on a toujours le choix de dire oui ou non à un séjour. Mais en plein milieu de voyage, c'est d'une bêtise affligeante. Ils ne sont pas près de voir arriver Nouvelles Frontières...

Le centre de prévention-dépistage est un peu difficile à trouver pour le taxi (peu de Kurdes de Duhok ont dû le fréquenter, puisque le SIDA c'est seulement une spécialité étrangère, comme chacun sait). On finit par arriver dans une petite salle d'examen, où une femme, assise devant une table, avec des bocaux remplies de seringues pas du tout sous emballage stérile, juste couvertes de leur capuchon, nous attend. Roxane fait remarquer que si on n'a pas encore le SIDA, c'est peut-être un bon moyen de l'attraper avec leurs aiguilles. Au moins l'hépatite ou une quelconque saloperie nosocomiale, ou bien le tétanos ou la septicémie. Bref, on refuse tout net en expliquant qu'on veut des aiguilles "propres" (ne sachant pas dire "stérile" en kurde, j'ai dit paqij et ils ont très bien pigé). Un interne arrive, peut-être alerté par la discussion, et dûment averti par la dame piqueuse de nos réticences d'Occidentales effarouchées pour un rien, lui fait sortir d'un tiroir des seringues sous emballage stérile, que l'on réserve visiblement pour les patients les plus râleurs ou les plus au fait des normes d'hygiène. Evidemment que l'illettré de base n'a guère les moyens de se défendre. L'égalité des soins, n'est-ce pas...

Vu l'absence de compréhension de la "piqueuse" (j'ignore si elle est infirmière ou non) devant nos réactions un peu dégoûtées à la vue de ses rassurantes aiguilles, je m'attends à une brute qui va louper six fois la veine. C'est presque tentant de la faire moi-même cette prise de sang, et de me charger de Roxane aussi. Vaillamment j'y vais la première et Roxane s'amuse à tout prendre en photo, les bocaux, moi, bras tendu et oeil mauvais braqué sur la dame, guettant le moindre faux pas qui va déstériliser l'aiguille qu'elle est en train de sortir. Garrot passé autour du bras, à peine serré, ce qui m'étonne, car je ne vois guère l'efficacité d'un garrot pas serré., d'autant plus qu'elle me demande de desserrer le poing. Elle fait remarquer d'un air rassurant que ma veine est très visible, ce qui n'augure rien de bon car les veines sûres à piquer sont celles que l'on sent sous les doigts, pas forcément celles que l'on voit... M'enfin, j'avais tort de m'en faire car, lorsqu'elle enfonce l'aiguille, je suis étonnée de ne rien sentir... à peine une piqure de moustique, et lorsqu'elle retire l'aiguille et me tamponne la pointe rouge avec un tampon d'alcool (envie de lui dire que l'alcool ne sert à rien, j'aurais préféré un bon vieux coup de DAKIN), je m'aperçois qu'en fait elle n'a pas piqué dans la veine. Seulement à côté. Prendre du sang par une une sous-cutanée, bizarre, j'avais jamais vu ça, mais après tout, je ne suis pas assez versée en virologie pour savoir si c'est aussi fiable qu'une intraveineuse.

Roxane, qui en photographiant tout ça, se sent les jambes flageoler, y passe à son tour. Même aspiration sanguine par sous-cutanée. On paye je ne sais plus combien, mais c'est pas donné, et dans le bureau, je regarde de quoi il est question : HIV, rien d'étonnant, HBs et HC. HC ça doit être l'hépatite C, HBs c'est quoi ? (plus tard, en vérifiant, je vois qu'il doit s'agir de l'hépatite B. Donc, il est parfaitement légal de refiler la syphilis à tout le Kurdistan, mais pas l'hépatite).

On ressort de là pas très jouasses, en nous interrogeant en plus sur la fiabilité des résultats, promis le lendemain matin. Tous les scénarios possibles sont passés en revue : résultats négatifs mais, si ça se trouve, pas du tout fiables, résultats positifs,qui imposeront une reconduite à la frontière, et quelques semaines de suspens en France pour bien revérifier les résultats, qui, si ça se trouve, s'avéreront ensuite négatifs, donc un séjour manqué pour rien, bref, de quoi mettre de bonne humeur en vacances. Je n'aimerais vraiment pas apprendre au Kurdistan que j'ai le SIDA. Ce n'est pas mourir qui m'embête, plus tôt ou plus tard, on n'est jamais que suspendu entre deux éternités, mais pas maintenant, pas pour me voir priver de plus de deux semaines encore de Kurdistan ! Là oui, je l'aurais mauvaise. D'ailleurs, qui aimerait apprendre ça à l'étranger ? Des bourrins, on vous dit, dénués de toute psychologie... Et puis, comme jusqu'ici, hormis l'hôtel, nous n'avons créché que chez des évêques, si c'est pour nous prévenir des activités de sex-workers à risque, on se demande lequel des deux fait figure de maquereau aux yeux des autorités : Monseigneur Rabban ou Mar Patros ?

Enfin, le lendemain, il a fallu retrouver le centre. Parce que bien sûr, ces neuneus ne nous avaient pas donné de papier avec l'adresse, ni même de reçu pour le paiement. Cette fois-ci, c'est un peshmerga de Lalesh, obligeant et de très bonne humeur, qui se colle une enquête dans toute la ville, d'hôpital en hôpital, pour savoir à quel endroit nous attendent les résultats. Il finit par trouver, après avoir été promené de centre en centre. On retrouve enfin le bon, on attend devant le bureau (encore fermé). Puis à 11h il s'ouvre et le peshmerga, confiant dans les passe-droits que lui confère et son uniforme et notre statut de Françaises (à moralité douteuse, peut-être, mais tout de même), grille la file et nous fait entrer dans le bureau, où le bureaucrate de la veille est en train de gribouiller quelques notes sur nos formulaires, oublie de me réclamer la photo que je lui avais promise la veille (ou bien ce n'était plus utile) et ferme les papiers dans une enveloppe cachetée tamponnée, que seule la préfecture aura le droit d'ouvrir je suppose. Je laisse un temps, pour être sûre qu'ils sont bien aussi débiles que je suppose. Hé oui, pas de déception. Je claironne donc à la cantonnade (parce qu'ils étaient au moins dix dans ce bureau, histoire de bien garantir la confidentialité des dossiers médicaux ) : "Bon alors, on est malade, ou pas ?" Il relève la tête, étonné, puis éclate de rire, comme tout le bureau, en assurant que non, non, pas de problème. Les deux ? Pour les deux, tout va bien. Je me demande quand même si, au cas où un touriste serait positif de quelque chose, ils ne seraient pas capables de l'envoyer à la préfecture, pour lui faire apprendre de la bouche d'un policier que non on ne lui donne pas le visa, après ouverture de l'enveloppe, car il y a un problème, voyez-vous... Décidément de grands psychologues...

Enfin munies d'un certificat de bonne santé qui nous donne le droit de nous prostituer dans tout le Kurdistan, nous repartons vers la préfecture. Encore deux bonnes heures de formalités, surtout d'attente, de formulaires remplies de façon très fantaisiste, car les policiers et fonctionnaires kurdes déchiffrent les passeports européens aussi mal que les Turcs, cherchant toujours, perplexe, le nom du père dans tout ce galimatia... Pour finir on a nos visa prolongés... jusqu'au 22, ce que nous ne demandions pas, allez comprendre. Voilà, nous pouvons donc nous lancer jusqu'au 22 mai dans des activités torrides.

Ayant, avec tout ça, loupé le défilé festif des yézidis de Sharra, qui devait avoir lieu dans la matinée, nous sommes tout de même conviées à déjeuner chez un Sheikh. Nous pouvions nous en passer, mais les Kurdes se feraient hara-kiri s'ils ne vous avaient pas au moins une fois à déjeuner ou à dîner. Va pour le déjeuner. Naturellement, arrivées au village, avec le peshmerga, tout le monde a déjà mangé, et on nous attable pour 4, avec le peshmerga et le chauffeur du Pîr, venu de je ne sais où. Devant la table bien garnie, je reste debout un moment, semblant vaguement attendre quelque chose, et croise soudain le regard de Roxane qui, de même, ne s'assoit pas immédiatement. On comprend alors instantanément, dans un fou rire, que, bien dressées par nos évêques, nous attendions, par habitude, le benedicite ! Décidément, ça s'attrape vite, la piété, Roxane ferait bien de se méfier.

Après déjeuner, retour au Sham Otel, qui ne s'étonne plus de nous voir partir le matin avec tous nos bagages pour revenir le soir. Passage à l'Internet Café, ponctué de coups de fil du Pîr qui, nous ayant loupées à la fête, tient à ce que nous dînions, avec sa femme, dans un restaurant de Duhok. Je connais trop ces dîners un peu emmerdants avec bobonne, donc moraux, donc arrosés d'eau ou de soda, où il ne s'agit que d'enfourner un kebab en silence, les Kurdes ne pratiquant guère la conversation à table. Tout de même dégusté un très bon poisson, nommé chopra. A part ça, le Pîr nous a fait un running-gag quand, à chacune de nos questions, par exemple sur l'existence ou non de motels à Sersing, il répondait invariablement : "Je ne sais pas.... Mais je peux demander !" Le clou fut quand Roxane lui a demandé s'il y avait encore des fêtes yézidies ce mois-ci. "Je ne sais pas; Mais je peux demander !" répète-t-il d'un air tout aussi zélé et entendu. Difficile de réprimer un fou-rire. Il est quand même Pîr ! Un peu comme si nous avions interrogé Rabban sur les dates de Pâques et qu'il nous avait dit, du même air peu concerné : "Je ne sais pas, mais je peux demander !"

Enfin, le Pîr appelle un ami "juge" de Sersing pour se renseigner sur les motels de Duhok. On lui assure qu'il y en a. A vrai dire, je me méfie un peu des renseignements des locaux sur des infrastructures touristiques qui ne les concernent pas du tout, eux n'allant jamais à l'hôtel dans leur ville. On verra bien demain. Mais vraiment, tout plutôt que de rester à Duhok, et puis nous nous rapprochons d'Amedî, bien que sans nouvelles de Rabban, mais là-dessus, les promesses d'évêques kurdes, hein...

Petite nouveauté, au cours de la nuit : réveil à 4h par l'appel à la prière. Jusqu'ici, c'était les cloches de la messe qui nous tiraient du sommeil à l'aube.

vendredi, avril 17, 2009

Zakho-Levo-Mergasur-Pireke

Le centre Lalesh nous trouve donc obligeamment un taxi qui négocie un prix honnête pour Zakho : 25 000 dinars. Arrivée à l'évêché où on attend le Mar de ces lieux, en déplacement dans un village avec ses invités. Le bâtiment avait subi un incendie il y a quelques mois, mais on n'en trouve pas trace. On y retrouve le même confort un peu cossu, un peu ostentatoire (à l'image de ce qui correspond au « chic » vu du Kurdistan).

Patros finit par arriver, nous embrasse et nous entraîne tout de suite déjeuner en nous assurant que « nous » devons sûrement avoir très faim. De fait, sa table est toujours aussi bien garnie, et il nous est tout de suite proposé une bière car il n'est jamais question de dire le benedicite pour un repas arrosé d'eau claire. Après tout, le premier miracle de Notre-Seigneur ne fut-il pas de changer l'eau en vin ? Bref, s'attabler d'un évêché à l'autre, c'est passer de la table d'Epicure à celle de Lucullus. Mais comme il me manquait déjà, le murshid de Kwane... autant se réconforter avec ce qu'on a dans son verre et sursum corda !

L'après-midi, on disparaît deux heures dans un Internet café commencer à bloguer sur les premiers jours à Ankawa. Il y a déjà pas mal de retard pris au jour le jour et en raison des pannes de courant qui nous obligeront à économiser la batterie du portable pour les photos de Roxane, plus les endroits sans Internet (et souvent les deux cumulés), ce retard ne va cesser de s'accentuer tout le mois.

Le soir, au dîner, les hôtes du Matran de Zakho nous ont été présentés : trois prêtres autrichiens, venus pour Missio Austria, s'occuper des chrétiens réfugiés à Zakho. Plutôt pas méchants, voire sympathiques, peut-être un peu étonnés de notre présence ici, s'enquérant un peu de ce que l'on fait ici, et de notre parcours, ce qui ne fait pas baisser leur étonnement. Il y en a même un qui, me questionnant sur mon curriculum vitae et mes aptitudes dans la vie, avait l'air de parler à une extra-terrestre. Je me demande vraiment pourquoi. En tout cas, eux non plus ne calent pas sur la bibine, pas plus que leur interprète-accompagnateur. C'est à croire qu'il y a, présentement, UN seul chrétien sobre au Kurdistan. Comme ils avaient amené de je ne sais où une bouteille d'Ouzo ça nous a permis, à Roxane et moi, d'en regoûter après des années et de faire de savantes et consciencieuses comparaisons avec le raki. Verdict : c'est pareil.


Eglise de Levo

Le lendemain, fraîches et disposes (l'un des Autrichiens était un peu vaseux au petit-déj' et la tourista n'en était peut-être pas la cause) nous partons avec Patros pour le village de Levo, célébrer une messe en l'honneur de la fête de Levo (qui doit être un saint chaldéen), laquelle est aussi la fête des villages voisins de Mergasur et de Pireke. Donc les habitants des deux derniers villages sont venus aussi en car, assister à la messe et banqueter en plein air. La messe fut courte et sans accrocs, car, comme il n'y avait pas de communion et comme Patros ne bouge pas de l'autel, Roxane n'a pu bloquer personne. Après le repas, où tout le monde circule et se sert, mangeant debout, sur les tables chargées de plats installées sur la place, nous retrouvons Patros qui nous rembarque dans son 4/4, direction les villages de Mergasur et de Pireke, qui n'ont pas eu la messe mais auront au moins une visite de courtoisie de la part de leur évêque.




Les visites avec Patros se déroulent invariablement de la même façon : tout le monde descend de voiture, il va s'installer avec les notables entre une tasse de thé et même de l'herbe (oui, au Kurdistan il y a des herbes bonnes à manger dont on mâchonne les tiges, un peu comme un panda se régalant d'un bosquet de bambous, ce qui fait qu'un étranger de passage, ne connaissant pas la table de l'évêché, se dirait, de loin, qu'un évêque kurdistanî ça ne coûte pas cher à nourrir : juste un peu de fourrage suffit).



Nous, après de rapides salutations, partons nous promener, les appareils en main (Roxane) et le sac photo sur l'épaule (moi, qui sers en plus de distributeurs à clopes et à bouteilles d'eau) Quant à la tête, pour écrire, elle fonctionne toute seule en marchant, pas besoin de bloc-notes). Après une heure, voire plus, nous revenons vers Patros et les notables, resalutations, rebonjour, je goûte même de l'herbe à évêque, et puis on repart vers un autre village, jusqu'au soir, saoules de verdure, de soleil, de vent, de fleurs. C'est la belle saison du zozan à Zakho, nous avons même rencontré des nomades et leurs troupeaux.



Le soir, Patros reçoit ses visiteurs et nous flânons dans l'évêché. Passant devant la porte ouverte de son bureau, nous voyons deux prêtres chaldéens et, pour une fois curieuse des gens, je tourne la tête tout en avançant, pour voir qui c'est, et je me retrouve soudain à me prendre les pieds dans les cages des perdrix que Patros élève, et qui sont alignées contre le mur du couloir, juste en face de son bureau, avec leur eau, leurs graines et leur lait. Me voilà à plat ventre, étalée entre deux cages de volatiles, lesquels gloussent d'effarement... Roxane est morte de rire, moi aussi d'ailleurs, et dans le bureau règne un silence de mort, ni Patros ni les deux visiteurs ne voulant avoir l'air d'avoir entendu quelque chose (en gros, ils devaient faire la tête de Rabban quand Roxane lui bloque sa messe). Pour finir, le jeune chrétien qui sert d'intendance à l'évêché accourt aussi et tout aussi plié de rire, me fait signe qu'il va réparer les dégâts. Quant à moi, je sors sur les marches du perron pour m'éclater à mon aise en me disant que les conseils du Matran d'Amadiyya sur le devoir de « regarder » les gens, il valait mieux que je les oublie. Dès que, dans la vie, je regarde autre chose que mes pieds, c'est tout de suite, autour de moi, le carnage et la dévastation. On va décider que pour garder intact le Kurdistan (en tout cas ses évêchés) je vais repasser en mode absent dans le Na-Koja-Abad, c'est moins dangereux...

Le lendemain, nous devons repartir pour Duhok, afin de régler rapidement (croyions-nous) cette histoire de visa à prolonger.

Concert de soutien à l'Institut kurde