lundi, mars 30, 2009

SYRIE : NEWROZ MEURTRIER ET ATTEINTES GRAVES A LA LIBERTE D’EXPRESSION


Le parti kurde Yekitî (Unité) a, dans un communiqué, annoncé l’arrestation de 26 de ses membres lors d’une manifestation silencieuse, le 28 février dernier, dans la ville kurde d’Al-Jazira, pour protester contre le décret 49, nouvellement promulgué, qui interdit à tout habitant de régions « frontalières » soit les régions kurdes, d’acheter, de louer ou de construire sur leurs terres. La mesure a affecté gravement toute l’économie du Kurdistan de Syrie, et les Kurdes y voient une reprise sournoise du plan d’arabisation de leur région, plan « gelé » mais non abrogé depuis les années 1970. La réaction des services de sécurité a été quasi-immédiate. Dix minutes après le début de la manifestation, 26 participants ont été arrêtés et emmenés en détention. Yekitî a également fait état, tout le mois, d’actes de répression contre les manifestations au Kurdistan de Syrie.

Le 12 mars, 30 étudiants d’Alep ont voulu commémorer le 5ème anniversaire des victimes de la répression du Newroz 2004 à Qamishlo. Ils ont été arrêtés et l’on reste sans nouvelles de 4 d’entre eux, Bahzad Muslim, Kawa Deqo, Alan Hussein et Abdi Rami. Le 16 mars, deux Kurdes ont été enlevés par les services secrets dans les rues de Damas, la capitale, et l’on est également sans nouvelles sur leur sort. Il s’agit de Fouad Hassan Hussein, né en 1982, originaire de la ville de Durbassia et Maher Hussein, un étudiant en géographie à l’université de Damas.

Mais le point culminant de la répression contre les Kurdes de Syrie reste toujours le moment du Newroz. Cette année, des leaders politiques kurdes avaient été avertis par les autorités qu’ils ne devaient pas se rendre aux fêtes de Nouvel An, tel Abdul Hamid Darwish, le secrétaire du Parti progressiste démocratique kurde et Ismail Omar, secrétaire général du Parti de l’union démocratique kurde, qui ont déconseillé à leurs partis de participer aux manifestations, tandis que d’autres mouvements kurdes encourageaient au contraire leurs membres à ne pas céder à l’intimidation. Le 20 mars, six personnes ont été arrêtées à Hassaké, dont Suleman Oso, un dirigeant du Bureau politique du parti Yekitî. Il préparait avec d’autres Kurdes les célébrations de Newroz quand une centaine d’officiers de policiers et de l’armée ont surgi, faisant détruire l’estrade à coups de bulldozer. Parmi eux, les Kurdes présents ont reconnu le général Yassar Selman al-Shofi. Dans d’autres villes, telles Turbaspi, Amude, Dêrik, Koban et Romelan, les estrades prévues pour la célébration, ont été également détruites. Dans les quartiers Sheikh Maqsud et Ashrafié à Alep, 10 000 agents de police et de sécurité ont été déployés le soir du 20 mars et ont arrêté 120 Kurdes, qui avaient allumé des bougies de Nouvel An, frappant et insultant les participants, dont des femmes. Dans la ville de Sereqaniyeh, un adolescent a été arrêté, deux personnes à Amude et à Dêrik, un groupe d’enfants battus et emmenés par la police.

Mais les incidents les plus graves ont eu lieu à Qamishlo, quand les forces syriennes ont tiré sur la foule, faisant trois morts. Les victimes sont âgées de 18 à 25 ans. On compte aussi plusieurs blessés. Joe Stork, directeur du département Moyen-Orient de Human Rights Watch a condamné ces actes de violence : « les officiels syriens doivent justifier de la raison pour laquelle les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une fête kurde. Ceux qui se sont rendus coupables inutilement d’actes de répression mortels doivent être traduits en justice. » Des témoins ont raconté à Human Rights Watch qu’environ 200 personnes s’étaient rassemblées dans une rue de la partie ouest de Qamishlo, vers 18h30. Ils ont allumé des bougies des deux côtés de la rue et un feu de joie au milieu, autour duquel ils ont entamé une danse traditionnelle kurde. « C’était une célébration de Newroz, pas une manifestation politique » a affirmé un de ces témoins à l’organisation de défense des droits de l’homme. Des pompiers ont alors surgi pour éteindre le feu tandis que des agents de police et des officiers en civil lançaient des gaz lacrymogènes sur les manifestants et tiraient en l’air à balles réelles pour disperser la foule. Deux témoins ont rapporté à Human Rights Watch que, lorsque les manifestants ont refusé de se laisser disperser, des individus en civil, conduisant un pick-up blanc, d’un modèle couramment utilisé par les services secrets, ont tiré sur la foule avec des fusils : « Sans aucune sommation, ils ont ouvert le feu au sol et des balles ont «été tirées sans discernement. » Les raisons qui ont amené les forces de sécurité à tirer sur la foule ne sont pas élucidées. Selon les trois participants s’étant exprimés auprès de Human Rights Watch, aucun des manifestants n’était armé, ni n’a usé de violence. L’agence Reuters a rapporté qu’un habitant de Qamishlo aurait fait état de jeunes gens brûlant des pneus et jetant des pierres sur les policiers, mais Human Rights Watch n’a pu confirmer cette version. Quant aux autorités syriennes, elles ne se sont pas exprimées sur l’incident. « Les autorités syriennes sont peu crédibles quand il s’agit d’enquêter sur leurs propres méfaits » explique Joe Stork. Pour désarmer les sceptiques, ils doivent permettre une enquête transparente et indépendante. » Human Rights Watch rappelle que lors des manifestations, les forces de sécurité doivent se plier aux principes de base des Nations Unies sur l’usage de la force et des armes à feu. Ces critères internationaux recommandent aux officiers de police d’user de moyens non violents avant d’utiliser la force, qui doit toujours rester proportionnelle à la gravité des agressions. Les forces de sécurité ne doivent utiliser des moyens mortels que dans le seul cas où ils auraient à protéger leur vie.

La répression en Syrie concernant toute forme ouverte d’opposition, même pacifique, se fait aussi sentir contre les media. Ainsi, un rapport de The Institute for War and Peace sur la situation de l’information indépendante en Syrie livre un bilan mitigé sur la libéralisation dans ce pays : si, ces huit dernières années, le régime baathiste a autorisé un certain nombre de media privés, les limitations sévères au droit d’expression ne se sont pas assouplies. Auparavant, le régime syrien avait exercé des décennies durant un monopole absolu sur les services d’information, et seuls les chaînes télévisées et les journaux d’Etat étaient admis. Après la venue au pouvoir de l’actuel président Bachar al-Assad, une nouvelle loi de la presse avait été adoptée, en septembre 2001, qui légalisait les média indépendants.

Aujourd’hui, on dénombre environ 150 journaux et magazines non gouvernementaux dans le pays. Mais, selon Ahmed Khalif, un avocat exerçant à Damas, la presse non-gouvernementale n’a guère de possibilité de traiter librement de questions politiques, ou bien concernant les droits de l’homme et les questions de société. Les auteurs d’articles dérangeant pour les autorités sont systématiquement en butte aux arrestations et aux peines de prison, s’ils abordent des sujets tabous tels que la violation des droits de l’homme, les échecs de la politique gouvernementale et même le coût de la vie en Syrie. « Quel genre de media indépendants » pouvons-nous avoir, du moment que celui qui tient un stylo peut être bloqué sans raison évidente ? Si les journaux indépendants ne peuvent débattre de la construction de l’Etat syrien, pourquoi existent-ils ? » La loi sur la presse est en effet très restrictive et peut entrainer des sentences d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans pour des journalistes ou des programmes télévisés jugés « menaçant pour la sécurité nationale » ou « insultants » pour l’Etat. Des dizaines de journalistes et d’écrivains syriens ont ainsi été persécutés ces dernières années et leurs cas sont régulièrement dénoncés par les défenseurs des droits de l’homme. La généralisation d’Internet a également fait naître une nouvelle catégorie de prisonniers d’opinion : les bloggeurs et les webmasters. On dénombre aujourd’hui plus de cent sites dont l’accès a été bloqué en Syrie, et qui traitaient de problèmes politiques, sociaux, économiques. Selon Reporters sans frontières, ce pays est classé parmi les plus répressifs envers la presse du web. Habib Saleh, âgé de 61 ans, journaliste sur Internet, a été ainsi arrêté l’année dernière pour avoir écrit des articles visant à « affaiblir le sentiment national » et pour « incitation à la guerre civile et religieuse ». RSF a appelé à sa libération, ainsi que celle de quatre autres cyber-dissidents également détenus : Firas Saad, Tariq Biassi, Kareem Arabji et Hammam Haddad. L’organisation fait état également de sept jeunes gens emprisonnés depuis trois ans, pour avoir créé un groupe de discussion sur Internet (forum) et avoir posté des articles critiques envers le gouvernement.

Des analystes estiment que les autorités syriennes tentent désespérément de stopper le flot d’information et d’opinion déferlant sur Internet et sur les chaînes télévisées, et a recours pour cela à l’intimidation des journalistes en les poussant à l’auto-censure et en les privant d’accès à l’information. Omar Kosh, un journaliste vivant à Damas évoque ainsi les conditions de travail très difficiles qu’il rencontre, ainsi que ses confrères, en raison du manque total de transparence de la part des autorités. Ainsi, le gouvernement a récemment interdit à la banque centrale syrienne d’accorder une quelconque interview ou de permettre la moindre enquête de la part des media, car il était irrité de la façon dont ceux-ci couvraient les problèmes économiques du pays. Interdire l’accès à des meetings officiels, par exemple, est un moyen courant de « punir » un journaliste qui aurait déplu au régime. Les journaux peuvent être tout simplement interdits. Ainsi, Al-Domri, le premier journal libre depuis l’avènement du Baath en Syrie, en 1963, fondé en 2000 a dû cesser ses activités en 2003, officiellement parce qu’il n’avait pas fait les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa licence, mais des observateurs locaux affirment que la véritable raison est que le journal a parlé de la corruption au pouvoir, autre sujet tabou.

Les télévisions n’échappent pas aux représailles. Ainsi, la chaine satellite privée Sham, qui émettait depuis 2006 de Syrie a été interdite 8 mois plus tard, et a dû se délocaliser en Egypte. D’autres chaînes réussissent jusqu’ici à survivre en jouant un jeu ambigu entre le pouvoir et leur rôle de media libre. Ainsi, la chaîne Dunya se plaint ouvertement des pressions exercées par le ministère de l’Information, en revendiquant une position neutre : « Nous sommes une chaîne de télévision et non un parti politique », déclare l’actuel directeur de Dunya, Fouad Sabarji, qui fut auparavant directeur à Al-Jazeera. Dunya a ainsi transgressé un des tabous de l’information en Syrie, qui évite de faire état de sérieux incidents ou de troubles agitant le pays, en couvrant une attaque suicide à la voiture piégée contre un quartier chiite de Damas. D’autres observateurs pointent, au contraire, les liens existant entre cette chaîne et le pouvoir, en rappelant, par exemple, la campagne vigoureuse que la chaîne avait lancé contre l’Arabie saoudite lors de l’offensive israélienne contre Gaza.

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