mardi, septembre 30, 2008

KHANAQIN CRISTALLISE LES TENSIONS ENTRE BAGDAD ET ERBIL


La crise entre le gouvernement de Bagdad et le GRK au sujet de Khanaqin ne s’apaise guère, allant jusqu’à des affrontements entre Kurdes et forces irakiennes, malgré les multiples rencontres entre les deux gouvernements et un accord provisoire. Le 1er du mois, une délégation kurde s’est rendue à Bagdad pour y rencontrer le Premier ministre Nouri al-Maliki. Les entretiens ont été qualifiés d’ « ouverts et de transparents » par Yassin Madjid, un conseiller en communication du Premier ministre, tandis que le député de l’Union islamique kurde, Sami Atroushi, avait exprimé le souhait que la délégation kurde puisse obtenir des résultats positifs, par la voie du dialogue, en écartant toute « option militaire », dans tous les dossiers sur lesquels Bagdad et Erbil sont en contentieux, et tout particulièrement celui de Khanaqin. De son côté, le président kurde Massoud Barzani avait appelé personnellement le Premier ministre irakien pour lui demander instamment d’éviter la crise qui couve sur place entre les deux forces de sécurité.
Le 5 septembre, la signature de l’accord était annoncée par les officiels des deux gouvernements : il était décidé que l’armée et les Peshmergas se retireraient conjointement, au profit de la police locale de Khanaqin, hormis un check-point qui serait partagé entre ces forces de police et les forces irakiennes. « Les choses retournent au point où elles étaient avant l’entrée des forces de sécurité irakiennes dans le district » expliquait le chef d’état-major de l’armée irakienne, le kurde Babekir Zebarî, dans une conférence de presse donnée avec le commandant des Peshmergas de Khanaqin, Mala Bakhtyar. Le général kurde, de par ses fonctions au sein de la Défense de l’Irak, s’exprimait au nom du gouvernement de Bagdad, tandis que Mala Bakhtyar le faisait au nom du GRK, ce qui donne la mesure de l’imbroglio politique du « partenariat kurdo-arabe » au sein du gouvernement central.
Mais les propos du général Babekir sonnent finalement de façon assez ambiguë car la situation « d’avant l’arrivée des forces de sécurité irakiennes » était bel et bien un contrôle kurde sur la région. De fait, l’application de cet accord, se heurte, sur le terrain, à la réalité des faits : La ville de Khanaqin, peuplé à 85% de Kurdes dont 97% sont de confession chiite, souhaite rester sous le contrôle des Peshmergas en attendant de pouvoir être réintégrée dans la Région du Kurdistan, comme l’a expliqué au Guardian Ibrahim Badjelani, un membre du Conseil provincial : « L’armée irakienne veut toujours entrer et les Peshmergas sont encore présents. Nous sommes tous sur la brèche. Si l’armée irakienne tente d’entrer sans un accord préalable, nous ne pourrons être considérés comme responsables des conséquences. »
Déjà, en juin 2006, le conseil municipal de la ville avait réclamé son rattachement au GRK. Ici, le message des bureaux politiques kurdes, tout comme celui du maire, Mala Hassan, est clair : il faut appliquer l’article 140, qui, par référendum, permettra le retour de Khanaqin dans les zones administrées par les Kurdes, comme l’explique à l’AFP le commandant des Peshmerga Mala Bakhtyar : « 
Notre message au gouvernement (irakien) est simple : Appliquer la Constitution et autoriser la tenue d'un référendum local d'auto-détermination. Si le gouvernement ne fait rien, il y aura des troubles politiques et des violences. »
Les Kurdes chiites ont été particulièrement visés par les persécutions de l’ancien régime et la majeure partie d’entre eux ont été déplacés de force dans les années 1970-1980. Leur retour dans cette ville date de 2003 et ils n’ont aucune envie de voir à nouveau les troupes irakiennes patrouiller dans les rues de la ville, qui a été libérée par les Peshmergas, comme le raconte Mala Bakhtyar : « Quand nous sommes arrivés ici, il y avait 36 militaires américains et pas de troupes irakiennes. Je suis venu à la tête de 4.000 à 5.000 hommes. Il n'y a pas de combattants d'Al-Qaïda ici, pas de violence. Pourquoi alors des troupes irakiennes? Le gouvernement central devrait nous remercier plutôt que nous demander de déguerpir! » Sommés de quitter ces districts du nord de la Diyala, les Peshmergas, forts du soutien de la population, refusent donc de quitter la place, et ne prennent leurs ordres que du gouvernement kurde, actuellement en négociation avec Bagdad.
L’animosité et la crainte des habitants s’expliquent aussi par les conditions de leur récent retour. Alors que les réfugiés de Kirkouk attendent encore, souvent dans des camps, d’être dédommagés ou relogés, les Kurdes de Khanaqin se sont réinstallés d’office, à la faveur de l’arrivée des troupes kurdes dans la ville, dans les habitations laissées par les colons arabes qui avaient pris la fuite, comme le raconte Mohammed Aziz, un professeur de mathématiques dont la famille avait été chassée de son village en 1975, alors qu’il n’avait que quatre ans : « Nos maisons ont été prises par les Arabes sans qu'on nous ait versé aucune compensation. Nous sommes revenus et avons pris une des maisons vides. Les Arabes d'ici avaient fui. ». Mohammed Aziz, qui avait dû résider dans la province chiite de Babylone pendant 30 ans, se dit à présent heureux de pouvoir élever ses trois enfants en kurde, de revenir « sur sa terre » et souhaite le rattachement définitif de Khanaqin au Kurdistan. 
Selon Mala Hassan, lui aussi favorable au rattachement, 90% des Kurdes déplacés de Khanaqin sont à présent revenus. Le maire de Khanaqin, qui faisait partie de la délégation kurde qui a signé l’accord, affirme que sa ville restera sous contrôle kurde, même si les troupes irakiennes se retirent : « Nous sommes tous Peshmergas maintenant. »
De fait, dans la ville, ce sont les portraits de Massoud Barzani et le drapeau du Kurdistan qui sont affichés. Même une zone mixte, peuplée également d’Arabes, comme Al-Djalawla, est entièrement contrôlée par les Kurdes et le GRK alloue même au district un budget annuel plus important que celui fourni par Bagdad (15 millions de dollars). Pour les Kurdes de la ville, un rattachement à la Région du Kurdistan est de toute façon un état de fait, comme l’explique au Washington Post Nihad Ali, qui commande ici le détachement des Peshmergas : « Qui peut contester que nous n’avons pas déjà fait de cette région une partie du GRK ? Qui a dépensé tout cet argent ici ? Quels martyrs y ont versé leur sang ? Ces gens sont totalement dépendants des Kurdes. Nous ne pouvons les abandonner. »
Seuls des Arabes sunnites de la région, souvent liés à l’ancien régime, voient d’un très mauvais oeil la perspective de dépendre du gouvernement d’Erbil. Ahmed Saleh Hennawi al-Nuaimi, un chef tribal de Djalawla, ancien officier sous Saddam, se plaint de ce qu’il appelle un processus de « kurdification » : « Nous sommes soumis à deux occupations, l’une par les Américains et l’autre par les Kurdes. Celle des Kurdes est la pire et mène la population au terrorisme. »
Ces accusations de « kurdification » sont rejetées par le GRK, qui indique n’avoir pas eu besoin de « kurdifier » la région, pas plus qu’il n’essaie de « prendre le contrôle » de la région, comme les accusent les groupes arabes, car, réplique Fouad Hussein, le chef de Cabinet de Massoud Barzani : « Nous contrôlons déjà la région. Il y a une réalité sur le terrain dans ces zones disputées en Irak qui ne peut être ignorée. » Et c’est au contraire le gouvernement d’Al-Maliki qui est accusé par les Kurdes d’avoir « un agenda secret » pour les chasser de la région. « Certains d’entre eux voudraient même nous chasser de tout l’Irak. »
Dans une déclaration officielle, faisant état de la position du Gouvernement kurde sur cette question, Fouad Hussein réaffirme qu’ils n’envisagent pas « une annexion unilatérale » de ces territoires, et que la présence des Peshmergas n’a pour seul but que de protéger la population du terrorisme. Le chef de cabinet ajoute que l’application de l’article 140 permettrait seule de régler ces conflits, par voie constitutionnelle.
En tous cas, Bagdad peine à chasser ne serait-ce que de Djalawla les quelques centaines de Peshmergas qui refusent de quitter leurs quartiers, malgré les demandes réitérées de l’armée qui a tenté plusieurs fois d’entrer, mais s’est vu à chaque fois barré le chemin par les Peshmergas de l’UPK. Le 20 septembre, Sarchil Adnan, qui dirige la branche de l’UPK dans la ville, a tout de même annoncé que « les partis kurdes à Djalawla, Al-Saadiya, Khanaqin et Qara Tepe ont accepté d’évacuer les bâtiments gouvernementaux qu’ils utilisaient comme bureaux », mais sans donner de date précise concernant ce retrait. Le 27 mars, la police irakienne (récemment formée dans le district et composé exclusivement d’Arabes selon les accusations des Kurdes) a attaqué un bâtiment occupé par les Asayish kurdes (services de sécurité) tuant l’un d’eux, avant que le couvre-feu soit décrété dans la ville.
Les forces kurdes sont visées aussi par des attaques terroristes. Une explosion visant un véhicule de patrouille a ainsi tué six d’entre eux et blessés trois autres, en milieu de mois, tandis que le 28 septembre, c’est le maire kurde de la petite ville de Saadiyah, à l’est de Khanaqin, qui a été blessé, avec six de ses hommes, dans un attentat à la bombe, alors qu’il se rendait à son bureau.
Par ailleurs, les craintes des Kurdes de Khanaqin concernant la nouvelle police mise en place à Diyala, dont le recrutement, selon eux, exclut les Kurdes au profit des Arabes, et surtout leur apparaît susceptible d’être infiltré par Al-Qaïda, n’ont pu que se renforcer avec l’arrestation, le 30 septembre, du général Hassan Karawi, commandant de la police de Djalawla, par les forces multi-nationales. Il est suspecté d’être impliqué dans des actions terroristes, avec trois autres officiers, le général de brigade Abdullah Anu, le lieutenant Raed Sheikh Zaed et Ibrahim Abdullah, ancien directeur du centre des services secrets de Khanaqin, sous le régime baathiste. Tous ont été arrêtés dans la demeure d’un chef d’une tribu arabe locale.

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