jeudi, juillet 31, 2008

DIYARBAKIR : LA LUTTE DES MAIRES POUR L’USAGE ADMINISTRATIF DU KURDE


En reportage à Diyarbakir, la radio Voice of America est revenue sur la lutte de l’ancien maire de Sur, Abdullah Demirtas, qui avait voulu introduire la langue kurde dans les services proposés par la municipalité. La publication de brochures d’informations en kurde lui avait valu d’être accusé de «  nuisances au public en abusant de sa position » (article 257) et de l’usage illégal de « lettres anti-turques », c’est-à-dire non comprises dans l’alphabet turc, en vertu de l’article 222 (décrété à l’origine pour abroger l’alphabet ottoman). Ayant échappé à l’emprisonnement, Abudallah Demirtas n’en a pas moins été démis de ses fonctions, malgré le soutien de ses électeurs, en majorité kurdophones. Depuis 1991, l’usage du kurde, auparavant interdit, a été officiellement autorisé, surtout en privé, et dans les publications non-officielles, mais fait encore face à de nombreuses restrictions, en qui concerne l’enseignement, les media, l’usage public et administratif.

« Quand j’ai été élu, raconte Abdullah Demirtas, j’ai ordonné une enquête auprès de la population. Une énorme majorité souhaitait avoir accès à des services municipaux dans sa langue maternelle, soit le kurde à 72%, le turc à 24% et l’arabe à 2% Par conséquent, j’ai ordonné que les informations sur les formations et les services de la municipalité soient disponibles dans ces langues. Mais le ministre de l’Intérieur a jugé cela illégal, car le turc est la seule langue officielle. J’ai été démis de mes fonctions et les autorités ont retenu contre moi 20 chefs d’accusation pour ces publications en kurde. »

Mais interrogés par les journalistes, les Kurdes présents considèrent toujours Abdullah Demirtas comme leur maire, et insistent sur leur attachement à l’usage de leur langue, surtout qu’un certain nombre d’entre eux ne comprennent que très mal le turc. Ainsi, Z. Corun, une Kurde de 70 ans, a grandi dans un petit village, en un temps où très peu de filles étaient scolarisées. Sa famille et elle-même ont été déplacées de force à Diyarbakir, il y a quinze ans, après que leur village a été détruit par l’armée turque, dans ses combats contre le PKK. En plus de la dure adaptation dans un environnement urbain, entaché de pauvreté et de violence, les difficultés linguistiques ajoutent à la détresse de ces paysans déracinés : « J’étais si heureuse quand le maire a introduit ces services en kurde », raconte Z. Corun. « Jusque-là, tout ce qui était officiel se faisait en turc. Quand j’ai eu besoin d’aide pour mon mari, qui était malade, j’avais toujours peur que l’on se moque de moi quand j’essayais de parler en turc. C’est humiliant à mon âge ! Mais avec notre maire, c’était différent. Les officiels nous saluaient en kurde. Toutes les informations étaient dans notre langue. Cela a changé ma vie. Mais quand il y a un bon maire, qui fait quelque chose pour le peuple, l’Etat se débarrasse toujours de lui. »

Bien que des mesures aient été officiellement prises, de la part du gouvernement turc, pour alléger les interdictions pesant sur le kurde, surtout en raison des injonctions de l’Union européenne, la plupart de la classe politique turque reste fortement opposée à l’usage officiel du kurde.

Selon Kemal Kirisci, professeur en sciences politiques à l’université Bosphore d’Istanbul, cette opposition a pour fondement principal, la crainte d’une désintégration du pays :

« Qui est réellement turc, au sens ethnique de ce terme ? Quand vous grattez la surface d’un Turc, vous trouvez rapidement en-dessous que beaucoup d’entre eux sont des descendants de Bosniaques, de Tatars, de Turcs des Balkans, de Pomaks, peut-être d’Arabes dans le sud-est, et de Kurdes à coup sûr. Une telle composition sociale génère une grande inquiétude parmi les officiels et dans l’opinion publique, car ils pensent que si l’on donne un statut particulier à un groupe, alors la prochaine étape sera que d’autres voudront la même chose. »

Mais depuis 85 ans, c’est-à-dire depuis sa fondation, toutes les crispations et les peurs de la république turque n’ont pu résoudre le problème posé par les revendications constantes des Kurdes, et une identité qui résiste jusqu’ici à toutes les politiques, souvent brutales, d’assimilation. Sans un changement de politique radicale envers le problème kurde, il y a peu de chance que cet état de guerre, plus moins ouverte, se résorbe dans les régions du Kurdistan de Turquie.

« J’ai rencontré un maire à Londres, raconte Abdullah Demirtas, et je lui ai demandé si c’était un crime de fournir des informations en des langues autres que l’anglais. Il m’a répondu que ce n’était pas un crime du tout. Ce qui semble normal dans le monde, est ici illégal. Mais je crois que la force de toute société est dans sa diversité. Cela m’a brisé le coeur de m’entendre dire, toute ma vie durant, que je suis un Turc et que ma langue maternelle est le turc. » Pour l’avoir nié l’ancien maire de Sur s’est vu qualifié de terroriste, comme tant d’autres de ses compatriotes.

L’AFFAIRE ERGENEKON AGITE LA TURQUIE, L’AKP ECHAPPE A LA DISSOLUTION


Le 1er juillet, une opération policière lancée simultanément à Istanbul, Ankara, Trébizonde, Malatya, qui a mobilisé près de 6 000 policiers, a abouti à l’arrestation de 21 personnes, toutes opposantes à l’AKP, le parti au pouvoir. Dix seront finalement inculpées pour « appartenance à une organisation terroriste ». Parmi elles, deux généraux à la retraite, Hursit Tolon et Sener Eruygur, deux anciens « faucons » au sein de l’armée. Sener Eruygur préside toujours une très influente Association pour la pensée d’Atatürk à caractère fortement nationaliste, et fut un des meneurs, l’an passée, des manifestations « pro-laïques » hostiles à l’élection à la présidence d’Abdullah Gül. Le journal Radikal, qui multiplie les « révélations gênantes » pour l’institution militaire, le désigne aussi comme étant à l’origine de deux tentatives de putsch en 2003 et 2004, qui avaient notamment pour but d’empêcher la signature du plan de paix pour Chypre, élaboré par Koffi Annan, le secrétaire général des Nations unies, ainsi que la réunification de l’île, prévue par ce même plan.

L’affaire dite « Ergenekon » a éclaté en 2007, quand un arsenal avait été découvert, dans une maison abandonnée près d’Istanbul. 80 personnalités influentes de la société turque sont sous les verrous, accusées d’être membres d’une organisation clandestine, « Ergenekon », d’inspiration ultra-nationaliste. Son but serait la déstabilisation de la Turquie, à l’aide d’attentats « terroristes », imputés soit aux Kurdes soit aux islamistes, et d’assassinats ciblés, comme celui du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink ou celui des missionnaires chrétiens de Malatya. Cette cellule clandestine serait ainsi un nouvel avatar de « l’Etat profond », ce réseau secret agissant au sein de l’Etat de façon quasi-autonome, depuis l’époque de la guerre froide. Parmi les inculpés, on trouve un nombre important de militaires à la retraite, des journalistes, des avocats, des membres de la classe politique une personnalité mafieuse...

Intervenant en pleine crise politique, alors que l’AKP est lui-même menacé de dissolution par la Haute-Cour, ce coup de filet a été présenté, par les opposants au pouvoir, comme une réplique du gouvernement à ses adversaires. Mais le journal Radikal, sous la plume d’Ismet Berkan, étaie (par avance) les 2500 pages de l’acte d’accusation, non encore révélé, au public, rédigé par le procureur après 13 mois d’enquête. Le journaliste se livre à une charge vigoureuse contre les généraux Hursit Tolon (ancien commandant en chef de la Première Armée) et Sener Eruygur, ancien chef de la Gendarmerie, en les accusant d’avoir été à l’origine de l’échec du plan de paix pour Chypre en 2003.

Quant au journal Taraf, tenu par le romancier libéral Ahmet Altan, il fait état d’un plan de déstabilisation de tout le pays. Le réseau Ergenekon devait ainsi organiser, le 7 juillet, dans quarante villes, des manifestations à caractère violent en faveur des juges chargés de statuer sur l’interdiction de l’AKP. L’une d’elles, à Gaziantep devait être menée par le général Tolon et le patron d’une chaîne nationaliste. Lors de ces manifestations, il était prévu que des tireurs anonymes recrutés parmi des cellules ultranationalistes ouvrent le feu sur les manifestants, afin de monter l’opinion publique contre le gouvernement. Dans le même temps, plusieurs personnalités, dont des intellectuels et des journalistes, auraient été assassinées. Les troubles qui en auraient découlé auraient ainsi amené les citoyens turcs à soutenir un putsch militaire.

Une autre révélation du journal Taraf met l’armée dans l’embarras : A Daglica, localité située dans la région kurde de Hakkari, une embuscade attribuée au PKK, aurait été instrumentalisée par le commandement qui, informé de l’imminence de l’attaque, a choisi de laisser les soldats endurer le feu. Treize d’entre eux ont été tués dans l’affrontement. A la faveur de cette attaque, l’armée turque avait ainsi pu préparer et justifier son opération au nord de l’Irak, l’hiver dernier, pour, selon elle, éradiquer les bases du PKK installées au mont Qandil. Pour toute réponse aux accusations de Taraf, l’armée a menacé le journal de venir chercher « par la force » les documents secrets qu’il affirme posséder et qui prouveraient ses dires.

Dans ce contexte agité, le 30 juillet, la décision de la Cour constitutionnelle est rendue au sujet de l’AKP : la majorité de 7 juges n’ayant pas été atteinte, à une voix près ce parti échappe à la dissolution et aux cinq ans d’inéligibilité qui avaient été requis pour 71 de ses membres. Mais jugé cependant coupable d’activités anti-laïques, il est condamné à reverser la moitié de son financement public actuel.
De l’avis des observateurs de la vie politique en Turquie, ce jugement mitigé peut être ainsi l’amorce d’une « trêve » entre le gouvernement et la classe judiciaire, appuyée par l’armée, après un début de mois mouvementé et très incertain pour la stabilité du pays. Les fortes pressions exercées par l’Union européenne et Washington pour éviter le scandale de l’interdiction d’un parti sorti victorieux des urnes ont également contribué à conduire la haute hiérarchie militaire à se résoudre à composer avec l’AKP.

mercredi, juillet 30, 2008

IRAK : LES KURDES RESOLUMENT OPPOSES A LA LOI ELECTORALE


Les élections des Conseils provinciaux, qui devraient normalement se tenir en octobre prochain, ont provoqué beaucoup de remous en Irak et suscité un grand mécontentement parmi les Kurdes. La question du report ou non de ces élections, en raison des situations sensibles et non encore résolues dans les districts kurdes hors de la Région du Kurdistan, fait en effet débat depuis plusieurs mois. S’ajoute à cela la rédaction de la nouvelle loi électorale, qui doit statuer notamment sur les découpages de circonscriptions et le recensement des électeurs.

Si certains Irakiens demandent le report de ces élections, les Etats-Unis, eux, poussent fortement pour qu’elles soient maintenues. Avec la réduction des violences à Bagdad et le vote de la loi sur le partage des ressources tirées des hydrocarbures, ces élections représenteraient pour eux une étape politique à forte portée symbolique, allant dans le sens d’une amélioration et d’une normalisation de la situation en Irak. De plus, le rééquilibrage des pouvoirs que ces élections mettraient en place pourraient apaiser les tensions locales... ou les aviver. Car le bloc de l’Alliance kurde au Parlement de Bagdad a boycotté le vote de cette loi, qui propose de diviser Kirkouk en quatre circonscriptions et répartit les pouvoirs des Kurdes, Arabes et Turkmènes à 32% chacun, 4% allant aux autres minorités (et non sur la base du recensement de 1957, donc). Le partage des sièges du Conseil provincial se ferait donc, selon les voeux d’une centaine de députés arabes et turkmènes, avec 10 Kurdes, 10 Arabes, 10 Turkmènes et 2 chrétiens.

Mais les Kurdes rejettent cette répartition qui, selon, eux, est très loin de refléter la véritable démographie de Kirkouk et donc, le vote réel des électeurs, rendu par avance inutile, comme le souligne Mahmoud Othman, député de l’Alliance kurde : «  Si vous réservez les sièges avant même les élections, pourquoi voter dans ce cas ? » La loi prévoyait aussi le retrait de Kirkouk des Peshmergas et l’implantation de soldats irakiens venus du centre et du sud pour assurer la sécurité, ce qui n’est pas vu d’un bon oeil par la population kurde.

Aussi, le vote de la loi, survenu le 22 juillet, alors que seulement 140 députés sur 275 étaient présents, est apparu d’emblée comme sujet à caution. Les deux vice-présidents du Parlement, le chiite cheikh Khalid al-Attiya et le Kurde Aref Tayfour ont aussi boycotté le vote, tandis que des manifestations populaires étaient organisées dans toutes les villes de la Région du Kurdistan, pour protester contre son adoption. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé à Erbil, capitale de la Région du Kurdistan, certaines brandissant même des pancartes assimilant Mahmoud Mashadani, le président du Parlement irakien, à Saddam Hussein. A Suleymanieh, en plus de manifester, des milliers de protestataires ont adressé au gouverneur une requête à destination du Parlement irakien. A Duhok, le 31 juillet, des manifestants ont de même présenté une déclaration contestant la loi, destinée au Secrétaire général des Nations Unies, au président irakien, au président du Kurdistan et à d’autres officiels du pays.

Par ailleurs, deux jours après son vote par l’Assemblée nationale irakienne, la loi électorale a été finalement rejetée par le Conseil présidentiel, le président de l’Irak Jalal Talabani et son vice-président Adel Abdel Mahdi, ayant mis leur veto, jugeant que cette loi contenait des irrégularités constitutionnelles et des violations de procédures. Toute loi votée devant être approuvée à l’unanimité par les trois membres de ce Conseil, les députés se sont ainsi vus contraints de réviser le projet de loi, ce qui rend encore plus incertain le respect de la date prévue pour ces élections.

Ce rejet apparaît aussi comme un camouflet, de la part de la présidence irakienne, envers les USA et le Premier ministre Nouri Al-Maliki. Mais selon Jalal Talabani, le climat et les conditions dans lesquels la loi a été votée ne pouvaient que causer « d’énormes dommages à l’unité du pays ».

Pour leur part, et en réaction contre ce vote, les membres kurdes du Conseil provincial de Kirkouk ont, dans un appel, boycotté cette fois par les Arabes et les Turkmènes, réclamé le rattachement de Kirkouk à la Région du Kurdistan. « Nous présentons une requête, signée par 24 membres sur 41, demandant l’annexion de Kirkouk à la Région du Kurdistan d’Irak », a déclaré Mohammed Kamal, membre de ce conseil, à Voice of Iraq, ajoutant que la soumission de cette requête au Parlement d’Irak était « un droit constitutionnel. » Naturellement, la réaction des autres blocs politiques ne s’est pas fait attendre. Mohammed al-Jubouri, un membre arabe du Conseil provincial, a indiqué son refus radical que Kirkouk devienne « une partie du Kurdistan », en y voyant les germes d’une future guerre civile. Interrogé par la radio Al-Sharqiya, le représentant turkmène du même Conseil, Fawzi Akram, a déclaré que cette annonce des Kurdes confirmait les craintes turkmènes et a appelé le président Talabani à « adopter une position constitutionnelle face à cette demande. »

Mais interrogé par cette même radio, Awat Muhammad, de la liste Fraternité kurde à Kirkouk, a tenu un langage plus nuancé : « Nous souhaitons sincèrement que les négociations des blocs parlementaires à Bagdad parviennent à une solution satisfaisante concernant cette loi sur l’élection des conseils provinciaux en Irak. Malheureusement, la loi a été approuvée le 22 juillet par le Conseil des représentants irakiens, en l’absence des représentants du peuple kurde et de Kirkouk. Cela a entrainé une crise. La seule option possible était d’avoir recours à la Constitution. Nous avons jugé que la solution appropriée était de demander à la présidence du Conseil provincial une requête, signée par la majorité des membres, adressé au Conseil présidentiel, afin d’appliquer la loi sur la formation des régions. Ce qui signifie que notre gouvernorat a demandé à rejoindre la Région du Kurdistan. C’est une demande légale, qui ne doit pas être interprétée comme une rupture par le Centre, ou comme une décision unilatérale. »

L’article 119 de la Constitution irakienne stipule en effet qu’un ou plusieurs gouvernorats ont le droit de s’organiser en régions, sur la base d’une requête, qui devra être approuvée par référendum, et que cette requête peut être constituée de deux façons : soit appuyée par 1/3 des membres de chaque conseil provincial, soit par 1/10 des électeurs de chaque gouvernorats.

Mais Mahmud Othman, député de l’Alliance kurde, a indiqué que le gouvernement de la Région du Kurdistan n’avait pas l’intention d’annexer Kirkouk, tout en confirmant que le Conseil provincial avait fait parvenir sa demande au gouvernement fédéral, au Gouvernement du Kurdistan, et aux parlements de Bagdad et d’Erbil. »

Dans le même temps, les attaques terroristes ne faiblissaient pas à Kirkouk, où un attentat suicide, survenu le 28 juillet, lors d’une manifestation kurde contre cette loi, a tué une vingtaine de personnes et blessé de nombreuses autres, l’attaque ayant déclenché un mouvement de panique dans la foule qui a contribué à aggraver le bilan des victimes. Selon Najat Hassan, responsable du Parti démocratique du Kurdistan à Kirkouk, quand des manifestants kurdes, fuyant les lieux de l’explosion se sont rapprochés des bureaux d’autres partis politiques, les gardes ont tiré en l’air pour les éloigner, provoquant alors la riposte de personnes armées au sein de la foule. Le docteur Sharzad Hamed Aziz, de l'hôpital Azaadi de Kirkouk, a fait état de 22 morts et de 120 blessés, dont 30 grièvement.

Deux jours auparavant, c’est un journaliste kurde de 23 ans, Soran Mammah Hammah, qui était tué par des inconnus, dans cette même ville, alors qu’il rentrait à pied à son domicile. Les assassins se sont enfuis en voiture. Reporters sans frontières, dans sa condamnation du meurtre, a ajouté que Soran Mammah Hammah « écrivait des articles très critiques contre des hommes politiques locaux et des responsables de la sécurité et avait reçu des menaces qui l'enjoignaient de cesser ses enquêtes. »

lundi, juillet 28, 2008

IRAN : AMNESTY INTERNATIONAL DENONCE LES DISCRIMINATIONS ENVERS LES KURDES


Amnesty International a publié le 29 juillet un rapport qui dénonce l’Iran et sa répression contre les minorités, répression qui va en s’intensifiant, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme.

Amnesty dénonce ainsi tout un éventail de discriminations et d’abus des droits de l’Homme exercés à l’encontre des12 millions de Kurdes vivant en Iran, soit 15% de la population totale du pays. Ces discriminations peuvent être aussi bien religieuses que culturelles, les Kurdes étant majoritairement sunnites et non chiites. Mais elles concernent aussi les questions de logement, d’emploi, d’éducation. Enfin, les media kurdes dénonçant les atteintes aux droits de l’Homme sont tout particulièrement pris pour cible par les autorités : « La constitution iranienne proclame l’égalité de tous les Iraniens devant la loi. Mais, comme le montre notre rapport, ce n’est pas la réalité pour les Kurdes d’Iran, a déclaré un des responsables de l’organisation. «  Le gouvernement iranien n’a pas pris de mesures suffisantes pour éradiquer les discriminations, ou pour mettre fin au cycle de la violence contre les femmes, et punir les responsables. »

Le rapport insiste sur la situation critique des femmes kurdes, doublement persécutées en tant que minorité ethnique défavorisée, et aussi par les interdits tant religieux que culturels qui frappent leur condition : inégalité dans l’accès à l’éducation, mariages précoces et forcés, violence domestique allant jusqu’au crime d’honneur ou bien entraînant des suicides. Pourtant, selon Amnesty International, les femmes kurdes sont un pilier majeur de l’activité économique au Kurdistan et il est vrai que dans tout l’Iran, les conséquences démographiques de la guerre avec l’Irak ont fait chuter la population masculine.

« Les femmes kurdes sont victimes de violences quotidiennes et rencontrent des discriminations officielles de la part de l’Etat, mais aussi de la part d’autres groupes ou d’individus, ceci incluant leur propre famille. Les autorités iraniennes doivent exercer une vigilance constante pour éradiquer la violence contre les femmes dans les foyers et dans leur communauté, mais cela n’est pas le cas » recommande le rapport. Mais le code de lois iraniennes étant fondé sur une interprétation extrêmement passéiste et rigoriste de la sharia shiite. Ainsi, dans certains cas, il est légal pour un homme de battre sa femme, permettant, par exemple, à un homme de frapper son épouse sous certaines conditions et l’âge légal du mariage pour les filles a été abaissé à neuf ans. La pratique religieuse officielle étant elle-même dans de nombreux cas plus discriminatoire et plus oppressive que les modes de vie traditionnels des minorités les plus défavorisées, on ne voit pas bien comment l’Etat pourrait contribuer à améliorer cet état de choses.

Par ailleurs, Amnesty International indique qu’en ce qui concerne les droits culturels des Kurdes, par exemple le port de leurs vêtements traditionnels, leurs musiques, ils sont généralement respectés, et la langue kurde est utilisée dans des media. Cependant, l’organisation fait état d’actes d’intimidation ou de répression dirigés contre l’identité kurde, sous couvert de « sécurité intérieure » et de lutte contre la guerilla du PJAK. Sont évoqués plusieurs cas d’emprisonnements abusifs, de procès iniques, et de nombreuses condamnations à mort.

Farzad Kamangar, Ali Heydariyan et Farhad Vakili, ont été ainsi convaincus du délit de « moharebeh » (ennemi de Dieu), et condamnés à mort, alors que leurs jugements ont été tous entachés de graves irrégularités et que les détenus ont été très sérieusement torturés. Ils étaient accusés d’allégeance ou d’appartenance au PKK (soit sa branche iranienne, le PJAK). Ali Heydariyan et Farhad Vakili ont été condamnés en plus à dix ans de prison pour « falsification de documents » et, selon la loi iranienne, ils doivent d’abord purger leur peine de détention avant d’être exécutés.

Farzad Kamangar, un enseignant de 32 ans, a constamment nié les accusations portées contre lui et a révélé que les autorités lui avaient demandé d’écrire une lettre demandant leur clémence. Son refus a été interprété comme un aveu de culpabilité. Depuis le 11 juillet, sa sentence a été confirmée et il peut être exécuté à tout moment. Le 21 juillet, un rassemblement d’un millier de personnes s’est tenu dans la capitale provinciale kurde de Sanandaj, pour dénoncer cette sentence et l’emprisonnement des autres détenus.

En mai dernier, Mohammad Sadiq Kabudvand a été condamné à onze ans de prison par la 15ème Chambre de la Cour évolutionnaire de Téhéran, soit dix ans pour avoir menacé « la sécurité de l’Etat en fondant l’Organisation des droits de l’Homme au Kurdistan (HROK) », et un an pour « propagande contre le système ». Le procès s’est déroulé à huit-clos, comme cela arrive fréquemment dans ce genre d’affaires politiques, ce qui est régulièrement dénoncé par les avocats de la défense en raison de toutes les irrégularités de procédure que cela permet. Amnesty International a déclaré considérer Mohammad Sadiq Kabudvand comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir usé pacifiquement de ses droits à la liberté d’expression et d’association, durant l’exercice de sa présidence à la tête de HROK, et aussi en tant que journaliste. Il faut rappeler que l’Iran est signataire de la Convention internationale sur les droits civils et politiques, laquelle garantit justement de telles activités.

Hana Abdi, étudiante en psychologie, a été arrêtée le 4 novembre 2007, alors qu’elle se trouvait chez son grand-père, à Sanandaj. Détenue au secret trois mois durant, elle a été condamnée à cinq ans de prison, en juin dernier, peine qu’elle devra purger dans une autre province, et donc loin de sa famille et de ses amis, ce qui rendra les conditions de son emprisonnement encore plus difficiles. Selon son avocat, la 2ème Chambre de la Cour révolutionnaire de Sanandaj l’a jugée coupable de « collecte et de collusion pour fomenter un crime contre la sécurité nationale. » Elle est en fait membre active de la « Campagne pour l’égalité”, lancée par des femmes iraniennes pour mettre fin aux discriminations légales qu’elles rencontrent en Iran. Amnesty International donne de la même façon, le statut de prisonnière d’opinion à Hana Abdi.

En plus des Kurdes, ce rapport de 57 pages fait état de discriminations à l’encontre des Arabes de l’Ahwaz et des Baloutches.

dimanche, juillet 27, 2008

ERBIL : LE GOUVERNEMNT ORGANISE UN DEBAT SUR LA PEINE DE MORT


A l’initiative du Gouvernement régional du Kurdistan, une conférence s’est tenue à Erbil pour débattre d’une réduction éventuelle de la peine de mort au Kurdistan d’Irak, comme l’explique l’organisateur de la conférence, le Docteur Shwan Muhammad, ministre des Droits de l’Homme pour la région kurde : « Nous travaillons à faire réduire l’usage de la peine capitale au Kurdistan, en accord avec les lois irakiennes. »

Des représentants du ministère, des avocats, des juges, des responsables d’organisations locales et internationales, ainsi qu’un certain nombre de députés du Parlement kurde y assistaient. Selon le ministre des Droits de l’Homme, les participants étaient réunis pour donner leur avis sur les moyens de réduire l’usage de la peine de mort et de suggérer des modifications à apporter à la loi antiterroriste. Cette loi, votée initialement le 16 août 2006, prévoit en effet l’usage de la peine capitale, mais pour une durée de deux ans seulement. Ainsi, cette disposition devait expirer en août 2008. C’est l’opportunité de ce calendrier qui a permis au ministre Shwan Muhammad de poser les prémices d’un débat futur sur l’abolition de la peine capitale, abolition qu’il présente comme un objectif majeur de la part de son ministère. Mais le principal obstacle à cette abolition est la menace terroriste qui pèse sur tout l’Irak, et pèse sur le vote parlementaire et l’opinion publique. Cependant, Shwan Muhammad se montre relativement optimiste, même si le parlement d’Erbil a reconduit, le 29 juin dernier, cette loi anti-terreur pour deux ans encore, soit jusqu’au 16 juillet 2010 : « Quand cette menace aura disparu, alors le Parlement travaillera avec nous, afin d’arriver à l’abolition complète de la peine capitale au Kurdistan ».
« Les commissions parlementaires des droits de l’Homme et des Affaires intérieures ont insisté sur l’importance du projet et affirmé que cette loi mériterait plus d’analyses et d’amendements » a déclaré Tariq Jawher, un conseiller d’Adnan Mufti, le porte-parole du Parlement, tout en soulignant que la loi, telle qu’elle a été reconduite, a subi quelques améliorations, par exemple le raccourcissement du délai de jugement pour les inculpés, dans les affaires de terrorisme. Mais cela ne satisfait pleinement ni le ministre des Droits de l’Homme, ni les organisations non-gouvernementales.

Autre intervenant à ce débat, le général de brigade Mustafa Ali Bawil-agha, directeur de la prison centrale d’Erbil a exposé qu’avec ou sans la peine de mort, son principal souci était d’assurer la paix et la sécurité dans le pays, avant de conclure : « Si, sans cette sentence, la population est en sécurité, alors abolissons la peine de mort. »

Selon les statistiques du ministère des Droits de l’Homme, 34 personnes ont été condamnées à mort en trois ans. Mais la peine capitale a été décrétée et utilisée dès la première année du parlement autonome kurde, en 1992, ce qui fait un total de 89 condamnations, dont trois femmes. 25 sentences ont été réellement exécutées, 7 en 2002, le reste en 2006, 2007 et 2008. Toutes ces exécutions ont eu lieu à Erbil, sauf l’une, à Duhok.

TROIS TOURISTES ALLEMANDS ENLEVES PUIS LIBERES PAR LE PKK


Le 9 juillet, trois alpinistes allemands, Helmut Johann, Martin Georpe et Lars Holper Reime, ont été enlevés sur le Mont Ararat par le PKK, enlèvement confirmé par l’agence de presse kurde Firat, dès le lendemain. Ces Allemands faisaient partie d'un groupe de 13 alpinistes. Ils ont été enlevés alors qu'ils campaient sur le mont Ararat à une altitude de 3.200 mètres. Cinq combattants kurdes sont arrivés et ont emmené les trois hommes.

Les motifs avancés dans le communiqué des forces de la guérilla kurde étaient la « politique hostile de l’Allemagne à l’égard du PKK : « Les touristes allemands ne seront pas relâchés tant que le gouvernement allemand n'annoncera pas qu'il a abandonné sa politique hostile à l'égard du peuple kurde et du PKK. » Le mouvement a également assuré que les trois otages étaient en bonne santé, n’avaient pas été maltraités et a appelé aussi à la fin des opérations militaires dans la zone de l'enlèvement.

Selon l’hebdomadaire Der Spiegel, à la fin du mois de juin le conseil exécutif du PKK avait adressé une mise en garde au gouvernement d’Angela Merkel contre les « conséquences négatives » de sa politique envers le parti. Depuis plusieurs années, l’Allemagne a procédé à de nombreuses arrestations et procès à l’encontre de responsables du PKK vivant sur son sol. En juin dernier, le ministre allemand de l'Intérieur, Wolfgang Schäuble, avait interdit le travail dans son pays des équipes de la télévision kurde Roj TV, basée au Danemark, et avait ordonné la fermeture de la société de production VIKO Fernseh Produktion GmbH, basée à Wuppertal, qui produisait des émissions pour la chaîne kurde. Ce parti, classé sur les listes des « organisations terroristes » de l’Union européenne, est interdit depuis une quinzaine d’année en Allemagne, ce qui ne l’empêche pas d’être présent de façon clandestine, ou sous couvert d’associations diverses, l’Allemagne abritant la plus forte communauté kurde en Europe (plus d’un demi-million), très majoritairement venue du Kurdistan de Turquie. Selon l'Office allemand pour la protection de la Constitution, il y aurait au moins 11.500 membres actifs répertoriés dans ce pays.

Comme prévu, le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a immédiatement rejeté les conditions formulées par le PKK pour la libération des otages, qu’il a exigée sans contrepartie: « La République fédérale ne répond pas au chantage. » Le ministre de l'Intérieur, Wolfgang Schäuble, a, de même, affirmé qu’il n’y aurait aucune négociation possible : « Il est hors de question pour nous de négocier avec le PKK sur l'application des lois allemandes ». Wolfgang Schäuble a aussi annoncé l’envoi d’enquêteurs de la police criminelle allemande en Turquie. Pour sa part, Angela Merkel a appelé à la libération immédiate des otages et a refusé aussi l’éventualité de céder au « chantage ».

Le même jour, en visite à Bagdad, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fait état de la « volonté » des gouvernements irakiens et kurdes de combattre le PK : « Nous avons obtenu le soutien du gouvernement Maliki et du gouvernement régional du Kurdistan irakien contre le PKK. Le PKK est une menace, pas seulement pour l'Irak et la Turquie, mais pour toute la région. Nous n'autorisons pas de telles organisations à empoisonner les relations entre nos deux pays. Il y a une compréhension commune du problème. Il y a une volonté commune de défaire l'organisation ».

L’enlèvement des trois Allemands n’a pas interrompu les affrontements entre l’armée turque et le PKK, et le 11 juillet, les autorités turques annonçaient la mort de dix combattants kurdes, dans un accrochage avec l’armée près de Sirnak. Un milicien « gardien de village » a également été tué. Dans le même temps, des troupes paramilitaires turques investissaient le mont Ararat, déclaré zone interdite, pour tenter de libérer les alpinistes, ce qui a déclenché un nouveau communiqué du PKK, le 14 juillet, appelant, cette fois, à l’arrêt des opérations militaires. Le mouvement se déclarait « prêt à relâcher les trois touristes allemands à la condition que la Turquie interrompe ses attaques militaires dans la région où ils ont été capturés et que la libération se fasse sous l'égide d'une organisation internationale comme la Croix Rouge ». La porte-parole de l'organisation kurde, Sozdar Avesta, qui s’exprimait du mont Qandil, dans le Kurdistan d’Irak, a précisé que les Allemands étaient en bonne santé.

Mais les combats se sont poursuivis près des frontières iraniennes et irakiennes, faisant 33 victimes de plus parmi la guérilla, selon les sources turques, contre deux morts parmi les soldats.

Finalement, comme cela était prévisible dès le début de l’affaire, les alpinistes ont été libérés par le PKK le 20 juillet, apparemment sans contrepartie, et ont été récupérés par les forces turques. Le gouverneur de la province d’Agri (Ararat), dans une conférence de presse, a bien sûr affirmé que la pression militaire exercée autour des ravisseurs les avaient obligés à cette libération, mais il est en fait peu probable que le PKK ait eu l’intention de garder indéfiniment ces otages. Ce genre d’enlèvements, s’il s’est déjà produit, est resté plutôt rare de la part de ce mouvement et n’a jamais abouti à de longues détentions. Il s’agit plutôt de coups d’éclat visant à frapper les opinions publiques turque et internationale.

De retour en Allemagne, l’un des trois alpinistes, Lars Holger Reime, a déclaré qu’ils avaient été « relativement bien traités » par les guérilleros en confiant que leur crainte majeure, durant leur détention, était une intervention militaire turque, qui les aurait fatalement gravement exposés.

vendredi, juillet 25, 2008

LE GENERAL JAY GARNER PRÔNE LE FEDERALISME EN IRAK


Dans un entretien accordé au magazine The Window, un journal universitaire de Suleïmanieh, Jay Garner, en visite au Kurdistan d’Irak, revient sur les années qui ont suivi la chute du régime baathiste en Irak et les conséquences politiques pour le Kurdistan.

Jay Montgomery Garner, général maintenant à la retraite de l’armée américaine, avait dirigé en 1991 l’opération Safe Haven, qui avait permis d’endiguer l’exode massif des Kurdes en instaurant une zone de protection aérienne, qui devait constituer le noyau politique et administratif de l’actuel Région du Kurdistan. En 2003, à la chute du régime de Saddam Husseïn, il avait été nommé par son pays à la tête du Bureau pour la reconstruction et l’aide humanitaire en Irak, mais n’était resté en poste qu’un mois, remplacé très vite par Paul Bremer et l’Autorité provisoire de la Coalition. Jay Garner reconnait lui-même que s’il savait que cette mission serait courte, il ne l’avait tout de même pas envisagé qu’elle se termine aussi rapidement : « La raison de mon remplacement était que je ne suis pas un diplomate. Je n’ai jamais exercé aucune fonction diplomatique. »

Mais il est à noter que Jay Gardner prône pour l’Irak une solution fédérale, seul moyen pour que ce pays survive, selon lui, ce qui allait totalement à l’encontre de la politique centralisatrice qu’avait voulu mettre en place Paul Bremer dans un premier temps. Pour l’ancien général, un système fédéral pourrait apporter une issue rapide à l’enlisement du conflit, sans affaiblir le gouvernement central, qui resterait décisionnaire sur les questions de politique étrangère, des devises, des impôts, des frontières : « Si l’Amérique avait opté, dès le début, pour le fédéralisme, elle n’aurait pas eu à faire face aux problèmes actuels. Si nous voulons un Irak stable, il faut en faire un Etat fédéral. »

Se présentant lui-même comme un « ami des Kurdes », Gardner reste plus évasif sur les sentiments de l’actuel gouvernement américain envers eux : « Je ne peux pas parler des relations stratégiques entre les Kurdes et l’Amérique, parce que je ne fais pas partie de l’administration américaine. Je suis incapable de dire ce que George Bush, Dick Cheney et Condoleza Rice pensent des relations entre l’Amérique et les Kurdes. »

Mais l’ancien officier est plus direct sur la situation irakienne. S’il est très approbatif envers le « succès kurde », le reste de l’Irak est, pour lui, un désappointement : « Cinq ans après la guerre en Irak, la situation reste décevante. En fait, l’Amérique a réussi dans une certaine mesure, à renforcer la sécurité, mais si l’on regarde le processus politique, il est très lent, et le Gouvernement régional du Kurdistan est la seule « success story » de l’Irak. » Succès qui, selon lui est dû principalement à deux points : la libération des Kurdes de la Région du joug baathiste, par les troupes de la Coalition, dix-sept ans auparavant, mais aussi à la population kurde elle-même : « Regardez la structure du GRK : il y a beaucoup de femmes à l’intérieur, particulièrement à Suleïmanieh. Sur cinq directeurs de projets, trois sont des femmes. Cela montre une volonté de la part du GRK, d’avoir des membres féminins. Il y a, au Kurdistan, une constitution qui octroie des droits aux minorités. Nous pouvons dire que, pour le reste de l’Irak, le Kurdistan pourrait être un modèle.  En Irak, les Kurdes ont beaucoup souffert ; cependant ils ont été capables de perdurer. Actuellement, les Kurdes disposent de ressources naturelles variées, mais ce qui est important, est la méthode pour user de ces ressources. Ainsi, il faudrait encourager les jeunes à rester dans leur pays. »

Enfin, sur l’éventuelle question d’implantation de bases militaires au Kurdistan, le général américain soutient entièrement cette option : « J’ai toujours soutenu l’idée d’une base militaire US au Kurdistan d’Irak Pas une très grande base, mais une petite base militaire consistant en une force aérienne et une brigade. C’est important car cela renforcerait les relations entre les Kurdes et l’Amérique. Ce serait aussi envoyer le message aux pays du Moyen-Orient que l’Amérique y restera, à long terme, pour assurer la stabilité. »

jeudi, juillet 24, 2008

L’AFFAIRE ERGENEKON AGITE LA TURQUIE, L’AKP ECHAPPE A LA DISSOLUTION


Le 1er juillet, une opération policière lancée simultanément à Istanbul, Ankara, Trébizonde, Malatya, qui a mobilisé près de 6 000 policiers, a abouti à l’arrestation de 21 personnes, toutes opposantes à l’AKP, le parti au pouvoir. Dix seront finalement inculpées pour « appartenance à une organisation terroriste ». Parmi elles, deux généraux à la retraite, Hursit Tolon et Sener Eruygur, deux anciens « faucons » au sein de l’armée. Sener Eruygur préside toujours une très influente Association pour la pensée d’Atatürk à caractère fortement nationaliste, et fut un des meneurs, l’an passée, des manifestations « pro-laïques » hostiles à l’élection à la présidence d’Abdullah Gül. Le journal Radikal, qui multiplie les « révélations gênantes » pour l’institution militaire, le désigne aussi comme étant à l’origine de deux tentatives de putsch en 2003 et 2004, qui avaient notamment pour but d’empêcher la signature du plan de paix pour Chypre, élaboré par Koffi Annan, le secrétaire général des Nations unies, ainsi que la réunification de l’île, prévue par ce même plan.

L’affaire dite « Ergenekon » a éclaté en 2007, quand un arsenal avait été découvert, dans une maison abandonnée près d’Istanbul. 80 personnalités influentes de la société turque sont sous les verrous, accusées d’être membres d’une organisation clandestine, « Ergenekon », d’inspiration ultra-nationaliste. Son but serait la déstabilisation de la Turquie, à l’aide d’attentats « terroristes », imputés soit aux Kurdes soit aux islamistes, et d’assassinats ciblés, comme celui du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink ou celui des missionnaires chrétiens de Malatya. Cette cellule clandestine serait ainsi un nouvel avatar de « l’Etat profond », ce réseau secret agissant au sein de l’Etat de façon quasi-autonome, depuis l’époque de la guerre froide. Parmi les inculpés, on trouve un nombre important de militaires à la retraite, des journalistes, des avocats, des membres de la classe politique une personnalité mafieuse...

Intervenant en pleine crise politique, alors que l’AKP est lui-même menacé de dissolution par la Haute-Cour, ce coup de filet a été présenté, par les opposants au pouvoir, comme une réplique du gouvernement à ses adversaires. Mais le journal Radikal, sous la plume d’Ismet Berkan, étaie (par avance) les 2500 pages de l’acte d’accusation, non encore révélé, au public, rédigé par le procureur après 13 mois d’enquête. Le journaliste se livre à une charge vigoureuse contre les généraux Hursit Tolon (ancien commandant en chef de la Première Armée) et Sener Eruygur, ancien chef de la Gendarmerie, en les accusant d’avoir été à l’origine de l’échec du plan de paix pour Chypre en 2003.

Quant au journal Taraf, tenu par le romancier libéral Ahmet Altan, il fait état d’un plan de déstabilisation de tout le pays. Le réseau Ergenekon devait ainsi organiser, le 7 juillet, dans quarante villes, des manifestations à caractère violent en faveur des juges chargés de statuer sur l’interdiction de l’AKP. L’une d’elles, à Gaziantep devait être menée par le général Tolon et le patron d’une chaîne nationaliste. Lors de ces manifestations, il était prévu que des tireurs anonymes recrutés parmi des cellules ultranationalistes ouvrent le feu sur les manifestants, afin de monter l’opinion publique contre le gouvernement. Dans le même temps, plusieurs personnalités, dont des intellectuels et des journalistes, auraient été assassinées. Les troubles qui en auraient découlé auraient ainsi amené les citoyens turcs à soutenir un putsch militaire.

Une autre révélation du journal Taraf met l’armée dans l’embarras : A Daglica, localité située dans la région kurde de Hakkari, une embuscade attribuée au PKK, aurait été instrumentalisée par le commandement qui, informé de l’imminence de l’attaque, a choisi de laisser les soldats endurer le feu. Treize d’entre eux ont été tués dans l’affrontement. A la faveur de cette attaque, l’armée turque avait ainsi pu préparer et justifier son opération au nord de l’Irak, l’hiver dernier, pour, selon elle, éradiquer les bases du PKK installées au mont Qandil. Pour toute réponse aux accusations de Taraf, l’armée a menacé le journal de venir chercher « par la force » les documents secrets qu’il affirme posséder et qui prouveraient ses dires.

Dans ce contexte agité, le 30 juillet, la décision de la Cour constitutionnelle est rendue au sujet de l’AKP : la majorité de 7 juges n’ayant pas été atteinte, à une voix près ce parti échappe à la dissolution et aux cinq ans d’inéligibilité qui avaient été requis pour 71 de ses membres. Mais jugé cependant coupable d’activités anti-laïques, il est condamné à reverser la moitié de son financement public actuel.
De l’avis des observateurs de la vie politique en Turquie, ce jugement mitigé peut être ainsi l’amorce d’une « trêve » entre le gouvernement et la classe judiciaire, appuyée par l’armée, après un début de mois mouvementé et très incertain pour la stabilité du pays. Les fortes pressions exercées par l’Union européenne et Washington pour éviter le scandale de l’interdiction d’un parti sorti victorieux des urnes ont également contribué à conduire la haute hiérarchie militaire à se résoudre à composer avec l’AKP.

dimanche, juillet 20, 2008

coup de projo sur : Bab'Aziz





Si je devais emporter un dvd sur une île déserte (et encore mieux dans le désert) ce serait celui-là. Difficile d'ailleurs de le voir sagement assise, partagée entre les moments de chouine tellement c'est beau, et ceux où je me lève pour faire un semâ avec les derviches parce que les jambes, irrésistiblement bougent toutes seules. Que dire ? Il y a tout dans ce film. Le désert originel de l'islam, la route (l'islam est la religion expatriée par essence), toutes les nations du Dar, l'islam des Arabes, des Turcs, des Noirs, des Indiens, des Persans et le collecteur de sable doit être Kurde vu le pantalon qu'il porte.



Scandé par le célèbre poème de Rumî :



O jour, lève-toi,
Les atomes dansent,
Les âmes éperdues d'extase dansent,
La voûte céleste, à cause de cet Être, danse;
A l'oreille je te dirai où l'entraîne sa danse;
Tous les atomes qui se trouvent dans l'air et le désert,
Sache bien qu'ils sont épris comme nous,
Et que chaque atome heureux ou malheureux
Est étourdi par le soleil de l'âme inconditionnée.

(trad. Eva Vitray-Meyerovitch)



et d'autres d'Ibn Arabî et de 'Attar, dans un décor de contes, entre tente turkmène et carvansérail persan.

Les musiques (la bande son est sortie en CD) sont aussi variées que les chemins qui mènent à Dieu, avec le doudouk arménien de Nergarian, les voix du Syrien Hamzah Shakur, le souffle du Turc Haroun Teboul, les percussions et le chant des Persans Kevan Chemirami et Salah Aghili, des qawali indiens Aziz Mian, et Divana du Rajastan et tant d'autres...

vendredi, juillet 18, 2008

"Qui suis-je ?"


Dans son Orient des lumières, Rajab al-Hafiz al-Borsî, chiite gnostique, rapporte une tradition sur la création de l'âme charnelle (nafs) :

"Une tradition rapporte que, lorsque Dieu a créé l'âme charnelle, il l'appela lui demandant : "Qui suis-je ?". L'âme lui dit : "Et moi qui suis-je ?" Alors Dieu la projeta dans l'océan du Retour caché, jusqu'à ce qu'elle parvint à l'Alif étendu, qu'elle fût délivrée des vices des prétentions de l'égoïté charnelle et qu'elle fut revenue à son état d'origine. Ensuite Il l'appela : "Qui suis-je ?" Elle dit : "Tu es l'Unique, le Victorieux." C'est pourquoi (Dieu) a dit : "Combattez contre vos âmes charnelles."

Or cette scène de chute originelle se retrouve quasi à l'identique dans les traditions yézidies et yarsans, mais concernant parfois la chute de l'Ange :

"Un texte yazîdî raconte que Dieu et l'Ange Gabriel étaient, à l'origine, postés sur un arbre planté au milieu de la Mer primordiale ; ils avaient la forme de deux oiseaux (cygnes noirs dans la mythologie tartare, une cane blanche et une cane noire dans la légende russe, selon Ugo Bianchi). Dieu demanda à l'Ange : "Qui es-tu ?", provoquant ainsi de sa part une reconnaissance de son infériorité par rapport à l'excellence divine. Mais l'Ange répondit : "Tu es Toi et Je suis Moi", se mettant à son niveau. Alors Dieu le chassa de l'arbre ; il dut errer longtemps sur l'eau. A la fin, se rendant à l'avis d'un autre être, Sheikh Shîn, il put reprendre sa place sur l'arbre, après avoir reconnu la primauté de Dieu. Comme partenaire de Dieu, il participa à l'oeuvre créatrice, en pêchant la Terre au fond de la Mer primordiale." (Toufic Fahd, "Les sectes dualistes en terre d'islam").

Ou bien encore une fois celle de l'Homme primordial (l'Adam cosmique), mais cette fois il y a bonne réponse et non chute (on peut imaginer qu'elle surviendra plus tard).

"Plus tard, en étudiant le mythe de la Création dans les traditions orales chantées par les Alévis, les Ahl-é Hakk et les Yezidis, j'y découvris le scénario du manichéisme : la création de l'Homme Primordial inconscient de son essence divine, la question qui lui est posée : "Qui suis-je ?", à laquelle, dans son ignorance, il ne peut répondre. A la troisième demande, grâce à une intuition venue de son subconscient, il répond : "Tu es le créateur, je suis la créature !"" insi, l'homme éveillé du sommeil de l'inconscience découvre sa nature divine : l'âme éveillée intègre la communauté des croyants." (Irène Melikoff).

Voir Syncrétisme et hérésies dans l'Orient seldjoukide et ottoman (XIV°-XVIII° siècle), dirigé par Gilles Veinstein.

Bref, qu'il y ait, dans la gnose, un récit à peu près identique n'a rien de surprenant et le fait que tous ces courants ésotériques s'y soient abreuvés n'étonne pas non plus. Ce qui est intéressant, c'est d'imaginer que le même scénario (question + bonne ou mauvaise réponse) se soit produit à plusieurs niveaux, selon l'interlocuteur : l'Ange, l'Adam primordial ou l'Âme du monde, chaque âme charnelle en chaque humain, un peu comme une hiérarchie solidaire qui, à chacun de ses rangs, doit "remonter la pente". Si c'est le cas, cest le schéma ismaélien qui, décidément a dû pénétrer profondément certains ésotéristes duodécimains mais aussi les sectes kurdes et tout spécialement les yézidis (ce que j'ai toujours soupçonné). Après, qu'ils aient tout remixé à leur sauce, quoi de plus normal... Il n'y a qu'à voir la version des évangiles de Matthieu revus par les ismaéliens...


jeudi, juillet 17, 2008

Le candélabre animé


Une anecdote tiré du recueil de l'Egyptien Ahmad al-Qalyoubî (1580-1659) qui montre la munificence des Ayyoubides après Saladin (qui, lui, était assez sobre et de toute façon ruiné par ses guerres).

"Le candélabre animé

Détails extraordinaires. On a dit que le sultan al-Kâmil avait chez lui un candélabre pourvu de portes. Chaque fois qu'une heure s'écoulait, un personnage sortait d'une de ces portes et se tenait debout à son service, pour l'éclairer jusqu'à l'heure suivante. Cela se succédait ainsi jusqu'à ce que toutes les portes se fussent ouvertes. Elles étaient de même nombre que les heures, c'est-à-dire douze. A la fin de la nuit, un personnage apparaissait au sommet du candélabre et prononçait les paroles suivantes :

- Le sultan est à l'aube.

Il savait alors que le jour s'était levé et se préparait alors pour se rendre à l'Office de prière.
Cependant, Dieu est plus savant que nous là-dessus."

Une note de R. Khawam, le traducteur indique que cela devait être des automates, ce qui est fort probable, vu l'engouement pour les horloges et automates à eaux, dont l'ingénieur al-Djazarî fut un des créateurs les plus éminents.


L'horloge à l'éléphant, Le livre des automates, folio détaché du manuscrit original, 1315/715 .H. / 1315; oeuvred'Abu al-‘Izz Ismacil al-Jazari, ; Copié apr Fakrh ibn cAbd al-Latif, Syrie. Encre, pigments et or sur papier; 30 cm/19.7 cm. Metropolitan Museum of Art, Cora Timken Burnett Collection; 1956 (57.51.23)


Sinon, quelques extraits savoureux d'anecdotes, de compilations, d'essais de classifications, d'avis utiles...

Eschatologie

Le sort futur de quelques villes

Notes utiles. Les causes de la ruine des villes. La Mekke sera ruinée par les Abyssins ; Médine et Boukharâ seront ruinées par la famine ; Koûfa et l'Iraq, par les Turcs ; le Yémen sera ruiné par les sauterelles ; Hamadhâne par les Daylamites ; l'Arménie par la foudre ; Houlwâne par le vent ; Balkh par les eaux ; Tirmidh par la peste ; Marw par le sable ; Harâte par une pluie de poissons qui s'abattront sur les habitants et les dévoreront ; Kirmâne par une armée qui dispersera les gens ; Sidjistâne par une montagne de soufre sur laquelle tombera le feu et qui consumera la population. Le Sinnd et l'Inde seront ruinés par les Zand, qui en massacreront les habitants, leur reprochant de vendre des hommes libres comme esclaves. Jérusalem et le mont Sinaï disparaîtront, parce qu'ils seront enlevés de la terre. Quant à Samarqannd, Farghâna, Châche, Isbîdjâb, les régions où ils se trouvent deviendront semblables à la charogne de l'âne.

Chaîne alimentaire

Quand on se mange les uns les autres

Notes utiles. La nourriture fixée pour chacun. Le loup mange le renard ; le renard mange le hérisson ; le hérisson mange la vipère ; la vipère mange l'oiseau ; l'oiseau mange les sauterelles ; les sauterelles ma,ngent les jeunes frelons ; les frelons mangent les abeilles ; les abeilles mangent les mouches ; les mouches mangent les moustiques ; les moustiques mangent les fourmis ; les fourmis vivent en flairant ce qu'elles peuvent facilement flairer.

Génétique

A la fois catalogue des clichés que l'on avait sur telle ou telle population, mais aussi point de vue sur l'origine matricielle qui contredit l'opinion musulmane et aristotélicienne que les enfants procédaient de la semence du père, l'utérus n'étant que le nid où il se développait. Dommage, n'y figure pas le fils de la Kurde.

Les races et les mariages mixtes

Mots plaisants. Chaque homme revient à son origine. Exemple : ce que l'on a mentionné sur les enfants nés d'un mariage mixte. On demanda un jour à quelqu'un :
- Le fils d'une femme grecque de Byzance ?
- Il est toujours étonnant, habile à tendre les pièges.
- Le fils de l'Arménienne ?
- Il penche la tête pour réfléchir et trouve le moyen d'organiser une trahison.
- Le fils de la Noire ?
- Il est brave et libéral.
- Le fils de la Jaune ?
- C'est le plus distingué des enfants, avec un corps des plus tendres et un coeur des plus délicieux.
- Le fils de la Nubienne ?
- Il penche vers le libertinage et l'adultère.
- Le fils de la femme arabe issue d'al-Nadr ?
- Il est dédaigneux et jaloux.
- Le fils de la Juive ?
- Il est rancunier et de soigne pas sa présentation.
- Le fils de la Persane ?
- Il est habile à la ruse et à la tromperie.

Konrad Lorenz au Caire

Manières étranges des animaux

Notes gracieuses. Parmi les animaux, ne se donnent des baisers que l'espèce humaine et les colombes, ne se marient d'une façon permanente que les hommes avec les femmes et les cigognes mâles avec les cigognes femelles. La dignité de chef n'existe que chez les grues et les abeilles. L'homophilie ne se rencontre que chez les hommes et les lièvres. Ne naissent avec une différenciation de l'espèce que le mulet, qui provient de la jument et de l'âne, le loup-bâtard, qui provient de la hyène et du loup, le scinque, qui provient du crocodile femelle et du lézard, la girafe, qui provient de la lionne et du chameau.

Désinsectisation

Pour chasser les puces

Notes utiles. Pour chasser les puces, ô lecteur, tu diras ceci :
- O puces noires, vous êtes une partie des troupes de soldats de l'époque de 'Ad et de Thamoûd. Je vous conjure, par le Dieu Unique qui est adoré, de vous tenir loin de ma peau. Je vais vous envoyer un tourment mortel, comme celui qui s'est abattu sur les peuples de 'Ad et de Thamoûd. Vous avez de moi la promesse que je tuerai, parmi vous, le père et non le fils. Partez d'ici immédiatement, avec la plus grande célérité.
Tu répéteras deux fois cette formule. Que la bénédiction de Dieu soit sur tous mes lecteurs."

Ré-partie(s)

Dans l'établissement de bains public

Mention de ce qui advint à Abou-Hanîfa lorsqu'il entra dans l'établissement de bains public. Histoire fine. On rapporte que l'imâm Abou-Hanîfa entra un jour dans l'établissement de bains public et vit un homme étendu, dont les parties étaient découvertes. Abou Hanîfa ferma les yeux et le piétina dans sa marche.
- Quand donc Dieu t'a-t-il ôté la vue ? demanda l'homme à Abou-Hanîfa.
- Lorsque Dieu a ôté le voile qui cachait tes parties, répondit ce dernier.
Puis il le laissa et s'éloigna.

De l'âge tendre au gâtisme

Le sens de certains termes

Précisions dans le langage. On interrogea un jour l'imâm 'Alî - que Dieu le prenne en son agrément - sur les âges des fils d'Adam. Il répondit :
- On appelle jeune garçon celui qui n'a pas encore douze ans ; puis grand garçon celui qui n'a pas encore vingt-quatre ans ; puis jeune homme celui qui n'a pas encore trente-six ans ; puis homme celui qui n'a pas encore quarante-huit ans ; puis homme mûr celui qui n'a pas encore atteint soixante ans ; puis vieux celui qui est âgé de soixante à quatre-vingts ans ; puis, après cela, très vieux, et radoteur.

Avis aux barbus

Les soins de la barbe

Wahb, fils de Mounabbih, a dit :
- Celui qui démêle les poils de sa barbe sans eau, voit ses soucis augmenter ; celui qui les démêle avec de l'eau, voit ses soucis diminuer. Celui qui les démêle le dimanche, Dieu le rend plus vif ; celui qui les démêle le lundi, obtient la réussite de ses affaires ; celui qui les démêle le mardi, Dieu augmente son espérance ; Il augmente aussi la fortune de celui qui les démêle le mercredi ; Dieu permet de faire plus d'aumônes à celui qui les démêle le vendredi ; Dieu purifie le coeur de toutes les actions qui Lui ont déplu, chez celui qui les démêle le samedi.
Quand on fait cette opération debout, les dettes grimpent sur les épaules, et quand on la fait assis, on pourra payer ses dettes facilement, avec la permission du Dieu Très-Haut.

Le Guide bleu du Créateur

Villes, forteresses et sources

Notes utiles. On rapporte, dans le Recueil de Traditions, que Dieu a donné sa préférence à quatre villes : La Mekke, qui est appelée La Ville par excellence ; Médine, qui est appelée Le Palmier ; Jérusalem, qui est appelée L'Olivier ; Damas, qui est appelée Le Figuier.
Parmi les forteresses, Il a donné sa préférence à quatre : Alexandrie d'Egypte ; Qazwîne de Khourassâne : 'Abadâne d'Irâq ; Asqalâne de Syrie.
Il a donné sa préférence à quatre sources : deux fournissent de l'eau qui coule, celle de Nîssâne et celle de Salwâne ; deux donnent de l'eau qui reste sur place, celle de Zamzam et celle de 'Akkâ'.
Il a donné sa préférence, parmi les fleuves, à quatre : Sayhâne, Djayhâne, l'Euphrate et le Nil d'Egypte.

Le Fantastique et le quotidien, Ahmad Al-Qalyoubî, trad. René Khawam, Maisonneuve & Marose.


L'agenda de la semaine

Radio

Dimanche 20 juillet à 18h10 sur France Culture :Interférences musicales d'Orient et d'Occident, avec : Dominique Vellard, musicien.

"Dominique Vellard, qui s'exhibe en commun avec des chanteurs d'ailleurs dans des concerts publics, confronte dans le même espace sonore ses traditions propres avec une voix qui provient du Maroc; ces traditions rythmiques et vocales, d'Occident en Orient, remontent au Moyen Âge. Et il s'avère que l'enchaînement des mélodies s'acquiert dans le partage de l'harmonie. Il y a en ces tentatives comme une remontée en amont vers des sources communes que la pureté cristalline du son confirme, au-delà de tout recours à quelque recherche historique qui aurait à affermir la vérité d'un contact. L'essentiel c'est qu'à l'exécution les deux formes de chant convergent."

Culture d'islam, par Abdelwahab Meddeb.

Du lundi 21 au vendredi 25 juillet à 9h05 sur France Culture : Iran... et la vie continue.

- lundi 21 : Révolutions.
9h05- Archives : Une brève histoire de la Révolution.
10h00 - Débat : Qui a fait la Révolution islamique ? avec Yann Richard (Paris III-Sorbonne nouvelle) Hibat Tabib, écrivain et Faris Habibi, journaliste.
11h00 - Documentaire : Téhéran du sud au nord.

- mardi 22 : Toutes les guerres d'Iran.
9h05 - Archives : la "guerre imposée" (Iran-Irak 1980-1988).
10h00 - Débat : Y aura-t-il la guerre en Iran ? avec Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères ; F. Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran ; Olivier Roy (EHESS) ; B. Tertrais (Fondation pour la recherche stratégique).
11h00 - Documentaire : Sur tous les fronts des guerres d'Iran.

- mercredi 23 : L'attente infinie.
9h05 - Archives : le fascinant soufisme.
10h00- Débat : les femmes sont-elles l'avenir de la République islamique ? avec Azadeh Kian-Thiebault (CNRS), Bernard Hourcade (CNRS) et Jean-Pierre Perrin, Libération.
11h00 - Documentaire : Tous les chemins mènent à Qom.

- jeudi 24 : Le mille-feuilles de l'identité iranienne.
9h05 - Archives : les fastes du Shah. Persépolis et les célébrations du 2500° anniversaire de l'Empire perse.
10h00- Débat : Les composantes de l'identité iranienne ; avec Nahal Tajadod, écrivain, Jean-François Bayart (Céri) et Serge Michel, journaliste.

- vendredi 25 : 42 millions de jeunes Iraniens.
9h05 - Archives : le "fol espoir" de la présidence Khatamy. Les années "Party".
10h00- Débat : Quelles pratiques culturelles et perspectives économiques pour les 42 millions de jeunes Iraniens ? avec M. Ladier-Fouladi, démographe, S. Farkondeh, chercheurse, T. Colville, économiste, S. Michel, journaliste.




- mercredi 23

mardi, juillet 15, 2008

Voyage d'un botaniste : Les Kurdes d'Erzurum


Le 9 mars 1700, le botaniste Joseph Pitton de Tournefort embarque pour le Levant, d'abord la Grèce et puis la Turquie, le Kurdistan, la Géorgie, l'Arménie, la Perse, pour un voyage de naturaliste. Plusieurs passages, assez savoureux relatent sa rencontre avec les Kurdes yézidis d'Erzurum (les "jasids d'Erzoron" dans le texte), qui semblent faire la loi dans les campagnes et les montagnes et se ficher complètement de l'autorité des pachas. La mention des Kurdes descendants des "anciens Chaldéens" était une des premières hypothèses européennes sur l'origine des Kurdes, comme l'explique Basile Nikitine : "La tradition biblique situaient ceux-ci, en effet, dans le Kurdistan. Marco Polo se prononça dans le même sens. Il parla en outre du christianisme des Kurdes dans les montagnes de Mossoul. Il n'en fallut pas plus pour que la science européenne occidentale du Moyen-Âge vît dans les Kurdes les continuateurs des Sages Chaldéens du Nouveau Testament. Les grands historiens et philologues de la fin du XVIII° siècle, comme Michéalis et Schlötzer, tout en insistant sur la nécessité de réunir la documentation exacte sur la langue et la culture des Kurdes, n'en soutenaient pas moins, conformément à la tradition scientifique médiévale, l'hypothèse de l'origine chaldéenne des Kurdes." (Basile Nikitine, Les Kurdes, 1943). On notera aussi au passage le goût pour l'eau-de-vie de ces Jasides, que Tournefort interprète comme disciples de Jésus, se méprenant sur l'étymologie de Yézidis (en fait de Yâzid ou Yazd)...

"Les voleurs de nuit sont quelque fois plus à craindre que ceux qui volent le jour. Si l'on ne fait bonne garde dans les tentes, ils viennent tout doucement et sans bruit pendant que l'on repose et tirent des ballots de marchandises avec des crochets sans que l'on s'en aperçoive ; si les ballots sont attachés ou comme enchaînés avec des cordes, ils ne manquent pas de bons rasoirs pour les couper. Quelquefois ils les vident à quelques pas des tentes, mais quand ils découvrent qu'il y a du musc, alors ils les emportent et ne laissent que la coque du ballot. Quand on part avant le jour, comme c'est l'ordinaire, les voleurs se mêlent avec les voituriers et détournent souvent des mulets chargés de marchandises, qu'ils dépaysent à la faveur des ténèbres. Ils ne s'attaquent pas à la pire, car ils connaissent les ballots de soie aussi bien que les marchands. Il part toutes les semaines des caravanes d'Erzeron pour Gangel (note de S. Yérasimos : "Gendjé, devenue Elizabetpol et ensuite Kirovabad, en Azerbaïdjan soviétique" ; auj. Guyandja), Teflis, tauris, Trebizonde, Tocat et pour Alep. Les Kurdes, ou peuples du Kurdistan, qui descendent à ce qu'on prétend des anciens Chaldéens, tiennent la campagne autour d'Erzeron jusqu'à ce que les grandes neiges les obligent à se retirer, et sont à l'affût pour piller ces pauvres caravaniers. Ces sont des jasides errants qui n'ont point de religion mais qui par tradition croient en Jaside ou Jésus, et ils craignent si fort le diable qu'ils le respectent, de peur qu'il ne leur fasse du mal. Ces malheureux s'étendent tous les ans depuis Mossoul ou la Nouvelle Ninive jusqu'aux sources de l'Euphrate. Ils ne reconnaissent aucun maître, et les Turcs ne les punissent pas, même lorsqu'ils sont arrêtés pour meurtre ou pour vol, ils se contente de leur faire racheter leur vie pour de l'argent, et tout s'accommode aux dépends de ceux qui ont été volés."

Omniprésence du brigandage sur les routes, des coupeurs de chemin, qui sont en fait une façon comme une autre de taxer les marchands... Des provinces entières en sédition, comme à Mossoul ou en Iraq, les gouvernorats ottomans semblent sur ce point en complète débandade, quand ce ne sont pas les pachas en disgrâce qui eux-mêmes vont rejoindre les brigands pour sauver leur tête !

"Il arrive même que l'on traite avec les voleurs qui attaquent une caravane, surtout lorsqu'ils sont les plus forts, ou qu'ils font bien les méchants ; on en est quitte alors pour une somme d'argent, et c'est le meilleur parti qu'on puisse prendre. Il faut que chacun vive de son métier ; pourvu qu'il n'y ait personne de tué ou de blessé, ne vaut-il pas mieux vider sa bourse que de verser son sang ! Il n'en coûte quelquefois que deux ou trois écus par tête. D'ailleurs, rien ne convient mieux aux voleurs que de rançonner les plus faibles, parce que ne trouvant pas aisément à qui vendre les marchandises, ils en sont très souvent embarrassés. Présentement, toutes les caravanes du Levant passent par Erzeron ; même celles qui sont destinées pour les Indes orientales, parce que les chemins d'Alep et de Bagdad, quoique plus courts, sont occupés par les Arabes, qui se sont révoltés contre les Turcs et rendus maîtres de la campagne."

Mais dans leur périple parmi les pâtures kurdes, les savants français trouvent un protecteur fort précieux, un monseigneur Rabban arménien, bien plus respecté et apprécié des Kurdes que ne l'aurait été un pacha, copain comme cochon avec les Kurdes si je puis m'exprimer ainsi, et qui n'hésite pas à les fournir en gnôle, ce qui montre que les Yézidis, comme les Alévis, prenaient là-dessus les libertés des Chrétiens.

"Nous allâmes coucher ce même jour dans un autre monastère d'Arméniens, appelé le monastère Rouge (note de S. Yérasimos : "Selon la tradition, le monastère de Karmir Vank fut fondé par le catholicos Narsès Ier (362-373) et dédié à la Vierge") parce que le dôme, qui est en fait lanterne sourde, est barbouillé de rouge ; je ne saurais trouver de comparaison plus juste, car le comble de ce dôme aboutit en pointe, ou en cône gouderonné comme un parapluie à moitié ouvert. Ce couvent n'est qu'à trois heures de chemin d'Erzeron, et l'évêque, qui passe pour le plus savant homme qui soit parmi les Arméniens, y fait sa résidence ; ce n'est pas beaucoup dire, car on ne se pique guère de science en Arménie ; mais comme on nous assura qu'il était fort bien venu parmi les Kurdes qui étaient campés selon leur coutume aux sources de l'Euphrate, nous n'oubliâmes rien pour l'engager à venir s'y promener avec nous. On ne saurait faire ce voyage avec trop de précautions, car les Kurdes sont des animaux peu raisonnables : ils ne reconnaissent même pas les Turcs, et ils les dépouillent tout comme les autres lorsqu'ils en trouvent l'occasion. Enfin ces brigands n'obéissent ni à beglierbey ni à pacha, et il faut avoir recours à leurs amis lorsqu'on veut avoir l'honneur de les voir, ou pour mieux dire le pays où ils se trouvent. Quand ils ont consommé les pâturages d'un quartier, ils vont camper dans un autre. Au lieu de s'appliquer à la science des astres comme les Chaldéens, de qui on les fait descendre, ils ne cherchent qu'à piller, et suivent les caravanes à la piste pendant que leurs femmes s'occupent à faire du beurre, du fromage, à élever leurs enfants et à prendre soin de leurs troupeaux."

Ainsi donc, s'abritant derrière l'auguste protection épiscopale, Les savants se mettent en route et, au fond, Tournefort n'y voit pas plus d'inconvénients que de céder ses sequins au fisc ottoman, s'il s'agit de sauver sa chemise et ses chausses :

"Nous partîmes le 22 juin à trois heures du matin du monastère Rouge. La caravane ne fut pas nombreuse ; il fallait se livrer à l'évêque, ou renoncer à voir les sources de l'Euphrate ; mais dans le fond que risquions-nous ! Les Kurdes ne mangent pas les hommes, ils ne font que les dépouiller, et nous y avions sagement pourvu en prenant nos plus méchants habits : nous n'avions donc à craindre que le froid et la faim. Par rapport à l'évêque, c'était un homme de bien qui n'aurait pas voulu nous exposer à montrer nos nudités. Nous le priâmes de serrer dans sa cassette quelques sequins que nous avions pris pour notre dépense. Nanti de notre bourse, il fit faire les provisions dont nous avions besoin, et paraissait agir de bonne foi, bien informé d'ailleurs que nous étions sous la protection du beglierbey et que nous étions connus dans la ville pour ses médecins. Nous avions donné des remèdes gratuitement à tous les clients du monastère qui s'étaient adressés à nous. Après ces précautions, nous nous abandonnâmes avec confiance à sa conduite. Il se mit à la tête de la compagnie, parfaitement bien monté de même que trois de ses domestiques, et il nous fit donner de forts bons chevaux à nous et à notre suite. A demi-heure de là, nous prîmes un vénérable vieillard de ses amis dans un assez joli village situé sur cette branche de l'Euphrate, laquelle passe à Elija. On nous régala de quelques truites que l'on pêcha sur-le-champs, et rien n'est comparable à la bonté de ces poissons quand on les mange sortant du ruisseau, cuites dans de l'eau où l'on a jeté une poignée de sel. Ce vieillard nous fit beaucoup d'honnêtetés, et après nous avoir fait promettre de guérir à notre retour un de ses amis (car c'était là le compliment ordinaire) il nous fit assurer qu'il parlait bien la langue des Kurdes, qu'il trouverait de ses amis dans les montagnes où nous allions, et que nous n'avions rien à craindre étant accompagnés de l'évêque et de lui."

Bref, ils herborisent dans la vallée, piqueniquent, et, bien sûr, les Kurdes les voient venir et, curieux des étrangers, viennent aux nouvelles (tout à fait comme leurs descendants, on peut parier sur les questions : "Qu'y est-ce ? D'où ils viennent ? Ils font quoi ? etc. ") La frayeur des Français en est comique, par contraste avec l'évêque qui trinque affablement avec les yézidis, jusqu'à en revenir "fort gai":

"Nous choisîmes un des plus jolis gazons pour étendre notre nappe et pour nous délasser avec du vin du monastère qui valait mieux que tout le vin d'Erzeron. Là, revenus de la peur que ce nom de Kurdes n'avait pas laissé d'exciter en nous, nous puisions à pleines tasses dans les sources de l'Euphrate, dont notre nectar tempérait la fraîcheur excessive.

Il n'y avait qu'une chose qui troublait nos innocents plaisirs, c'est que de temps en temps nous voyions venir à nous certains députés des Kurdes qui s'avançaient à cheval la lance en arrêt pour s'informer quelles gens nous étions. Je ne sais même si la peur ou le vin n'en faisaient pas paraître deux pour un, car à mesure que la peur s'emparait de notre âme il fallait bien avoir recours au cordial. S'il est permis de boire un peu plus qu'à l'ordinaire c'est en pareille rencontre, car sans cette précaution l'eau de l'Euphrate aurait achevé de glacer nos sens. Enfin, comme il nous sembla que la députation augmentait à vue d'oeil, l'évêque et le vieillard s'avancèrent à quelques pas, nous faisant signe de la main de rester là où nous étions.Nous fûmes ravis d'être dispensés d'aller faire la révérence à ces députés. Après les premiers compliments, qui ne furent pas bien longs, ils s'avancèrent tous ensemble vers nous et commencèrent à raisonner fort gravement sur je ne sais quelle matière."


Là aussi je peux mettre les sous-titres : ça devait disserter longuement et copieusement d'après les peu de renseignements qu'ils avaient obtenus de l'évêque, sur le pays des Francs, sur les occupations des Francs, sur le fait que ces malheureux viennent jusque là pour cueillir des plantes de montagnes auxquelles personne ne fait attention ici, sans doute qu'ils en manquent chez eux, le tout enjolivé, grossi, exagéré, interprété jusqu'à en faire un autre volume des Mille-et-Une nuits... et naturellement les premiers arrivés et renseignés répondant de haut, fort de leur science insigne et vieille de 5 minutes, aux ânes bâtés qui venaient d'arriver et posaient les mêmes questions que les premiers : "Ce sont des Francs, voyons ! Venus chercher des plantes de chez nous ! " (ceci dit avec le ton, "sors un peu de tes montagnes gundî, et mets-toi au courant des affaires du monde..."). Et pendant ce temps-là, les Français mouronnent à l'idée de se retrouver cul nu en chemise sur le bord d'une route... Ils en viennent même à supposer qu'en plus de leur bourse et de leurs vêtements, on pourrait aussi les priver de leurs bijoux de famille (on se demande ce que les yézidis en auraient fait, mais bon).

"Comme les gens qui craignent s'imaginent toujours qu'on parle d'eux, et que d'ailleurs les Kurdes nous honoraient de temps en temps de leurs regards, nous affections aussi beaucoup de gravité, et ne doutant pas que l'évêque ne leur dît que nous cherchions des plantes, nous amassions celles qui étaient sous nos yeux et faisions semblant de discourir à leur sujet. Dans le fond nous parlions de la triste situation où nous nous trouvions, et nous nous expliquions en mauvais latin, de peur que nos interprètes qui étaient faits à notre jargon n'y comprissent quelque chose."

La conférence de l'évêque et des Kurdes ne laissait pas de nous inquiéter par sa longueur. Il y avait bien loin de là un monastère pour se retirer en chemise ; et que sait-on si ces gens qui sont accoutumés à faire des eunuques n'auraient point envie de nous métamorphoser ainsi, dans l'espérance de nous vendre mieux ! Nous fûmes un peu rassurés quand notre drogman arménien vint nous dire que les Kurdes avaient donné un fromage à l'évêque. En même temps, le vieillard s'avança pour prendre un flacon d'eau de vie qu'il leur présenta. Nous fîmes demander à ce bon homme de quoi il s'agissait ; il répondit en souriant que les Kurdes étaient de méchantes gens, mais nous n'avions rien à craindre, que l'ancienne amitié qui était entre eux et la vénération qu'ils avaient pour l'évêque nous mettraient à couvert de tout. En effet, après qu'ils eurent bu l'eau de vie, ils se retirèrent et l'évêque revint à nous avec un visage fort gai. Nous ne manquâmes pas de le remercier de tous les soins qu'il s'était donné pour nous garantir de ces loups ravissants, et nous continuâmes à faire nos observations sur les plantes."


Mais décidément, ils sont tombés sur un évêque bien kurdophile, et au moment de partir, nouvelles alarmes. Le saint homme tient chrétiennement à leur laisser les bouteilles restantes:

"Jusque là nous fûmes bien content de notre journée. Nous fîmes demander à l'évêque s'il ne serait pas possible d'aller voir l'autre branche de l'Euphrate, laquelle va se joindre à la première à Mommacotum. Il nous dit en riant qu'il ne connaissait pas les Kurdes de ce quartier-là et que nous n'y verrions que des sources semblables à celles que nous venions de quitter. Nous le remerciâmes très humblement mais il aurait pu se dispenser de nous jeter dans de nouveaux embarras.

Ce bon homme, par honnêteté comme nous le jugeâmes par la suite, s'avisa d'aller faire ses adieux aux Kurdes et de leur distribuer les restes de notre eau de vie : nous aurions fort approuvé son procédé si nous n'avions pas été de la partie et qu'il n'eût pas fallu s'approcher de leurs pavillons. Ce sont de grandes tentes d'une espèce de drap brun foncé, fort épais et fort grossier, qui sert de couvert à ces sortes de maisons portatives, dont l'enceinte, qui fait le corps du logis, est un carré long fermé par des treillis de cannes de la hauteur d'un homme, tapissé en dedans de bonnes nattes. Lorsqu'il faut déménager, ils plient leur maison comme un paravent et la chargent avec leurs ustensiles et leurs enfants sur des boeufs et sur des vaches. Ces enfants sont presque nus dans le froid, ils ne boivent que de l'eau de glace, ou du lait bouilli à la fumée des bouses de vache que l'on amasse avec beaucoup de soin, car autrement leur cuisine serait très froide. Voilà comment les Kurdes vivent en chassant leurs troupeaux de montagnes en montagnes. Ils s'arrêtent aux bons pâturages, mais il faut en décamper au commencement d'octobre et passer dans le Kurdistan, ou dans la Mésopotamie. Les hommes sont bien montés et prennent grand soin de leurs chevaux ; ils n'ont que des lances pour armes. Les femmes vont partie sur des chevaux, partie sur des boeufs. Nous vîmes sortir une troupe de ces Proserpines qui venaient pour voir l'évêque et surtout nous qui passions pour des ours que l'on menait promener. Quelques-unes avaient une bague qui leur perçait une des narines ; on nous assura que c'étaient des fiancées. Elles paraissent fortes et vigoureuses, mais elles sont fort laides et ont dans leur physionomie un certain air de férocité. Elles ont les yeux peu ouverts, la bouche extrêmement fendue, les cheveux noirs comme jais, et le teint farineux et couperosé."


D'esprit assez objectif (quand les Kurdes ne le terrorisent pas) il décrit les attraits et les défauts de l'Empire ottoman, en les comparant aussi avec les Safavides, dont le gouvernement apparaît sous un jour nettement plus favorable. Hormis Istanboul et les grandes villes, les provinces ottomanes orientales semblent en pleine décomposition : brigandage, corruption, hostilité ou vexations envers les Chrétiens. Par contre, en Perse, ni taxe excessive, ni crainte d'afficher sa nation ou sa religion, ni crainte de passer pour des espions :

"Ce qu'il y a de plus édifiant sur la frontière de Géorgie, c'est qu'on ne demande rien aux étrangers. On peut entrer et sortir comme on veut des terres du roi de Perse, sans demander permission à qui que ce soit. Les marchands de notre caravane, qui avait un peu grossi en chemin, nous assuraient que non seulement on traitait respectueusement les Francs, mais qu'on les regardait avec crainte et vénération, quand ils avaient des chapeaux et des justaucorps, au lieu qu'on les lapiderait en Turquie s'ils marchaient en pareil équipage."

Voyage d'un botaniste, II, La Turquie, l'Arménie, la Géorgie : Lettre 18.

Concert de soutien à l'Institut kurde