lundi, novembre 12, 2007

On a retrouvé la 7ème Compagnie... et on l'a mise au trou

Voilà, il fallait s'attendre à ce que les faucons turcs (mais vrais patriotes) froncent le nez devant l'air un peu trop décontracté et pas assez éprouvé des huits soldats faits prisonniers par le PKK et puis relâchés aux mains du GRK. Mais de là à emprisonner à leur tour les pauvres troufions en les accusant 1/d'avoir franchi la frontière sans ordre (ce qui en fait corrobore ma première impression, qui était celle non pas d'une bavure, mais simplement que les huits mehmetci s'étaient tout bonnement paumés dans la montagne et n'étaient peut-être même pas conscients de l'endroit où ils étaient) ; 2/ de n'être pas morts. Car en fait, la seule utilité d'un mehmet (surtout quand il est d'origine kurde) que l'on envoie dans la montagne sous l'uniforme de la Grande Patrie turque, c'est d'être mort ou de tuer le plus de Kurdes possibles, mais pas d'en revenir vivant et en trop bonne santé. C'est vrai, c'est un peu vexant pour la République, ces images de soldats désarmés jouant aux échecs avec un heval (manquerait plus qu'en plus ils se fassent battre aussi aux échecs).

Qu'il y ait enquête de l'armée sur les circonstances de la capture, pourquoi pas, c'est effectivement dans les règles militaires, pour déterminer s'il y a eu bavure, maladresse, gaffe, que sais-je... Après tout, on peut espérer que l'officier responsable d'une expédition aussi désastreuse soit sanctionné, à la place de ses hommes (oui, rêvons un peu).

Mais que la presse turque, après avoir ameuté l'opinion publique sans relâche sur les "otages", sur les larmes des mères d'otages, après avoir fait pleuré dans toutes les chaumières turques sur le sort de leurs bidasses (apparemment aussi doués pour la guerre de montagnes que la 7ème Compagnie), que cette même presse, une fois qu'ils sont libérés, les accusent à présent de s'être rendus à l'ennemi, voire même d'avoir franchi la frontière pour se rendre à l'ennemi, ce qui en gros est une accusation de désertion et de haute trahison ce qui n'est pas rien dans toutes les armées du monde, voilà qui a de quoi laisser pantois et un peu embarrassé Georges Bush qui s'était publiquement félicité de cette heureuse issue et de la libération des huit garçons, qui du coup en deviennent des traîtres supposés. Et pourquoi cette suspicion ? Tout simplement parce que l'origine kurde de certains des prisonniers est mise soudainement en avant ; ce qui, bien sûr, suffit à faire d'un "citoyen turc" un membre de la Cinquième Colonne des ennemis de l'intérieur" en puissance.

Pendant la Première Guerre Mondiale, les "citoyens turcs" arméniens, bien qu'ils soutinssent largement à ses débuts le gouvernement des Jeunes Turcs, et bien qu'ils se fussent engagés dans l'armée ottomane avec patriotisme, ont été de même accusés et soupçonnés de collusion avec l'ennemi séparatiste, de par leurs origines communes avec les Arméniens de l'Empire tsariste. "A partir de janvier 1915, les soldats et les gendarmes arméniens sont privés de leurs armes, réunis par petits groupes de 500 à 1000 hommes en bataillons de travail, employés à des travaux de voirie et à des corvées de portefaix, et progressivement exécutés dans des lieux isolés." in Sentence du Tribunal permanent des peuples : Le Crime de silence ; le génocide des Arméniens ; Paris, 1984. (naturellement, après le génocide, le gouvernement ottoman a eu beau jeu de dénoncer l'attitude peu amicale et les représailles arméniennes à van et Kars, ce qu'on appelle la classique justification a posteriori d'un génocide : "vous voyez qu'on avait raison de les massacrer, car ils allaient le faire avant nous. La preuve : les survivants nous tombent dessus, maintenant).

Il y a pas mal d'années, j'avais lu, dans Les Tilleuls de Lautenbach de Jean Egen, que beaucoup d'Alsaciens avaient fait la guerre dans les colonies (en l'occurence en Indochine pour le père du narrateur), tout simplement parce que, malgré les grandes déclarations patriotiques sur l'Alsace éternellement française, et les mots d'ordre: "allons libérer nos concitoyens du joug teuton", le ministère de la Guerre avait jugé plus sage d'éviter que les Alsaciens français se retrouvent sur le front allemand face à face avec leurs cousins, leurs oncles, voire leurs frères de l'Alsace "allemande". Comme on dit dans Les Tontons flingueurs, "les histoires de famille, ça, c'est comme une croyance, ça force le respect" Les Turcs feraient bien de s'en aviser.

Si la Turquie soupçonne ses Kurdes de ne pas mettre tout le zèle souhaitable à combattre leurs frères séparatistes, elle n'a qu'à envoyer les appelés du Sud-Est faire leur service sur la Côte Ouest et affecter les conscrits d'Antalya, d'Izmir et de Thrace à Hakkarî (en vérifiant soigneusement bien sûr, que leur arbre généalogique soit pur de tout sang kurde). Evidemment, les familles turques 100% risquent de trouver un peu saumâtre que leurs gosses aillent se faire trouer la peau pour garder des provinces dans lesquelles elles n'ont jamais mis les pieds, qu'elles voient comme un pays de sauvages où fleurissent les crimes d'honneur et les règlements de compte sanglants entre tribus archaïques et c'est peut-être ce qui retient l'Etat-major...


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.

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