lundi, septembre 10, 2007

Portrait italien d'un Ayyoubide


A l'Alte Pinakothek de Munich, on peut voir, du peintre Taddeo Gaddi (1300-1366) élève de Giottto, une des premières représentations de souverain kurde dans la peinture occidentale. Ce n'est pas le portrait de Saladin, qui est pourtant le Kurde le plus célèbre du Moyen-Âge, mais de son neveu, al-Malik al-Kamil Nasir al-Dîn Abû-l-Ma'alî Muhammad, fils du sultan al-Malik al-Adil, et vice-roi pour son père en Egypte en 1219, l'année où se situe l'événement de cette peinture.

C'est al-Malik al-Kamil qui affronta la V° Croisade à Damiette. Les Francs avaient pu s'emparer de la forteresse al-Silsila (de la Chaîne) et puis de Damiette. Mais al-Kamil, entre-temps devenu sultan à la mort de son père, encercla et assiégea les forces franques jusqu'à l'arrivée de son frère al-Ashraf, al-Mu'azzam et enfin d'autres Ayyoubides qui se portèrent à son secours en 1221 (soit 2 ans plus tard, on appréciera la célérité de la solidarité familiale).

Mais ce long siège explique la scène, figurant la visite de Saint François d'Assise au sultan. En effet, dans sa vie de Saint François, Saint Bonaventure raconte :

"S'exposant avec courage aux dangers de tous les instants, François voulait se rendre chez le sultan de Babylone en personne. La guerre sévissait alors, implacable entre chrétiens et sarrazins, et les deux armées ayant pris position face à face dans la plaine, on ne pouvait sans risquer sa vie passer de l'une à l'autre.

Mais dans l'espoir d'obtenir sans tarder ce qu'il désirait, François résolut de s'y rendre. Après avoir prié, il obtint la force du Seigneur et, plein de confiance, chanta ce verset du Prophète: "Si j'ai à marcher au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi".

S'étant adjoint pour compagnon frère Illuminé, homme d'intelligence et de courage, il s'était mis en route traversant la mer et se retrouvant dans le pays du sultan. Quelques pas plus loin , ils tombaient dans les avant-postes des sarrazins, et ceux-ci, plus rapides, se précipitèrent sur eux. Ils les accablèrent d'injures, les chargeant de chaînes et les rouant de coups. À la fin, après les avoir maltraités et meurtris de toutes manières, ils les amenèrent, conformément aux décrets de la divine Providence, en présence du sultan: c'était ce qu'avait désiré François.

Le prince leur demanda qui les envoyait, pourquoi et à quel titre, et comment ils avaient fait pour venir; avec sa belle assurance, François répondit qu'il avait été envoyé d'au delà des mers non par un homme mais par le Dieu très-haut pour lui indiquer, à lui et à son peuple, la voie du salut et leur annoncer l'Évangile qui est la vérité. Puis il prêcha au sultan Dieu Trinité et Jésus sauveur du monde, avec une telle vigueur de pensée, une telle force d'âme et une telle ferveur d'esprit qu'en lui vraiment se réalisait de façon éclatante ce verset de l'Évangile: "Je mettrai dans votre bouche une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront ni résister ni contredire".

Témoin en effet de cette ardeur et de ce courage, le sultan l'écoutait avec plaisir et le pressait de prolonger son séjour auprès de lui. Il offrit à François de nombreux et riches cadeaux que l'homme de Dieu méprisa comme de la boue: ce n'était pas des richesses du monde qu'il était avide, mais du salut des âmes.

Le sultan n'en conçut que plus de dévotion encore pour lui, à constater chez le saint un si parfait mépris des biens d'ici-bas.
François quitta le pays du sultan escorté par ses soldats". (source).

Les sources msulmanes ne mentionnent pas cet épisode. Evidemment, il n'a rien d'exceptionnel pour les contemporains égyptiens ou syriens. Les liens et les rencontres entre princes musulmans et les ecclésiastiques chrétiens n'étaient pas rares et si les ordres guerriers, comme celui des Templiers ou les Hospitaliers, étaient traités comme l'équivalent des ghazis musulmans c'est-à-dire sans clémence, les moines non combattants, et surtout celui-là qui devait avoir l'apparence d'un derviche chrétien, n'allait certainement pas inquiéter la cour d'Egypte. Il ne réussit évidemment pas à convertir le vice-roi kurde, mais cet épisode fut longuement relaté dans les sources occidentales et illustré par Giotto dans ses fresques sur la vie de Saint François à l'église d'Assise :


Mais le groupe des musulmans peints par Giotto paraît moins réaliste, avec moins de véracité dans la vêture, qui fait plus occidentale, avec leurs tunique courtes et leur absence de sarwal qui leur laisse les jambes nues ! Seul le turban leur donne un petit aspect exotique...

La représentation de Gaddi par contre, même si le sultan a sur la tête une couronne qui fait très européen, montre un groupe de musulmans avec turbans et robes beaucoup plus convaincants,

dont le style, sans le faire exprès bien sûr, rappelle un peu les représentations du manuscrit de Djezireh des Dioscorides de la bibliothèque de Vienne, lui-même art hybride entre le style "byzantin" et ce que l'on a appelé l'Ecole de Mossoul" :


En tout cas, tout ceci vaut bien mieux que l'horrible "portrait", bien plus tardif, de la Galerie des Offices à Florence, qui affuble le pauvre Saladin d'une coiffe assez gratinée... et que Gallimard s'est cru obligé d'utiliser pour la couverture de sa Découverte, et qui lui donne plus un air de bouffon de cour que de sultan chevalier...




2020928159

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Concert de soutien à l'Institut kurde