dimanche, mars 04, 2007

Cette semaine coup de projo sur : Karapatê Xaco






Karapetê Xaço partage avec Aramê Tigran, un autre célèbre chanteur en kurde, d'être d'origine arménienne et d'avoir été recueilli par une famille kurde, alors que le génocide l'avait laissé orphelin. Il est né en effet près de Batman, en 1902. Evidemment, passer d'une famille arménienne à une famille kurde en Turquie, c'est un peu fuir la peste pour le choléra : en 1929, fuyant les massacres qui suivent la répression de la révolte de Sheikh Saïd, il fuit, comme beaucoup de Kurdes, en Syrie, alors sous Mandat français, et s'installe à Qamishlo. Il s'enrôle même dans l'armée française et la sert 15 ans, si bien qu'il aurait pu gagner la France à la fin du Mandat. Mais il préfère s'installer avec sa famille en Arménie, en 1946, dans le village de Vozkihader, près d'Erivan, et il y resta jusqu'à sa mort. Il fut un actif et célèbre chanteur des émissions kurdes de Radio Erivan. Il racontait ainsi son expérience : “A l'époque soviétique, il était interdit de chanter sur les aghas, les seigneurs féodaux et sur Dieu. Toutes les fois que je chantais un “kilam” ils venaient s'en mêler en disant que celui-ci parlait d'un agha, celui-là d'un seigneur féodal et que cette autre chanson parlait de Dieu ! Et je répondais toujours mais sur quoi vais-je chanter alors ? ”
Nonobstant ces quelques difficultés idéologiques, Karapetê Xaço collabora de longues années à Radio Erivan et ces émissions en kurde, comme celles de Radio Bagdad, avaient un retentissement immense chez les Kurdes de Turquie et de Syrie, privés eux, de tout média en leur langue. Et ce fut cet Arménien d'origine qui permit aux Kurdes d'entendre cette chose inouïe, impensable en Turquie : une voix kurde sur les ondes. Comme le raconte l'écrivain kurde Munzur Cem ,

" Un jour, quelqu'un se mit à crier : "Venez, venez vite !" Alors nous sommes allés voir ce qui se passait. Quand nous sommes arrivés, l'homme venait d'allumer une radio qu'il écoutait très attentivement. C'était la première radio du village. Beaucoup de monde était là, rassemblé, quand nous entendîmes - chose incroyable - parler kurde à la radio ! Les gens se regardèrent un moment les uns les autres, puis se mirent à discuter dans tous les sens : "Il y a une radio kurde ! Ils parlent kurde !" C'était Radio-Erevan.
Les gens commencèrent à écouter Radio-Erevan. A cause de la propagande du gouvernement turc, beaucoup pensait qu'il était impossible d'écrire et de lire en kurde ou de l'entendre parler à la radio."
Karapetê Xaco racontait ainsi ses rapports avec sa "kurdité" qu'il assumait sans complexe : “J'ai commencé à chanter quand j'avais 8 ans au Kurdistan et je chantais tous mes kilams en kurde. Vous ne pouvez trouver un seul kilam dans une autre langue, même pas en arménien. Je suis Kurde et je chante tous mes kilams en kurde. Je n'ai jamais chanté pour de l'argent, dans la tradition des dengbêj c'est une honte de chanter pour de l'argent. Je peux chanter un mois entier, jour et nuit, sans pause ”.
Quand il était à Qamishlo, Karapetê Xaco s'était lié avec d'autres "grands exilés" en Syrie, le poète Cegerxwîn et d'autres dengbêj célèbres, Mihemed Arifê Cizirî et Seyîdê Cizirî. Xaço instruisit aussi des générations de dengbêj en Arménie et les Yézidis kurdes profitèrent de son enseignement.
Ce dengbêj kurde qui vécut jusqu'à 103 ans est mort en janvier 2005. A ses funérailles se pressèrent des milliers de personnes. Sur sa tombe, son fils Seyrosh Karapet déclara : “bien que mon père était d'origine arménienne, il se sentait plus proche des Kurdes, et pour cette raison a servi la musique kurde en tant que dengbêj. Il a constamment ressenti profondément le chagrin et la souffrance du peuple kurde qui a au moins autant souffert que le peuple arménien, et voulait exprimer cette douleur dans ces kilams kurdes ”.

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