vendredi, février 23, 2007

Les Kurdes du Djibal, de Shahrazur et de Suhraward



Sur la carte dessinée par Ibn Hawqal, dans le grand carré vide avec une croix au centre qui est sur la gauche de la route de Rayy à Hamadan, le géographe a inscrit : Estivages et hivernages des Kurdes.



Les Kurdes occupent naturellement le Djibâl (ancienne médie) mais semblent avoir infiltré certaines villes qu'ils n'occupaient pas originellement, au coude à coude avec les Daylamis :

"D'Abhar à Zandjan : 20 parasanges. Abhar était autrefois une ville importante, mais les Kurdes ont assailli cette cité en même temps que les contrées adjacentes et le Daïlam : ce fut dès lors la décadence."

Il en va de même de la ville de Shahrazur. Si les attaques des Kurdes ont fait décliner la ville d'Abhar, ce n'est pas le cas de Shahrazur. Ibn Hawqal y note bien l'absence d'Etat (ni officier ni impôt) et donc le fait que ces Kurdes y vivent dans une grande indépendance. Malgré ou à cause de cela, il ne s'agit nullement là du désordre et de l'absence de lois que l'on associe volontiers dans la pensée musulmane aux confédérations nomades. La vie y semble prospère :

"Shahrazûr est une petite ville, habitée en majorité par des Kurdes qui se sont infiltrés aussi dans les alentours du côté de l'Iraq : aucun officier n'y commande au nom de l'Etat, pas plus qu'un receveur des finances. La vie y est facile et les prix sont bas. L'emplacement est excellent et le canton est fertile, sans compter qu'il est d'une belle étendue et d'un aspect riant.

Il en est de même de la ville de Suhraward, qui, par beaucoup de côtés, notamment par ses productions, ressemble à Shahrazûr que nous venons de décrire : les Kurdes y sont en majorité. Autrefois la plus grosse partie des habitants étaient des hérétiques, qui l'ont abandonnée ; toutefois, ceux qui ont manqué de courage et ont accepté une situation diminuée sont restés par amour du sol natal et de leur patrie. Ces deux villes sont entourées d'une muraille."

Ah Suhraward ! Ville qui peut faire couler de l'encre à cause des trois mystiques et penseurs musulmans qui portent cette nisbah, soit :

- Al-Suhrawardî Abû-l-Nadjîb 'Abd al-Kâhir ibn 'Abd 'Allah al-Bakrî Diya al-Dîn (Né à Suhraward en 490/1097- mort à Bagdad en 563-1168). Soufi et doctrinaire de l'ascèse, oncle du second.
-Al-Suhrawardî Shihâb al-Dîn Abû Hafs 'Umar, (Né à Suhraward en 539/1145, mort à Bagdad en 632-1234). Très grand soufi aussi, dans le courant "sobre" et fondateur de l'ordre qui porte son nom. Il a laissé un traité soufi où il unit tasawwuf et futuwwat.

Et enfin last but not least le plus célèbre et à juste titre :

- Al-Suhrawardî Shihâb al-Dîn Yahyâ ibn Habash ibn Amîrak Abû-l-Futuh (Né à Suhraward en 549-1155, assassiné à Alep en 587-1191).

Revendiquée aujourd'hui par les pan-kurdistes comme kurde (surtout celle du dernier dontl'envergure est de taille et dont en plus l'attachement à l'héritage zoroastrien flatte aussi beaucoup la fibre nationaliste), la nisbah de ces trois-là indique-t-elle à coup sûr leur ethnie ? Shihâb al-Dîn s'il était profondément attaché à la culture iranienne en général n'a pas à ma connaissance fait mention de son origine et son biographe et commentateur Shams al-Dîn al-Shahrazurî (!) ne la mentionne pas non plus, lui-même étant issu d'une ville présentée comme kurde... Mais sur Shaharazurî le grand biographe, on ne sait rien, ni même ses dates de naissance et de mort ! Bref, tout ça n'est que spéculation et d'ailleurs le Sheikh de l'Ishraq, en son "exil" gnostique n'était peut-être pas très attaché à son lignage terrestre.


"La plus grande partie des villes mentionnées et des régions décrites sont pleines de montagne d'une grande hauteur et de précipices terribles et inaccessibles, sauf la route de Hamadan à Raiy et à Qumm, qui se développe surtout au milieu de plaines, rarement interrompues par des montagnes. Le territoire occupé par des montagnes abruptes s'étend des limites de Shaharazur à Amid, soit entre les confins de l'Azerbaidjan, la Haute Mésopotamie et les parages de Mossoul : c'est la longueur. La largeur est, en plus d'un point, de trente à quarante parasanges, plus au moins, et l'on ne parcourt pas une étape entière en terrain plat. Ces montagnes sont très peuplées, habitées par des Kurdes Hamidiya, Lariya, Hadhbaniya, et par d'autres groupes des Kurdes de Shahrazur et de Suhraward. La contrée montagneuse se poursuit depuis Shahrazur jusqu'à Hulwan, Saimara, Sirawan, Lur, Ispahan, et la frontière du Fars, puis revient sur Qashan et Hamadan, pour se terminer à Qazwin et aux régions du Dailam. L'Azerbaïdjan consiste en une succession de dépressions, de plateaux et de sommets, jusqu'au mont Caucase, en passant par les monts des Khorrémites. Les parties basses de cette contrée montagneuse partent des environs de Shahrazur et prennent la direction de Qashan pour aboutir aux frontières du Khuzistan, dans la région appelée les deux Mah, le Mah de Kufa et le Mah de Bassorah."

Ibn Hawqal, Configuration de la Terre, t II, Le Djibâl, trad. Kramers & Wiet.

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