mercredi, janvier 31, 2007

Radio, cinéma : Dunkerque, christianisme arménien, Sangatte, Dol

Radio :

Jeudi 1er février, à 20h30 sur France Culture : Les Pieds sur terre- Fuir la guerre vers le nord, près de Dunkerque, reportage avec des Kurdes irakiens et iraniens (rediff. du 7/9/06).

Samedi 4 février à 23h 00 sur France Culture : Les Vivants et les dieux - Les malheurs du christianisme arménien. Avec Annie Koulaksezian-Romy, déléguée du Centre du patrimoine arménien à Valence ; Claire Mouradian, CNRS. Par Michel Cazenave.

Lundi 5 et mardi 6 février, à 20h30 sur France Culture- Retour à Calais. A près la fermeture de Sangatte fin 2002, le point de vue des réfugiés réunis à Calais. S. Krolund.

Cinéma :

Dol ou la vallée des tambours : Reflet-Médicis III, 7 rue Champollion. M° Saint-Michel, Cluny. Séances à 14h20 et 19h10 sauf le mardi.



mardi, janvier 30, 2007

Shahram à Paris (re)



Allez pour se consoler d'un sombre mois un rayon de douceur, de beauté, de force, de gentillesse, - Shahram quoi ! - en image et en sons.

Le pétrole kurde, les chiites et les Turcs



Depuis plusieurs semaines une nouvelle loi se prépare sur la gestion des ressources pétrolières (et leur partage) en Irak, afin de réviser les dispositions prévues par la Constitution votée en janvier 2005. S'inspirant peut-être de l'exemple de la Région du Kurdistan, les Irakiens, qui ont désespérément besoin de fonds, souhaitent attirer les investissements étrangers sur leur sol. L'ennui est qu'investir dans des régions extrêmements dangereuses n'a rien d'emballant pour les sociétés étrangères, aussi l'Irax paraît décidé à mettre le paquet pour les attirer (on parle de 70% des revenus qui iraient aux compagnies).

Opposés à cette loi - ou extrêmement méfiants - les Kurdes voudraient garder et voir enfin appliquer les dispositions initialement prévues, à savoir que les revenus des puits de pétrole existant aillent entièrement à Bagdad, eux se réservant les profits des puits découverts après 2005. A vrai dire, le pétrole de Kirkouk s'épuisant, puisque c'est l'un des plus anciennement exploités, il est dans l'intérêt du Kurdistan de découvrir de nouveaux gisements.

A l'inverse, le Premier Ministre chiite Nouri al-Maliki tient beaucoup à faire passer cette nouvelle loi, ainsi que Georges Bush qui répète depuis longtemps qu'il faudrait que le pétrole irakien "profite à tous les Irakiens", voulant sans doute éviter une trop grande indépendance économique des Kurdes, qui est aussi un des cauchemars de la Turquie. Mais en raison de cette opposition kurde la loi pour le moment a du mal à passer, le porte-parole du ministère du Pétrole faisant état pudiquement de "divergences" entre certains groupes parlementaires, espérant malgré tout que la loi soit votée au plus tard le 10 février.

Les chiites ont-ils intérêt à réviser les dispositions de la Constitution, même s'ils en bénéficient aussi ? Leur majorité politique en Irak et leur espoir de récupérer Bagdad et le contrôle de tout le pays (arabe) peuvent expliquer qu'ils jouent en ce moment la carte du "centralisme". D'un autre côté, les Kurdes sont courtisés soudainement par as-Sadr, qui a envoyé récemment une délégation au Kurdistan et parle d'"alliance", toujours au nom de l'unité nationale bien sûr. As-Sadr, d'abord rallié à al-Maliki, a boycotté deux mois le Parlement irakien en raison d'un désaccord avec le Premier Ministre sur la présence des troupes US en Irak (et comme l'armée américaine vient de lui tuer près de 300 miliciens, il n'est pas près de changer d'avis). Une alliance entre Baha al-Aradji et l'Alliance kurde semble au premier abord très surprenant au vu du fossé politique, religieux et même historique entre les deux groupes, mais les deux espèrent sans doute faire réfléchir al-Maliki afin d'infléchir ses positions d'un côté sur la place d'as-Sadr par les chiites et de l'autre sur cette loi pétrolière et les relations turco-irakienne.

De ce côté-là, ça ne s'arrange pas, la question du pétrole kurde, comme celle de Kirkouk finissant par empoisonner les relations entre Ankara et Bagdad. Ainsi la compagnie nationale pétrolière irakienne SOMO vient tout juste de notifier aux sociétés turques que dorénavant elles devront traiter avec le Gouvernement régional du Kurdistan pour le renouvellement des contrats concernant le transport des produits pétroliers. Inutile de dire que les officiels turcs s'étouffent, (les sociétés turques ayant sans doute plus l'habitude, sur le terrain de traiter de facto avec Hewlêr). Le Ministre d'Etat Kurshat Tüzmen parle ainsi d'une "étrange lettre" de la part de SOMO aux sociétés turques et se plaint assez comiquement que SOMO fassent les morts et ne répondent même pas au téléphone.

Concernant le statut de Kirkouk, le 27 janvier, le Département d'Etat des USA a réitéré son soutien au référendum de Kirkouk et insisté sur un règlement de la question par et dans la légalité des institutions irakiennes, ce qui est encore un camouflet pour les "interventionnistes" turcs mais aussi sans doute un soulagement pour les milieux politiques et économiques turcs qui s'y opposent, voire pour les militaires.

dimanche, janvier 28, 2007

Cette semaine coup de projo sur : The Sharakan Early Ensemble


Puisque malheureusement, c'est la "semaine arménienne", voici un très beau CD, qui fait partie de tout un ensemble couvrant l'ensemble de la musique arménienne, ancienne, contemporaine, classique ou traditionnelle. Ici, il s'agit du volume 2 consacré aux Sharakan, ces hymnes liturgiques chantés à voix seule. A côté du tar que l'on entend dans quelques morceaux, les instruments modernes(cordes et vent) font parfois regretter la râpe chaude de la vièle ou le son plus indécis mais au timbre plus riche des flûtes de roseaux (mais on ne va pas transposer en musique orientale la querelle des baroqueux vs instruments modernes, qui ensanglanta des générations de musiciens, brisa des familles unies et jeta des héritiers à la rue). Les arrangements semblent aussi parfois tempérer les mélodies de façon plus "occidentale", y a-t-on gagner à gommer des quarts de ton ? Mais la voix magnifique de la soprane Anna Mailian, sa conviction et son émotion, la très grande beauté de ces mélodies et le talent de Daniel Erazhisht emportent l'adhésion.


jeudi, janvier 25, 2007

Le bras de fer de Kirkouk : derniers faits en bref et en résumé

Le chef de la branche du KDP (parti de Massoud Barzani) de Kirkouk vient de lancer une accusation contre les services secrets turcs (MIT) les désignant comme auteurs d'actions terroristes dans la ville, contre des officiels et des civils.

A vrai dire cette accusation n'est pas une première, puisque depuis 1991 le MIT est régulièrement désigné (avec les Iraniens) par les Kurdes comme à l'origine d'attentat. Et l'arrestation deux ans auparavant, par les Américains, d'agents turcs armés près de Mossoul, déguisés en ONG montre que cela ne relève pas toujours d'un fantasme de complot. Nedjat Hassan affirme que les Forces de Sécurité de Kirkouk ont des preuves suffisantes pour étayer ces accusations, aussi bien pour sa ville que pour Mossoul.

Cette annonce intervient dans un mois tendu, attisé par la récente conférence fantoche à Ankara, organisé le 16 janvier sur la Turquie au sujet de Kirkouk. Je dis bien "fantoche" car aucun représentant du gouvernement kurde, aucun représentant kurde de Kirkouk n'ayant été invité, cette conférence ne réunissait que des Turkmènes, des Irakiens sunnites et chiites, des chrétiens assyro-chaldéens, mais pas un seul Kurde d'Irak. On peut donc douter de la valeur représentatitve des tables rondes. Sans surprise, la conférence a conclu sur l'option "souhaitable" de retarder le référendum prévu avant fin 2007 sur le retour de Kirkouk dans les régions kurdes, et ce jusqu'à une révision de la constitution irakienne (ce qui équivaudrait à son annihilation, puisque ce référendum est en fait pour le moment inscrit dans la constitution avec le fameux article 140).

Attaquant le principe de cette conférence, des juristes kurdes, du Parlement irakien ont rédigé une déclaration condamnant cette interférence étrangère dans les affaires intérieures de l'Irak, et demandant au gouvernement de Bagdad de s'exprimer fermement là-dessus et de menacer de rompte les relations économiques et politiques avec la Turquie." Ce qui à mon avis est un voeux pieux, même le Gouvernement régional du Kurdistan n'ayant pas émis un souhait semblable, la schizophrénie des relations turco-kurdes se traduisant par un surenchérissement dans les menaces politiques, voire militaires, en même temps qu'un accroissement des relations économiques et des investissements turcs au Kurdistan. Lundi dernier cependant, le porte-parole du gouvernement irakien, Ali al-Dabbagh a indiqué que l'Irak s'il interdisait toute activisme de l'opposition iranienne (contre l'Iran) et de l'opposition kurde contre la Turquie, avait rejeté le principe d'une conférence qui n'était qu'une interférence dans les affaires intérieures irakiennes.

Mais la Turquie, et l'AKP semblent fermement décidés à jouer leur va-tout au moins en paroles, l'échéance de la fin 2007 approchant. Le 15 janvier, la veille de la conférence à Ankara, Turhan Comez, un responsable de l'AKP a averti qu'un référendum à Kirkouk amènerait des "affrontements ethniques" dans la ville, voir une guerre civile, et pourrait inciter Ankara à intervenir (évidemment cela renforce les soupçons de quelques coups de pouce de la part du MIT, pour amorcer quelques tensions). Comez a ajouté que la Turquie ne reconnaitrait pas les résultats du référendum (ce qui laisse entendre qu'elle en connaît déjà les résultats).


Répartition ethnique et religieuse des Irakiens en 1978

Déjà le Premier Ministre Erdogan avait protesté (ce n'est pas non plus la première fois) contre les "changements démographiques" à Kirkouk, accusant les Kurdes d'Irak de s'installer en masse pour infléchir le référendum, et citant ainsi le chiffre de 600 000 Kurdes nouvellement installés depuis 2003 et s'étant fait inscrire sur les listes électorales. A cela, le Gouvernement régional du Kurdistan répond, dans un splendide dialogue de sourd, qu'il s'agit des réfugiés chassés par Saddam Hussein, et que leur retour dans cette région est légitime. Il est vraisemblable que des Kurdes non originaires de Kirkouk n'ont pas grand intérêt à s'installer dans cette ville peu sûre, il est vrai aussi que les Kirkoukis de retour y ont été fortement encouragés par le gouvernement de Hewlêr.


Répartition ethnique et religieuse des Irakiens en 2003

La menace d'une intervention à Kirkouk est doublée de la vieille question d'une intervention turque contre les bases du PKK à Kandil. Ainsi le journal turc Ortadogu annonçait le 17 janvier que 240 000 hommes de troupe turcs s'étaient massés à la frontière, prêt à la franchir, pour atatquer le PKK ET protéger la population turkmène (si l'on voit la carte de la répartition des Turkmènes au Kurdistan d'Irak, on voit tout de suite que leur éparpillement rend la chose impossible, à moins de les déporter vers, disons Kirkouk au hasard).

Par ailleurs les USA, tentant de ménager la chèvre et le chou, s'ils admettent du bout des lèvres qu'il faut faire quelque chose (mais quoi ?) contre le PKK, ont refusé d'appuyer la Turquie dans sa demande de suspension du référendum, cette affaire ne concernant que "l'Irak, état souverain". Les tensions USA/Iran et les rumeurs de l'installation d'une base militaire américaine dans la région de Silêmanî renforceront peut-être le non-interventionnisme américain dans le conflit turco-kurde.

De son côté, le Parlement kurde a tenu une session extraordinaire hier pour discuter du sérieux des menaces turques, menaces que jusqu'ici ni le président Massoud Barzani ni le Premier ministre Nêçirvan n'ont officiellement prises au sérieux. Nêçirvan a ainsi déclaré ne pas craindre les menaces d'Ankara en ajoutant que si les Kurdes avaient voulou prendre Kirkouk par la force, ils l'auraient fait après la chute du régime de Saddam (omettant de dire que de toute façon les USA à ce moment-là ne l'auraient pas permis, pas plus en 2003 qu'en 1991).

La question d'une intervention à Kirkouk se pose aussi en terme de réalisme stratégique. Car pour la Turquie ce n'est pas la porte à côté, c'est même la ville la plus au sud et pour y parvenir, à moins de passer par la Syrie ou l'Iran, il lui faut traverser toute la région du Kurdistan d'Irak, où le relief n'est pas des plus faciles, ou bien passer par Mossoul et le nord-ouest de l'Irak, donc en dépendant de la neutralité des forces d'occupation américaines qui y stationnent, en plus des peshmergas kurdes envoyés là en renfort. Il est ainsi peu probable qu'Ankara souhaite se lancer dans une Blitzkrieg (qui ne serait peut-être pas si éclair que cela) en fonçant sur Kirkouk et en se dépêchant de l'occuper sans pertes sanglantes (l'exemple américain n'est pas encourageant). Quant à la fameuse opération anti-PKK, menace brandie depuis si longtemps, indépendamment du fait qu'elle sera inefficace contre le PKK, tout dépend de l'attitude prévue par le GRK : neutralité militaire et condamnation diplomatique, ou résistance et riposte effectives. Dans les deux cas, pour Nêçirvan Barzani, la Turquie a plus à y perdre qu'à y gagner.




(source kurdishmedia.com et Ministère kurde des Affaires extra-régionales, Perry Castaneda map collection)

Commémoration


Le samedi 27 janvier 2007

de 16h 00 à 20h30


Pour commémorer


la République kurde de Mahabad (1946-1947)



Table ronde au centre Jean Dame

17 tue Léopold Bellan

75002 Paris

M° Sentier



PROGRAMME

16h 00 : Accueil du public
16h15 : Table ronde "De la république de Mahabad à aujourd'hui"

Ouverture : projection d'images d'archives
Modérateur : Kendal Nezan - Introduction au débat.

Intervenants :
Joyce Blau, professeure des universités : La république de Mahabad vue par A. R. Ghassemlou ;

Chris Kutschera, journaliste : Conséquences de la république de Mahabad et comparaison entre Mahabad et le gouvernement du Kurdistan irakien;

Soheila Mameli : Contexte régional et international de la république : présentation des protagonistes et le rôle majeur des femmes ;

Shahab Vali, doctorant : Situation actuelle au Kurdistan iranien.
19h00 : Intermède poétique

19h30 : Spectacle musical avec Tara Jaff, harpiste.




mercredi, janvier 24, 2007

les peuplades kurdes et les fous furieux selon Ghazalî


Parmi les lieux communs médiévaux des musulmans urbains et policés sur les Kurdes : ceux qui les mettent dans le même bocal que les Bédouins, c'est-à-dire des pillards, destructeurs, plus bêtes de proie qu'humains. al-Ghazalî (1058-1111) en fournit un exemple, dans son troisième chapitre du Tabernacle des Lumières (Mîchkat al-Anwâr) quand il aborde les trois catégories des "créatures voilées ", à savoir :

-Celles qui sont voilées par les seules ténèbres ;
- Celles qui sont voilées par la pure lumière ;
- Celles qui sont voilées par une lumière mêlées d'obscurité.

Dans la Première Catégorie, il met entre les athées et ceux qui courent après la fortune ou la gloire, ceux qui estiment que "le summum du bonheur consiste à vaincre, conquérir et tuer, ou attaquer à l'improviste, emmener des captives et faire des prisonniers. Telle était la conviction des Arabes bédouins (du paganisme) ; elle est celle aussi des peuplades kurdes et d'un grand nombre de fous furieux. Ils sont voilés par les ténèbres des tendances naturelles à la férocité, qui les dominent et qui, lorsqu'elles atteignent leurs fins, leur procurent les plus grandes voluptés. Ces hommes-là sont contents d'être au niveau des animaux féroces, et même plus bas encore."

Quant aux "peuplades turques", elles sont un peu mieux loties puisque placées dans la troisième catégorie, celle des "hommes voilés par une lumière mêlée d'obscurité", soit la catégorie des idolâtres et même un peu au-dessus, n'ayant "ni communauté (milla) ni loi (chari'a) religieuses. Ces hommes croient à un Seigneur, qui doit être la plus belle des choses. Quand ils voient un être humain, ou un arbre, ou un cheval, ou tout autre être, d'une très grande beauté, ils se prosternent devant lui en proclamant : "Voici notre Seigneur !" Ils sont voilés par la lumière de la beauté, mêlée à l'obscurité des sens. Mais ils perçoivent la lumière d'une façon plus pénétrante que les adorateurs des idoles. En effet, ils adorent la beauté en général et non pas sous la forme d'un personnage particulier auquel ils l'attribueraient en propre et, de plus, ils adorent la beauté naturelle et non pas la beauté qui serait fabriquée par eux-mêmes et de leurs propres mains."

Inépendamment de ces considérations ghazaliennes sur le chamanisme, on note encore la contradiction entre l'ethnie et l'appartenance religieuse ou sociale. Evidemment aux XI° et XII° siècles, les Turcs n'étaient pas tous chamanistes, surtout au Moyen-Orient, puisqu'ils gouvernaient une bonne partie du monde de l'islam. De même les Kurdes n'étaient pas tous nomades pillards et certains avaient déjà fondé quelques principautés prospères et raffinées. Mais les Kurdes ou les Turcs intégrés dans l'Umma et le monde urbain, dans la Cité si l'on peut dire, perdent leur ethnie, en tous cas on ne les qualifie pas ainsi, le terme Kurde et Turc sert à désigner un monde sauvage, barbare, ou pas encore assez instruit en religion. Il est évident que pour Ghazalî, ni son protecteur le sultan Malik-Shâh, ni tous les Seldjoukides qui le soutinrent, n'étaient des "Turcs" au sens d'originaire de cette peuplade "semi-voilée", mais des Turc des plus acceptables, très persanisés, si bien que ce n'était plus la peine de mentionner leur origine, pas plus que pour les Kurdes marwanides, hasanwayhides, et les futurs Ayyoubides. Hors de la norme sociale du citadin musulman médiéval, arabisé ou persanisé, on est désigné par son ethnie, avec les connotations négatives ou réservées qu'elles suscitent. La question est naturellement de savoir comment les Kurdes et les Turcs concernés, ceux qui n'étaient ni pillards ni idolâtres, se définissaient eux-mêmes et arrivaient à assumer cette contradiction dans les représentations culturelles qu'on offrait d'eux et dans leur liens familiaux ou tribaux.

Le tabernacle des lumières

Pour Abû Hâmid Muhammad al-Ghazalî, même si "une certaine interprétation selon le sens caché peut être exacte, le sens littéral reste toujours vrai et contraignant. Le sens intérieur ne saurait en aucun cas entrer en contradiction avec le sens littéral ni le supprimer, tout comme le monde invisible coexiste avec le sens sensible et apparent. Le sens intérieur n'est admissible que si existe entre le sens littéral et lui une correspondance symbolique naturelle ou indiquée par la Tradition." (Roger Deladrière).


Opposition avec les Ismaéliens bien sûr (entre autre) et tous ceux pour qui l'ésotérique a primauté sur l'exotérique. Une troisième voie, celui des malamatî extrêmes, pour qui les deux sens coexistent, les deux mondes coexistent, sans contradiction mais en juxtaposition. Pour certains, la correspondance existe mais "inversée", sans que l'un annihile l'autre.


"Le symbole dans son apparence extérieure est vrai, et sa transposition à la réalité profonde et cachée est une vérité intérieure. Ceux qui ont cette prise de conscience sont ceux qui ont atteint le degré de transparence du "Verre", dont nous verrons plus loin la signification. En effet, l'imagination, qui est la matière dont est fait le symbole, est solide et opaque, et elle masque les réalités cachées, s'interposant entre les lumières et l'homme ; mais elle peut aussi devenir aussi pure que le verre, qui par sa limpidité ne fait pas obstacle aux lumières et, bien plus, leur est une aide, les protégeant de sucroît contre les bourrasques. Sache donc que le monde inférieur et opaque de l'imagination devient, dans le cas des prophètes, comme du verre, un tabernacle pour les lumières, un filtre laissant passer les réalités secrètes, et comme un point d'appui pour s'élever jusqu'au monde supérieur ! Et maintenant qu'il est bien compris que le symbole dans son apparence extrérieure a une réalité cachée, tu n'as qu'à en faire l'application à d'autres symboles, comme le "Mont Sinaï" et le "feu".


"Les poitrines des hommes libres sont les tombeaux des secrets."


Le Tabernacle des Lumières, Abû Hamid Al-Ghazalî, trad. R. Deladrière.

mardi, janvier 23, 2007

Communiqué

APPEL A MANIFESTATION

Le Rédacteur en Chef du journal Agos, Hrant Dink, a été assassiné le vendredi 19 janvier devant la porte du journal.



NOUS APPELONS A UNE MANIFESTATION SILENCIEUSE, à PARIS

LE SAMEDI 27 JANVIER A 15H

PLACE DE LA REPUBLIQUE

METRO : République


SOUS UNE SEULE PANCARTE :

NOUS SOMMES TOUS DES HRANT !

NOUS SOMMES TOUS DES ARMENIENS !



EN HOMMAGE A HRANT DINK,

Défenseur de la paix, de la fraternité entre les peuples, de la liberté, de la démocratie

et artisan du dialogue arméno-turc pour une mémoire collective


LES PREMIERS SIGNATAIRES :

Association Audiovisuelle Arménienne (AAA)

Association Culturelle et de Solidarité d’Anatolie

Association Culturelle des Travailleurs Immigrés de Turquie (ACTIT)

Association de Solidarité Franco-Anatolienne (ASFA)

Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (L’ACORT)

Assemblée Européenne des Citoyens (A.E.C)

Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)

Association des Tunisiens de France (ATF)

Bir-Kar

Centre Culturelles des Alévis de Paris- PAKMERKEZ

Centre de Recherche sur la Diaspora Arménienne (CRDA)

CEDETIM

Confédération des droits démocratiques en Europe)

Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH)

Fédération des Travailleurs turcs en France (FTIF)

Fédération Tunisienne pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR)

Fédération SUD ptt

Turquie Européenne

Ligue des droits de l'Homme (LDH)

Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)

Parti Communiste Français (PC.F)
Plateforme pour vivre ensemble-Paris

Rassemblement des Associations Citoyennes des Originaires Turquie (RACORT)

Réseau Féministe « Ruptures »

Union des Familles Laïques



METIN Umit
Coordinateur Général
L'Assemblée Citoyenne des Originaires deTurquie (L'ACORT)
39, boulevard de Magenta - 75010 Paris
Tel : 01 42 01 12 60 Fax: 01 42 01 02 86

Roman de Baïbars : échec au roi de Rome

Avec l'avant-dernier tome paru en français du Roman de Baïbars, s'invite dans Echec au roi de Rome, une figure historique étonnante, controversée, parfois portée aux nues par des fans (Benoist-Méchin ou Kantorowicz notamment), parfois diabolisée (les chroniqueurs contemporains n'ont pas toujours été tendres avec lui). Il s'agit de l'empereur du Saint-Empire romain germanique, aka le roi de Sicile, aka le roi de Jérusalem Frédéric II Hohenstaufen, qui naquit en 1194 près d'Ancône et mourut en 1250 à Fiorentiono. Autant le dire, le Frédéric du roman, "roi de Rome", figure naïve et falotte devant le tout-puissant Baïbars, n'a pas grand-chose à voir avec l'empereur historique, contemporain des derniers Ayyoubides et non des Mameluks. Mais le roman retient de lui certains traits d'une vérité déformée : Frédéric II était roi de Sicile et en tant qu'empereur, protecteur du Saint-Siège en titre. Et son attitude conciliante et de bonne foi dans le roman reflète la période de détente entre Ayyoubides et Crosiés, en même temps que sa propre "islamophilie".

Autre fait historique inspirant le roman, l'ambassade réelle qu'envoya notre Baïbars auprès du fils de Frédéric, Manfred, roi de Sicile, en 659 de l'Hégire; rapporté par Djamâl al-Dîn ibn Wasil dans les Annales d'Abû-l-Fida et dont nous rappelerons au sujet du 10° tome, Le procès du Moine maudit.

Allemand par son père Henri VI l'empereur et par lui petit-fils de Frédéric Barberousse, Frédéric II était aussi Normand de Sicile par sa mère Constance de Hauteville, et donc par elle petit-fils du roi Rogger II de Sicile, illustre souverain dont la cour de Palerme fut un melting-pot culturel intéressant, un peu comparable à l'Andalousie, entre influences italiennes, arabes, byzantines, nordiques. Cela l'apparentait aussi à Bohémond d'Antioche et Tancrède de Hauteville, ces Normands de la Première Croisade, qui fondèrent la Principauté d'Antioche, plus inféodée officiellement au Basileus qu'à Jérusalem, le dernier état latin à succomber devant la reconquête de l'islam.

Frédéric II était dans son caractère, sa formation, son éducation, plus Normand de Sicile qu'Allemand, plus Méditerranéen que Nordique. Déjà au moment de sa naissance c'est à deux médecins arabes qu'il dut la vie, l'accouchement s'avérant difficile (les musulmans étaient résidents permanents en Sicile et avaient leurs garanties, un peu l'équivalent de la dhimmitude). En véritable homme du Moyen-Âge, et surtout du XII° siècle, il était naturellement polyglotte, parlant en plus de l'allemand et de divers dialectes italiens (sicilien, franco-provençal) le latin, le grec, l'arabe, l'hébreux. Il était d'esprit assez frondeur, très attiré par la philosophie et les sciences exactes, et donc naturellement fasciné par la culture musulmane, qu'il percevait (à raison) comme intellectuellement supérieure à celle de l'Occident médiéval, et qu'il considérait aussi (à tort) comme plus tolérante envers les savants et les recherches philosophiques et religieuses (l'islam sunnite du XII° siècle, obsédé par le chiisme et les déviances de certains soufis, n'avait simplement pas les mêmes "adversaires" spirituels que la Chrétienté, c'est tout).

Frédéric II eut un règne assez long puisque son père mourut quand il était encore enfant, et il fut très tôt roi de Sicile sous tutelle papale. A l'adolescence, il put reprendre le titre d'empereur de Saint-Empire et c'est là que ses ennuis commencèrent, car toute sa vie il eut à lutter contre les ambitions papales (la vieille querelle des empereurs et des papes, Gibelins vs Guelfes, à savoir qui a la primauté politique sur qui, empoisonna tout l'espace politique allémano-italien). Mais ses péripéties et querelles avec Grégoire IX le pape ne nous intéressent que dans le contexte de sa "croisade", la plus étrange qui soit, puisque la "reconquête" de Jérusalem se fit sans combat, uniquement par négociation avec l'un des neveux de Saladin, le fils aîné d'al-Malik al'Adil Sayf ald-Dîn, le grand sultan d'Egypte et de Syrie, soit al-Malik al-Kâmil Nâsir (les fils de Saladin avaient été peu à peu évincés du pouvoir, en tous cas des émirats majeurs par leur oncle Al-'Adil, hormis le sympathique et talentueux al-Malik al-Zâhir sultan d'Alep, qui resta en place jusqu'à sa mort).

Mais à la mort d'Al-'Adil, le même schéma eut lieu : à grand prince, héritiers médiocres et querelleurs. Déjà associé au gouvernement d'Egypte du vivant de son père, Al-Kâmil devint sultan à part entière en 1218, alors qu'al-Adil mourait subitement à Damas, peut-être affecté par les premiers succès de la Cinquième Croisade. Succès éphémère puisqu'al-Kâmil réussit à bloquer l'avancée des Francs (qui restèrent deux ans retranchés à Dimyat qu'ils avaient prise), et finalement, ses frères al-Ashraf et al-Mu'azzam, et puis les autres princes ayyoubides, se décidèrent à bouger un peu, assiégèrent les Francs et les chassèrent d'Egypte en 1221.

Mais l'entente cordiale entre les trois frères ne survécut pas au départ de l'ennemi commun. Al-Kâmil s'allia d'abord contre al-Mu'azzam avec al-Ashraf ; al-Mu'azzam s'allia avec le roi du Khwarezm Djalal al-Dîn : on fait une trêve, on s'arrange, on envisage à contre-coeur de fractionner en deux l'héritage de Saladin, en gros entre Syrie-Djazîrah et Egypte. Mais Al-Mu'azzam meurt, son fils Nasîr al-Dîn comprenant qu'il ne fera pas le poids court se soumettre à al-Kâmil. Le sultan d'Egypte va-t-il commencer à respirer ? Pas de bol, la rumeur d'une Sixième Croisade se précise, en 1227. Al-Kâmil ne se fait sans doute guère d'illusion sur la capacité des princes ayyoubides à faire face rapidement et de façon unie. Il préfère négocier directement avec Frédéric II, qui vient d'épouser la fille de Jean de Brienne, Yolande (ou Isabelle) reine de Jérusalem par Marie de Montferrat, elle-même fille de Conrad de Montferrat, le fameux marquis qui stoppa l'avancée de Saladin en fortifiant Tyr, et évinça le piteux roi Gui de Lusignan en épousant Isabelle, la plus jeune demi-soeur de Baudouin le Lépreux, ce mariahe le faisant roi à son tour (si vous me suivez bien).
Frédéric reçoit l'émir Fakhr al-Dîn en Sicile en 1226-1227, envoie ses propres ambassadeurs en Egypte. D'accord avec al-Kâmil, ses troupes et les Teutonique s'attaquent d'abord au petit frère de Damas, al-Mu'azzam, et prennent Césarée et Sidon, ce qui arrangent les deux souverains, al-Kâmil pas mécontent qu'un autre se charge de régler ses affaires de famille, et Frédéric espérant faire patienter le pape qui le somme de se croiser sous peine d'excommunication.

Bref Frédéric II part prendre Jérusalem, et l'originalité de la chose, c'est que ses bisbilles avec le pape se sont tellement agravées qu'il est à ce moment-là, excommunié. Son départ pour la croisade n'y changera rien, Grégoire IX exigeant le même mea culpa que le précédent de Canossa. En même temps, le comportement fantasque de Frédéric, son autocratie impériale surtout, heurta probablement les grands féodaux de Syrie-Palestine, dont les rapports avec l'autorité royale de Jérusalem étaient restés plus traditionnels (Roi-Suzerain et grands vassaux), au rebours de l'Europe où avec Philippe-Auguste par exemple, l'Etat royal commençait de vouloir soumettre la société féodale. Ainsi, en débarquant à Chypre, dont le roi Henri de Lusignan n'avait que 11 ans, il évince de la régence Jean d'Ibelin, comme il avait bouté de la couronne de Jérusalem son beau-père Jean de Brienne. Ce n'était pas très adroit, car les Ibelins étaient une des plus vieilles familles poulaines (Balian d'Ibelin, connétable du Royaume avait défendu une dernière fois Jérusalem contre Saladin). Déjà les Francs d'Europe étaient peu aimés des Poulains, qu'exaspéraient leur méconnaissance de la diplomatie locale, des arrangements politiques, et leur fanatisme. On ne pouvait taxer Frédéric d'être anti-musulman, mais venant en prince étranger, sans grande considération pour les puissantes familles syriennes, il ne pouvait que s'attirer l'hostilité des vassaux.

De plus, al-Mu'azzam étant mort, comme nous l'avons vu, et son fils Nâsir al-Dîn ayant fait soumission à son oncle al-Kâmil, le sultan d'Egypte n'avait plus intérêt à ce que les Croisés s'en prennent aux émirats syriens, et assuré de la loyauté de ses neveux et cousins, il ne redoutait plus autant la Sixième Croisade. Ce qui était bien embêtant pour Frédéric, excommunié, vilipendé par les Francs de Syrie et de Chypre, et dont la seule échappatoire était une victoire sur les musulmans, nonobstant ses négociations secrètes avec le Kurde. Mais bon les négociations aboutirent par un traité par lequel al-Kâmil rendait aux Francs Jérusalem, Bethléem, Nazareth, soit les trois grands lieux saints chrétiens, en plus de quelques terres, comme le fief du Toron en Palestine et Sidon. Les musulmans, eux, gardaient l'accès à leurs lieux saints, soit la mosquée al-Aqsa et la Coupole du Rocher (improprement appelée Mosquée d'Omar). Le 18 mars 1229, Frédéric était couronné roi à Jérusalem. Mais un roi excommunié, avec pour seul vrai appui les Teutoniques allemands menés par Herman von Salza. Partout ailleurs, ça grondait ferme : le pape hurlait, sans doute parce qu'il n'avait été consulté en rien dans ces arrangements, et qu'en plus Frédéric semblait se ficher passablement de son excommunication, se faisant couronner de façon "laïque", précurseur napoléonien sans même la présence d'un pape en figurant forcé ; les Templiers étaient hostiles aux Teutoniques (sans doute jaloux de leur rôle nouveau au Moyen-Orient, tout comme ils aimaient peu les Hospitaliers) ; les barons francs de Palestine et de Syrie étaient travaillés par la propagande papale et de toute façon n'aimaient pas Frédéric et sa manière de gouverner un peu trop... personnelle. Bref, le nouveau roi de Jérusalem rembarque à Acre le 1er mai, sous les huées des habitants. Il semble qu'il se prit des choux et du crotin sur la tête. Son expédition fut donc à la fois une éclatante réussite diplomatique et un échec personnel piteux. Après son départ, les chrétiens latins furent très occupés à se battre entre eux, les Ibelins s'opposant par les armes aux agents impériaux. En 1243, Tyr, dernière ville tenu par les partisans de l'empereur, tomba aux mains de Balian II d'Ibelin.

Naturellement, une fois l'empereur chassé, les grands vassaux recommencèrent leurs querelles internes et la situation politique devint tellement embrouillée et vacillante que Grégoire IX relança en 1239 la VII° Croisade : cette fois-ci Thibaut IV comte de Champagne et roi de Navarre, le duc de Bourgogne, le comte de Bretagne y participèrent. Le comte de Bar aussi, qui mena ses troupes se faire bêtement massacrer à Gaza. Mais le camp ayyoubide en face étant aussi désuni qu'auparavant, Al-Salih Ayyûb (le bon roi Sâleh du roman) s'opposant pour la succession à la lignée de Damas, c'est-à-dire contre son cousin al-Sâlih Ismâ'îl. Ce fut alors une surenchère entre rois kurdes pour s'allier avec les Croisés. Ismâ'îl leur donna Beaufort, Safed et Tibériade et Ayyûb, Ascalon. Encore une fois, le royaume de Jérusalem était récupéré par les Francs selon la voie diplomatique. Mais c'était compter sans les fameux "contingents du Khwarizm", qui de plus en plus bousculés par les Mongols qui arrivaient, installaient de plus en plus à l'ouest leurs bataillons mercenaires et bons combattants. Le 23 août 1244, Jérusalem fut reprise par les musulmans et en 1247, Tibériade et Ascalon de même.


La personnalité et l'action politique de Frédéric II fut jugée diversement par ses contemporains, selon que l'on penchait plus du côté gibelin ou guelfes. Voici un aperçu de quelques mentions faites par des historiens musulmans, dont celle d'Abû-l-Fida, l'historien ayyoubide, qui mentionne précisément l'ambassade de Baïbars auprès de Frédéric :

"Al-Malik al-Kâmil, ayant obtenu la certitude que son frère al-Mua'zzam avait obtenu l'appui de Delâl al-Din (le Shah du Khwarezm), en fut tellement alarmé qu'il écrivit à l'empereur, roi des Francs, pour l'engager à se rendre à Acre, espérant ainsi détourner l'attention d'al-Mu'azzam et obliger ce prince à renoncer aux projets qu'il avait formés. L'empereur, attiré par les offres d'al-Kâmil, qui s'était engagé à lui remettre la ville de Jérusalem, partit pour Acre. "

"En cette année (625 de l'Hégire/1227-1228 du calendrier Julien), l'empereur arriva à Acre avec ses troupes. Il s'y était rendu sur invitation d'al-Malik al-Kâmil qui voulait donner de l'embarras à son frère al-Mu'azzam. Ce fut Fakhr al-Dîn ibn al-Shaykh qui porta l'invitation. Al-Mu'azzam ne vivait plus quand l'empereur arriva. Aussi la présence de celui-ci fut-elle dès lors pour al-Kâmil comme une flèche qui reste dans une blessure. L'empereur commença par s'emparer de Sidon, ville dont la moitié appartenait aux Musulmans, et l'autre moitié aux Francs. Ceux-ci en relevèrent alors les remparts qu'on avait détruit et prirent possession de la place. Le mot "ambaratûr" signifie "roi des émirs". Ce prince, dont le vrai nom était Feredric (sic), possédait l'île de Sicile et cette partie de la longue terre qui se compose des Pouilles et de la Lombardie."Suit un propos de l'historien Djamâl al-Dîn ibn Wasil, rapportant son ambassade envoyée par Baïbars, auprès de Manfred, sur lequel nous reviendrons quand nous parlerons du Procès du moine maudit. "Pendant ce temps, al-Malik al-Kâmil continuait ses négociations avec l'empereur et reconnut, après de longs pourparlers, qu'il fallait conclure une trêve ; aussi consentit-il à mettre ce prince en possession de Jérusalem, mais à condition que les murailles de la ville resteraient abattues, que les Francs ne les relèveraient pas, qu'ils ne toucherait pas au Qutb as-Sakhra, ni à la mosquée al-Aqsâ, que l'autorité dans les camapgnes appartiendrait au gouverneur (musulman) et qu'ils occuperaient seulement les villages sur la route qui mène d'Acre à Jérusalem. Les deux parties consentirent à cet arrangement et en jurèrent la fidèle observation, aussi dans le mois de Rabi' II/mars 1229, l'empereur prit possession de Jérusalem."

Abû-l-Fida mentionne alors comment le prince de Damas ameuta les musulmans afin de les indigner contre cette "trahison", et aussi un peu, parce que comme le dit Abû-l-Fida, "la trêve conclue avec l'empereur délivra al-Malik al-Kâmil des préoccupations que les Francs lui donnaient, et ce prince, n'ayant plus rien à craindre de ce côté, se mit en marche pour Damas."

(Annales d'Abû-l-Fida).

Ibn al-Athir, est plus sévère sur cette entreprise, au contraire du prince ayyoubide qui observe une certaine neutralité sur les agissements de ses parents. Il essaie ainsi de donner plusieurs interprétations sur les motifs et les arrières-pensées de la tractation :

"Quand la rupture fut définitive entre al-Mu'azzam et ses deux frères, al-Kâmil et al-Ashraf, et qu'al-Kâmil apprit qu'al-Mu'azzam s'était dévoué à la cause de Djamâl al-Dîn, roi du Khwarezm, il craignit que l'alliance de ces deux princes ne fut fatale à la dynastie ayyoubide et n'etraînat sa chute. C'est alors qu'il envoya l'émir Fakhr al-Dîn, fils du Shaykh des shaykh, auprès de l'empereur Frédéric, pour lui demander de se rendre à Akka, et lui promettre, s'il y venait, de lui livrer une partie du littoral conquis par Salah al-Dîn. Cette démarche avait pour objet de détourner les soupçons d'al-Mu'azzam et de contraindre ce prince à faire cause commune avec al-Kâmil et à reconnaître son autorité. L'empereur ayant commencé ses préparatifs afin d'nevahir le littoral, al-Mu'azzam, instruit de cet événement, écrivit à al-Ashraf des lettres flatteuses et lui demanda à plusieurs reprises de s'unir à lui."

Sur la reddition de Jérusalem :

" Voici les causes qui amenèrent ce funeste événement, un des plus désastreux pour l'islam : les princes de la famille d'Ayyoub s'étaient groupés autour d'al-Malik al-Kâmil, prince d'Egypte, qui se trouvait alors campé dans les environs de Jérusalem, pendant une expédition contre Damas. Enhardis par leur nombre, par les renforts qu'ils recevaient de leur flotte, les Francs exigèrent qu'on leur rendit toutes les places qui leur avaient été enlevées par Salah al-Dîn. Une convention fut alors conclue entre eux et les princes. On y stipula que ceux-ci ne rendraient aux Francs que la seule ville de Jérusalem et qu'ils conserveraient toutes les autres villes en leur pouvoir. En conséquence, on livra la Ville sainte, dont tous les remparts avaient été détruits, ainsi que nous l'avons dit plus haut,par al-Malik al-Mu'azzam. Les musulmans furent très péniblement affectés par cet événement, qui provoqua parmi eux un grand découragement et une vive agitation."

"Al-Malik al-Kâmil avait pensé qu'il affaiblissait les Francs, en leur livrant ainsi Jérusalem en ruines et qu'parès quelques temps de trêve il pourrait, quand il le voudrait, leur reprendre cette ville. Il comptait aussi, en soulevant des difficultés avec l'empereur et en n'accomplissant exactement pas ses engagements, ouvrir la porte à un nouveau conflit avec les Francs, puis le conflit s'aggravant, recouvrer tout ce qu'il avait cédé.

L'émir Fakhr al-Dîn, fils du Shaykh, fut chargé de porter les messages échangés entre les deux souverains. Après de nombreux protocoles, le règlement des question de juridiction et autres formalités, al-Kâmil jura d'observer les clauses de la convention, l'empereur jura également, et une trêve fut conclue pour un temps déterminée. S'adressant à l'émir Fakhr al-Dîn, fils du Shaykh, l'empereur lui dit : "Si je n'avais craint de perdre mon prestige aux yeux des Francs, je n'aurais rien imposé de tout ceci au sultan." Un héraut invita les Musulmans à quitter Jérusalem et à abandonner la ville aux Francs. Les musulmans sortirent en pleurant et en gémissant ; ils étaient désolés de voir cette ville échapper à leur autorité et blâmaient vivement la conduite d'al-Kâmil, qu'ils jugeaient indigne (...) Quand tout cela fut terminé, le sultan demanda la permission à l'empereur de faire un pèlerinage à Jérusalem. Celui-ci la lui accorda, et le sultan se rendit d'abord à Naplouse chez Shams al-Dîn, cadi de cette ville ; il y laissa sa suite, avant de faire ses dévotions à Jérusalem et de rentrer ensuite à Akka ; puis il accomplit son pèlerinage et s'en retourna."

S'ensuit les anecdotes ultra-connues et citées dans toutes les biographies ou sites relatifs à Frédéric, témoignant de son "islamophilie" voire d'un certain penchant pour l'impiété au jugé même des musulmans. On a aussi de lui une description physique de Sibt al-Djawzî, cité par Ibn al-Athir : "roux, chauve et myope ; aurait-il été esclave qu'on en eut pas donné 100 dirhems."

lundi, janvier 22, 2007

Stabat Mater

Merveille que ce duo entre René Jacobs et Sebastian Henning, une entente superbe entre eux, régulée, aisée. La voix du jeune soprano magnifique, velouté de gorge, toute la beauté des timbres de jeune garçon, avec la sûreté et la justesse !!! en plus. Je pense à cette compositrice qui disait que les voix de jeunes garçons ont un timbre coloré, puissant, particulier, que n'ont jamais les voix de fillettes. Et j'ajoute que n'ont pas les soprano femelles. C'est autre chose, la même différence qu'entre une flûte de bois et de métal, entre précision et chaleur tremblée. Mais là je cherche vainement la moindre fragilité dans la performance de Henning.


dimanche, janvier 21, 2007

Cette semaine coup de projo sur : Seyid Elî Esxer Kurdistanî


Seyid Ali Exser (ou Asghar ou Asgar enfin toutes les variantes de transcription se trouvent) Kurdistanî est né en 1882 à Sine (Kurdistan d'Iran). Il est mort en 1936. On l'appelle parfois le "père de la musique kurde" et en tous cas c'est un des plus anciens dont les enregistrements ont sauvé la voix. Il a eu une grande influence sur beaucoup de chanteurs kurdes, et iraniens aussi puisque le poète et musicien Aref Qazvinî, le cotoya lors de son exil au Kurdistan. Il faut savoir qu'à l'époque être exilé au Kurdistan était courant, le Kurdistan, province sauvage et arriérée aux yeux des Persans devait être l'équivalent des îlesFalkland dans Le Meilleur des mondes, où l'on envoyait tous les intellectuels et artistes dissidents. Né deux ans avant notre chanteur, Aref Qazvinî mourut aussi deux avant lui dans la ville kurde de Hamadhan.
Seyid Ali Kurdistanî était un soufi et avait l'habitude de grimper en haut de la montagne d'Awiar, au dessus de la ville de Sine pour chanter, de façon à ce que tout le monde l'entende. Sa voix très aiguë, androgyne, rendrait jaloux n'importe quel castrat, (ce qu'il n'était pas, puisqu'il fut marié et père de famille). Ses chansons reprennent les thèmes classiques des soufis iraniens, souffrance, voyage, amour. Récemment son fils a expliqué à la radio iranienne que non son père ne chantait pas l'amour des filles, mais celui de Dieu, qu'on se le tienne pour dit (mais Dieu est le plus savant sur ces choses...). Ayant lui-même ajouté "Kurdistanî" à son nom, il était en tous cas très attaché à son pays natal.

vendredi, janvier 19, 2007

Il a dit


photo AFP

"Je suis même prêt à venir à Paris nier le génocide arménien, alors que sa reconnaissance m'a valu six mois de prison avec sursis. Dénoncer le génocide est évidemment un devoir, une mission universelle. Mais inscrire la "vérité" dans le code pénal limite la liberté d'expression et bloque la réflexion en France comme en Turquie. Les Turcs ont appris l'histoire d'une manière rigide, ouvrons-les sur une autre histoire en leur apprenant le doute, pas en imposant un autre diktat."

"Je connais l'âme du peuple arménien ; j'en fais partie. En réalité le monde arménien n'en veut pas uniquement à la Turquie parce qu'elle nie les événements, il en veut également au monde entier, car cette dernière ne s'est pas comportée de manière morale, éthique. En particulier l'Europe. D’ailleurs l'Amérique non plus."

"Les Occidentaux ont des comptes à régler avec la Turquie. Malheureusement ils utilisent le problème arménien comme instrument de la politique internationale. Le monde arménien ne devrait pas le permettre. En effet à chaque fois que le drame vécu par les Arméniens est utilisé comme un instrument de la politique internationale, je pense qu'on tue ce peuple à nouveau.
Les Arméniens ne devraient pas le permettre.. Reconnaître leurs responsabilités morale et historique, c'est un devoir de conscience pour les Turcs et les Européens.
C'est un devoir humain.
Nous devons les laisser avec leur problème de conscience."

"On remarque en fait combien ceux qui en Turquie restreignent la liberté d'expression et ceux qui tentent en France de restreindre de cette manière la liberté d'expression ont la même mentalité. C'est de la niaiserie car ce sont des obstacles incompatibles et très en retrait par rapport aux valeurs universelles contemporaines des droits de l'homme et de l'évolution du monde. La liberté d'expression est la première règle sine qua non des droits de l'homme universels. Si ceux qui y posent un obstacle croient faire une bonne chose, ils se trompent."

"Qu'est-ce qui est le plus important pour la Turquie? Qu'elle se démocratise? Ou qu'elle reconnaisse le génocide arménien?"

(paroles extraites de Télérama, japhel.org et turquieueropenne.org)

Hrant Dink a été abattu devant le siège de son journal Agos, journal de langue arménienne et turque. Les réactions en Turquie sont assez unanimes pour condamner cet assassinat. Le rédacteur en chef de Hürriyet a déclaré : "Hrant Dink était un vrai citoyen turc. Jamais dans ma vie je n'ai employé de pareils termes, mais je dois dire que son meurtrier est un traître à la patrie". Le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül a parlé "d'attaque immonde." (source AFP)

Il serait maintenant temps (mais si tard) que la classe politique turque, et son gouvernement, si unanimes à dénoncer le meurtre, s'interrogent sur sa responsabilité dans la récente vague nationaliste en Turquie, avant que d'autres intellectuels, écrivains, journalistes, régulièrement visés par les mêmes nationalistes, ou harcelés par des procureurs imbéciles, ne tombent à leur tour. Avant de vous inquiéter pour la sécurité des Turkmènes de Kirkouk, veillez un peu, Messieurs, à celle des citoyens turcs d'Istanboul.

mardi, janvier 16, 2007

Dol ou la Vallée des Tambours

Dol est pour résumer le parcours d'un Kurde de Turquie, dans une région qui doit être celle de Hakkarî ou pas loin... Mal vu des militaires turcs en poste dans son village, et provoqué par un nouveau gradé imbécile, qui vient perturber son mariage, Azad, plus frondeur que réellement politisé tire sur le commandant et s'enfuit au Kurdistan d'Irak. De là, il poursuit sa route au Kurdistan d'Iran avant de revenir dans son village chercher sa fiancée.

La meilleure partie est celle du début, au village occupé par les Turcs. Je dis bien "occupé", car la présence de ces soldats qui se sentent étrangers au milieu de ces gens qui pour eux sont des "arriérés", des non-Turcs, dans une contrée où 'il n'y a même pas un bar" et où les soldats vivent sous la menace d'une attaque du PKK, est bien celle d'une occupation coloniale, avec les mots d'ordre mécaniques faussement confiants des soldats, mains crispées sur leur fusil, face aux montagnes où "il n'y a que des trafiquants et des séparatistes et cela fait 80 ans que la Turquie fait face à cela mais cette fois-ci, c'est la bonne, on va résoudre le problème" répète un troufion, comme à chaque printemps sans doute.

Le plus finement exposé sont les désillusions lucides de certains militaires, parmi les plus anciennement en place, qui savent que c'est perdu, que la guerre ne réglera rien, qui le répètent, comme j'ai moi même entendu au Kurdistan des policiers dire, à Silvan ou Hisn Kayfâ : "Ici, ce n'est pas la Turquie, c'est le Kurdistan", d'un ton blasé. Tracasseries, brimades, répression et torture à chaque attaque du PKK, la vie ordinaire, quoi. La montagne peinte du fameux "Heureux qui se dit Turc" revient comme un leitmotiv ironique.



L'arrivée d'un nouveau commandant en poste n'arrange pas les choses. Il y a sans doute dans l'armée turque, comme dans toute autre dans cette situation ce décalage entre les nouveaux venus imbus de propagande, persuadés que tout est une question de force et ceux qui jouent intelligemment la politique de la conciliation locale, en évitant de trop envenimer les tensions. La scène des noces ratées est une des plus drôles, avec le chanteur Ciwan Haco en stranbêj de village, qui chante en kurde. C'est alors que les deux gradés turcs s'invitent à la noce, enfin le "faucon" est trainé là par la "colombe," et fait remarquer en fureur que les chansons ne sont pas en langue turque. Grand sourire du chanteur : "Vous préférez l'anglais ?" et voilà Haco se lançant dans une désopilante bouillie vocale vaguement anglaise.




Disons le tout de suite, ce sont les seuls bons moments du film. Parce qu'après on sombre dans un ennui consterné. Déjà la première noce avait quelque chose d'étrange, avec tous les invités rivés sur leurs chaises, sans aucune danse (non mais vous avez déjà vu des Kurdes ne pas danser à une noce ? Il n'y a qu'aux enterrements qu'ils se retiennent !). Mais quand on passe au Kurdistan d'Irak ça commence à être vraiment catastrophique. Pourtant les Kurdes du sud le disent bien : "Ici ça se reconstruit de partout. Mais à chaque coup de pelle on tombe sur une fosse commune. Pourtant on est bien, on est libre." Eh bien c'est la seule parole gaie du film, sinon il faut y croire... Toute la peinture des villageois, des rescapés du génocide, des jeunes, est passée à la moulinette d'une mise en scène prétentieuse et glacée, qui fait irrésistiblement penser à ces pièces de théâtre subventionnées où pendant trois heures, les acteurs restent plantés sur scène comme des piquets, ou s'assoient face au public, sans un mot. Car c'est en gros l'essentiel de l'action : des Kurdes assis - à l'occidentale ! - qui se regardent dans le blanc des yeux, en silence, que ce soit dans le mîwanxane ou en plein air. J'aimerais bien savoir dans quel village les gundî prennent le frais sur nos chaises à bistro, mais bon c'était sûrement pour pas abîmer les costumes (européens). Même les sketchs parodiant les retrouvailles usuelles des Kurdes - et Machin comment il va ? - Bien. - et le cousin d'Untel ? - Il va bien. - et la tante trucmuche ? - Elle est morte il y a deux ans. Mais je crois qu'elle va bien aussi. Même ce genre de dialogue est figé dans la glace, tant les acteurs ont l'air totalement inhibé, marionnettes entre les mains du metteur en scène qui a décidé sans doute de donner dans le symbolisme, l'allégorie.Du coup ces Kurdes ont l'air de tout sauf de Kurdes. On se prend à rêver de ce qu'un Bahman Ghobadi ferait avec ça.



On voit bien que le parti pris est esthétisant, théâtral. Ainsi, quand trois personnages se taisent et se plongent dans leurs pensées, ils se lèvent de table et chacun se retire dans un angle, nous tourne le dos et reste là sans bouger. Ou bien emmène sa chaise et se plante en pleine nature pour bien que tout le monde comprenne qu'il médite (il faut dire que les chaises jouent un rôle aussi important que les acteurs et je serais méchante que j'ajouterais "et sont même plus animées"). Or, ce qui marchait très bien dans Vodka Lemon là ne fonctionne pas du tout. Il n'y a plus la poésie, l'humanité des vieux Kurdes arméniens, tout est plat. Même la scène de l'exhumation et de l'enterrement du squelette ne dégage aucune émotion (là encore comparons avec la scène puissante des Chants du pays de ma mère).

Le héros Azad, qui doit s'ennuyer autant que nous sur place, décide finalement "de ne pas être une charge" à ses hôtes et de partir. Soit dit en passant, ça doit être le seul Kurde de Turquie à ne pas trouver de travail au Kurdistan du sud, mais bon... Il suit une fille qui vit dans un camp du PDKI (je suppose que c'est le PDKI et non le PKK puisque les peshmergas ont des relations amoureuses sans être exécutés par le Parti, se marient sans avoir besoin de s'enfuir et font l'école aux enfants en kurde et non en turc). Là, dans les montagnes du Kurdistan d'Iran, à 10 km de la Turquie et 3 km de l'Irak, un suspens amoureux à peine amorcé retombe très vite, puis un deuxième mariage survient (tout aussi manqué) en pleine montagne, et toujours sur des chaises, même dans la guérilla ils ont des chaises à bistros.. Puis Azad décide de retourner chercher sa fiancée et repart en Turquie

Et arrivée là, je dois avouer que j'ai eu une bouffée de soulagement quand j'ai vu que ça finissait très vite et très mal : "Au moins on va nous épargner le Kurdistan de Syrie, ses chaises à bistro et ses mariages sans danse."





Fin hâtive et bâclée : les clins d'oeil qui au début du film ne s'appesantissaient pas, là en deviennent lourdingues : Ne Mutlu turküm diyene, ok on a compris, le militaire à lunettes qui ne sait que répéter en se tournant vers le spectateur : "ça ne va pas se résoudre comme ça", la troisième noce "rythmée" au daf et au revolver, tout ça est lourd, très lourd... Même le gag du ballon, rappelant par ailleurs celui d'Intervention divine, pèse des tonnes. C'est que dans le film d'Elia Suleyman, il y avait un double sens plus subtil : la baudruche Arafat qui épouvantait les Israéliens, c'était une façon d'ironiser sur les deux camps. Là ça n'arrache à la fin qu'un soupir exaspéré : "Ouii.... on a compriiis...."

Bref, pour qui ne connaît pas les Kurdes, leur drôlerie, leur vitalité, leur goût de l'exagération (rien de plus anti-minimalistes) mieux vaut éviter de voir ce film pour aller les découvrir. Les autres peuvent toujours tenter le coup, car ce n'est pas très long (1h30).

Arménie, mon amie

Année de l'Arménie en France



Le Mémorial de la Shoah organise une rencontre littéraire autour des ouvrages :




Les 40 jours du Musa Dagh, de Franz WERFEL
(éd. Albin Michel, 2001)




Le Conte de la pensée dernière, d'Edgar HILSENRATH
(Albin-Michel, 1992, prix Alfred Döblin)


JEUDI 18 JANVIER 2007, à 19 heures 30

Avec la présence exceptionnelle d'Edgar HILSENRATH, rescapé de la Shoah,
de Peter Stephen JUNGK, auteur de Franz werfel : une vie de Prague à Hollywood
et d'Antoine SPIRE, journaliste.



Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris

Lieu : Auditorium Edmond J. Safra, niveau -1

Renseignements

Tél. : 01 42 77 44 72 (standard et serveur vocal)
Fax. : 01 53 01 17 44
E-Mail: contact@memorialdelashoah.org
Site web: www.memorialdelashoah.org


Réservation indispensable au 01 53 01 17 42



lundi, janvier 15, 2007

Shahram Nazeri à Paris


Je n'avais pas annoncé son concert ce soir au théâtre de la Ville parce que bon, pour une seule soirée les réservations hors abonnés dans ces cas-là, faut s'accrocher : 21 jours avant la date, disons qu'on a 20 minutes pour réserver par téléphone. Maintenant, beaucoup de places sont refilées à des gens qui n'y vont pas, d'où les courageux et les résolus qui attendent au guichet qu'on ouvre les places vides, ou bien qui sont prêts à racheter les billets plus chers que le tarif...

Pour les courageux pas flemmards, vous pouvez toujours tenter votre chance au Théâtre de la Ville, 2, place du Châtelet, Paris-4e, Mo Chatelet. Tél. : 01-42-74-22-77. Le 15 janvier à 20 h 30. 17 €.

Pour les flemmards, lire l'article du Monde, et réécouter ses CD, dont celui enregistré avec l'esemble Dastan.

A rengaine, rengaine et demi


photo krg.org

Est-ce une réponse agacée aux dernières rodomontades d'Erdogan, s'opposant (et de quelle façon compte-t-il procéder ?) au futur référendum de Kirkouk ? Est-ce une ferme prise de position après le désastreux rapport Baker ? Nêçirvan Barzani, le Premier Ministre du Gouvernement régional du Kurdistan, prend les accents patriotes de son oncle, le président, dans le journal turc Sabah réitère que 1/ Kirkouk appartient aux Kurdes et 2/ qu'ils ont le droit de s'ériger indépendant, ce que Massoud Barzani dit depuis le début : "Nous n'en usons pas pour le moment, par réalisme, mais nous avons le droit à l'indépendance." Comprendre que dès que les choses changeront le divorce irako-kurde sera prononcé avec un grand soulagement...

dimanche, janvier 14, 2007

Cette semaine coup de projo sur : Ali Akbar Moradi


Encore un Yarsan (ou Ahlé-Haqq). Cette religion est décidément un fameux vivier de musiciens. Il faut dire qu'ils passent encore plus de temps en semâ que les Qaderî.
Fondée au 14° siècle par Sultan Sohak (mais tous les adeptes diront volontiers qu'ils existaient avant, mais furent seulement réformés et organisés au Moyen-Âge, la religion ahlé-haqq vénèrent Dieu + cinq anges qui se réincarnent plusieurs fois au cours de l'histoire du monde, dont Ali, David, Benyamin, etc, plus quelques-uns de leurs pîrs. Point original, l'un de ces anges est féminin (Fatma est un de ses avatars).
Ali Akbar Moradi est né à Guran, dans la région de Kermanshan en 1957 et c'est un des plus grands joueurs de tanbûr kurde, instrument qu'il pratique depuis l'âge de six ans. A dix ans il est déjà considéré par ses maîtres comme un joueur accompli. Il mène une carrière d'artiste professionnelle depuis 1971. Dans cet enregistrement, il joue les 72 maqams des Yarsans kurdes.


mercredi, janvier 10, 2007

Exposition : Les 12 capitales d'Arménie

Tigranocerte, Artaxata, Bagaran, Dvin (d'où était originaire le grand-père de Saladin), Ani, Van, Chirakavan, Kars, Erevan, plus quelques autres non cités dans les annonces :

Les 12 Capitales d'Arménie

sont visibles à La Conciergerie, depuis le 15 décembre 2006 jusqu'au 18 mars 2007.

Pour en savoir plus sur l'exposition, lire le compte-rendu ici.

mardi, janvier 09, 2007

Expo photos : Le Hawroman et Pir-e Chaliyar





Hawroman-Takht
et les fameuses cérémonies de
Pir-e Chalyar


photographies de Shahla Kashanî.

vernissage samedi 13 janvier 2007
à partir de 16 heures

Institut kurde de Paris
106 rue Lafayette Paris 10° M° Poissonnière
exposition ouverte au public du 15 au 26 janvier 2007
du lundi au samedi de 14h à 19h


"Le Hawroman-Takht est l'une des plus belles régions du Kurdistan. Le Hawroman - ou Terre du Soleil - est situé aux confins de l'Iran et de l'Iraq et ses superbes montagnes abritent une population d'habiles agriculteurs, d'éleveurs et d'artisans réputés pour leur art.



Si les Hawromani sont en majorité des musulmans sunnites, ils pratiquent un soufisme très actif. Leurs derviches, reconnaissables à leurs cheveux longs, se réunissent régulièrement dans des "Khangah" (lieu de culte) où ils prient au son des "dafs" (instruments à percussion). Durant ces cérémonies, les derviches dansent en agitant vigoureusement leur chevelure.


Parmi les cérémonies les plus importantes est celle appelée "Pir-Chaliyar" qui a lieu au milieu de l'hiver. Durant cette cérémonie de plusieurs jours, les Hawramani prient et sacrifient des vaches et des sangliers qui sont ensuite distribués à toute la population.




La légende dit qu'à l'origine de ces cérémonies est la mariage de Pir-e Chalyar avec la fille du roi de Boukhara, dans l'actuel Ouzbekistan."

lundi, janvier 08, 2007

La rumeur du mois


Vous voyez, là ? Eh ben le type qui a pendu Saddam a un nez et une moustache. Et si vous regardez bien la photo de Moqtada as-Sadr, vous serez forcés d'admettre qu'il a AUSSI un nez et une moustache.

Mais il y a mieux :



Moqtada a une chevalière à l'auriculaire droit. Eh bien en regardant attentivement, on voit bien que le bourreau a un AURICULAIRE DROIT aussi, où l'on pourrait éventuellement mettre une chevalière.

Et voilà que le bruit court dans les médias kurdes et arabes que c'est l'excité chiite en personne qui a pendu Saddam Hussein.

Franchement j'imagine mal le gouvernement irakien, même en la personne de son Premier Ministre, être assez à la botte d'as-Sadr pour permettre ça... Mais les rumeurs ne sont jaamis à dédaigner, en ce sens qu'elles peuvent être des mensonges "disant la vérité", à savoir que les Irakiens perçoivent que c'est bien la Shi'a irakienne qui s'est vengé de Saddam.

Ou alors, si c'est vrai, cela replace le Roman de Baïbars au niveau des fictions historiques "vraisemblables" :) ...

dimanche, janvier 07, 2007

Coup de projo sur : Ostad Elahî

Né en 1895, dans une famille religieuse ahlé-Haqq de Kermanshan, Ostad Elahi eut un destin qu'il voulut obscur mais qui fut assez extraordinaire. Soufi dans les premières années de sa vie, à l'âge où d'autres quittent le monde pour "entrer en religion", lui fait l'inverse et quitte l'état de soufi dans lequel il était né pour entrer dans le monde, et vivre comme un homme ordinaire, dans une attitude de malamatî (version "je ne me fais pas remarquer et vit en monsieur tout le monde). Il fut alors magistrat, philosophe et théologien. En même temps sa virtuosité au tanbur lui valut des admirateurs bien au-delà de l'Iran, comme Yehudi Menuhin ou Maurice Béjart. Il poussa à un très haut degré la technique du tanbûr, en inventa même une, et son oeuvre musicale est inscrit au patrimoine immatériel de l'humanité par l'UNESCO. Il ne ne se produisit pourtant jamais en dehors de cercles privés, et ces enregistrements furent fait dans les années soixante, dans sa propre demeure, à Téhéran. C'est qu'à l'instar des grands maîtres de ragas indiens, comme Asad Ali Khan, sa pratique musicale était une part de sa voie spirituelle et non une performance artistique et il est probable que le côté intime du semâ lui convenait mieux.
Sa philosophie est connue via les traductions (adaptations ?) de son fils Bahram, qui fit publier des condensés de son enseignement, comme La voie d'un maître kurde édité en poche chez Albin Michel, et fonda une école à son nom, avec un enseignement qui est sans doute assez éloigné des ahlé-Haqq originels. Ce que j'ai lu de ses ouvrages de vulgarisation, mélange de spiritualité un peu New Age avec de curieux archaismes issus de sa religion initiale, ne m'avait guère convaincue. Mais son livre de philosophie, Connaissance de l'âme, éditée chez l'Harmattan, est par contre une très bonne surprise : un ouvrage synthétique, clair, d'une pensée philosophique qui doit beaucoup à Avicenne, Mollah Sadra Shirazî et par certains points Sohrawardî, qui fait regretter que son ouvrage principal, Borhân al-Haqq, ne soit pas traduit.

vendredi, janvier 05, 2007

Aaah les étudiants...

Quelques cas récurrents où j'adore faire ma Snape, l'oeil froid, le ipod sur les oreilles, laissant dans l'ignorance mon interlocuteur sur le fait de savoir si je l'entends vraiment ou pas, avant de me lever d'un air accablé et prendre trois bouquins dans les vitrines, sans même regarder dans la base de données (histoire qu'il ait l'impression que ce soit au hasard, gnac) :

"- Euh bonjour vous vous souvenez de moi ?

-....

- Je suis étudiant(e), j'étais venu il y a quelque temps, j'avais un exposé à faire sur les Kurdes. Vous nous aviez donné trois livres et euh... il me les refaudrait là, mais je ne sais plus les titres, ni les auteurs... Vous les avez toujours ?

1/ je mange pas les bouquins quand j'ai un creux 2/ trois livres parmi les 7014 de la biblio, bien sûr que je vais les sortir un par un jusqu'à ce que les bons réapparaissent.

"- C'était sur quel sujet, les livres ?

- Ben... sur les Kurdes.

ça c'est un renseignement qui m'éclaire beaucoup, faut dire que cette biblio est consacrée à la découpe du sushi à travers les âges, alors quand je vois un livre sur les Kurdes, dans les vitrines, effectivement j'ai un choc mnémotechnique.

Sinon :

Celui ou celle qui vient travailler en biblio et s'aperçoit juste à ce moment là qu'il ou elle a des notes à prendre et PAS de papier ou PAS de stylo, voire les deux. Maintenant j'ai résolu UN des problèmes en mettant une rame de papier sur la table, ça m'évite d'être dérangé 5 fois par jour.

ou :

celui ou celle qui se pointe à 18h30 sans avoir téléphoné avant pour s'enquérir des horaires, un vendredi soir par exemple, et fait une crise de désespoir en apprenant que la bilbio ferme à 19h : "Mais j'ai un exposé à faire pour lundiiii.... je fais commeeent.... Puisque vous êtes fermés le week-end, en plus !"

Ouais. La semaine anglaise ça date du XII° siècle, c'est dur les avancées sociales. Inutile de laisser entendre qu'un exposé peut se préparer à l'avance, ça risquerait d'être interprété comme des propos fachistes.

Sinon, il y a le nouveau venu :

- Bonjour je cherche des livres sur les Kurdes.

- Quel sujet précisément ?

- Ben tout. Tout ce que vous avez.

- J'ai 7014 volumes sur les Kurdes.

- ...

Et là, j'adore enchaîner sur la question qui tue :

- En quelles langues ?

Parce que souvent, je lis la lueur d'égarement. C'est dingue, d'apprendre comme ça, abruptement qu'en deçà des Pyrénées on édite aussi des livres.

- Euh... bah le français, bien sûr !

(Apprécions le "bien sûr").

Des fois y a des petits malins qui ont un petit sourire et au lieu de me dire quelles langues ils lisent, EUX, font, un peu comme au self :

-Quelle langue vous avez ?

Parce que bon, les étudiants parfois, ça a l'esprit ouvert, avec ERASMUS, tout ça. Ils savent que dans l'UE, on édite aussi des livres.

Là j'adore dérouler avec un air imperturbable : kurde kurmandjî, soranî, zazayî, arabe, persan, turc, arménien, géorgien, grec, magyar....et trois minutes plus tard terminer par l'anglais, l'allemand et l'espagnol.

Finalement j'ai raté ma vocation : j'aurais dû être prof de potions.

jeudi, janvier 04, 2007

La Chute

L'exécution de Saddam Hussein n'est rien de plus que la mort ordinaire d'un dirigeant irakien, c'est-à-dire cet Etat dont les complots et les putschs sont à l'image de ce pays mal ficelé, mal ajusté, à légitimité fantoche, une république pétrolo-dattière. La fin de Saddam "le Cogneur" est restée ancrée dans la tradition des changements de régime en Irak, où pas un dirigeant n'est mort dans son lit. Si la fin de Saddam Hussein semble "barbare", notons qu'elle est encore douce si l'on compare à celle de Nuri Saïd, abattu alors qu'il fuyait et dont le corps fut dépecé par la fouce et les morceaux exposés au gibet, alors que toute la famille royale et le prince étaient abattus sans procès.

Une mise à mort légale, démocratique ? Plutôt un putsch de plus, ou une étape de la stratégie-salami de la conquête chiite sur l'Irak arabe, alors que les Kurdes résistent dans leur fief de l'Irak adjami en maintenant leurs "compatriotes" là où est leur place historique, tandis que le Kurdistan prospère sur sa terre dont les frontières géographiques et humaines sont assez bien fixées, dans cette région méridionale, depuis le haut Moyen-Âge. Saddam, leader sunnite arabe, a été mis à mort au nom de la vengeance des chiites arabes, au nom scandé de Moqtada as-Sadr et non sous le drapeau d'un nouvel Irak pro-droits de l'Homme, pluraliste et laïque. Il faut s'y faire, le processus démocratique à Bagdad ne fera que donner de plus en plus de poids aux chiites d'Irak et tant pis si le reste du monde arabe pleure plus ou moins sincèrement la fin d'un des plus grands bouchers de leur Histoire, un des hommes qui a le plus de sang arabe sur les mains (ne comptons même pas les sangs "musulmans" en général). Les chiites l'ont exécuté le jour de l'adha ? Et alors, semblent dire les "gens d'Ali" ? Combien des nôtres sont morts lors de toutes les adhâ célébrées sous Saddam, lors de tous les Ramadan, lors de toutes les grandes et petites fêtes de l'Umma ? Et combien de sunnites irakiens pleurent les morts chiites, quand elles surviennent à Nadjaf, Kerbelah ? (et si l'on veut remonter plus loin dans la logique du "nous n'avons pas le même sens des mêmes célébrations", combien de sunnites pleurent autant que les chiites la mort de Hussein ibn Ali ibn Abû Talib à Kerbelah ?... tout ça ne rajeunit personne, certes).

A cette exécution, les Kurdes semblent réagir mollement, presque avec indifférence. Le président irakien Jalal Talabani s'est, depuis le début de son mandat, lavé les mains de cette exécution, que prend sur lui le Premier Ministre chiite al-Malikî. Le président du Kurdistan, Massoud Barzanî, se réjouit de cette pendaison, tout en déplorant que le procès de l'Anfal n'ait pas été achevé. Mais le procès peut se poursuivre sans Saddam, après tout à Nuremberg Hitler était absent, et de toute façon ça ne changera rien à ce tribunal incompétent, aux audiences mal foutues, mal traduites, aux témoignages peu organisés, où il est peu probable que seront évoquées avec insistance les complicités de tous les Etats ayant soutenu Saddam Hussein dans son effort de guerre contre l'Iran, et par là même ayant soutenu l'Anfal et les crimes de guerre de l'Irak, à savoir : les Etats arabes, bon nombre d'Etats musulmans, l'Union soviétique, bon nombre d'Etats européens, les USA, presque tout le monde, quoi. Mais on ne parla pas longuement de Katyn non plus à Nuremberg...

Pour les Kurdes d'Irak au fond, la mort de Saddam Hussein est secondaire. Cette exécution a été décidée en respect de la nouvelle constitution irakienne qui donne 30 jours de délai maximum entre une peine de mort prononcée et son application. Le Gouvernement kurde a pour objectif plus dirimant l'application exacte et honnête de la constitution irakienne dans ce qu'elle a prévu pour l'avenir de Kirkuk, pour le partage des revenus pétroliers et autres ressources naturelles entre Région et Etat central. Là est le véritable bras de fer, qui se jouera plus ou moins souplement, plus ou moins doucement, entre Kurdes et chiites, selon la tendance qui l'emportera chez ces derniers. Les chiites veulent-ils se saisir de tout l'Irak arabe ? Si c'est le cas, la gestion de la zone sunnite et de Bagdad leur promet d'être occupés assez longtemps pour ne plus se soucier de Kirkouk, Khanaqin et Sindjar... Quant aux Kurdes, ils tourneront leur regard et leur vigilance politique sur les seuls partenaires/adversaires qui comptent au Kurdistan, à savoir la Turquie et l'Iran. Et c'est finalement la redistribution des cartes politiques et ethniques telle qu'elle se joua à partir du XI° siècle en Anatolie orientale et haute Mésopotamie : le conflit pour l'espace entre Turcs et Kurdes quand les deux peuples repoussaient peu à peu les Arméniens, les Grecs et les Syriaques à l'ouest, et puis au XVI° siècle quand les Kurdes durent à la fois maintenir à l'est et à l'ouest, les Ottomans et les Safavides, comme le voyait lucidement Khanî :

Vois ! De l'Arabie à la Géorgie, les Kurdes sont comme une citadelle.
De toutes parts, ils sont le bouclier de ces Persans et de ces Turcs,
Et les deux camps prennent les Kurdes pour cible
De leur flèche meurtrière.

Entre les chiites et les Kurdes il y aura surenchère de réclamation, d'exigence, marchandage de bazar, mais quel affrontement armé les Kurdes ont-ils à craindre des Arabes ? Le véritable enjeu se situe pour eux dans leur aire géographique et historique, qui est celui du monde turco-iranien. Ils pouvaient, avec indifférence, laisser le sort du dictateur criminel en pâture aux chiites. Ce qui s'est passé à Bagdad est bien plus un règlement de compte inter-arabes et inter-confessionnels : "Vous nous avez massacrés et maintenant voilà ce que nous faisons de votre "héros"", qu'une histoire de processus démocratique ou historico-judiciaire malmené...

Quant à la fin "digne" de Saddam Hussein (si l'on excepte le fait qu'au rebours de ses victimes lui n'a été ni torturé, ni violé, ni mutilé, qu'on a pas dépecé sa famille sous ses yeux et donc que ce n'est pas une loque pantelante et sanglante que l'on a traînée au gibet), elle rappelle tout simplement que tout dictateur n'est pas lâche, ou plutôt qu'il serait bien facile si les méchants étaient peureux une fois qu'on les attrapait. Et que l'humanité d'un condamné à mort trouble seulement si l'on refuse d'admettre que les grands criminels politiques sont absolument humains, et non des monstres commodes à stigmatiser et à écarter de notre parentèle.

Le film magistral d'Olivier Hirschbigel, dont les critiques idiotes s'indignaient justement de cet Hitler pitoyable et usé, enfermé dans son égocentrisme et incapable de se donner tort, ne cherchant qu'à se procurer jusqu'au bout une fin "digne de lui", une fin grandiose à l'échelle de ce qu'il s'estimait lui-même, fait bien là le portrait banal d'un dictateur, et ce film est à voir ou à revoir pour comprendre 1/ qu'un homme peut ne pas trembler devant sa mort surtout s'il est persuadé d'avoir raison, que c'est là l'esprit même du martyre même s'il est navrant d'admettre que le courage n'est pas l'apanage des "bons", que c'est une vertu aussi positive que négative, et que la certitude d'avoir raison contre le monde motive le plus sympathique des combattants de la liberté, comme le plus antipathique des bourreaux, et qu'à tous moments il faut se demander quelle frontière ténue l'on est en train de franchir dans sa propre bravoure ; 2/ que oui, Saddam va être pleuré par des gens qui dans la vie évoluent entre le niveau des braves gens ou des moyens salauds, monsieur tout le monde quoi, ou des partisans réellement fanatiques, sincères, persuadés comme Frau Goebbels qu'après le Rais et la chute du Baathisme, plus rien de beau et de bon ne pourra durer sur terre, et qui se suicident en conséquence. La vague de suicides que l'on voit parmi les nazis dans le film montre d'ailleurs de façon très fine comment la fragilité mentale peut prendre le masque d'un noble renoncement ; 3/que moins qu'un choc de "civilisations" (de toute façon les civilisations ne naissent et ne croissent jamais qu'en s'entrechoquant), il s'agit plus d'incompatiblités plus ou moins temporaires, plus ou moins permanentes, entre des cultures politiques antagonistes, celle des pays où la mort donnée est absolument proscrite (sauf dans les cas d'euthanasie, combat d'avant-garde où ce droit est alors paradoxalement réclamé), celle où la mort donnée est plus ou moins justifiée dans un cadre légal, celle où en l'absence réelle d'Etat, elle s'apparente plus à la vengeance personnelle qu'à une opération de salubrité publique visant à nettoyer le champ politique de ses pires criminels. Le problème n'est pas quand ces différentes cultures trouvent chacune à s'exercer à l'intérieur de leurs propres frontières, mais quand elles s'emmêlent mutuellement dans des phases intermédiaires. Ainsi l'Irak, pays militairement occupé et à qui l'on apporte la démocratie américaine en kit, oscille selon les événements et les domaines entre ces trois options.

Mais si Saddam Hussein avait été jugé de façon qui aurait satisfait aux règles internationales de La Haye : procès long, documenté, équitable, neutre, avec absence de peine de mort au bout mais emprisonnement à perpétuité dans une cellule satisfaisant aux critères de dignité humaine et d'absence de mauvais traitements tels qu'ils sont définis par l'Observatoire des prisons, avec télévision, radio, suivi médical, visites de la famille, et pourquoi pas call-girl fournie à la demande du détenu le jour de son anniversaire, est-ce que la morale en eût été sauve ? Imaginons ce qu'aurait pu ressentir un réfugié kurde campant sous son abri à Kirkouk, devant sa demeure investie par un colon arabe, une victime iranienne ou kurde des gaz moutarde, condamnée à vie à ne jamais s'éloigner de plus de 50 cm de son respirateur ? Un chiite torturé jusqu'à l'invalidité ou la folie ? Ou n'importe quel Irakien ou Iranien pleurant des morts parfois sans tombeau ? Imaginons-les dans un monde où Saddam Hussein vivrait tranquillement en prison, finirait en vieux monsieur à la barbe et aux cheveux de neige, d'allure digne, écrivant ses Mémoires, à la fois pour s'occuper et pour démontrer au monde entier à quel point l'Histoire lui donne raison, distillant sur la fin de sages et sereins conseils à ses successeurs, des appels très émouvants à l'unité de tous les Irakiens, ces Kurdes qu'il a tant aimés, ces chiites qui sont ses frères, et ils le savent bien au fond... Aurait-ce été plus moral, aurait-ce été plus juste ? La morale absolue eût été que jamais un Saddam Hussein ne gardât le pouvoir aussi longtemps, que dès ses premiers crimes, il eût été renversé et jugé comme un criminel ordinaire, mais si l'on dit couramment qu'un auteur de génocide devrait mourir et renaître autant de fois qu'il a tué de victimes, on peut dire aussi qu'entre vengance et peine absurde à force d'être trop douce, il n'y a pas de châtiment exemplaire pour qui s'est mis par ses actes, en dehors (et lui pensait au dessus) de l'humanité. De ce point de vue, la logique des chiites, sans doute croyants, qui l'expédient dans l'autre monde, se mesurer à Dieu et à l'enfer, tandis que lui-même meurt avec aux lèvres le nom de Muhamamd et d'Allah est une façon soulageante d'évacuer le problème : va voir au-delà si j'y suis, et Dieu ou le diable décideront pour nous.

Concert de soutien à l'Institut kurde