lundi, juin 26, 2006

La Nuit turque

Sur les conseils de Roxane lu La Nuit turque de Philippe Videlier. Beau livre rapide et palpitant, dont l'écriture magnifique accroche de bout en bout. Comme un thriller, ce que c'est aussi, en quelque sorte, ou bien le conte de quatre assassins et trois vengeurs. Usant d'une émotion sarcastique, le récit reste distant, comme une voix off qui commenterait, tranquillement, un peu ironiquement, la "scène du crime", la "liquidation", les "pièces de vêtements déchiquetés", les "restes de tissus épars", les "fragments d'étoffe", les "crânes", les "ossements".

"Qu'au physique Enver Pacha fût un bellâtre insignifiant était exact, mais il avait dans son bureau un portrait de Napoléon Bonaparte, expert en batailles, intrigues et reniements et le cinquième de ses mots, lorsqu'il parlait, était toujours "moi", quand ce n'était pas le premier."




Bouffonnerie des pachas, bien dignes d'être croqués par Hugo Pratt. Les révolutions de palais, les poses héroiques dans les cabinets ministériels, les chancelleries, sont dépeintes avec la légèreté précise, enlevée, avec laquelle Stendhal racontait les intrigues de la principauté de Parme. Ton charmant et spirituel, pour brosser le portrait de coquins à qui la férocité avide et les mauvaises manières de parvenus donnent une forme d'envergure. Pirate ou condottiere, ils eussent été parfaits dans leur rôle.

"Un jour d'entre les jours, ceux qui étaient arrivés gonflés d'ambition de Paris ou de Salonique, de Londres, de Genève ou du Caire, et alors qu'ils avaient conquis le pouvoir mais hésitaient sur son usage, décidèrent enfin qu'ils allaient faire un pas vers le Progrès. Ils ne savaient comment s'y prendre. Puisqu'il fallait commencer par un bout, ils entreprirent tout d'abord de se débarrasser des chiens.

Constantinople manquait de l'hygiène la plus élémentaire. Ils le vérifiaient quotidiennement, eux qui avaient l'expérience des cafés des capitales occidentales et des casernes de Macédoine. Or à Constantinople, depuis des lustres et des lustres, des siècles sans doute, divaguaient des chiens par milliers, des chiens jaunes, des chiens gris, des chiens noir et blanc, des chiens roux au museau pointu qui formaient une société particulière et avaient attiré l'attention, naguère, de quelques scientifiques, par leur nombre et pour leurs moeurs fort sociables. On disait, c'était chose rare, qu'ils s'entendaient parfaitement avec les chats et montraient ainsi une tendance étonnante à la tolérance, à la douceur de vivre en compagnie. Ils étaient aimés du petit peuple, mais détestés de quelques-uns."



Derrière les triples murailles du palais de Yildiz, à Constantinople, porte de l'Europe, le Sultan trame de noirs complots. Le sang coule sur la Corne d'Or. Le sang coule en Anatolie. Des comités secrets, les exilés politiques de Paris, les militaires de Salonique organisent la révolution. Mais l'aventure tournera mal : guerre dans les Balkans, au Caucase, terreur sur l'Empire ottoman.

1915. L'ordre d'anéantissement des Arméniens est donné. Ce qui avait des allures de conte, l'histoire du Sultan et des trois Pachas, se terminera en tragédie.



Philippe Videlier est historien et chercheur au CNRS. Il a publié en 2001 aux Éditions Gallimard Le jardin de Bakounine et autres nouvelles de l'Histoire.



  • Date de parution : 9 novembre 2005
  • Maison d'édition : Gallimard
  • N° ISBN : 2070776328
  • Nombre de pages : 137
  • Prix éditeur :11,00 euros

jeudi, juin 22, 2006

Café à Diyarbakir, 1909, et autres vues...


Au hasard d'un clic, quelques trouvailles, parfois... Sur wikipedia.en, à Diyarbakir, on peut voir ce cliché : Café à Diyarbakir, 1909. Comme on le voit, mis à part les costumes, très peu de choses ont changé dans la "vie sociale masculine" de Diyarbakir. Ah si, les Samsun aujourd'hui, remplacent les narguileh et c'est bien dommage !

Ici un cafetier "syrien" (mais vu la tenue...)




Et là une vue de Mossoul :


(Les deux derniers clichés m'ont été envoyé gracieusement par le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée)

mardi, juin 20, 2006

Les Secrets d'Alep

Paru il y a peu, en avril de cette année, un des plus beaux livres sur Alep que j'ai eu à lire, par le biais original et savoureux de sa cuisine (la meilleure du Moyen-Orient). Joliment illustré des aquarelles de Georges Coussa, un Alépin, avec une foule de citations, de témoignages de voyageurs, de documents et notamment la célèbre Wusla ou le Kitâb al-Wusla ilâ l-habîb fî wasfi t-tayyibâti wa-t-tîb soit Le Livre du lien avec l'ami à travers les bons plats et les parfums, écrit au XIII° siècle, auquel contribua le poète, calligraphe, historien et ministre ayyoubide Kamâl al-Dîn Ibn al-'Adîm al-'Aqilî al-Halabî, petit-neveu de Saladin...

Après cette introduction via la cuisine ayyoubide, les auteurs nous déroule "la généalogie des saveues alépines", avec l'histoire de la ville et de ses communautés : arabe, turque, kurde, juive, arménienne, musulmane, yézidie, chrétiens de bien des églises, etc. Enfin nous visitons les souks (le monde extérieur) puis la cuisine des maisons, l'univers des femmes.

Les recettes sont celles de Maria Gaspard-Samra, cuisinière en chef du palais Mansouriyya à Alep : Langue farcie de pistaches (Lisénat Dobbô), soupe aux lentilles corail (maklhouta), mortadelle alépine (mortadella halabiyé), ragoût de kebbé à la carotte ou kebbé jazarîyé, alouettes sans tête (barzôlat malfoufé), flan au raisiné (khabissa), confiture de cerises au soleil (mrabba al-karaz) lait d'amandes (charâb al-loz)...

La vie quotidienne d'Alep, les saisons, les fêtes familiales et religieuses de toutes les communautés, tout y est !

Bref, un livre indispensable pour les amoureux d'Alep et pour ceux qui voudraient connaître le vrai kebbé, et non l'infame kebab-hamburger des döner salunu...



Quatrième de couverture :
"La tradition culinaire alépine compte incontestablement parmi les plus sophistiquées du monde arabe, à l'égal de celle de Fès au Maroc. Cet ouvrage, le premier qui lui soit entièrement consacré, est fondé d'une part sur les sources écrites disponibles en langue arabe et, d'autre part, sur une enquête auprès des meilleurs cuisiniers et cuisinières de la ville. Il se compose de cinq parties, ponctuées de soixante recettes :

Généalogie des saveurs, ou comment s'est constituée à travers l'histoire, par de multiples métissages entre les éléments ethniques et religieux de la Syrie du Nord, la grande tradition culinaire d'Alep et de sa région.

Savoir faire et savoir vivre, où il est surtout question de la transmission de cette tradition, à la fois dans les souks, espace exclusivement masculin, et dans les foyers, de mères en filles.
Récoltes et menus des quatre saisons, où sont évoquées, au rythme des saisons, les préparations culinaires destinées soit à la consommation immédiate, soit à la conservation de moyenne ou de longue durée (fromages, céréales, olives, confitures, sirops, fruits secs, légumes en conserve...). Ephémérides pieuses et gourmandes, où l'on découvre les mets spécifiquement préparés lors des fêtes musulmanes et chrétiennes, mais aussi pour célébrer les naissances, les circoncisions, les baptêmes, les fiançailles, les mariages...

Les Mille et une kebbé, où l'on célèbre ce fleuron de la gastronomie alépine.

Vivant et raffiné, Les Secrets d'Alep est par-dessus tout un vibrant hommage à l'une des plus belles villes du monde arabe."

Les auteurs :

Née en 1978 à Paris, Florence Ollivry a enseigné le français au Centre culturel arabe d'Alep. Elle réside et travaille actuellement à Barcelone.

Né en 1952, Georges Coussa est un aquarelliste et illustrateur alépin. Il a étudié les arts plastiques à l'université de Paris VIII et a vécu comme artiste peintre à Paris durant vingt ans. De retour à Alep en 1996, il s'adonne depuis lors à l'aquarelle et au dessin à la plume, inspiré par la ville, ses rues, ses maisons, ses intérieurs.



jeudi, juin 15, 2006

Voyage de l'Afrique du Nord à La Mecque

Le côté Agnan cafard, rapporteur et sermonneur d'Ibn Battûta. A Muniat Ibn Lhasîb, en Egypte, il va au hammam et s'aperçoit que les hommes y sont nus :
"Cela me fut très pénible. J'allais trouver le gouverneur et je l'en instruisis. Il m'ordonna de ne pas m'éloigner et prescrivit d'amener les locataires des bains. On leur fit signer des engagements portant que toutes les fois qu'un homme entrerait au bain sans caleçon ils seraient punis d'une amende. L'émir déploya envers eux la plus grande sévérité."

Sûr, en Syrie, il trouve qu'un habitant ne fait pas ses ablutions correctement et le reprends là-dessus, se faisant d'ailleurs envoyer bouler. Bref, Ibn Battûta c'est l'anti-Usage du monde. Il ne le parcourt pas pour s'instruire, voire se changer, mais pour l'instruire lui, et en redresser les torts. C'est étonnant qu'il n'ait pas fini assommé sur un chemin ou égorgé dans une ruelle à force de casser les pieds de tout le monde.

mercredi, juin 14, 2006

Une enfance arménienne à Adyaman




"Il est né le 1er septembre 1906 à Adyaman (Turquie) dans une famille de paysans. Il était le plus jeune des quatre enfants.

Pendant la première guerre mondiale, la région d'Adyaman a été réputée pour l'attitude héroïque de ses habitants Arméniens dans leurs combats contre les Turcs. Le père de Manouchian a trouvé la mort dans ce combat d'auto-défense. Peu après, c'est sa mère qui disparaît, victime de la famine. Il devait avoir sept ou huit ans et cela l'a profondément marqué. il a toujours gardé un souvenir très vivace de sa mère. Devenu orphelin, c'est une famille kurde qui le recueille et le cache, le sauvant ainsi des massacres. Le petit Missak était très ami avec la petite fille de ses protecteurs. Ceux-ci avaient même l'intention de faire de lui leur gendre. Mais des représentants de l'Eglise arménienne, ainsi que des fonctionnaires arméniens sont arrivés, qui cherchaient dans les familles les enfants arméniens rescapés afin de les placer dans des orphelinats. C'est ainsi que Missak a été emmené, ainsi que son frère, en Syrie, à Djunye. Ils y sont restés jusqu'à leur arrivée en France.

De ces quelques années passées en Syrie, Manouchian n'a pas gardé un trop mauvais souvenir. Tout d'abord, au contraire des enfants arméniens restés en Turquie, ceux de Syrie n'ont pas connu les problèmes du racisme. Les Arabes ayant toujours vécu en bons termes avec les minorités chrétiennes."

Manouchian, Mélinée Manouchian, Les éditeurs français réunis, 1974.

mardi, juin 13, 2006

Conférences

COLLOQUE INTERNATIONAL

« Où va l'Iran ? »
Organisé par l'Institut kurde de Paris

Vendredi 16 juin 2006
14h30-19 h00


Salle Victor Hugo
Immeuble Jacques Chaban-Delmas
101, rue de l?Université
75 007 Paris
Métro / RER : Invalides

PROGRAMME DE LA CONFERENCE


14 h30 ? 15 h30 : Table-ronde I : Introduction au débat : La société iranienne d'aujourd?hui

Modérateur : Hamit Bozarslan, co-directeur de l?Institut d'études des sociétés musulmanes, Paris

Intervenants :
  • Fred Halliday, professeur à la London School of Economics, Grande-Bretagne.
  • Dr. Ali Riza Nourizadeh, journaliste, écrivain et spécialiste des questions socio-politiques sur l'Iran et le Moyen-Orient, Grande-Bretagne.
  • Abdullah Mohtadî, secrétaire général de Komala, Iran
15h30 ? 17 h30 : Table-ronde II : La question des nationalités non-persanes
Modérateur : Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris, France
Intervenants :
  • Dr. Karim Abdian, représentant des relations internationales du Parti de la Solidarité Démocratique d?Ahwaz, USA
  • Nasser Boladaï, président du Parti du peuple baloutche, Suède
  • Djuma Boresh, président de l'Organisation de défense des droits du peuple turkmène, Allemagne
  • Mustafa Hejri, secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d?Iran (PDKI)
  • Dr. Zia Sadr, président du Centre pour la culture azérie, Canada.
17 h30 ? 19 h00 : Table-ronde III: Les démocraties face au défi iranien
Modérateur : Gérard Chaliand, spécialiste de géopolitique, France
Intervenants :
  • Christopher Dickey, journaliste à Newsweek, USA
  • Philippe Errera, Directeur-adjoint du Centre d'analyse et de prévision (CAP), Ministère français des Affaires étrangères, France
  • Hubert Védrine, ancien Ministre des affaires étrangères, France



OÚ VA L'IRAN ?


Les interventions américaines en Afghanistan et en Irak ont entre autres conséquences, eu pour effet de débarrasser la République islamique iranienne de deux de ses pires ennemis régionaux : Les Talibans de Kaboul et le régime baasiste de Saddam Hussein.

Elles renforcent aussi à Téhéran le sentiment d?un encerclement par les Etats-Unis et leurs alliés d'autant que Washington place publiquement l'Iran dans son « axe du mal » et va jusqu?à exprimer son souhait d?un « changement de régime », cela alors que les dirigeants iraniens semblent se préparer et préparer le pays à une confrontation éventuelle en se mettant en ordre de bataille. Dans ce contexte, les réformateurs, qui donnaient l'illusion d?une possible évolution libérale du régime, ont été écartés de tous les centres du pouvoir et un ancien responsable des Gardiens de la révolution a été «élu » président par la grâce de l'ayatollah Khomeneï, guide suprême de la Révolution islamique.

Le nouveau président défie la communauté internationale, promet de rayer Israël de la carte dans des discours qui visent autant son public iranien que l'opinion publique des pays musulmans. Le régime iranien instrumentalise le conflit israélo-arabe et le tandem irano-syrien, qui a fait preuve de sa redoutable efficacité au Liban déploie à présent sa capacité de nuisance en Irak où il accorde un soutien multiforme à la fois aux insurgés sunnites djihadistes et baasistes, et aux milices chiites avec l'objectif clair d?occuper l'armée américaine aussi longtemps que possible afin de l'empêcher d?intervenir un jour ailleurs.

Pendant ce temps, les ambitions nucléaires de l'Iran, révélées par la découverte en août 2002 de ses sites secrets de Natanz et d'Arah, suscitent de vives inquiétudes au Proche-Orient mais aussi en Europe et aux Etats-Unis en raison de l'importance hautement stratégique de cette région du monde. Les principales capitales occidentales déclarent « inacceptables » l'accès de l?Iran à l?arme nucléaire.

Après bientôt quatre années de négociations et tractations diverses, quelles sont les chances d'une solution diplomatique à la crise iranienne ? Que faire si au nom de son « droit inaliénable à la technologie nucléaire » Téhéran refuse tout compromis impliquant l'arrêt de ses activités d?enrichissement d'uranium ? Quels sont les risques d'un Iran nucléarisé pour le Proche-Orient et pour le monde ? Ces risques valent-ils une épreuve de force ? Quelles seront les conséquences d?une telle épreuve pour les populations de la région et pour le monde ?

Les réponses à ces questions nécessitent aussi une meilleure connaissance de la société iranienne d'aujourd?hui, de ses composantes ethniques et nationales, des aspirations diverses et variées de la mosaïque iranienne afin de mieux évaluer l'assise du régime et les dynamiques socio-économiques, politiques et culturelles à l'?uvre à l'intérieur du pays.

A l'initiative de liInstitut kurde de Paris, des personnalités iraniennes et occidentales d'horizons divers et des experts et des journalistes spécialisés sont invités à s'exprimer dans le cadre d?un débat pluraliste pour apporter leur éclairage et des éléments de réponse à ces questions d'une brûlante actualité.

Le colloque se propose de contribuer à ce nécessaire débat citoyen sur la crise iranienne appelée à connaître des développements importants et qui sera sans doute la grande question de politique internationale des années à venir avec des conséquences considérables pour la paix et la stabilité du Proche-Orient.

vendredi, juin 09, 2006

Parution


DE GRENADE À BAGDAD
La relation de voyage d'Abû Hâmid al-Gharnâtî (1080-1168)
Traduction annotée de Jean-Claude Ducène


"Jean-Charles Ducène a découvert quatre manuscrits permettant de reconstituer tout le récit du voyageur Abû Hâmid al-Gharnâtî, qui relate toutes les choses merveilleuses qu'il aperçut durant sa longue pérégrination, de Grenade au Caire, puis à Damas et Bagdad. Il traverse ensuite l'Azerbaydjan et remonte la Volga et rayonne pendant près de trente ans chez les populations d'Europe orientale. Nous voyons ainsi défiler les vestiges de l'Egypte, des cavernes insolites au Caucase et des observations sur les populations rencontrées.
"

Concert de soutien à l'Institut kurde