lundi, février 28, 2005

La Turquie malade de son lumpen-nationalisme

Nombre d'intellectuels ou de journalistes turcs ont une forte et lucide analyse des problèmes de leur pays (et dont par ailleurs il sont aussi victimes, car il ne fait pas bon trop gratouiller où ça fait mal en Turquie. Les attaques dont a fait l'objet le romancier Orhan Pamuk, pour avoir parlé de 30.000 morts kurdes et d'un million d'Arméniens victimes de ce même nationalisme en sont un exemple ) :

" Pour défendre la Turcité, définition officielle de la citoyenneté en Turquie, les autres ethnies ou les autres identités culturelles sont devenues ainsi "l'Autre". Cette insistance pour incorporer la kurdité à la turcité, au lieu de les unifier dans le cadre global de la citoyenneté, a créé ainsi deux nationalismes en conflit l'un et l'autre. Plutôt que de créer une synergie citoyenne, les nationalismes turc et kurde ont été deux lames que l'on a aiguisées l'une contre l'autre. Ces dernières années, le nationalisme turc s'est même plus étroitement focalisé comme une antithèse du nationalisme kurde, et ce comme une défense de l'unité du pays et de la "nation" définie comme étant turque. Un tel nationalisme est sans aucun doute xénophobe et autoritariste. Comment, donc, pourrait-il être le moteur politique qui ferait de la Turquie un acteur mondial ou même régional ?

Le rébellion kurde a rendu le nationalisme turc plus ethnocentrique encore. De plus, le nationalisme turc se mêle maintenant d'anti-américanisme, car l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis et leur volontés de changer les régimes en Iran et en Syrie ont fait naître autant de scénarios alarmistes pour la Turquie.

Il y a assez de théories de la conspiration parmi les gardiens de l'Etat et les nationalistes pour susciter peur et suspicion envers les "impérialistes". Quand l'une de mes étudiantes en doctorat a mentionné "l'impérialisme de l'UE" comme si c'était un fait établi, lors d'un exposé qu'elle a donné en classe, j'ai été terrifié. Mais elle fut bien plus troublée quand je lui ai demandé les preuves concrètes de ce prétendu impérialisme. C'était pour elle une chose si évidente, qu'elle n'avait pas à s'appuyer sur des preuves. Qu'avons-nous fait ? Qu'avons-nous fait pour avoir élever ainsi une génération aussi paranoïaque ? La politique étrangère n'est-elle réllement qu'une conspiration à schémas impérialistes ? Ou nous sommes-nous refusés toute connaissance et outils de compréhension qui nous permettrait de nous voir en tant que membres d'un monde contemporain élargi, un monde qui nous fait si peur ? Je suis sincèrement troublé."

jeudi, février 24, 2005

destins KURDEs

destins KURDEs




Le Kurdistan (la terre des Kurdes) est divisé entre les États de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran, de la Syrie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Les instruments de musique joués par les Kurdes sont aussi ceux des groupes ethniques voisins, comme les tambours def et dumbak, la clarinette balaban, le hautbois zurna ou le luth saz.

La seconde moitié du XXe siècle a connu une vaste diaspora kurde, vers l’Europe occidentale et, dans une moindre mesure, les États-Unis. Face à l’oppression policière et militaire subie par les populations kurdes de Turquie, d’Iran et d’Irak, les villageois isolés se sont tournés vers la radio et l’enregistrement pour écouter les bardes réciter, depuis l’étranger, les grandes épopées de leur histoire…


Programme


Vendredi 25 février à 20h

Chants de femmes, entre tradition et exil
Feleknaz Esmer (Turquie)
Hany Moujtahidy (Allemagne)
Tarif : 16€

Samedi 26 et dimanche 27 février à 15h

La tradition kurde en Iran
Enfants musiciens kurdes (Iran)
Tarif : 16€

Samedi 26 à 18 h et dimanche 27 février à 16 h

Danses du Kurdistan
Ensemble Afrine (Syrie)
Entrée gratuite

Samedi 26 février de 20h à 1h du matin

Nuit kurde

20 h : Ensemble Garyan (Irak)
21h30 : Tania Arab (Irak)
23h : Chants et danses soufis de la confrérie Qaderiya (Iran)
Tarif : 22 €

Dimanche 27 février à 16h30

Mémoires en exil

Première partie : Marouf, chant, (France) et Samdin, chant, (Allemagne).
Seconde partie : S,ivan Perwer, chant et saz, (Suède).
Tarif : 22€



Les musiciens et chanteurs


Feleknaz Esmer vit à Diyarbakir, en Turquie. Mère de cinq enfants, elle chante comme le font encore les femmes de la région. Elle attribue la qualité de sa voix à l’eau claire des montagnes. Lors des longues nuits d’hiver, ses chants évoquent un amour inachevé, des héros plus vrais que nature ou, plus simplement, le quotidien domestique.

Hany Moujtahidy (Allemagne)
La musique modale du Moyen-Orient réserve une grande place à l’art de l’improvisation. Dans la musique kurde comme dans la musique arabe, la plus grande partie des improvisations se fait dans les maqâms.Dans l’ancienne tradition kurde, certains modes étaient prescrits pour chanter ou jouer le matin, d’autres l’après midi ou le soir, d’autre au coucher ou au lever du soleil.
Les chants et les poésies appris ou improvisés accompagnaient tous les gestes de la vie quotidienne. Il existe encore des chants pour la transhumance de printemps ou d’automne, des berceuses, des couplets en l’honneur des jeunes mariés ou encore à l’occasion de deuils.Hany Moujtahidy est née dans le Kurdistan d’Iran. Aujourd’hui comme beaucoup d’artistes kurdes exilés, elle vit en Allemagne.

Enfants musiciens kurdes (Iran)
Dans une structure encore traditionnelle, revendiquant une forte identité culturelle, de très jeunes musiciens s’initient au répertoire amoureux et épique, comme celui des chants delal ou laouwiké Siwaran (chants de cavalier). Déjà familiarisés avec la voix de fausset qui caractérise la technique des adultes, ils évoquent les exploits des héros en s’accompagnant au tambur, un luth à manche long.C’est à travers ces chants que les enfants kurdes apprennent aussi l’histoire récente de leur peuple et les exploits de leurs aînés, faisant de cet apprentissage musical une véritable quête identitaire et initiatique.

Danses du Kurdistan, Ensemble Afrine
La danse reste toujours l’élément principal de réjouissance chez les Kurdes, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Au son strident du zurna, le hautbois traditionnel de l’Orient, on exécute les danses govand, chaiy ou halparke. Les hommes, sur le rythme du dahoul (un tambour à double membrane), se livrent à de véritables figures acrobatiques.

Ensemble Garyan (Irak)
Soulaimanie, capitale culturelle du Kurdistan irakien, offre depuis un siècle des musiciens talentueux à la culture kurde.

L’ensemble Garyan est composé de huit musiciens et de deux chanteurs. La virtuosité de ces musiciens et leurs techniques montrent le raffinement et la profondeur de la tradition kurde, avec une puissance rythmique et une légèreté des mélodies qui impressionnent. Les deux chanteurs du groupe sont très renommés dans la ville de Soulaimanie et connaissent parfaitement les répertoires traditionnels.

Tania Arab (Irak)
Originaire de la ville d’Arbile, au cœur de l’ancien Kurdistan irakien, Tania Arab est incontestablement un grand maître du hairan, l’un des genres vocaux kurdes les plus authentiques et les plus riches. Un hairan-bej (chanteur de hairan) doit être assez habile pour construire, mot après mot, un discours poétique marqué par une multitude de références culturelles locales.Il s’agit donc d’une sorte d’improvisation qui réclame l’écoute d’un public amateur et souvent expert dans l’appréciation de ce genre.

Chants et danses soufis de la confrérie Qaderiya (Iran)
Le célèbre ordre soufi fondé par le saint Abd al-Qadir al Jilani (1077-1166, né à Gilan dans le Caucase) s’est répandu de l’Asie au Maghreb ; il est très présent dans la communauté kurde iranienne. Cette confrérie, bien connue pour ses pratiques d’automutilation spectaculaires, cultive des chants et une musique d’une rare intensité. Les membres de la communauté spirituelle savent, mieux que quiconque, faire résonner leurs grands def d’une manière à la fois puissante et extatique.À tous les aspects cachés des rites de la confrérie s’oppose l’extériorisation lumineuse de l’extase, cette transe de l’absolu qui habite la cérémonie. Le chant religieux se réfère à l’écriture des grands maîtres soufis. Son écoute suscite le tarab, cette sensation qui déclenche le désordre des sens.

Marouf (France), Samdin (Allemagne)
Par un étonnant phénomène de conservation, les grands récits épiques, guerriers et amoureux, dus à des poètes qui furent souvent eux-mêmes des combattants, se sont perpétués au sein de la diaspora kurde. De Stockholm à Paris, ce sont les mêmes voix de l’exil, intenses et déchirées, qui évoquent la gloire chevaleresque de héros déchus, dans des récits peuplés d’anecdotes sur la vie tribale des montagnes.

Sivan Perwer (Suède) : Né dans la région d’Urfa (Kurdistan turc) au sein d’une famille de musiciens, Sivan Perwer est devenu le chanteur le plus populaire de sa génération, non seulement au Kurdistan, mais aussi dans la diaspora kurde en Europe ainsi que chez les Azeris, les Turcs et les Persans. Issu de la tradition des dengbêj – anciens bardes conteurs qui parcouraient les montagnes et les hauts plateaux du Kurdistan –, son chant passe volontiers de la chronique historique à la chronique politique.



Cité de la musique

221 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris M° porte de Pantin
Renseignements - Réservations : 01 44 84 44 84 ou Cité de la musique

TARIFS –20% pour les groupes de 10 personnes ou plus

Parcours concerts : Bénéficiez de 30% de réduction en réservant simultanément 5 concerts

Informations au 01 44 84 44 84

mercredi, février 23, 2005

Télévision, radio

Bon, ça fait la énième fois qu'on le diffuse et le rediffuse, mais pour ceux qui n'auraient toujours pas vu ou qui voudraient reverser une larme sur "Zeugma, cité engloutie" : Samedi 26 sur ARTE à 20h40 et dimanche 27 à 14h : Les derniers jours de Zeugma, un documentaire de Thierry Ragobert 2000, ou comment le GAP (gros méga projet de barrages visant opportunément à noyer le Kurdistan sous les eaux, histoire d'éteindre aussi la Question kurde) a englouti au passage un site majeur de production de mosaïques antiques, aussi important que celui d'Antioche...

Mardi 1er mars, sur France Culture, à 22h30, dans Surpris par la nuit : Madhat Kakei, peintre kurde qui expose pour la première fois à la Galerie danoise.



Madhat Kakei

S,ivan à Diyarbakir ?

Il paraît que le président du DEHAP de Diyarbekir, Celalettin Birtane, souhaiterait inviter au Newroz les chanteurs S,ivan Perwer, Aram Tîgran, Irahim Tatlises et Sezen Aksu.
Ce serait bien, S,ivan à Diyarbakir, les Kurdes de là-bas seront ravis, et puis pour ce chanteur, la scène de Diyarbakir, encadrée par le service d'ordre du DEHAP et la police turque, sera sans doute à l'abri de toute aggression des commandos du PKK, comme c'est systématiquement le cas en Europe. Ce serait bien du PKK ça, et de sa brillante défense de la démocratie et de la culture kurdes, de faire en sorte que la Turquie soit l'endroit le plus sûr pour les prestations d'un chanteur aussi connoté "bijî Kurdistan" que S,ivan...

Les Tortues volent aussi




Télérama publie un court article sur Bahman Ghobadi, mais rien de plus que ce qu'on lit partout de lui en anglais sur le web, à croire qu'ils se sont contentés de traduire ses interviews dans la presse anglophone... Quant à la critique du film elle m'a fait un peu sourire : apparemment nos baroudeurs critiques parisiens savent mieux que les autres de quelle façon une mine anti-personnelle doit péter ou non... On aura peut-être quelque chose de plus intéressant dans l'émission de radio Cosmopolitaine, sur France Inter, dimanche 27 à 14h00, avec Bahman Ghobadi en invité (entre autres).

Par contre, des papiers en rafales dans le Figaro, Libé, Le Monde. Bien meilleurs et plus attentifs. Mon préféré est celui de Gérard Lefort. Ils sont tous consultables sur le site de l'Institut kurde.

dimanche, février 20, 2005

"Les Kurdes, destin héroïque, destin tragique"

La conférence d'hier donnée à l'Institut kurde par l'ancien ambassadeur de France Bernard Dorin était assez intéressante pour que j'en note la majeure partie (n'étant pas un dictaphone, j'ai parfois abrégé certains développements, sans que le sens en soit modifié). Disons que pour les familiers de la Question kurde, cela n'apportera guère de révélations, mais le propos clair et synthétique peut être un début utile pour ceux qui voudraient un peu comprendre de quoi il s'agit. Il y a aussi de beaux accents émouvants de la part de quelqu'un qui aime vraiment les Kurdes, non en tant que victimes, mais pour leur énergie et leur courage, ce qui est rare en ces temps de sur-victimisation.

Notons aussi la présence, pour la première fois à 'lInstitut kurde, de l'ambassadeur d'Irak en France (un nouveau bien sûr, pas un homme de l'ancien régime) qui côtoyait ainsi Saywan Barzani, le représentant du Gouvernement Régional du Kurdistan, et donc représsentant des Kurdes d'Irak, ainsi que le délégué permanent de l'Irak à l'UNESCO. Signe que les temps changent...



Conférence de Bernard Dorin

"Je dois d'abord dire qu'en tant qu'ami inconditionnel des Kurdes, j'ai 3 patries (comme Joséphine Baker disait qu'elle avait deux amours, son pays et Paris) moi j'ai 3 patries, la France, le Québec et le Kurdistan.

Je voudrais aussi mentionner en préambule les élections récentes en Irak, élections qui pour la première fois ont été entièrement libres dans ce pays. Cet événement considérable avait déjà eu des retombées avant même son déroulement, puisqu'elles avaient amené les deux autorités qui se partagent la région à s'allier pour cette élection, et ce qui a permis aux Kurdes d'arriver numéro 2. Quand le conflit israélo-palestinien sera terminé - et il finira tôt ou tard - la Question kurde sera le grand problème à résoudre du Proche-Orient. Connaissant la sagesse et la modération kurde j'ai bon espoir que le problème kurde soit résolu dans les quatre pays (qui se partagent le Kurdistan, à savoir Iran, Irak, Syrie, Turquie, ndr), de la façon la meilleure et la plus juste possible. Car la langue, c'est l'identité, et chaque foyer a le droit d'espérer que ses enfnats parlent cette langue, sans être massacrés ou déportés.

La plaquette que j'ai fait paraître se veut tout à fait pédagogique. Ce petit livre est fait pour tous les francophones. Par manque de temps, ce n'est pas un livre fabriqué, réécrit de but en blanc, mais une suite de questions-réponses, questions posées par un journaliste, que nous avions convenues ensemble, et auxquelles je réponds. Ces questions balaient, me semble-t-il, l'ensemble de la Question kurde dans les 4 pays. La dernière partie aborde le devenir possible des Kurdes.

Je voudrais aussi parler de la photo qui est sur la couverture, et qui m'est très chère. Je l'ai prise moi-même en 1968, au Kurdistan. Entre nous, je peux vous dire que ce petit garçon a par la suite été fait prisonnier et tué, probablement torturé. Je l'ai pris quand même parce qu'il respire la joie de vivre et l'espoir, et qu'il symbolise le peuple kurde : Petit guerrier, car les Kurdes sont un peuple guerrier, ni par volonté ni par goût, mais par nécessité. Les historiens pensent qu'ils ont été réduits peu à peu à occuper les montagnes de façon défensive. Je me souviens du proverbe que citait le prince Bedir Khan : "La montagne est la citadelle de mon coeur."

En Turquie, il y a entre 14 et 18 millions, disons 16, Kurdes. Ils sont 2 millions en Syrie. Avant Saddam Hussein ils étaient 5 millions en Irak, disons 4 millions à présent. En Iran, 8 millions, ce qui fait donc 30 millions en tout. Et ce qui est intéressant dans cette répartition, c'est l'unité géographique de leur peuplement, qui couvre les plus hautes montagnes de la région.



Autrefois, le peuple kurde était intégralement compris dans l'Empire ottoman. Mais après les batailles contre les Persans, ces derniers ont obtenu la frontière des monts Zagros. Mais jusqu'en 1918, les Kurdes n'étaient ainsi partagés qu'en deux, ce qui était une situation moins inconfortable qu'aujourd'hui. Les Franco-Britanniques sont responsables de cette division en quatre. Après 1923, la Turquie perd la totalité de ses régions arabes plus le vilayet de Mossoul, qu'ils réclament toujours, plus ou moins ouvertement. Cette fixation des frontières, qui s'est fiate sous les mandats français et anglais, est celle qui perdure aujourd'hui.

L'histoire des populations kurdes fut donc, par la suite, très différente selon les pays où elles vivaient, sans qu'il y ait jamais eu une réelle coordination du peuple kurde dans son ensemble. Chaque partie a vécu ainsi des événements différents. J'en prends pour exemple la République kurde de Mahabad, de 1946, qui n'a pas eu de répercussions hors le Kurdistan d'Iran, si l'on excepte la participation à cette république, du général kurde Mustafa Barzani, venu d'Irak.

La sagesse des Kurdes les amène aujourd'hui à pousser leurs revendications dans ce cadre étatique, le seul qui qoit réaliste aujourd'hui. Et là, ils ont une très bonne carte à jouer en Irak, à plusieurs conditions :

- Que l'ensemble de la zone initialement peuplée par les Kurdes leur soit restituée (Kirkuk, donc) et donc que justice soit rendue aux gens qui ont été expulsés ;

- La 2° condition est qu'une grande autonomie soit accordée non seulement aux Kurdes, mais à toutes les constituants de l'Irak, dans le cadre d'un Etat fédéral ou -mieux encore ! - dans un Etat confédéral, qui renforcerait l'Etat irakien au lieu de l'affaiblir.

Maintenant je suis prêt à répondre à vos questions.

(les questions qui suivent ont été posées par le public).

Q. : Vous avez cité l'exemple palestinien. Mais il est difficile d'imaginer pour la Question kurde un règlement en raison des quatre zones qui le partagent, contrairement aux Palestiniens qui ne sont pas divisés. Pensez-vous qu'une réunification des Kurdes soit un jour possible ?

R. : Les Kurdes, du moins, ne se heurtent pas à Israël, qui est un allié de la plus grande puissance ! Cela dit, les Kurdes, dans leur sagesse, même si, comme les Polonais au 19° siècle, ils peuvent rêver à une réunification, ne la demandent pas. Dans les circonstances actuelles, dans la poudrière du Moyen-Orient, avec l'hostilité traditionnelle des chancelleries à tout changement de frontière, ce ne serait pas réaliste... Bien sûr, il arrive que ces changements se produisent malgré l'opposition des chancelleries, comme en ex-Yougoslavie, ou bien en ex-Tchécoslovaque, où cela s'est fait pacifiquement, ou en ex-URSS... Mais en général les chancelleries préfèrent le statu-quo. Personnellement, je suis souvent contre, le statu-quo est pour moi plus dangereux quand il va à l'encontre des évolutions nécessaires. Cependant, plus tard qui sait ? Dans un siècle, dans un demi-siècle, tout peut changer.

Q. : Parmi ces "Etats qui n'aiment pas beaucoup changer les frontières", il y a ceux qui précisément les ont créées. Alors ne peuvent-ils pas non plus les réorganiser ? Bien sûr, la réunification totale est très difficile.

R. : Je ne vous suis pas du tout quand vous dites que les Grandes Puissances créent des frontières qu'elles peuvent elles-mêmes déplacer. La création de frontières d'Etats implique une réalité qui se cristallise et se fixe. Les mêmes ont tracé en Afrique des frontières qui ne correspondent à rien, par ignorance des positions où se trouvaient les peuples. C'est la même chose au Moyen-Orient avec la Cilicie, la Syrie, la Turquie, etc.). Le partage prévu par le traité de Sèvres prévoyait un Etat kurde et un Etat arménien. Mais la victoire du général Ismet Inönü, qui repoussa les Français de Cilicie, changea tout. Dans les accords Sykes-Picot, le mandat syrien a été amputé du vilayet de Mossoul, qui devait en premier revenir aux Français. Les Anglais ont exigé qu'il revienne au nouvel Etat irakien, sous prétexte que sans la richesse pétrolifère de Kirkouk, il ne serait pas viable. Cela dit, la Syrie, du coup, a été lésée ! Et dans cette négociation les Français se sont fais, euh... je ne dirais pas le mot.

Q. : Comment le fameux tracé du Bec-de-Canard a-t-il été tracé ?

R. : Suite à la négociation sur le vilayet de Mossoul. Le général de Gaulle a fait d'ailleurs une thèse, quand il était colonel, sur le Bec-de-canard syrien, il y parle notamment des yézidis.

Q. : Est-ce que l'enjeu pétrolier était déjà important dans ce découpage ? Avait-on déjà repéré les gisements ?

R. : Absolument. Les champs pétrolifères kurdes ont été les premiers à être repérés. Plus tard, on en a découvert dans le sud, et maintenant on en trouve partout. L'Irak est une éponge à pétrole. Le pétrole kurde a tendance d'ailleurs à s'épuiser, car il a été découvert en premier.

Q. : Je voudrais revenir sur le photo. Au premier abord, je la trouve un peu triste, car donnant une vision négative du Kurdistan avec cet enfant qui a une kalachnikov au bout du bras.

R. : J'avais été frappé à l'époque, par la totalité de la mobilisation de la population. Des enfants jusqu'aux vieillards, chacun luttait pour son peuple. J'ai à ce sujet une anecdote touchante : J'étais avec les partisans kurdes dans la région de Rawanduz en 1968. Nous étions dans la montagne et je marchais difficilement avec les peshmergas, qui eux, avec leurs chaussures de montagnards, marchaient aussi aisément dans les montagnes que dans la plaine, alors que moi, avec mes chaussures européennes, j'avais les pieds en sang ! La nuit, on arrive dans un village, on se répartit comme d'habitude dans différentes maisons. J'étais dans une maison extraordinairement pauvre, sans meuble aucun, ni tapis, ni coffres, rien de ce que l'on trouve d'habitude dans les maisons kurdes. Cette maison n'était occupée que par un vieillard, et il n'y avait que des feuilles sèches au sol, en guise de matelas. On s'est assis sur de vagues coussins. Au mur, il n'y avait qu'une photo, une belle photo, un portrait d'homme avec une barbe blanche en pointe : son père, qui avait été tué par la RAF. Je lui dis : "Ton père ressemble étrangement à mo, grand-père, qui avait la même barbe blanche en pointe." Il explique que c'est la seule chose à laquelle il tienne, car c'était aussi le souvenir de sa jeunesse, des chasses en montagne avec son père, etc. Il avait eu une belle femme, qui était morte, ses enfants étaient éparpillés, il était pauvre comme Job et d'ailleurs il a dit comme Job : "Dieu m'a tout donné, tout repris, qu'il soit loué." Et il a eu un grand sourire :" Quand je vois cette photo, je suis heureux."

Mort de fatigue, j'ai été dormir sur une paillasse de feuilles. A l'aube, comme d'habitude, les peshmergas sont venus me secouer pour que l'on reparte. Alors il est venu avec la photo et me l'a donnée. "Mais c'est la seule chose qui te rattache àa vie !" "Tu vois, je suis vieux, mes mains tremblent, je ne peux plus porter un fusil, mais je peux faire encore quelque chose pour mon pays. Si tu prends la photo, tu parleras de nous à l'étranger."

Pour revenir à cette photo de couverture : Ce garçon a un visage gai, déterminé, optimiste. Cela montre que ce n'est pas un peuple soumis, qui baisse la tête. Car la principale qualité kurde, c'est le courage.

Q. : Qu'est-ce qui à l'origine a noué votre affection pour les Kurdes ?

R. : Je n'avais pas l'intention d'en parler, mais puisque ça va rester entre nous... *rires*.

Je ne connaissais rien des Kurdes. J'avais seulement vu dans Paris Match je crois la photo de Mollah Mustafa Barzani descendant une colline à cheval avec ses partisans. Je trouvais qu'il avait fière allure. C'est tout. Mais en 1963, j'étais l'adjoint au Quai d'Orsay, de (là, ce n'est pas par censure, mais je n'ai pas saisi le nom, de toutes façons ces diplomates ont tous des noms à particule à coucher dehors)... J'étais chargé de regarder chaque matin les 200, 300 télégrammes qui arrivaient, de les trier et d'en expliquer son contenu au Secrétaire général.

Un jour, un télégramme arrive de Londres, disant que selon la politique concertée franco-britannique, la Grande-Bretagne nous demande notre accord pour envoyer 50 chasseurs bombardiers avec leur chargement de napalm en Irak. Je me précipite chez le Secrétaire et dit : "La France ne peut pas faire ça, le chargement de napalm signifie le génocide des populations. Il est destiné aux civils (j'avais vu ça en Algérie). Il faut que nous répondions non." Grande colère en réponse : "De quoi vous mêlez-vous ? Vous n'êtes qu'un petit conseiller d'ambassade de rien du tout ! " J'ai répondu alors : "Je suis catholique romain et vous protestant calviniste. Et nous pensons, à tort ou à raison, que chez les calvinistes, la fibre morale est plus élevée. Je m'adresse au protestant. Nous ne pouvons pas tuer les populations." Encore une plus grosse colère en retour : "Nous dirons oui aux Anglais, et c'est vous qui allez signer !" "Jamais je ne ferai une chose pareille." "Dans ces conditions, ce n'est pas la peine de revenir demain." "Je pars maintenant." Et je ne suis revenu au Quai d'Orsay que 8 ans après. Ayant été chassé à cause des Kurdes, je pouvais continuer à les aider ...

Q. : Est-ce que l'entrée de la Turquie en Europe n'est pas une chance, en la forçant à prendre en considération le problème kurde ?

Il y a du pour et du contre à cette entrée. J'ai à cela 3 objections majeures, actuellement, mis à part le problème de Chypre.

- L'adhésion de la Turquie mettrait l'Europe en contact direct avec la Syrie, l'Irak, l'Iran et la Géorgie.

- Mais la principale raison est d'ordre humain : Tant que les droits de l'Homme ne sont pas reconnus en Turquie, tant que la prison de Diyarbakir existe telle que l'a connue l'ancien maire (Mehdi Zana), tant qu'il n'y a pas de libertés fondamentales dans ce pays, tant que ce problème n'est pas réglé, je suis contre.

- Pour les Kurdes de Turquie, cette adhésion serait un grand avantage : plus de loi martiale, de répression, d'assassinats ciblés... Mais cela aurait pour effet que la frontière de l'Europe couperait le peuple kurde définitivement avec une partie, environ la moitié, en Europe, et l'autre moitié hors de l'Europe. Peut-on le souhaiter ? Ne vaut-il pas mieux attendre que les choses se décantent en Turquie ?

Q. : Au sujet des frontières intérieures en Irak : Est-il souhaitable de modifier les frontières du gouvernorat kurde actuel ?

R. : Le 4° gouvernorat, celui de Kirkouk, a donné la majorité aux Kurdes, mais cela n'implique que la ville et le nord. Je pense qu'il faut faire des référendums d'auto-détermination, mais une fois tous les gens revenus sur place. Parce que si ce sont des populations allogènes qui votent, ça n'a pas de sens. La grande affaire est bien sûr celle des puits de pétrole autour de Kirkouk. Je dirais que les populations doivent être rétablies dans leurs droits. La carte la plus fiable est celle d'un atlas soviétique des peuples du monde, avec une carte linguistique qui montre exactement où sont les Kurdes et où sont les Turkmènes. Ensuite seulement, on pourra faire des référendums pour déterminer la frontière du futur Etat autonome en Irak.

Q. : Que pensez-vous du résultat des élections, tel qu'il a été présenté, avec cette division confessionnelle : chiites, sunnites... et Kurdes ?

R. : La population kurde n'a effectivement pas voté en fonction d'une religion mais d'une nationalité. Mais les deux grands groupes en Irak sont divisés ainsi, les chiites étant majoritaires. Mais l'insécurité dans les régions sunnites était telle qu'un grand nombre n'a pas pu ou voulu voter. Mais ceci, j'espère, est provisoire."




jeudi, février 17, 2005

Kurdes de Syrie : les suites du serhildan

En mars 2004, des milices armées par les baathistes syriens s'en prenaient lors d'un match de football à des supporters kurdes de la ville de Qamishlo. Mais les Kurdes avaient riposté avec une énergie qui avaient surpris tout le monde et les violences s'étaient alors propagées dans la plupart des villes kurdes. Devant l'ampleur du soulèvement, (serhildan en kurde), le gouvernement syrien avait paru reculer et Bashar el Assad avait tenté, dans un discours télévisé aux accents pluralistes pour le moins inhabituels, d'apaiser les esprits. Mais une fois le calme revenu, les Kurdes qui avaient été arrêtés n'ont pas tous été relâchés et d'autres arrestations ont suivi.
Le 15 février 2005, un an plus tard donc, la Cour de sûreté de l'Etat a condamné quinze d'entre eux à des peines de prison allant de deux à trois ans pour "agressions contre les autorités" (le fait de ne pas se laisser abattre comme des moutons par les milices d'Etat étant compris comme une agression par la Syrie), pour "faire partie d'une organisation secrète visant à faire annexer une partie de la Syrie par un pays étranger" (en gros les Kurdes de Syrie sont soupçonnés de vouloir être rattachés au Kurdistan d'Irak, et de ce fait, ils vivent si bien en Syrie qu'on ne voit vraiment pas pourquoi ils auraient de pareilles idées), pour "dissensions confessionnelles" (là j'ignore pourquoi, le serhildan ayant été une révolte aux accents nationaux mais pas du tout religieux) et "incitations à la sédition".
D'autres Kurdes doivent comparaître aujourd'hui devant le tribunal militaire de Damas. (source AFP).

dimanche, février 13, 2005

Le faisan d'or



Le Faisan d'or de Marat Sarulu. Beau film, beaucoup de charme, le noir et blanc (pour des raisons d'économie) convient bien à la mise en scène de la nature (forêt, steppe), en la magnifiant, un peu comme dans Rashomon. Le premier volet, celui des enfants est très naturaliste,on observe les jeux des enfants comme une nichée de louveteaux s'ébattant dans la forêt. Même jeu de caméra que dans les reportages de la BBC sur le thème "lionceaux dans la savane" : pas d'explication, de commentaires, on regarde les gamins se disputer, rire, s'échapper, suivre le rail, de temps à autre pause sur un oiseau, un arbre, un paysan kirghize, de façon aussi neutre, aussi égalitaire, et en même temps sans les raboter, au contraire, la forêt, le ciel est habitée d'un esprit, comme les feux du train, comme le train lui-même. C'est ça qui est bien avec la culture chamane, on n'a pas cet insupportable homocentrisme biblique ou même grec, qui met l'homme dans le décor de la création, point. Les films asiatiques, qu'ils soient de culture boudhique, shintoistes, chamaniste, ont bien cette puissance qui fait d'une goutte de lumière sur une feuille d'arbre un signe, une part du scénario, d'un arbre, d'une pierre, un acteur.

Puis on passe dans le train, relié mythiquement et avec humour à la Route de la soie, plusieurs scénettes, des vies qui se croisent, voyous, peintre, femme amère et mal mariée, jeunes gens rigolards, et ce train qui file comme la vie, tant pis pour les mauvais aiguillages, ou tant mieux...

Le dernier volet, la chute, la séparation des enfants, l'un s'en va poursuivre un rêve, les deux restent, mais sont récompensés par l'envol du Faisan d'or, fils croisés décroisés, le train, les rails, la steppe...

jeudi, février 10, 2005

Soirée cinéma : Art en exil

Art en exil


mercredi 16 février 2005 à 20h00

au Cinéma La CLEF (centre culturel la CLEF)
21, rue La CLEF/ rue Daubenton 75005 ParisM° : Censier- Daubenton / Place Monge (ligne 7)

20h00 : Ni ici, ni là-bas : film de MARION LARY, cinéaste, a réalisé de nombreux documentaires de société pour la télévision et des courts et moyens métrage .(60 minutes, DV, France, 2004)

Synopsis : " Depuis la fermeture de Sangatte en novembre 2002, un certain nombre d'exilés se sont repliés sur Paris. Le square Alban Satragne dans le 10ème arrondissement, près des gares de l'Est et du Nord, est devenu le quartier général de ceux qui espèrent partir vers l'Angleterre, la Suède ou l'Europe du Nordcomme de ceux qui demandent l'asile en France. C'est là que j'ai rencontré ces hommes venus d'Irak, d'Iran ou d'Afghanistan, c'est aussi là que j'ai rencontré des militants français et étrangers qui ont créé un collectif pour les soutenir. Pendant un an, je les ai suivis dans leurs efforts pour survivre. "


21h00 : Procès : film de Moslem MANSOURI, cinéaste iranien indépendant exilé en Amérique du Nord. (42 minutes, Betacam, Canada, persan sous-titré français, 2002) a obtenu le meilleur prix au festival international de Tribeca (Tribeca Film Festival) à New York et le prix du meilleur documentaire au festival international de Movie Eye/Kinoglas (TVER ) en Russie http://www.movieeyefest.ru/.

Synopsis : Les ouvriers d’une briqueterie d’un petit village situé à 20 kilomètres de Téhéran ont une passion : le cinéma artisanal et populaire. Un des leurs, Ali Matini, romancier prolifique et cinéaste amateur, réalise depuis 10 ans des fictions populaires avec la complicité des villageois. En 1992, le groupe est dénoncé, arrêté et emprisonné. Libéré sous la condition expresse de ne plus réaliser de films, le groupe défie une fois de plus les autorités iraniennes pour que Moslem Mansouri mette en scène leur aventure, permettant le tournage simultané de cette ultime fiction.


21h45 Débat en présence de MARION LARY (réalisatrice)
A l'issue de cette soirée, un verre de l'amitié sera offert
Participation aux frais: 5 euros

Pour savoir plus : http://www.artenexil.net/
Réservation souhaitée au :
01 45 42 20 1606 09 12 68 07

artenexil@free.fr

mercredi, février 09, 2005

Radio : Turquie et UE

Jeudi 17 février, sur Radio France International à 16h40 : L'Entrée de la Turquie en Europe (Accents d'Europe).

Sur la gentillesse des prophètes et leur self-control


"Il (Elisée) monta de là à Bethel ; et comme il cheminait à la montée, des petits garçons sortirent de la ville, et se moquèrent de lui. Ils lui disaient : Monte, chauve ! monte, chauve ! Il se retourna pour les regarder, et il les maudit au nom de l'Eternel. Alors deux ours sortirent de la forêt, et déchirèrent quarante-deux de ces enfants."

II Rois, 2, 23-24.

samedi, février 05, 2005

L'avenir des chrétiens du nord de l'Irak...

... se jouera peut-être plus au Kurdistan qu'au "nord de l'Irak précisément ? Les Kurdes et les chrétiens de la région de S,êxan, actuellement hors de la région fédérale du Kurdistan puisque dépendant de Mossoul, ont demandé à être rattachés au gouvernement kurde. Les représentants des trois religions (yézidis, chrétiens, musulmans) et des laïques veulent créer une sous-préfecture (qeymaqam) indépendante, dans le qeza de S,êxan. Le sous-préfet du qeza le docteur Basel Coqî a déclaré qu’ils souhaitaient effectivement se détacher de la ville de Mossoul et du vilayet du nord-ouest de cette ville, pour être rattachés au Gouvernement Régional du Kurdistan.

Pourquoi cette grogne ? Eh bien lors des élections, les gens de S,êxan ont attendu toute la journée leur matériel de vote, bulletins, urnes, etc., en vain... Un regrettable « oubli » de Mossoul ? De plus, la pression se fait de plus en plus forte contre les chrétiens et les Kurdes de la région et de la ville, qui se plaignent d'une agressivité "arabo-sunnite" de plus en plus ouverte. Les étudiants de Mossoul, qu’ils soient Kurdes ou chrétiens, préfèrent changer d’université et partir à Erbil, par exemple. De plus en plus de chrétiens ont déjà fui au Kurdistan, à tel point que KRG a déclaré « prioritaire » l’accueil à ces chrétiens fugitifs.

Bref, les chrétiens, les Kurdes, Yézidis et musulmans des régions des Mossoul semblent en avoir par dessus la tête de leur « frères arabes ». Et il est probable que les S,abaks et les Turkmènes ne doivent guère se sentir plus à l’aise. C’est pour cela que les clameurs d’Ankara metant en garde la mainmise des Kurdes sur Kirkuk, aux dépens des « autres minorités » est comique, puisque, comme le fait remarquer Kirkuk-Kurdistan, si cela continue, sans bouger le petit doigt, de jour en jour les frontières du Kurdistan vont s’agrandir, uniquement par le vœu des populations peu enclines à supporter encore d’être brimé pour leur langue ou leur religion. Et finaleemnt, la question de Kirkuk finira par être régler d’elle-même quand la majeure partie de la population optera d’elle-même pour le rattachement au Kurdistan.

jeudi, février 03, 2005

Les Kurdes, destin héroïque, destin tragique





Conférence de Bernard Dorin
donnée à l’Institut kurde en février 2005

"Je dois d'abord dire qu'en tant qu'ami inconditionnel des Kurdes, j'ai 3 patries (comme Joséphine Baker disait qu'elle avait deux amours, son pays et Paris) moi j'ai 3 patries, la France, le Québec et le Kurdistan.

Je voudrais aussi mentionner en préambule les élections récentes en Irak, élections qui pour la première fois ont été entièrement libres dans ce pays. Cet événement considérable avait déjà eu des retombées avant même son déroulement, puisqu'elles avaient amené les deux autorités qui se partagent la région à s'allier pour cette élection, et ce qui a permis aux Kurdes d'arriver numéro 2. Quand le conflit israélo-palestinien sera terminé - et il finira tôt ou tard - la Question kurde sera le grand problème à résoudre du Proche-Orient. Connaissant la sagesse et la modération kurde j'ai bon espoir que le problème kurde soit résolu dans les quatre pays (qui se partagent le Kurdistan, de la façon la meilleure et la plus juste possible. Car la langue, c'est l'identité, et chaque foyer a le droit d'espérer que ses enfants parlent cette langue, sans être massacrés ou déportés.

La plaquette que j'ai fait paraître se veut tout à fait pédagogique. Ce petit livre est fait pour tous les francophones. Par manque de temps, ce n'est pas un livre fabriqué, réécrit de but en blanc, mais une suite de questions-réponses, questions posées par un journaliste, que nous avions convenues ensemble, et auxquelles je réponds. Ces questions balaient, me semble-t-il, l'ensemble de la Question kurde dans les 4 pays. La dernière partie aborde le devenir possible des Kurdes.

Je voudrais aussi parler de la photo qui est sur la couverture, et qui m'est très chère. Je l'ai prise moi-même en 1968, au Kurdistan. Entre nous, je peux vous dire que ce petit garçon a par la suite été fait prisonnier et tué, probablement torturé. Je l'ai pris quand même parce qu'il respire la joie de vivre et l'espoir, et qu'il symbolise le peuple kurde : Petit guerrier, car les Kurdes sont un peuple guerrier, ni par volonté ni par goût, mais par nécessité. Les historiens pensent qu'ils ont été réduits peu à peu à occuper les montagnes de façon défensive. Je me souviens du proverbe que citait le prince Bedir Khan : "La montagne est la citadelle de mon coeur."

En Turquie, il y a entre 14 et 18 millions, disons 16, Kurdes. Ils sont 2 millions en Syrie. Avant Saddam Hussein ils étaient 5 millions en Irak, disons 4 millions à présent. En Iran, 8 millions, ce qui fait donc 30 millions en tout. Et ce qui est intéressant dans cette répartition, c'est l'unité géographique de leur peuplement, qui couvre les plus hautes montagnes de la région.

Autrefois, le peuple kurde était intégralement compris dans l'Empire ottoman. Mais après les batailles contre les Persans, ces derniers ont obtenu la frontière des monts Zagros. Mais jusqu'en 1918, les Kurdes n'étaient ainsi partagés qu'en deux, ce qui était une situation moins inconfortable qu'aujourd'hui. Les Franco-Britanniques sont responsables de cette division en quatre. Après 1923, la Turquie perd la totalité de ses régions arabes plus le vilayet de Mossoul, qu'ils réclament toujours, plus ou moins ouvertement. Cette fixation des frontières, qui s'est fiate sous les mandats français et anglais, est celle qui perdure aujourd'hui.

L'histoire des populations kurdes fut donc, par la suite, très différente selon les pays où elles vivaient, sans qu'il y ait jamais eu une réelle coordination du peuple kurde dans son ensemble. Chaque partie a vécu ainsi des événements différents. J'en prends pour exemple la République kurde de Mahabad, de 1946, qui n'a pas eu de répercussions hors le Kurdistan d'Iran, si l'on excepte la participation à cette république, du général kurde Mustafa Barzani, venu d'Irak.



La sagesse des Kurdes les amène aujourd'hui à pousser leurs revendications dans ce cadre étatique, le seul qui qoit réaliste aujourd'hui. Et là, ils ont une très bonne carte à jouer en Irak, à plusieurs conditions :

- Que l'ensemble de la zone initialement peuplée par les Kurdes leur soit restituée (Kirkuk, donc) et donc que justice soit rendue aux gens qui ont été expulsés ;

- La 2° condition est qu'une grande autonomie soit accordée non seulement aux Kurdes, mais à toutes les constituants de l'Irak, dans le cadre d'un Etat fédéral ou -mieux encore ! - dans un Etat confédéral, qui renforcerait l'Etat irakien au lieu de l'affaiblir.

Maintenant je suis prêt à répondre à vos questions."

(Les questions qui suivent ont été posées par le public.)

Q. : Vous avez cité l'exemple palestinien. Mais il est difficile d'imaginer pour la Question kurde un règlement en raison des quatre zones qui le partagent, contrairement aux Palestiniens qui ne sont pas divisés. Pensez-vous qu'une réunification des Kurdes soit un jour possible ?

R. : Les Kurdes, du moins, ne se heurtent pas à Israël, qui est un allié de la plus grande puissance ! Cela dit, les Kurdes, dans leur sagesse, même si, comme les Polonais au 19° siècle, ils peuvent rêver à une réunification, ne la demandent pas. Dans les circonstances actuelles, dans la poudrière du Moyen-Orient, avec l'hostilité traditionnelle des chancelleries à tout changement de frontière, ce ne serait pas réaliste... Bien sûr, il arrive que ces changements se produisent malgré l'opposition des chancelleries, comme en ex-Yougoslavie, ou bien en ex-Tchécoslovaque, où cela s'est fait pacifiquement, ou en ex-URSS... Mais en général les chancelleries préfèrent le statu-quo. Personnellement, je suis souvent contre, le statu-quo est pour moi plus dangereux quand il va à l'encontre des évolutions nécessaires. Cependant, plus tard qui sait ? Dans un siècle, dans un demi-siècle, tout peut changer.

Q. : Parmi ces "Etats qui n'aiment pas beaucoup changer les frontières", il y a ceux qui précisément les ont créées. Alors ne peuvent-ils pas non plus les réorganiser ? Bien sûr, la réunification totale est très difficile.

R. : Je ne vous suis pas du tout quand vous dites que les Grandes Puissances créent des frontières qu'elles peuvent elles-mêmes déplacer. La création de frontières d'Etats implique une réalité qui se cristallise et se fixe. Les mêmes ont tracé en Afrique des frontières qui ne correspondent à rien, par ignorance des positions où se trouvaient les peuples. C'est la même chose au Moyen-Orient avec la Cilicie, la Syrie, la Turquie, etc.). Le partage prévu par le traité de Sèvres prévoyait un Etat kurde et un Etat arménien. Mais la victoire du général Ismet Inönü, qui repoussa les Français de Cilicie, changea tout. Dans les accords Sykes-Picot, le mandat syrien a été amputé du vilayet de Mossoul, qui devait en premier revenir aux Français. Les Anglais ont exigé qu'il revienne au nouvel Etat irakien, sous prétexte que sans la richesse pétrolifère de Kirkouk, il ne serait pas viable. Cela dit, la Syrie, du coup, a été lésée ! Et dans cette négociation les Français se sont fais, euh... je ne dirais pas le mot.

Q. : Comment le fameux tracé du Bec-de-Canard a-t-il été tracé ?

R. : Suite à la négociation sur le vilayet de Mossoul. Le général de Gaulle a fait d'ailleurs une thèse, quand il était colonel, sur le Bec-de-canard syrien, il y parle notamment des yézidis.

Q. : Est-ce que l'enjeu pétrolier était déjà important dans ce découpage ? Avait-on déjà repéré les gisements ?

R. : Absolument. Les champs pétrolifères kurdes ont été les premiers à être repérés. Plus tard, on en a découvert dans le sud, et maintenant on en trouve partout. L'Irak est une éponge à pétrole. Le pétrole kurde a tendance d'ailleurs à s'épuiser, car il a été découvert en premier.

Q. : Je voudrais revenir sur la photo. Au premier abord, je la trouve un peu triste, car donnant une vision négative du Kurdistan avec cet enfant qui a une kalachnikov au bout du bras.

R. : J'avais été frappé à l'époque, par la totalité de la mobilisation de la population. Des enfants jusqu'aux vieillards, chacun luttait pour son peuple. J'ai à ce sujet une anecdote touchante : J'étais avec les partisans kurdes dans la région de Rawanduz en 1968. Nous étions dans la montagne et je marchais difficilement avec les peshmergas, qui eux, avec leurs chaussures de montagnards, marchaient aussi aisément dans les montagnes que dans la plaine, alors que moi, avec mes chaussures européennes, j'avais les pieds en sang ! La nuit, on arrive dans un village, on se répartit comme d'habitude dans différentes maisons. J'étais dans une maison extraordinairement pauvre, sans meuble aucun, ni tapis, ni coffres, rien de ce que l'on trouve d'habitude dans les maisons kurdes. Cette maison n'était occupée que par un vieillard, et il n'y avait que des feuilles sèches au sol, en guise de matelas. On s'est assis sur de vagues coussins. Au mur, il n'y avait qu'une photo, une belle photo, un portrait d'homme avec une barbe blanche en pointe : son père, qui avait été tué par la RAF. Je lui dis : "Ton père ressemble étrangement à mon grand-père, qui avait la même barbe blanche en pointe." Il explique que c'est la seule chose à laquelle il tienne, car c'était aussi le souvenir de sa jeunesse, des chasses en montagne avec son père, etc. Il avait eu une belle femme, qui était morte, ses enfants étaient éparpillés, il était pauvre comme Job et d'ailleurs il a dit comme Job : "Dieu m'a tout donné, tout repris, qu'il soit loué." Et il a eu un grand sourire :" Quand je vois cette photo, je suis heureux."

Mort de fatigue, j'ai été dormir sur une paillasse de feuilles. A l'aube, comme d'habitude, les peshmergas sont venus me secouer pour que l'on reparte. Alors il est venu avec la photo et me l'a donnée. "Mais c'est la seule chose qui te rattache àa vie !" "Tu vois, je suis vieux, mes mains tremblent, je ne peux plus porter un fusil, mais je peux faire encore quelque chose pour mon pays. Si tu prends la photo, tu parleras de nous à l'étranger."

Pour revenir à cette photo de couverture : Ce garçon a un visage gai, déterminé, optimiste. Cela montre que ce n'est pas un peuple soumis, qui baisse la tête. Car la principale qualité kurde, c'est le courage.

Q. : Qu'est-ce qui à l'origine a noué votre affection pour les Kurdes ?

R. : Je n'avais pas l'intention d'en parler, mais puisque ça va rester entre nous... *rires*.

Je ne connaissais rien des Kurdes. J'avais seulement vu dans Paris Match je crois la photo de Mollah Mustafa Barzani descendant une colline à cheval avec ses partisans. Je trouvais qu'il avait fière allure. C'est tout. Mais en 1963, j'étais l'adjoint au Quai d'Orsay, de (là, ce n'est pas par censure, mais je n'ai pas saisi le nom, de toutes façons ces diplomates ont tous des noms à particule à coucher dehors)... J'étais chargé de regarder chaque matin les 200, 300 télégrammes qui arrivaient, de les trier et d'en expliquer son contenu au Secrétaire général.


L'actuel président du Gouvernement régional du Kurdistan, Massoud Barzani, à 13 ans, en peshmerga.

Un jour, un télégramme arrive de Londres, disant que selon la politique concertée franco-britannique, la Grande-Bretagne nous demande notre accord pour envoyer 50 chasseurs bombardiers avec leur chargement de napalm en Irak.

Je me précipite chez le Secrétaire et dit : "La France ne peut pas faire ça, le chargement de napalm signifie le génocide des populations. Il est destiné aux civils (j'avais vu ça en Algérie). Il faut que nous répondions non."

Grande colère en réponse : "De quoi vous mêlez-vous ? Vous n'êtes qu'un petit conseiller d'ambassade de rien du tout ! "

J'ai répondu alors : "Je suis catholique romain et vous protestant calviniste. Et nous pensons, à tort ou à raison, que chez les calvinistes, la fibre morale est plus élevée. Je m'adresse au protestant. Nous ne pouvons pas tuer les populations."

Encore une plus grosse colère en retour : "Nous dirons oui aux Anglais, et c'est vous qui allez signer !" "Jamais je ne ferai une chose pareille." "Dans ces conditions, ce n'est pas la peine de revenir demain." "Je pars maintenant."

Et je ne suis revenu au Quai d'Orsay que 8 ans après. Ayant été chassé à cause des Kurdes, je pouvais continuer à les aider ...

Q. : Est-ce que l'entrée de la Turquie en Europe n'est pas une chance, en la forçant à prendre en considération le problème kurde ?

Il y a du pour et du contre à cette entrée. J'ai à cela 3 objections majeures, actuellement, mis à part le problème de Chypre.

- L'adhésion de la Turquie mettrait l'Europe en contact direct avec la Syrie, l'Irak, l'Iran et la Géorgie.

- Mais la principale raison est d'ordre humain : Tant que les droits de l'Homme ne sont pas reconnus en Turquie, tant que la prison de Diyarbakir existe telle que l'a connue l'ancien maire (Mehdi Zana), tant qu'il n'y a pas de libertés fondamentales dans ce pays, tant que ce problème n'est pas réglé, je suis contre.

- Pour les Kurdes de Turquie, cette adhésion serait un grand avantage : plus de loi martiale, de répression, d'assassinats ciblés... Mais cela aurait pour effet que la frontière de l'Europe couperait le peuple kurde définitivement avec une partie, environ la moitié, en Europe, et l'autre moitié hors de l'Europe. Peut-on le souhaiter ? Ne vaut-il pas mieux attendre que les choses se décantent en Turquie ?

Q. : Au sujet des frontières intérieures en Irak : Est-il souhaitable de modifier les frontières du gouvernorat kurde actuel ?

R. : Le 4° gouvernorat, celui de Kirkouk, a donné la majorité aux Kurdes, mais cela n'implique que la ville et le nord. Je pense qu'il faut faire des référendums d'auto-détermination, mais une fois tous les gens revenus sur place. Parce que si ce sont des populations allogènes qui votent, ça n'a pas de sens. La grande affaire est bien sûr celle des puits de pétrole autour de Kirkouk. Je dirais que les populations doivent être rétablies dans leurs droits. La carte la plus fiable est celle d'un atlas soviétique des peuples du monde, avec une carte linguistique qui montre exactement où sont les Kurdes et où sont les Turkmènes. Ensuite seulement, on pourra faire des référendums pour déterminer la frontière du futur Etat autonome en Irak.

Q. : Que pensez-vous du résultat des élections, tel qu'il a été présenté, avec cette division confessionnelle : chiites, sunnites... et Kurdes ?

R. : La population kurde n'a effectivement pas voté en fonction d'une religion mais d'une nationalité. Mais les deux grands groupes en Irak sont divisés ainsi, les chiites étant majoritaires. Mais l'insécurité dans les régions sunnites était telle qu'un grand nombre n'a pas pu ou voulu voter. Mais ceci, j'espère, est provisoire."


Les Tortues volent aussi


Hier, projection de presse du film de Bahman Ghobadi, qui sortira en France le 23 février. Depuis son premier long métrage, Un Temps pour l'ivresse des chevaux, quel progrès a fait ce cinéaste ! En effet, si son premier film était loin d'être mauvais, il avait un côté légèrement mélo, mettant en scène des enfants éplorés si gentils, si parfaits, qu'ils manquaient peut-être de profondeur psychologique, de nuances, un peu comme dans Les Enfants du ciel de Majid Majidi. Mais avec Les Chants du pays de ma mère, Bahman Ghobadi se haussait d'emblée au rang d'un très très bon cinéaste kurde. Comme je l'avais écrit alors, si son premier film aurait pu montrer la vie de n'importe quels enfants d'Iran, nonobstant la spécificité de cette contrebande frontalière, son deuxième film, par ce mélange tragi-comique entre scènes d'une drôlerie et d'une finesse d'observation impayables sur la société rurale kurde, alternant avec des moments extrêment dramatiques et surtout filmés avec l'objectivité brute, sans détour, d'un documentaire (les fosses communes, les ravages des armes chimiques), ce mélange de rire et de douleur, qui fait que contrairement à nos cinémas où l'on tourne soit un drame, soit une comédie, là on a tout d'emblée, toute la gamme d'émotions humaines, se succédant ou se superposant sans transition, me fait penser à ce que disait Céline à une question qu'on lui posait sur la supériorité du théâtre de Shakespeare par rapport aux classiques français : "- Vous pensez que Shakespeare est plus grand que nos classiques, Racine, par exemple ? - Oui, je crois, oui... Parce qu'il y a de la rigolade n'est-ce pas, que les autres n'ont pas... Il a le rire, ce qui est énorme... Et, quand vous avez à la fois le tragique et le rire, vous avez gagné, n'est-ce pas... Tandis que les autres, dame, heu... C'est un peu monotone... [...] Tandis qu'on passe de la clownerie au tragique avec vraiment de la vérité en même temps... C'est plus complet... Ça tient mieux... Ça tient mieux l' coup et l' temps... Y a de la rigolade."

Et bien ça, cette capacité à ne jamais être totalement triste ni totalement gai, en tous cas jamais de façon durable, est quelque chose de profondément kurde, et c'est ce qui rend si attachantes leurs histoires personnelles, vécues ou inventées.



Kek Satellite



Par ailleurs, on retrouve des personnages déjà vus dans Les Chants du pays de ma mère, joués par les mêmes acteurs, ce qui, comme dans les films de Pagnol, nous place d'emblée dans une familiarité affectueuse avec ces figures qui ne font que passer rapidement, mais que nous connaissons et reconnaissons : l'instituteur, le docteur, et cette vision désopilante des vieux cheikhs du village, assis en rond, canne en main, attendant les news par satellite, mais à qui l'on ne doit surtout pas montrer les chaînes "interdites", en gros les programmes un peu olé olé venus d'Occident....



C'est que Bahman Ghobadi aime les personnages qu'il met en scène, et donc aime ses acteurs, qui sont pour la plupart des acteurs non-professionnels, jouant leur propre rôle. Son regard sur le monde des Kurdes est plein d'affection, on rit plus de leurs travers qu'on ne s'en irrite. Désopilante une des premières scènes du film où sur la colline hérissée d'antennes de télévision, des centaines de villageois essaient de régler leur postes à distance, dans une cacophonie d'instructions données par le reste de la famille, qui s'époumone d'en bas.



Bahman Ghobadi a aussi un ton terrible pour filmer les enfants kurdes, tels qu'il sont, sans les idéaliser, mais en les magnifiant. La société de gosses chamailleurs rappelle les adultes turbulents des Chants du pays de ma mère. Il y a un côté Tigibus dans le petit S,êrko, s'évertuant à comprendre et retenir chaque mot anglais prononcé par son chef, Kek Satellite."




Mais si La Guerre des boutons était bien une guerre d'enfants, ici les armes sont réelles, et les mines que ramassent les gosses contre l'argent de l'ONU (dérision subtile quand il est expliqué que les mines les plus prisées sont, bien sûr, les mines américaines, participant elles aussi au prestige des USA dont on attend l'entrée en guerre avec impatience), ces mines là mutilent et le nombre d'enfants à qui ils manquent un ou deux membres est effarant. Qu'importe, privé de bras, Hingaw travaille avec sa bouche, les autres clopinent et galopent sur leurs béquilles, débordant de vitalité malgré leur infirmité... N'est-il pas dit que Les Tortues volent aussi ? "Tu ne m'envoies que des gosses sans mains" proteste un adulte venu demander quelques enfants démineurs à Kek Satellite. "Justement, ceux-là n'ont plus peur des mines !" réplique le garçon. Ainsi les blessures des corps sont exposées et filmées sans complaisance mais sans détour. Dans Un temps pour l'ivresse des chevaux, l'enfant malade, infirme, était le noeud de l'intrigue. Ici, cela fait simplement partie du décor, le véritable drame se joue ailleurs, dans les blessures invisibles, les plaintes muettes, et Ghobadi a l'air de vouloir nous indiquer que c'est surtout d'une âme mutilée que les enfants ne peuvent guérir.

Le drame qui se noue ainsi entre la jeune Agrine, violée par les soldats irakiens, et qui rejette l'enfant né de ce viol, que protège au contraire son frère Hingaw, est peu à peu exposé avec une très grande profondeur, une subtilité sobre. Aucun jugement, aucun position n'est privilégié par la caméra, qui nous fait voir ce drame vécu par trois enfants, avec leurs trois points de vue différents, sans en privilégier un seul, sachant ainsi se baisser jusqu'à la hauteur d'un enfant de deux ans, distillant en flash d'informations plus prenants et plus violents que ceux de la télé-satellite, les images de la guerre, passées et à venir.

A l'arrivée tant attendue des Américains, tout se disloque, le camp de réfugiés se disperse pour retourner en ville, se ruant vers un nouveau rêve, celui de la paix arrosée de dollars, "pere-pere" ou "money-money", comme le refrain des temps nouveaux. Ne restent que sur le bas-côté de la route, tournant le dos aux soldats et aux chars venus en libérateurs, que les plus abîmés, les plus mûris, les enfants qui ont trop grandi à vouloir protéger les plus faibles, et ceux qui ont décidé de ne plus grandir.


mardi, février 01, 2005

Ainsi parlait Zarathoustra

"Les rapports avec les hommes gâtent le caractère, surtout quand on n'en a pas."


"Car les parcelles de bonheur qui sont encore en route entre le ciel et la terre se cherchent un asile dans les âmes de lumière."

Ainsi parlait Zarathoustra, III, De la béatitude involontaire, Nietzsche.



Et en vérité, apprendre à s'aimer, ce n'est point là un commandement pour aujourd'hui et pour demain. C'est au contraire de tous les arts le plus subtil, le plus rusé, le dernier et le plus patient."

Ainsi parlait Zarathoustra, III, De l'esprit de lourdeur, 2, Nietzsche.



"chez les dieux, la mort n'est toujours qu'un préjugé."

Nietzsche,Ainsi parlait Zarathoustra, IV, l'âne.




Tumai, Lucy, Mahomet, et les Turcs...

L'ancien ministre turc de la Culture Namik Kemal Zeybek est une grande pointure intellectuelle,il n'y a pas à dire. Moi j'espère qu'on en aura encore beaucoup des comme ça, car une fois entrés dans l'UE ils distrairont les autres pays membres de la sinistrose que génèrent tous les autres politiciens...

Lors d'une conférence intitulée “Le Nouvel Ordre du monde et la Turquie", Namik Kemal Zeybek a ainsi déclaré que "Mumhammad le Prophète était Turc". Voilà qui va contribuer à rendre les Turcs davantage populaires au Moyen-Orient, et surtout en Irak où ils brûlent d'intervenir, paraît-il... Mais bon, il veut bien nous expliquer tout ça, à nous autres, ignares, parce que le monde entier ne semble pas se rendre compte que "la nation la plus importante dans le monde durant ces huit derniers millénaires ce sont les Turcs et que les Turcs ont enseigné la civilisation à l'humanité".

Et là la secte de Raël se fâche parce que tout le monde sait que ce sont les extra-terrestres, non mais !

En effet, poursuit cette grande pointure de l'histoire antique, "les racines de la nation turque remontent aux Sumériens" (première culture antique mésopotamienne, dont tout le monde aimerait bien se réclamer, sauf que manque de bol, leur langue ne se rattache à aucun groupe linguistique connu, et donc pas aux langues touraniennes). Et donc là-dessus Zeybek conclut : “Notre Prophète Muhammad a aussi des origines qui remontent aux Sumériens. Par conséquent le Prophète Muhammad était aussi un Turc.”

CQFD.

Moi, cependant, je le trouve tiède dans son nationalisme, il aurait pu au moins prouver, avec un peu de bonne volonté, que Lucy et Toumai étaient aussi Turcs ... Tant qu'à faire, hein ?

Et donc (on poursuit) " L'histoire du monde commence avec les Turcs. Les Ottomans ont régné sur le monde pendant 600 ans" (le monde entier ? Bizarre que les Chinois ne se soient rendus compte de rien, tiens) "et tout le monde, dans beaucoup de grands pays, respectent les Ottomans." Alors là, des noms ?! Parce qu'un des refus les plus passéistes et les plus réacs opposés à l'entrée de la Turquie dans l'UE, c'est justement le souvenir du Grand Turc aux portes de Vienne et tyrannisant l'Europe centrale, etc. Quant aux pays du Moyen-Orient, les Ottomans leur rappellent surtout les grands massacres de la fin du 19° et du début du 20° siècle. En fait, il y a peu de peuples et de minorités religieuses dans cette région qui n'ont pas eu quelques milliers de victimes du fait des derniers Ottomans. Je crois même qu'il y a une "légende noire" couvrant l'image réelle de cet Empire, qui du 16° au 18° ne fut pourtant pas si néfaste que ça. Mais bon, le souvenir des Jeunes Turcs est tel qu'un ami kurde me disait que sa grand-mère croyait que la langue parlée en enfer était le turc. Difficile d'être plus populaires en effet...

Enfin, l'éminent ministre de la Culture nous explique à nous aussi, Européens et Américains inconscients de notre prestigieuse généalogie que "Les racines des citoyens vivant dans les pays occidentaux aujourd'hui, sont donc également turques".

Bon il y en a long comme ça, pour ceux qui lisent le turc c'est là :


N'empêche que si jamais la Turquie rentre dans l'UE et qu'un oiseau de cet accabit devient ministre responsable de l'enseignement, il risque d'y avoir quelques petits problèmes pour harmoniser les programmes universitaires entre étudiants européens ...

Cela dit, vous pouvez comprendre à quel point il est difficile encore de se dire Kurde, pas Turc merci bien, Kurde ! au pays des Grands Civilisateurs de l'Humanité.

Concert de soutien à l'Institut kurde