dimanche, novembre 07, 2004

Minorités, nations partagées, le Livre noir du Moyen-Orient

Article intéressant qui rappelle un passé ottoman et européen bien oublié, mais qui dans la "Turquie nouvelle" ne fut jamais complètement oublié ni digéré. Effectivement la "protection" des minorités par les puissances européennes au 19° siècle, ce qu'on a appelé les Capitulations, est encore un traumatisme dans la conscience turque, en ce que ces "protections", rien moins que désintéressées, il faut le dire, furent vécues comme une tentative de démembrer l'Empire, en le minant de zones commerciales, juridiques, où le droit ottoman ne s'appliquait plus, en somme, comme dans les concessions étrangères de Chine.

Par ailleurs, cette fragmentation communautaire perdure obstinément au Moyen-Orient, derrière les déclarations ronflantes des Etats-nations. Et la Turquie, qui cauchemarde à l'idée que l'Europe pourrait recommencer à "protéger" ses millet/minorités, n'hésite pas à utiliser les mêmes revendications protectrices, mais cette fois-ci en utilisant l'ethnie et non plus la religion, pour les Turkmènes de Kirkuk en disant : "nos minorités nous donnent le droit d'ingérence", se posant ainsi comme le protecteur naturel de tous les Touraniens du monde, d'Iraq aux Ouïgours de Chine (bon d'accord, intervenir sur les Ouïgours de Chine c'est moins facile).

Mais finalement dans le monde arabe, est-ce si différent ? Le partage du Moyen-Orient entre Etats syrien, irakien, jordanien, n'a-t-il pas sonné le glas de l'arabité, des rêves de la nahda ? Et la farouche opposition de principe des Etats arabes contre Israël au nom de l'intérêt des Palestiniens ne relève-t-il pas de la même solidarité nationale trans-frontalière ? Aussi, il est naturel que les Etats environnant le Kurdistan craignent qu'une puissance étatique kurde en Irak ne devienne le protecteur naturel des Kurdes de Syrie, de Turquie, d'Iran. Et comment pourrait-il en aller autrement ? L'éclatement de l'Empire ottoman et le découpage de la Société des nations, ne pouvait qu'aboutir à cela, ces alliances inter-étatiques, dans des Etats déchirés entre plusieurs nations qui n'avaient ni les mêmes rêves, ni les mêmes destins.

Aujourd'hui, comme depuis sa fondation, l'Irak est déchiré entre trois grandes histoires, trois grands héritages, trois psycho-généalogies : celle des chiites, celle des Kurdes, celle des Arabes sunnites de Bagdad et du centre. Chacune des trois a son propre traumatisme, ses contentieux avec les autres, ses propres mythes, son propre rêve politique. Chacune a ses propres héros, ses grandes dates, et ses comptes à régler avec le passé : la persécution des chiites, l'échec du nationalisme arabe, et pour les Kurdes le rêve kurdistani. Difficile de concilier et de réconcilier tout cela. Aujourd'hui l'Etat d'urgence a été déclaré en Irak sauf au Kurdistan., car évidemment la situation n'est pas la même. Alors que l'Irak coule (un peu aidé par certains de ses frères arabes, il faut le dire), le Kurdistan, pour le moment, se porte très bien. Difficile de concilier tout ça en un tout homogène et sous un même drapeau. Bien sûr, des optimistes espèrent encore que c'est l'exemple kurde qui contaminera le reste de l'Irak et l'emportera. Mais la contamination va rarement dans ce sens. Il y aura plutôt, de plus en plus, un réflexe protectionniste des Kurdes (bien naturel) de ne pas se laisser contaminer par la violence et les infiltrations terroristes d'en bas.




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