samedi, août 11, 2001

Dersim

Toujours cet ennui de caserne, ce temps à traîner. J'ai entamé mon dernier livre, La montagne de l'âme, une suite de saynètes tristes et rêveuses, bien accordées à mon état d'esprit, hormis le temps gris et humide du livre. Ici, c'est chaud, poudreux, lourd. Et c'est une ville sans légende, sans démon, sans charme.

L'herbe sèche et courte sur les montagnes. Comme le pelage dru et soyeux d'une bête à robe jaune, nuque de lion, douceur claire d'un flanc de tigre. Plus la râpe grise des rochers et les bouquets d'arbres verts. L'odeur des baignades est indissociable de celle des kebabs. Tout le monde vient faire griller n'importe quoi au bord de l'eau : viande de mouton, poulet, oignons, piments, tomates, poivrons... et les pastèques mises à rafraîchir dans l'eau. Ici les mouches sont féroces, très piquantes, revenant sans cesse : de vraies Erynies. Un cavalier en short et espadrilles passe près de moi, montant un petit cheval bai aux jambes fines. Ici, l'eau de la rivière est turquoise, entre les canyons rouges. Dommage de rester sur la rive. Il ferait bon monter sur les sommets, entre la pierre, l'herbe sèche et les arbres et rester là-haut jusqu'au soir, jusqu'à la nuit, sous les constellations et la Voie Lactée, "chemin de paille" disent les Persans.

Difficile d'être seule ici. Une mère de famille m'aborde avec son sourire le plus engageant et voyant que je suis gharibi, étrangère, veut que sa fille vienne me parler anglais. Sa fille est étudiante en médecine à Elazig. Après quelques mots échangés, la conversation tourne court, je réussis à m'en débarrasser. Je vais donc au bord de l'eau pour écrire un peu. Roxane et Suleyman me rejoignent, eux vont se rasseoir sur les tables à pique-nique. Je reste au bord de l'eau. A peine sont-ils partis que la même mère de famille, dont le campement est sur la même rive mais à cinquante mètres, fait tout le trajet pour m'apporter une tasse de thé brûlant. Même sourire engageant. Ce que les Kurdes comme les Turcs peuvent être gentils et emmerdants. Elle m'a montrée où ils étaient pour que je rapporte la tasse. Rien à faire. Une fois que j'aurais avalé ce thé brûlant, je serai bien obligée de leur faire un brin de causette.

Ce que j'ai fait, donc. Naturellement, à peine arrivée près d'eux et leur tendant ma tasse vide (pour leur rendre) en les remerciant, ils me l'ont remplie illico de thé toujours aussi brûlant, de sorte que je ne pouvais que m'asseoir sur un de leurs sièges, à moins d'être ébouillantée. Rusés, les Kurdes. Après, pêche, raisins, börek. Pris un quartier de pêche, croqué quelques grains de raisin. Ils me demandent quand je rentre en France. Le 22 ? ça tombe bien, le 20 ils ont une tante qui se marie, est-ce que je veux venir ? Non, le 14 je suis à Istanbul.

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